La Suite du Menteur/Notice

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Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome IV (p. 277-279).
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NOTICE.


Nous avons peu de chose à dire de la Suite du Menteur. La comparaison entre cet ouvrage et la comédie de Lope de Vega intitulée Amar sin saber á quien, « Aimer sans savoir qui, » sera faite avec toute la compétence désirable dans l’Appendice que nous devons à l’inépuisable obligeance de M. Viguier (voyez p. 391-395) ; et quant à l’histoire de la représentation, nous l’avons presque racontée d’avance en parlant du Menteur lui-même. La scène iii du premier acte, citée par nous dans la Notice précédente, prouve que les personnages de Dorante et de Cléon furent remplis par les acteurs qui les avaient déjà représentés dans le premier ouvrage, et donne sur ces deux comédiens de curieux détails, auxquels nous nous contentons de renvoyer[1].

Cette pièce fut jouée vers la fin de 1643, et il est permis de conjecturer qu’elle fut lue par Corneille au chancelier Seguier, au commencement d’août de la même année. Voici sur quoi se fonde cette opinion. On lit à la suite d’un passage de la Bibliothèque françoise de Gouget[2] où il vient d’être question de la correspondance manuscrite de Chapelain : « Ces lettres… de même que quelques autres, montrent aussi que Corneille fréquentoit souvent M. le chancelier Seguier et l’hôtel de Rambouillet, et qu’il lisoit ses pièces dramatiques avant de les livrer au théâtre. » L’indication marginale qui accompagne ce passage porte : « Lettres du 16 août 1643 et du 8 novembre 1652. » De ces deux dates la première ne peut se rapporter qu’à la Suite du Menteur et la seconde qu’à Pertharite, joué en 1653. Par malheur, il est impossible de recourir au texte même : car, bien que M. Sainte-Beuve possède la plus grande partie des lettres inédites de Chapelain, « cette précieuse copie autographe est, comme le fait remarquer M. Taschereau[3], incomplète d’un volume (1641 à 1658). » Ce que nous venons de dire prouve que Gouget avait probablement parcouru ce volume aujourd’hui perdu, et, faute de mieux, son témoignage nous fournira encore d’utiles renseignements en d’autres circonstances.

Corneille reconnaît en plus d’un endroit[4] que la pièce qui nous occupe a beaucoup moins bien réussi que la précédente ; mais il nous apprend que, « quatre ou cinq ans après, la troupe du Marais la remit au théâtre avec un succès plus heureux[5]. » C’est sans doute cette phrase qui a fait supposer fort gratuitement que le Menteur et la Suite n’avaient pas d’abord été donnés au Marais, mais qu’ils y avaient seulement été repris[6].

Voltaire affectionnait cet ouvrage ; il s’exprime ainsi dans la préface du commentaire qu’il lui a consacré : « La Suite du Menteur ne réussit point. Serait-il permis de dire qu’avec quelques changements elle ferait au théâtre plus d’effet que le Menteur même ? »

Andrieux voulut tenter l’aventure ; il mit la pièce en quatre actes, et la fit ainsi représenter, le 26 germinal an xi (1803), sur le théâtre Louvois. Puis, mécontent de son essai, qui avait pourtant été accueilli d’une manière assez favorable, il crut pouvoir trouver des modifications plus heureuses, remit l’ouvrage en cinq actes, et le fit jouer en 1810, avec de nouveaux changements, sur le théâtre de l’Impératrice (aujourd’hui l’Odéon). Toutefois, cette comédie n’a pu se maintenir au répertoire ; mais aucune peut-être ne mériterait davantage de devenir l’objet, au moins passager, d’une de ces intéressantes reprises que, depuis quelque temps, le Théâtre-Français a si à propos multipliées. En effet, si le plan et l’ordonnance laissent quelque chose à désirer, la Suite du Menteur n’en offre pas moins des rôles excellents, des scènes charmantes et des situations fort gaies.

L’édition originale a pour titre : La Svite du Menteur, comedie. Imprimé à Roüen, et se vend à Paris, chez Antoine de Sommauille… et Augustin Courbé… M.DC.XLV, in-4o de 6 feuillets et 136 pages. On lit à la fin du privilége : « Acheué d’imprimer pour la premiere fois à Rouen, par Laurens Maurry, ce dernier septembre 1645. »


  1. Voyez la Notice du Menteur, p. 122 et suivantes.
  2. Tome XVII, p. 163.
  3. Histoire de la vie et des ouvrages de P. Corneille, 2e  édition, p. vii.
  4. Voyez p. 279 et 285.
  5. Voyez p. 286.
  6. On lit dans le Journal du Théâtre français (tome II, fol. 853 verso) : « La troupe royale mit au théâtre au commencement du mois suivant (décembre 1643) une comédie nouvelle de Corneille intitulée la Suite du Menteur… Cette pièce… n’eut que trois représentations ; mais les comédiens du Marais l’ayant remise quatre ans après à leur théâtre, elle en eut dix, et elle y fut très-applaudie. »