La Terre promise/X

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Alphonse Lemerre, éditeur (p. 316-343).


Il y a dans la survenue d’un terrible accident, lorsqu’on y avait trop pensé, comme une stupeur et une sorte d’apaisement. Francis l’avait éprouvé à cette minute où il voyait disparaître le groupe de ces deux femmes initiées d’une manière si cruelle et si soudaine aux chagrins et aux fautes de son passé. Cette étrange impression de détente, presque de repos dans l’extrême malheur, est tellement inhérente à la nature humaine qu’elle se retrouve dans les plus illustres catastrophes de l’histoire, comme dans les plus humbles misères des destinées privées. L’empereur n’en a-t-il pas donné un exemple aussi saisissant que le comportait sa magnifique personnalité, en dormant comme il fit et de si longues heures après Waterloo ? C’est que l’âme la plus forte ne peut supporter indéfiniment l’agonie de l’incertitude, et les irrémédiables désastres ont ce bienfait momentané qu’ils nous en affranchissent. À quel prix ? hélas ! Plus tard, demain, dans quelques instants, nous la regretterons, cette incertitude qui laissait place à l’espoir. Nous dirons avec d’autres mots ce que disait ce même empereur, assis sur le rocher de Sainte-Hélène : — « Il y a tant d’années, à pareil jour, je débarquais de l’île d’Elbe. Il y avait des nuages au ciel… Je guérirais si je voyais ces nuages. » Cri sublime où s’exhale toute l’amertume et toute l’impuissance de la plus grande nostalgie qui fut jamais !… Francis, lui aussi, toutes proportions gardées entre l’écroulement du César colossal et la chute d’un modeste songe de bonheur intime, devait plus tard regretter bien souvent les âcres journées au terme desquelles il entrevoyait la possibilité au moins de garder pour lui seul le secret de ses remords et de ses angoisses. Sur le moment même il se sentit soulagé d’un poids immense. Il ne mentirait plus. Il avait quitté, pour n’y plus rentrer, le labyrinthe des honteuses hypocrisies. Il n’avait plus rien à cacher ni à la comtesse, ni à sa fiancée. Resté seul dans le salon, il se promenait de long en large et il s’étonnait du calme subit avec lequel il regardait en face une situation affreuse, mais qui avait cela pour elle d’être nette et franche. L’arrivée du professeur Teresi, qui dut traverser le salon avant d’être introduit dans la chambre d’Henriette, commença de le rendre au sentiment aigu des nouveaux dangers dont il était menacé maintenant. Le regard pénétrant du docteur Sicilien lui fut une gêne presque insupportable dès le premier abord et davantage au sortir de la consultation. Cet homme était trop fin, et trop d’indices l’avaient averti déjà pour qu’il n’eût pas deviné qu’un drame se jouait entre les deux fiancés.

— « Comment avez-vous trouvé Mlle Scilly ? » lui demanda Francis afin de devancer toute question, « elle est seulement indisposée, n’est-ce pas ?… »

— « Je ne pourrai me prononcer que demain, » dit le docteur. « Il y a là un état nerveux qui me déconcerte… Sur ces natures qui sont toute sensibilité, les secousses morales trop fortes agissent comme un véritable poison. Mme la comtesse m’a dit que la crise présente avait été déterminée par une mauvaise nouvelle annoncée inopinément. J’insiste auprès de vous, monsieur, comme j’ai insisté auprès de sa mère. Il faut épargner à cette enfant les plus légères émotions, s’il est possible. Sinon, vous la verriez s’en aller, jour par jour, heure par heure, je vous le répète, comme si vous l’empoisonniez… »

Ce n’étaient, ces mots, qu’une allusion vague, et ils ne dépassaient pas la limite des avertissements qu’un docteur intéressé par une malade peut se permettre de donner aux personnes appelées à surveiller cette malade. La physionomie et l’accent dont ils furent prononcés ne laissèrent aucun doute à Francis. Le médecin le croyait la cause de cette crise contre laquelle se débattait Henriette et il jugeait sa conduite avec sévérité, sans même bien la connaître. Que serait-ce de Mme Scilly qui, elle, savait exactement à quoi s’en tenir ? Quelle scène allait avoir à soutenir le fiancé félon qui s’était engagé, en demandant la jeune fille, à la rendre heureuse, et il avait déjà percé le cœur de cette pauvre créature. Cette mère si tendre qui lui avait dit une heure plus tôt qu’elle était aussi sa mère à lui, par affection, presque par reconnaissance pour les sentiments qu’il inspirait à sa fille, avec quelles paroles lui parlerait-elle maintenant et de quel visage ? Il n’eut pas longtemps à se poser cette redoutable question. Le professeur Teresi n’était pas sorti du salon depuis un quart d’heure que la comtesse y rentrait. Ce fut pour Nayrac la première impression douce qu’il lui eût été donné de recevoir depuis ces douloureuses semaines. Ce qu’il lut en effet sur ce visage pourtant bien soucieux, ce fut, à travers ce souci, une pitié, une profonde et généreuse pitié de femme pour l’homme coupable, mais malheureux, qu’elle avait devant elle. Non, elle n’avait pas menti en lui disant qu’elle l’aimait vraiment comme une mère aime son fils, puisque ayant le droit, presque le devoir, de le condamner d’une manière si implacable, elle trouvait encore en elle de quoi lui faire la charité, si ce n’est d’un pardon, au moins d’une sympathie, et son premier mot la lui annonçait, cette sympathie, tout simplement, tout délicatement.

— « J’ai quitté Henriette pour quelques minutes, » dit-elle, « parce que j’ai pensé que vous deviez être bien tourmenté, et que cela me faisait mal, même dans mon inquiétude… Et puis il faut que j’obtienne de vous une promesse… »

— « Ah ! tout ce que vous demanderez, tout ce qu’elle demandera !… » répondit le jeune homme. « Je suis prêt à vous obéir en tout. J’y étais prêt avant que vous m’eussiez parlé comme vous venez de faire, avec cette bonté dont je vous serai reconnaissant toute ma vie… » Il prit la main de Mme Scilly pour la baiser, et, sur cette blanche et sainte main, ses larmes tombèrent, tandis qu’il continuait : « Je vous en conjure, soyez bonne encore davantage. Ne me cachez rien. Dites-moi tout ce qu’elle vous a dit. Qu’a-t-elle entendu ? Que sait-elle ? Que pense-t-elle ? »

— « Hélas ! » répliqua la mère, « je voudrais bien qu’elle m’eût parlé. Je ne serais pas en proie moi-même à cette fièvre d’inquiétude… Qu’a-t-elle entendu de votre confession ? Assez pour tout savoir, j’en suis sûre. Le tremblement de tout son corps qui n’a pas cessé depuis que je l’ai prise là, dans mes bras, me le prouve trop… Que pense-t-elle ? Dieu ! si je le savais moi-même !… Quand j’ai essayé de l’interroger avant l’arrivée de Teresi, elle s’est mise à sangloter au lieu de me répondre, avec une telle exaltation que je me suis arrêtée, et cet excellent homme a mis tant d’insistance à prescrire le calme le plus absolu autour d’elle que je n’ai plus osé faire seulement la plus légère allusion à ce qu’elle a compris… Il n’y a que moi, voyez-vous, qui connaisse la profondeur de son innocence. Telle elle était au matin de sa première communion, telle elle était, ce matin, il y a deux heures, avant que nous eussions le malheur, vous de vous confesser à moi, et moi de vous écouter, sans nous souvenir que nous étions trop voisins d’elle… J’étais si fière de cette innocence, si fière de l’avoir gardée si blanche, si pure, si digne d’être aimée pieusement. Et quand je songe que la révélation des plus cruelles réalités de la vie lui a été infligée ainsi, quels reproches je me fais de ne pas avoir deviné qu’elle voudrait à tout prix empêcher que je ne vous questionne, et qu’elle viendrait… Ah ! je la verrai toujours, comme je l’ai vue, derrière cette porte qu’elle n’avait pas eu la force de franchir après l’avoir ouverte… Nous l’aurions seulement entendue l’ouvrir ! Mais non. C’eût été déjà trop tard. Un mot, un seul mot suffit pour qu’une âme soit troublée jusque dans son fond. Et je vous le répète, c’est toute votre confession qu’elle a entendue. Je l’ai lu dans ses yeux. Seigneur ! Qu’en a-t-elle compris ?… »

— « Mais quand vous avez prononcé mon nom, elle a répondu, cependant ?… » demanda le jeune homme timidement. Cette plainte de la comtesse lui était un reproche plus cruel que si elle lui avait prodigué les pires affronts, et il essayait de l’interrompre en même temps qu’il essayait de savoir quels sentiments Henriette gardait pour lui. Tout son avenir de cœur n’en dépendait-il pas ?

— « Ce qu’elle m’a répondu quand j’ai prononcé votre nom ? » répéta la mère. « Rien non plus. Elle a seulement fermé les yeux avec une expression de souffrance qui ne m’a pas davantage permis d’insister… Et c’est à cause de cela, » continua-t-elle avec une visible gêne, « à cause des émotions dont votre présence serait le principe dans la crise actuelle, que je voudrais vous voir prendre une résolution momentanée… »

— « Laquelle ? » interrompit Francis en tressaillant. « Vous ne me demandez pas de partir, n’est-il pas vrai ? Rentrer à Paris et vous laisser dans cette situation me serait trop pénible… »

— « À Paris, non, » dit la comtesse. « Mais il faut que vous quittiez Palerme et que vous attendiez ailleurs le résultat de l’entretien que j’aurai avec Henriette. Ici nous ne pouvons ni changer nos habitudes, ni les continuer dans les conditions où nous nous trouvons aujourd’hui. Gagnez Catane demain par le premier express. Vous êtes à quelques heures. Je puis vous faire revenir du matin au soir. Voyez-vous Henriette vous sachant à deux pas d’elle, exposée à vous rencontrer si elle vient dans ce salon, préoccupée peut-être de l’idée que vous avez revu cette femme ?… Pardon de vous parler si franchement, mais nous devons tout prévoir. Jamais elle ne reprendrait son équilibre. Faites ce que mon instinct de mère m’inspire de vous demander. Partez… Je n’ignore pas que c’est un grand, un dur sacrifice, mais vous y consentirez par amour pour elle… »

— « Ainsi vous espérez me rappeler, » répondit-il, « vous espérez qu’elle me pardonnera, vous ne croyez pas que j’aie perdu tous mes droits sur son cœur ?… Avec cette idée, moi aussi, j’aurai la force de tout supporter. Je partirai demain, bien triste, bien anxieux, mais confiant tout de même dans ce pardon possible, puisque vous, sa mère, vous ne m’avez pas condamné… »

— « Non » mon pauvre ami, » reprit la comtesse en secouant sa tête blanchie, « ne vous faites pas de chimère et ne jugez pas ma fille d’après moi. Je n’ai ni à vous condamner, ni à vous absoudre. Je mentirais si je ne vous disais pas que vous me semblez bien coupable. Mais je vous ai trop senti souffrir pour ne pas croire que vous vous repentez d’abord, et puis que vous aimez Henriette. Qu’elle vous aime aussi avec une passion qui intéresse l’essence même de sa vie, je viens d’en avoir encore la preuve. C’est pour cela que je ne peux pas, si graves qu’aient été vos confidences, non, je ne peux pas prendre sur moi de rompre votre mariage… Par tout ce que vous m’avez dit, j’ai dû constater avec bien de la tristesse, je vous l’avoue encore, qu’en effet je ne vous connaissais pas tout entier. Si j’avais su ce que je sais, la veille du jour où vous m’avez demandé Henriette, je vous aurais répondu sans doute alors plus sévèrement qu’aujourd’hui, où ma pauvre fille vous a donné toute son âme avec une ardeur qu’elle ne soupçonne pas elle-même… Tout à l’heure, quand je la regardais en attendant le médecin, je l’ai trop compris, je l’ai trop vu… S’il y avait un devoir entre vous, » continua-t-elle après un silence, « je crois que cette douleur de ma fille ne m’empêcherait pas de vous dire à tous deux : il faut que ce devoir s’accomplisse, — et j’userais de toute mon autorité pour vous séparer. Mais ce devoir, j’avoue que je ne l’aperçois pas. Vous ne pouvez rien pour cette pauvre petite Adèle, que d’empêcher à tout prix qu’elle ne soupçonne un jour la faute de sa mère. Cette mère l’a senti comme moi, puisqu’elle ne veut plus rien savoir de vous. Il ne reste donc de ce passé que le souvenir des fautes très graves que vous avez commises, autrefois par passion et tout récemment par faiblesse. Je crois que votre sentiment pour Henriette est assez vrai, assez fort, assez noble pour racheter ces fautes et faire de vous un loyal, un honnête mari… Je le crois, mais je ne suis pas elle. Quand je vous disais tout à l’heure de ne pas vous forger de chimère, de ne pas juger ma fille d’après moi-même, je vous exprimais d’un mot tout ce que je viens d’essayer de vous faire comprendre sans vous blesser. Des fautes comme les vôtres, une femme de mon âge a trop vécu pour ne pas savoir qu’elles restent conciliables avec de belles qualités de cœur, dans notre triste société et avec l’éducation d’aujourd’hui… Henriette n’a pas mon âge… »

— « Alors, vous pensez qu’elle ne me pardonnera pas ? » interrogea Francis en tremblant.

— « Je n’ai pas dit cela, » répondit la comtesse, « et j’espère au contraire que si… Mais je dois, pour être loyale avec vous, prévoir aussi le cas où il se serait fait dans ce jeune cœur un revirement irréparable, une de ces désillusions dans lesquelles tout sombre. Si elle me disait d’une certaine manière qu’elle ne veut plus être votre femme, je sens que je ne pourrais rien sur cette résolution… »

— « Mais vous me rappelleriez, » s’écria Francis, « pour me permettre de plaider ma cause, pour que je lui explique… »

— « C’est mon rôle de mère que cette explication, » interrompit Mme Scilly. « Je vous ai montré assez de sympathie et je vous en montre encore assez en ce moment pour que vous soyez bien sûr de ma sincérité quand je vous affirme que je lui dirai en votre faveur tout ce qui peut, tout ce qui doit être dit, et que vous ne pouvez pas, que vous ne devez pas dire vous-même. De vous à elle, il ne saurait y avoir que son pardon et que votre repentir, sans une parole… »

— « Je vous obéirai, » fit le jeune homme après un silence. Il reprit la main de la noble femme et il ajouta en la lui baisant de nouveau : « En vous confiant toutes mes chances de bonheur, je les confie à ce que je respecte le plus au monde… »

— « Ah ! » s’écria la mère, « si vous l’aviez eue plus tôt, cette confiance, si vous m’aviez parlé dès le premier jour, que de douleurs vous auraient été épargnées, mes pauvres enfants !… »

Un pareil entretien n’était pas pour rendre facile ce départ que le jeune homme avait promis. Si entière que fût sa foi dans l’affection éloquente de Mme Scilly, il lui était bien dur de laisser ainsi se jouer la partie dont le résultat menaçait d’être pour lui si tragique, sans agir lui-même. Mais les raisons que lui avait données la comtesse exprimaient trop évidemment les nécessités de sa situation pour qu’il ne s’y soumît point. En préparant sa valise, seul, afin d’éviter les commentaires déjà trop certains du fidèle Vincent et des autres domestiques, il creusait dans sa pensée les phrases essentielles de cette conversation, et plus il les creusait, plus il en reconnaissait la vérité absolue. Non, les habitudes matérielles de leur vie commune ne lui permettaient pas de rester sous le même toit qu’Henriette malade, sans qu’il risquât de la rendre plus malade encore. Non, il ne pouvait pas plaider sa cause auprès d’elle sans prononcer des mots que sa bouche se refuserait à dire à cet être, devant l’innocence duquel il avait toujours éprouvé un religieux tremblement. Mme Scilly avait vu juste sur ces deux points et aussi sur cet autre, que ses sentiments à elle n’avaient rien de commun avec ceux qui agitaient Henriette. Dans cette âme virginale et farouche, une fois blessée à une certaine profondeur, l’amour devait plaider contre le pardon, au lieu que la comtesse avait trouvé en elle, toute chaude et jaillissante, cette source d’indulgence que les mères gardent en réserve pour ceux qu’elles savent profondément dévoués à leur fille. C’étaient ces côtés inconnus dans les sentiments de sa fiancée qui rendaient plus impossible encore la présence de Francis en ce moment. Mais c’étaient eux aussi qui achevaient de désespérer son départ. — Et puis, ce départ ne le séparait pas que d’Henriette. Assis dans sa chambre, une fois ses préparatifs finis, il songea qu’il ne reverrait sans doute plus jamais l’enfant qui venait d’être l’occasion de sa dernière et plus douloureuse faiblesse. Si Mlle Scilly lui pardonnait, l’inévitable condition de ce pardon serait assurément qu’ils quittassent Palerme tous ensemble et qu’il considérât Pauline Raffraye ainsi que la petite Adèle comme mortes pour lui. La comtesse le lui avait dit assez clairement, et que le devoir était là dans cette rupture absolue des moindres relations avec son ancienne maîtresse. Hélas ! cette même voix du sang, qui avait parlé si haut en lui dans le jardin lorsqu’il avait subi l’évidence effrayante de sa paternité, protestait de nouveau à cette heure même. Il y avait place dans son cœur pour le chagrin de ne plus voir son enfant, à côté de celui de ne plus voir sa fiancée, et quand, le lendemain matin, vers les cinq heures, la voiture qui l’emportait vers la gare doubla au trot lent de ses deux chevaux la tour du Continental, le jeune homme sentit qu’aucune n’était changée parmi les émotions contradictoires qui l’avaient acculé à cette tragique impasse. La pensée de sa fille venait de lui faire autant de mal que le souvenir d’Henriette.

— « Toutes les deux !… » gémissait-il en s’enveloppant contre le froid de cette aube de décembre. « Est-ce un crime de les aimer toutes les deux ? En serait-ce un si j’avais été marié avec Pauline, puis veuf, et si je me remariais avec Henriette ? Non. Le crime n’est pas dans les conflits de ces deux sentiments. Il est ailleurs. Et ce conflit n’est qu’une expiation. Comme elle est dure ! De plus coupables que moi sont pourtant sortis d’un mauvais passé ! Et moi, voici que ce passé me poursuit, qu’il me ressaisit, qu’il m’assiège… N’en guérirai-je jamais ? Non, jamais. Et à quoi bon tant souffrir, puisque je ne peux rien pour ma pauvre petite Adèle, rien, absolument rien. Mon Dieu ! pourvu qu’il me soit permis du moins de pouvoir encore quelque chose pour Henriette !… »

Pour avoir la réponse à cette question qu’il se posait plus anxieusement tandis que le train courait loin de Palerme, et que ce matin voilé éclairait la mer mouvante, violette ou grise tour à tour, les montagnes nues et brunâtres, les vastes plaines peuplées de citronniers et d’oliviers, il lui eût fallu entrer, avec Mme Scilly, à cette même heure, dans la chambre d’Henriette. La lumière de ce jour mélancolique — un de ces jours où il y a comme de l’adieu dans l’air — s’harmonisait à la pâleur du visage souffrant de la jeune fille. Ses beaux yeux bleus brûlaient de ce feu d’une sombre fièvre, qui décelait mieux que cette pâleur la révolution morale à laquelle le pauvre être se trouvait en proie. La comtesse, qui s’était demandé toute la nuit quelle phrase assez tendre elle prononcerait pour faire parler sa douce malade, se sentit incapable, comme la veille, de provoquer cette confidence lorsqu’elle eut rencontré ces yeux. Le regard d’Henriette avait changé. Vingt-quatre heures plus tôt les saintes clartés de la plus entière ignorance rayonnaient dans ces prunelles. D’autres pensées s’en échappaient maintenant. La mère s’assit au chevet où reposait cette tête blonde sur laquelle sa sollicitude avait veillé des années, et elle n’osait seulement pas en scruter la souffrance ! Comme elle l’avait dit la veille à celui qu’elle espérait toujours continuer d’appeler son fils, elle se rendait compte que sa fille avait tout entendu, sans deviner ce que cette jeune, cette candide intelligence avait compris. Et comment ne pas hésiter devant des paroles à prononcer, si différentes de celles qui s’étaient depuis des années échangées entre elles deux ? Elles étaient pourtant inévitables, ces paroles, car le caractère incomplet à la fois et définitif de la révélation infligée si soudainement à la jeune fille ne lui permettait pas de demeurer sur cette affolante et indistincte évidence. Mme Scilly ne s’était pas trompée, la pauvre enfant était bien incapable de venir surprendre par un espionnage clandestin les secrets même qui intéressaient le plus vivement sa passion pour son fiancé. Si elle s’était arrêtée, sans avancer, derrière le battant entr’ouvert de la porte du salon, c’est qu’elle avait entendu, à ce moment même, la voix de l’homme à qui l’engageait la plus sainte des promesses, prononcer ces terribles mots : « J’ai douté de l’enfant, j’ai cru que je n’étais pas son père… » et le reste avait suivi, ne lui permettant aucun doute sur le mensonge continu où cet homme l’avait fait vivre depuis ces dernières semaines. Mais ce qui l’avait comme foudroyée de cette horreur dont ses yeux continuaient d’exprimer la fièvre intense, ç’avait été ce brutal, cet affreux contact de son naïf esprit avec les réalités de la vie passionnelle qui demeurent une indéchiffrable énigme pour la fille la moins réservée, tant qu’elle est vierge, à plus forte raison pour une jeune personne gardée comme elle l’avait été. Seulement elle avait plus de vingt ans, et à cet âge, l’innocence la plus entière n’est pas une ignorance absolue. C’est là un phénomène de demi-lueur si délicat, si indéterminé, qu’il en est presque indéfinissable. Comment traduire en termes précis ce vague instinct du sexe, ce retentissement obscur éveillé dans le cerveau par tout un travail inconscient qui s’accomplit à travers cet organisme encore endormi et cependant complet ? Comment doser par une analyse assez subtile chacun des éléments d’initiation que représente autour de la créature la plus enveloppée de modestie le mariage d’une amie intime, par exemple, chez laquelle elle continue d’aller en visite comme auparavant, dans la chambre de laquelle elle entre, avec qui elle cause en libre et pleine confiance, qu’elle voit devenir mère enfin ? Tout cet ensemble de choses féminines se résume pour la jeune fille en un pressentiment qui va quelquefois jusqu’à l’épouvante. Cela fait dans ces âmes trop tendres, trop vibrantes, comme un frisson autour de l’idée de ces rapports mystérieux entre l’homme et la femme d’où naîtra une nouvelle existence, cet enfant qui éveille à l’avance le cœur de la mère dans le sein de la vierge. Quant aux égarements de l’amour hors du mariage, la plupart ne les soupçonnent même pas, ou si quelque hasard dangereux de conversation et de lecture leur a fait comprendre qu’une femme peut manquer à ses devoirs, ce sont bien plutôt des imprudences de coquetterie qu’elles imaginent, et non pas des aventures du genre de celle que Francis avait résumée en quelques phrases, trop lucides pour laisser place au doute, et cependant trop chargées de signification cachée pour que la pensée d’Henriette ne reculât pas d’épouvante. Ce qui ajoutait à cette épouvante, c’était le souvenir du cri de douleur par lequel sa mère avait répondu à la confession de Francis : « Si elle m’interroge, que lui répondrai-je ?… » Ce gémissement de Mme Scilly poursuivait la jeune fille. Elle en était à ce point où l’on ne peut physiquement supporter l’idée que ceux qui nous entourent nous mentent pour nous ménager. Et cependant, à qui s’adresser pour comprendre tout à fait cette horrible confidence qu’elle avait surprise, sinon à cette loyale et bonne mère qu’elle voyait, par cette matinée de brumes, assise silencieusement à côté de son lit ? Un tel silence était rempli de cette tendresse dont Henriette avait eu d’innombrables preuves. N’en était-ce pas une de plus que ce respect de sa douleur, que cette pitié caressante qui l’enveloppait sans vouloir toucher à aucun des points meurtris de son être ? Et voici que la comtesse vit avec une indicible émotion ces yeux bleus, dont la muette détresse l’effrayait tant, se tourner vers elle avec une expression qu’elle n’y avait plus retrouvée depuis la veille. Elle ne s’y méprit pas une minute : la subite rougeur revenue sur ce visage tourmenté annonçait que ce cœur comme noué de chagrin allait s’ouvrir. Que répondrait-elle ? Dans ses méditations de la nuit et de ce commencement de matinée sa volonté s’était fixée sur le seul parti qui pût lui permettre d’influencer cette âme malade. Elle s’était décidée à répondre simplement et franchement à toutes les questions que lui poserait la jeune fille. Elle ne les aurait pas provoquées, car les réponses allaient beaucoup lui coûter. Mais c’était son devoir de ne pas s’y dérober si elle voulait secourir avec efficacité cette créature si cruellement ébranlée.

— « Maman, » avait commencé Henriette, « vous n’avez pas cru, n’est-ce pas, que j’aie manqué à la délicatesse ?… Vous m’aviez laissée seule. J’ai eu peur de la conversation qui allait se tenir si près de moi, à cause de moi. J’ai voulu l’empêcher… Je suis allée jusqu’à la porte que j’ai ouverte sans frapper, comme toujours. Vous ne m’avez pas entendue, et alors il m’a été impossible d’avancer… Je tremblais tellement que je me suis appuyée contre le mur. Mes jambes étaient comme brisées… »

Elle avait de nouveau fermé les yeux, et sa bouche avait frémi au souvenir que cette scène évoquait en elle. La mère lui caressa ses blonds cheveux d’une main lente et douce, en lui disant :

— « Tu n’as pas besoin de te justifier. Je te connais trop bien pour avoir jamais pensé que tu avais cédé à un mouvement bas… Et puis, tu y aurais cédé, que je ne me sentirais guère la force de te gronder. Tu en aurais été déjà trop punie. Mon Dieu ! » ajouta-t-elle, « je savais que je t’aimais plus que tout au monde. Je ne savais pas combien, avant de t’avoir prise contre moi sur le seuil de cette chambre où tu venais d’être frappée… Tu vois, je ne t’ai rien demandé. J’ai respecté ta peine. Je la respecterai encore. Je ne veux que te soigner comme tu le désires. Souviens-toi seulement que je suis là… »

— « Chère mère, » répondit la jeune fille en prenant entre ses mains brûlantes la main de celle qui lui parlait ainsi. Puis, après un silence, d’une voix basse, comme honteuse et de nouveau avec la pourpre de l’émotion sur sa joue : « Chère mère, il a dît que cette petite Adèle était sa fille… »

— « Tu l’as entendu, » fit la comtesse qui voyait que la pauvre créature n’osait pas formuler la question qui lui brûlait le cœur. « C’est une chose affreuse qu’une femme puisse être mariée et devenir ainsi mère d’un enfant qui n’est pas l’enfant de son mari… Mais quand tu seras entrée dans le monde, tu verras que cette chose affreuse se rencontre trop souvent. Toi qui es si bonne chrétienne, rappelle-toi et aujourd’hui et dans l’avenir le mot que Notre-Seigneur a dit à la femme adultère : « Je ne vous condamne pas non plus… »

— « Cependant, » reprit Henriette, « cette petite Adèle porte le nom d’un autre homme. Elle m’a parlé de lui, ce soir de Noël, quand elle m’a demandé si je croyais qu’elle le reconnaîtrait après la mort… Si cet homme vivait, il la croirait sa fille ?… »

— « Sans doute, » dit Mme Scilly.

— « Et la mère saurait que cet homme n’est pas le père de cette enfant, et elle ne le lui dirait pas ? Elle laisserait cet homme embrasser cette petite fille devant elle ? Quand l’enfant fait sa prière du soir maintenant, elle doit lui dire de prier pour son père, comme vous me disiez à moi de prier pour le mien ?… Elle n’a pas peur de Dieu qui sait tout… Quelle horrible femme !… »

— « Elle en souffre sans doute beaucoup, » répondit la comtesse, « comme elle souffrirait beaucoup de voir le mari qu’elle a trahi embrasser cette petite fille. Tu vois bien qu’elle n’est pas vraiment mauvaise, puisqu’elle a mené, depuis qu’elle est veuve et libre, une vie qui semble avoir été irréprochable. Si tu savais combien de malheureuses s’engagent sur le chemin de l’amour défendu avec un aveuglement qui leur vient de leur milieu, des fausses maximes de la société, d’une absence de religion, d’un mauvais exemple, des duretés de leur mari aussi ?… Et puis, quand elles ouvrent les yeux sur les conséquences de leur faiblesse, elles sont perdues, et c’est trop tard… »

— « Elles ne peuvent pourtant pas s’aveugler au point de ne pas se rendre compte qu’il leur faudra mentir…, » répondit Henriette. « Et quand une femme aurait ces excuses que vous dites, est-ce qu’un homme les a ?… Mme Raffraye n’avait pas quitté son mari, n’est-ce pas ?… »

— « Non, » reprit la mère.

— « Et lui, » demanda la jeune fille à voix tout à fait basse, « est-ce qu’il connaissait ce mari ?… »

— « Il n’en a point parlé, » dit la mère, « mais c’est bien certain… »

— « Il allait chez lui ? Il lui donnait la main ? Il s’asseyait à sa table ?… »

— « Ne te torture pas à de pareilles imaginations, » reprit Mme Scilly, « tu sais qu’il a été très coupable, que cela te suffise. N’attache pas ton esprit à tous ces détails qui ne sauraient que te faire du mal en t’empêchant d’être charitable et d’être juste… »

— « Je ne peux pas, » s’écria la jeune fille avec un accent où se révélait la sombre ardeur de la passion la plus douloureuse. « Je ne peux pas. Je les vois trop… Je les vois se disant qu’ils s’aimaient… Je les vois… » Elle ferma les yeux avec un battement affolé de ses paupières. La seule image physique dont son innocence pût nourrir sa jalousie venait de s’offrir à sa pensée : celle de Francis embrassant Pauline, et elle répétait : « Il lui disait qu’il l’aimait, comme à moi. Et il savait qu’elle trahissait, qu’elle mentait. Comment peut-on aimer ce que l’on méprise ? Et il l’aimait cependant, il l’a dit. Ah ! je ne m’étonne plus s’il a été capable de me mentir comme il l’a fait pendant des jours, puisqu’il a été capable de ressentir des sentiments si bas, si honteux, si vils… »

— « Si douloureux aussi…, » interrompit la mère. « Ce mépris dans l’amour, dont tu parles, c’est le châtiment des passions criminelles, et un châtiment terrible. Tu l’as entendu aussi confesser que ce mépris l’avait amené à douter de cette femme et le doute sur cette femme l’a conduit à douter de l’enfant, de son enfant… Il s’est dit qu’ayant trahi son mari pour lui, elle devait le trahir lui-même. — Il n’a pas cru qu’il fût le père de cette fille qui porte sur son visage cette ressemblance si étonnante qu’elle t’a saisie, comme elle l’a saisi quand il l’a vue. Mais c’est un hasard qu’une telle ressemblance et si terrassante. C’est un hasard que cette rencontre après tant d’années. Pense à ces années et au poignard qu’il avait dans le cœur chaque fois qu’il se souvenait de cette petite fille et qu’il lui fallait se dire : je ne saurai jamais si elle est ma fille. Pense à ses remords quand il l’a su et ce qu’a été pour lui cette rencontre, quel supplice quand ç’aurait pu, quand ç’aurait dû être une telle joie. Souviens-toi de son trouble dans ce soir de Noël auquel tu viens de faire allusion… Ce n’est pas pour le défendre que je te rappelle tout cela, c’est pour te montrer que si ses fautes ont été grandes, l’expiation a été grande aussi et qu’il a droit à la pitié que je voudrais te voir lui donner comme je la lui ai donnée. C’est avoir payé pleinement sa dette, je te le jure, que d’avoir acquis l’évidence de sa paternité comme il l’a acquise… »

— « Ah ! maman, » s’écria Henriette avec plus de douleur encore, « vous venez de toucher à la place la plus malade… Cela me désespère qu’il m’ait menti, cela me désespère qu’il ait pu aimer une femme indigne. Je lui pardonnerais et l’un et l’autre. J’admettrais qu’il a voulu m’épargner un chagrin. J’admettrais qu’il a subi dans sa jeunesse des entraînements que je ne comprends pas. Je suis une ignorante, je le sais. J’admettrais qu’en le jugeant avec trop de sévérité je suis injuste. Mais sur ce point je ne peux pas être injuste. Non. Je ne suis pas injuste. Il n’y a pas d’entraînement qui explique cette monstrueuse chose que pendant ces années il n’ait seulement jamais vu, jamais essayé de voir cette petite fille. Vous avez prononcé un mot terrible contre lui. Vous avez dit que le hasard l’a fait se rencontrer avec elle… Le hasard ! Est-ce qu’il n’aurait pas dû épuiser toutes les chances de savoir la vérité plutôt que de courir ce risque épouvantable d’abandonner son enfant ? Lui que je mettais si haut ! Lui que je croyais la délicatesse et la noblesse mêmes, devoir penser de lui qu’il a sur la conscience cette cruauté vis-à-vis d’un pauvre petit être !… Il y a des gens du peuple qui adoptent des enfants déposés dans la rue par des parents barbares, et lui, il n’a même pas cherché à vérifier des doutes qu’un regard aurait dissipés ! Il vous l’a déclaré lui-même que ce regard avait suffi. »

— « Il a encore cette excuse, » dit la mère, « que cette petite fille n’avait pas besoin de lui, que même il n’avait pas, qu’il n’a pas le droit de s’en occuper. La mère était là… »

— « Et si cette mère avait été mauvaise pour cette enfant ? Si elle avait été ruinée et toutes deux réduites à la misère ? Si elle était morte et la petite livrée à des étrangers cruels ? Si… »

— « Tu n’as pas le droit d’imaginer des hypothèses pareilles, » interrompit Mme Scilly. « Nous ignorons absolument ce qu’il aurait fait si cette enfant, au lieu d’être riche et gâtée, avait été pauvre et malheureuse… »

— « Ah ! » dit Henriette, « il ne l’aurait même pas su. »

Cette fois la comtesse ne répondit pas. Les jugements ainsi portés par sa fille avaient cette rigueur intransigeante contre laquelle il est très difficile de protester, même quand on la trouve excessive, par scrupule de toucher à cette fleur de moralité qui fait la force et la grâce en même temps des âmes vraiment droites. La mère savait ce qu’elle voulait savoir. Henriette avait bien tout entendu de la confession de son fiancé, tout entendu et tout compris dans la mesure où son ignorance de la vie physiologique le lui permettait, et la révolte de sa jeune loyauté la rendait implacable pour les compromis de sens moral que cette triste aventure supposait. L’amour seul, avec sa générosité irrésistible, pouvait triompher de cette indignation et seul guérir une conscience pure atteinte au plus vif, au plus profond de son rêve de noblesse et de loyauté. Mais en ce moment cet amour ne se faisait sentir à ce cœur blessé que par la souffrance. Mme Scilly en eut la preuve lorsqu’elle voulut reprendre cet entretien après un silence, non plus afin de défendre Francis auprès de la jeune fille, mais pour la prévenir de la résolution qu’elle avait cru devoir adopter :

— « Ne remuons pas toute cette misère, » recommença-t-elle. « Laisse-moi seulement te mettre au courant de ce que j’ai fait… Le docteur Teresi avait ordonné de t’éviter la plus légère émotion. J’ai pensé qu’il valait mieux pour M. Nayrac et pour toi de ne pas vous rencontrer dans les conditions particulièrement étroites de notre vie d’hôtel, et je lui ai demandé de s’en aller… »

— « Il est parti…, » dit Henriette, et ses traits traduisirent un surcroît d’émotion qui fut pour la mère une première espérance de ce pardon auquel sa sagesse avait souhaité aussitôt amener sa fille. Elle lui répondit en la calmant d’une nouvelle caresse :

— « Il n’est pas retourné à Paris, bien entendu. Il est à Catane, où il attend ce que tu décideras de vos relations à venir… Je lui ai dit que je te parlerais comme je t’ai parlé, et que tu resterais libre de rompre votre mariage si tu ne peux plus retrouver en toi les sentiments qui t’ont portée vers lui. Quoique ce soit une chose bien grave que de dénoncer des fiançailles aussi avancées que les tiennes, je te le répète à toi aussi, tu en restes libre, absolument libre… Je ne ferai que lui transmettre ta réponse, devant laquelle il s’incline d’avance sans protester, comme je m’inclinerai moi-même… Je te demande seulement que cette réponse ne soit pas immédiate. Quand il s’agit d’un parti à prendre qui pèsera sur toute l’existence, la réflexion n’est jamais trop mûrie. Tu réfléchiras… Aujourd’hui, » ajouta-t-elle en embrassant sa fille tendrement, « ne parlons plus de ce qui ne peut que nous peiner davantage en y revenant toujours… Tu es trop souffrante, je ne veux que te soigner, te dorloter, t’aimer comme si tu étais encore la petite fille qui travaillait sagement à sa table devant la fenêtre de la salle d’études. Te la rappelles-tu, et comme tu m’obéissais quand je te disais d’avoir du courage pour tes leçons ? Et je te dis maintenant avec la même tendresse d’avoir un peu de courage pour ta santé. Ne m’obéiras-tu pas comme autrefois ?… »

— « Je l’aurai, chère mère, ce courage, » répondit la jeune fille en mettant son front contre la bouche de sa mère et en l’y appuyant comme pour prolonger l’influence bienfaisante de ce baiser, « je vous obéirai en tout, mais vous ne pouvez cependant pas vouloir que je ne sois point désespérée de devoir penser ce que je pense de celui que j’ai tant aimé ?… »