La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle/02

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CHAPITRE II.

Le mouvement de l’opinion contre la torture depuis le XVIe siècle jusqu’au XVIIIe.


Après avoir étudié le système d’investigation pénale encore en usage dans nos provinces et dans les pays voisins durant la plus grande partie du siècle dernier, nous allons examiner maintenant la naissance et les progrès dans l’esprit public d’idées favorables à un système de procédure plus équitable et plus humain. Sans avoir la prétention d’épuiser la matière, et sans faire une étude approfondie des écrits qui ont dénoncé les abus de la procédure criminelle, nous croyons utile de rechercher les origines et de marquer les étapes du mouvement qui aboutit, il y a un siècle, à faire rayer la torture du code des nations civilisées.

Dès le XVIe siècle, le signal est donné par Montaigne. Il réédite les plaintes que saint Augustin avait fait entendre douze cents ans plus tôt, et, suivi par son ami Charron[1], il dénonce avec une énergie indignée « la dangereuse invention des géhennes », ce moyen plein d’incertitude d’où résulte « que celui que le juge a géhenne, pour ne le faire mourir innocent, » il le fasse mourir innocent et géhenne » ; et il signale que plusieurs nations[2] « estiment horrible et cruel de tourmenter et de rompre un homme » de la faute duquel vous êtes encore en doute »[3]. En montrant les périls de la torture, le célèbre sceptique espère faire naître une hésitation dans l’esprit du magistrat et le rendre ainsi plus circonspect et plus humain.

Son contemporain, l’humaniste espagnol Louis Vives, qui s’est formé dans les Pays-Bas, reproche aux juges d’avoir des âmes de bourreaux et de soumettre les inculpés à des tourments plus horribles que la mort même[4].

Malheureusement ces lettrés n’exercent sur le monde qu’une action peu sensible, limitée à quelques intelligences d’élite. Au XVIe siècle, l’opinion ne demande pas de réformes dans le droit criminel, et ne soupçonne même pas que la procédure puisse être mauvaise. Et cependant la force des choses arrache à des légistes quelques aveux timides, sans grande portée, sans effet réel dans le monde judiciaire, précieux à enregistrer toutefois, parce qu’ils marquent le début d’un mouvement qui grandira lentement à travers les siècles pour devenir, un jour, irrésistible.

Le jurisconsulte brugeois Josse de Damhoudere[5] qui appartient cependant à l’école de l’intimidation, et qui supprime sans scrupule toutes les garanties judiciaires dès que la question d’État se pose[6], Damhoudere est forcé d’avouer que la torture est loin d’être un moyen infaillible de découvrir la vérité. Des inculpés se sont chargés de crimes qu’ils n’ont pas commis : « Aucune fois a esté trouvé que les patiens, par désespoir et peine, ont plus cher à mourir qu’endurer les peines et tourmens, et avoir cogneu ce qu’ils ne firent oncques[7] ». D’autre part, il nous apprend que des bandits s’exercent entre eux à vaincre les tourments pour triompher des efforts du bourreau le jour où ils finiront par être mis sur la sellette, et qu’ils acquièrent ainsi une force de résistance extraordinaire[8]. Mais ces aveux n’amènent nullement notre criminaliste à répudier les horreurs de la question, et la recommandation sur laquelle il insiste le plus est que les juges doivent visiter et regarder « bien soigneusement si le patient n’a pas soubs luy nul remède d’enchanterie contre la force de la peine, pour durant la peine et torture pouvoir estre sans sentiments[9] ».

Le célèbre juriste italien, Hippolyte de Marsiliis, dont les ouvrages ont fait autorité dans toute l’Europe, rappelant le mot de Sénèque : etiam innocentes cogit mentiri dolor, recommande d’user des seuls tourments qui ne mettent pas la vie en danger. Lorsqu’il était juge à Lugano, il a substitué au chevalet le système de la veille, et il s’en félicite. Il cite un procès au cours duquel quarante heures de veille poursuivie sans interruption ont forcé des femmes à avouer leur crime[10]. Leur vie n’a pas été en péril, c’est possible, mais cette souffrance prolongée n’a-t-elle pas forcé l’aveu, et justifié une fois de plus le mot de Sénèque ?

Après de Marsiliis, J. Clarus[11] blâme les juges dont les rigueurs excessives aboutissent à de lamentables erreurs judiciaires ; il en cite dont il a été témoin[12], mais il n’ose pas conclure à l’abolition du système. Du reste, ce ne sont pas les jurisconsultes qui proposent les réformes, on l’a souvent observé ; elles ont toujours été faites malgré eux ; ils s’habituent à vivre avec la loi existante, quelque graves que soient ses défauts, et ils craignent que des modifications trop profondes n’entraînent des bouleversements dangereux pour l’ordre social.

Binsfeld, l’évêque de Trêves qui, au XVIe siècle, déclara aux sorcières une guerre impitoyable[13], confesse avec résignation que les accusés feraient mieux de se résoudre à mourir en avouant, même à faux, que de se laisser déchirer et réduire à un état mille fois pire que la mort[14] ; et Pierre Ayrault, qui attaque si énergiquement le manque de publicité dans la justice française, qui écrit si excellemment sur la liberté de la défense, Ayrault semble admettre la torture, à condition qu’elle soit donnée publiquement[15], comme si le contrôle de la publicité pouvait améliorer une institution vicieuse dans son essence. Peut-être nourrit-il une arrière-pensée et compte-t-il que la publicité fera naitre l’horreur.

Le XVIIe siècle est, en général, d’humeur peu charitable à l’égard des malheureux. Qu’on se souvienne de la verve avec laquelle Molière raille les difformités et même les souffrances physiques, et qu’on relise dans les Plaideurs de Racine ce badinage sur la torture qui blesse singulièrement nos sentiments d’humanité[16]. Les romanciers du grand siècle rient des supplices que l’on inflige aux criminels, et Mme  de Sévigné, reflétant l’opinion de ses contemporains, nous donne une description passablement complaisante des tourments subis par la Brinvilliers[17].

Il existe cependant, dès le XVIe siècle, des penseurs que cette grave question préoccupe et poursuit, même dans des études qui ne se rattachent pas directement à la science du droit.

Robert Estienne, dans sa traduction de la Rhétorique d’Aristote, signale l’inégalité des tempéraments physiques et déclare qu’un mode de preuve tiré de la souffrance ne peut fournir aucune certitude[18]. En Italie, Farinacius proteste contre les juges inhumains qui prennent plaisir à torturer longuement un accusé et qui s’évertuent à varier les supplices, à en inventer même de nouveaux[19] ; mais ce censeur sévère, dans un autre livre de sa Practica criminalis, estime que le juge, pour arracher la confession, peut user de fictions et de mensonges, et doit seulement s’abstenir de promettre l’impunité[20] ; les scrupules du criminaliste padouan ne vont pas au delà.

En Allemagne, Carpzovius connaît toutes les objections que l’on peut faire à la torture : « res dira et periculosa, corporibus hominum noxia, quæ damnum irreparabile infert[21] » ; mais il ajoute tout de suite : « Nihilhominus suadente necessitate, quo veritas exquiratur, tormenta adhibenda sunt[22] ». Et cependant Carpzoviuis est à bien des égards un esprit éclairé ; il a, comme P. Ayrault, montré de la fermeté et de l’initiative en combattant pour la liberté de la défense, qui, aux yeux de beaucoup de ses confrères, était une nouveauté dangereuse et révolutionnaire. Mais en matière de torture, il n’ose pas s’insurger contre la routine, il montre pour des préjugés cruels une condescendance et une faiblesse étonnantes chez un homme de sa trempe. C’est comme son contemporain, Antoine Despeisses, avocat au parlement de Paris, qui fait sien le raisonnement de Montaigne, reconnait que « mille et mille ont chargé leurs testes de fausses confessions[23] », et démontre éloquemment que la torture est plutôt un « essai de patience que de vérité[24] », mais qui s’incline devant ce qu’il appelle la nécessité. La Bruyère résume en termes ironiques les inconvénients de la question, et dit que « c’est une invention merveilleuse et tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste… Je dirais presque de moi : je ne serai jamais voleur ou meurtrier ; dire : je ne serai pas un jour puni comme tel, c’est parler bien hardiment[25] ».

Vient en France la réforme criminelle de 1670 : la cruelle pratique est maintenue. Nous possédons les procès-verbaux de la commission chargée par Louis XIV de rédiger la nouvelle ordonnance. Pussort et Lamoignon jouèrent dans ses débats un rôle prépondérant. Le premier, bien que partisan des mesures de terreur, fut forcé par l’évidence des faits de reconnaître le peu d’efficacité de la question préparatoire[26]. Lamoignon alla plus loin et proposa en vain l’abolition, d’une manière assez timide, il est vrai. Le seul progrès notable est la disposition de l’ordonnance qui défend de réitérer la question pour un même fait[27].

Et cependant nous n’avons pas seulement à enregistrer à l’actif du XVIIe siècle des aveux contraints de légistes ou des protestations accidentelles d’hommes généreux. Des publicistes distingués ont consacré d’importants travaux au sujet qui nous occupe. Deux de ces livres méritent surtout de nous arrêter. L’un, écrit en latin, est l’œuvre d’un jésuite allemand, Frédéric-Auguste von Spee[28] ; l’autre, écrit en français, est dû à un magistrat franc-comtois, Augustin Nicolas, conseiller au parlement de Besançon.

La Cautio criminalis de von Spee fut publiée sous le voile de l’anonyme[29]. De 1631 à 1650, les éditions se succédèrent et eurent d’innombrables lecteurs. Leibnitz lui attribue l’honneur d’avoir amené la plupart des princes d’Allemagne, et notamment l’Archevêque-Électeur de Mayence ainsi que le Duc de Brunswick, à supprimer les exécutions de sorciers[30].

Notre auteur intitule modestement chacun de ses chapitres dubium ; mais, sous cette forme dubitative, il plaide toujours avec habileté et parfois avec éloquence la cause de l’humanité et de la justice.

Nous laisserons de côté, comme ne rentrant pas directement dans notre sujet, les pages que von Spee consacre à jeter dans l’esprit des juges la défiance des accusations de sorcellerie, des aveux des sorcières concernant le sabbat, lequel, dit-il, n’existe que dans l’imagination des accusés, dupes des plus étranges hallucinations[31]. Nous ne nous arrêterons pas davantage aux choses excellentes qu’il écrit, cent ans avant Montesquieu, sur la liberté de la défense, question qu’il a, dit-il, honte de traiter, mais que l’injustice du temps l’oblige à examiner[32]. Force nous est de nous restreindre et de choisir.

La sorcellerie amène von Spee à parler de la torture. Il estime que les princes ont le devoir de surveiller de très près leurs officiers de justice ; ils doivent notamment, entre autres multiples obligations soigneusement détaillées[33], examiner que ratio et modus sit tormentorum[34]. Von Spee combat ce détestable moyen d’investigation par des arguments nouveaux, et surtout par la révélation d’abus nombreux, bien établis et révoltants. La torture a couvert la Germanie de sorcières, grâce aux tourments inouïs auxquels on a recours et qui amènent fatalement l’accusé à se reconnaître coupable d’un crime qu’il n’a ni commis ni pu commettre[35]. Dans l’exercice de son ministère, l’auteur a rencontré maints hommes robustes qui, suivant leur propre déclaration, auraient reconnu vraies toutes les incriminations les plus fausses, pour éviter la torture. Bien plus, au tribunal de la pénitence se sont présentés fréquemment des individus qui, sous l’empire des tourments, avaient jadis porté contre des innocents une accusation de complicité. Le confesseur les a menacés de ne pas les absoudre, s’ils ne rétractaient pas cette accusation. Invariablement ils s’y sont refusés, disant que, même si la damnation éternelle devait en dépendre, ils ne s’exposeraient point à passer de nouveau par les mains du tortionnaire. Et von Spee avoue que, le cas échéant, lui-même se déclarerait sorcier, avouerait tout ce que l’on voudrait, qu’il préférerait la mort à la torture[36]. Ces tourments, intolérables pour des hommes vigoureux, on les inflige à de faibles femmes, que l’auteur, peu galant, traite de « animal imbecillum, impatiens dolorum, promptum lingua[37] » ! Et, par une étrange contradiction, c’est sur ces pauvres créatures que la sévérité des juges s’exerce le plus cruellement[38] ! Notre écrivain stigmatise avec indignation la conduite des magistrats habiles à éluder la loi : il est, dit-il, interdit de torturer à nouveau l’accusé qui a subi les tourments d’une première épreuve sans rien confesser ; aussi le juge prétendra-t-il que ce n’est pas une réitération, mais une continuation, « ad continuandum tormenta, non ad iterandum[39] ». Comment, s’écrie le jésuite scandalisé, des prêtres et des religieux peuvent-ils jouer sur les mots dans une matière si douloureuse[40] ? Il affirme que de nombreux accusés sont morts dans les tortures, que d’autres en sont sortis estropiés pour la vie, d’autres tellement couverts de plaies, qu’au moment du supplice le bourreau n’a pas osé mettre leurs épaules à nu, de crainte d’exciter l’émotion populaire[41].

Il raconte enfin une histoire lamentable à laquelle il fut personnellement

mêlé. Une honnête paysanne vint lui confesser qu’elle se savait soupçonnée de sorcellerie, mais, forte de son innocence, elle ne voulait pas fuir le pays. Von Spee approuva cette détermination, estimant que dans l’espèce il n’y avait même pas matière à procès. Cependant la pauvre créature fut bientôt arrêtée et mise à la question ; elle avoua son prétendu crime et mourut sur le bûcher. L’inquisiteur, interpellé, reconnut qu’elle aurait pu être acquittée, s’il n’était demeuré à sa charge un grave indice de culpabilité : elle s’était enfuie de son village, et, pour expliquer son absence, elle avait prétendu être allée consulter le P. von Spee. Or, dit von Spee, c’était la vérité pure, et l’inquisiteur n’avait pas même pris la peine d’envoyer quelqu’un chez moi, ou de me mander pour éclaircir ses doutes[42] !

Il conclut nettement à l’abolition radicale de la torture, et il menace des peines éternelles les princes qui seront assez indifférents aux souffrances de leurs peuples pour laisser se perpétuer un aussi criant abus[43]. Sous une forme plus calme et plus digne, avec moins d’emphase et de déclamations, le jésuite allemand parle, dès 1631, comme le feront les encyclopédistes au XVIIIe siècle.

Cinquante ans environ après l’apparition de la Cautio criminalis, un magistrat français dédia au roi Louis XIV un petit livre, devenu aujourd’hui fort rare, écrit avec beaucoup d’esprit, de science et de courage, et qui réclamait aussi l’abolition complète de la torture[44].

Augustin Nicolas, conseiller au parlement de Besançon, est, comme Frédéric von Spee, un homme foncièrement pieux[45] ; il invoque souvent l’autorité de l’Évangile, où « Dieu nous commande pour la sûreté des bons d’épargner le supplice des méchans, et d’en laisser le soin à sa justice au grand jour[46] ». S’adressant à des chrétiens, il démontre longuement, trop longuement peut-être au gré du lecteur, que la torture n’est prescrite ni par la législation de Moïse, ni par celle du Christ, ni par le droit canonique[47]. Il respecte, dit-il, les lois humaines autant que personne, mais il ne peut s’y soumettre « lorsque le sens commun y répugne et que la raison naturelle y contredit[48] ». Comme la plupart de ses contemporains, il admet l’existence de la sorcellerie, mais il ne croit pas sorciers ceux qui se sont dénoncés sur la sellette, et il raille en passant les inquisiteurs déclarant gravement que les sorciers ne pourraient décrire les cérémonies du sabbat, s’ils n’y avaient assisté[49]. Il est tout aussi sceptique quand on lui objecte les aveux des complices : « Pouvez-vous espérer que l’accusé ménage mieux l’honneur et la vie d’autruy dans ces tourmens, qu’il n’a sçeu ménager la sienne ?… Il chargera, si vous voulez, tous les saints du Paradis et tous les Esprits bienheureux pour se racheter de cet enfer[50] ». Il cite à ce propos un fait curieux et passablement comique : à Besançon, deux individus poursuivis du chef de sortilège ne trouvèrent rien de mieux que d’accuser l’inquisiteur de la ville d’avoir été avec eux au sabbat ; et « si le Saint Office de Rome n’eust pris soin d’arrester ces procédures, et l’inquisiteur et tout son couvent, et tous les gens de bien de la ville et de la province alloient être embarrassez dans ces procès privilégiez[51] » !

On abuse de la torture à un degré inouï : « On y vole sur de légers indices, sur un bruit de ville ou de village, sur des accusations de gens infâmes de fait et de droit… il semble que dans les confessions arrachées sur des témoignages et des indices de cette sorte, on fuye avec soin tous les moyens d’en découvrir la fausseté[52] ». De là sont nées d’effroyables erreurs judiciaires dont l’auteur rapporte quelques exemples frappants. L’un surtout, dont il a été le témoin oculaire, mérite d’être reproduit. « Je voyais, dit-il, en 1660, les apprests d’une grande justice criminelle, en passant sur la place d’Amsterdam. Comme je m’informois d’un Hollandois qui me conduisoit, pourquoy l’exécution estoit differée. On attend, me dit-il, le bourreau de Harlem, qui doit en estre l’exécuteur. Je m’informay du sujet, et j’appris qu’un jeune homme du pays ayant fait la débauche le soir, et se retirant chargez de vin ou de vapeurs de bière double à son logis, fut surpris d’un sommeil si pesant, que, s’estant assis sur le sueil d’une porte, il y demeura endormi. Un filou passant par là, et voyant ce jeune homme endormi, luy fouilla dans ses poches, et luy prit ce qu’il y trouva, sans que ce jeune homme le sentit. Il retint entre autres choses un couteau en forme de bayonnette, et, poursuyvant ses brigandages, il insulta le premier qu’il rencontra. Cet homme, s’estant mis en défence, obligea ce filou à se servir de ce couteau dont il le tua. Après cela, craignant les patrouilles et le guet qui se font par toutes les rues, il rebrousse à ce jeune homme endormi, luy remet ce couteau sanglant dans sa poche, et s’en va. À l’instant mesme une ronde survient où gisoit ce corps, et le trouvant encore tout chaud à quelques pas de ce jeune homme, qui venoit de s’éveiller, et s’en alloit à son logis, elle l’arreste, le fouille, et luy trouvant ce couteau sanglant avec le fourreau dans sa poche, elle le prend pour l’auteur de ce meurtre et l’emmène à la prison. Le lendemain, ce corps estant reconnu et trouvé blessé de ce couteau, ce pauvre jeune homme est interrogé, et se tenant sur la négative, il est appliqué à la question sur cet indice, et pressé des tourmens, l’effet infaillible de la torture s’ensuit en luy, comme en tout autre innocent. Il confesse, confirme sa confession hors des tourmens, de peur d’y estre remis, est condamné et exécuté à mort comme le véritable meurtrier.

» Peu après, le vray homicide ayant esté arresté pour un autre crime, confessa ingénument qu’il estoit aussi l’auteur de celuy pour lequel l’innocent jeune homme avoit souffert un supplice injuste.

» Le cas vint à la connoissance du Grand Conseil des Provinces-Unies, lequel, pour marque de châtiment, priva le Magistrat d’Amsterdam du droit d’avoir un bourreau, puisqu’il s’en estoit servi pour une injuste exécution.

» Cet exemple, qui pourroit estre confirmé d’un million d’autres, nous fait voir évidemment l’incertitude de ces confessions violentes, et la certitude infaillible de l’effet de la torture sur un corps humain dans ces seules forces naturelles. Il nous apprend que ni le corps du délit constant, ni les présomptions, ni les indices les plus vraisemblables ne peuvent assurer la conscience d’un juge qui commet la vie d’un homme à ce genre de preuve si douteux… que s’il m’est permis de dire mon sentiment, je diray qu’il falloit défendre l’usage de la torture à ce Magistrat, et non d’un bourreau, puisque celle que les États Généraux luy imposèrent ne luy produisit aucun remède au passé, ni aucune précaution pour l’avenir[53] ».

Nicolas fait remarquer aussi l’étrange contradiction de ceux qui applaudissent à la suppression des Ordalies et qui approuvent le maintien de la torture[54]. Il conseille aux princes, « avant que d’établir des juges criminels, de les obliger à souffrir chacun un demi quart d’heure d’estrapade ; ils sauroient sans doute beaucoup mieux ce qu’il faut croire de ces confessions forcées, et seroient meilleurs ménagers de la vie et de l’honneur des innocens[55] ».

Mais si l’on attend que les princes en reviennent d’eux-mêmes, on attendra longtemps. Si les savants n’attaquent pas cet odieux mode de procédure, s’ils n’en combattent pas l’usage avec une énergie tenace, les princes s’en reposeront sur leurs officiers et ne connaîtront pas la vérité. Ceux qui croient la torture détestable n’ont pas le droit de se taire et de laisser aux princes la responsabilité des lois. À ceux qui en connaissent les effets tragiques et les conséquences funestes incombe le devoir de démontrer les vices de l’institution[56]. C’est pour cela que le magistrat de Besançon a pris la plume et courageusement déchiré les voiles.

Il termine en rappelant que le Saint-Office de Rome, après avoir introduit la question dans sa procédure, a fini par reconnaître que c’est un « remède trompeur[57] » ; s’adressant au « Roi très chrestien », il le conjure de se souvenir des chrétiens accusés par Néron d’avoir incendié Rome et qui, dans les tourments, se reconnurent coupables d’un crime commis par Néron lui-même : « Si ces premiers chrestiens ne purent tenir contre la force des tourmens, qu’ils ne se chargeassent d’un faux crime pour estre plutost executez, pouvons nous espérer que de simples innocens le puissent souffrir[58] » ? Et que l’on ne croie pas les supplices du XVIIe siècle plus doux que ceux des Romains ; il s’en trouve même de plus cruels, et, d’ailleurs, « les juges, dans l’empressement de trouver des criminels, les font redoubler, et en qualité, et en durée, et en répétition, jusqu’à faire dire au patient ce qu’ils souhaitent. Ils perdent l’idée de la vérité, qui est la fin régulière de leur recherche, et ne s’appaisent point qu’ils n’ayent arraché une confession de la bouche d’un patient[59] » ! Il n’y a donc qu’un remède : l’abolition d’un système aussi cruel que dangereux et inefficace.

Notons ici un détail intéressant : bien qu’il eût dédié son ouvrage au roi, Nicolas ne put obtenir l’autorisation de l’imprimer en France ; pour le faire connaître du public, il dut recourir aux presses hollandaises.

Quelques années plus tard, un criminaliste saxon, Döpler, auteur d’un vaste répertoire où sont complaisamment énumérés les multiples modes de torture usités en Allemagne, reconnaît que souvent des bourreaux, par esprit de vengeance, ont accusé leurs ennemis personnels de sorcellerie et les ont torturés avec tant d’art qu’ils les ont forcés à avouer leur prétendu crime[60].

Le mouvement décisif de l’opinion contre la cruauté des peines partit de l’Italie, cette terre classique du droit. Parmi les ouvriers de la première heure, nous devons citer, après Muratori et Maffei, Pierre-Alexandre Verri, inspecteur des prisons de Milan[61]. Cet homme de bien avait l’habitude d’entretenir un cercle d’amis de ses visites aux captifs et des reformes qu’il jugeait nécessaires dans l’administration de la justice. À ces réunions assistait un généreux adolescent qui, profondément ému des révélations apportées par Verri, s’enflamma d’un bel enthousiasme contre la routine, et spécialement contre l’usage de la torture. Le jeune écrivain dont l’admirable pamphlet allait faire tant de bruit, s’appelait le marquis César de Beccaria Bonesana[62].

Recherchant les principes d’une législation rationnelle, il rejette le système de l’intimidation et glorifie les sentiments de justice et d’humanité ; il s’adresse au bon sens public dans un style incisif et simple, qui doit être aisément saisi et goûté par la foule.

On sait avec quelle éloquence il s’élevait contre l’application de la peine de mort. Nous n’avons à retenir ici que l’argumentation pressante et forte de Beccaria contre la torture. En quelques lignes, il en a montré le caractère inique. Un homme ne peut être regardé comme criminel avant la sentence du juge. Ce principe suffit à lui seul pour démontrer l’absurdité et l’injustice de la question, car elle est déjà une peine infligée avant la condamnation. Ou le délit, dit-il, est certain, ou il est incertain ; s’il est certain, il ne doit être puni que de la peine fixée par la loi, et la torture est inutile, puisqu’on n’a plus besoin des aveux du coupable. Si le délit est incertain, n’est-il pas affreux de tourmenter un innocent ? Car, aux yeux de la loi, celui dont le délit n’est pas prouvé, est innocent[63]. La torture, reste d’une législation barbare et impuissante, est souvent un sûr moyen de condamner l’innocent faible et d’absoudre le scélérat robuste. Le résultat de l’épreuve est donc une affaire de tempérament et de calcul, qui varie dans chaque homme en proportion de sa force et de sa sensibilité ; de sorte que, pour prévoir le résultat de la torture, il ne faudrait que résoudre le problème suivant : « La force des muscles et la sensibilité des fibres étant connues, trouver le degré de douleur qui obligera l’accusé de s’avouer coupable d’un crime donné[64] ». Beccaria fait remarquer que l’innocent se trouve dans une position pire que celle du coupable. En effet, l’innocent que l’on applique à la question a tout contre lui ; car il sera condamné s’il avoue le crime qu’il n’a pas commis, ou bien il sera absous, mais après avoir enduré des tourments qu’il n’a point mérité de souffrir. Le coupable, au contraire, a pour lui une combinaison favorable, puisqu’il est absous s’il supporte la torture avec fermeté, et qu’il évite les supplices dont il est menacé, en subissant une peine bien plus légère. Ainsi l’innocent a tout à perdre, le coupable a tout à gagner.

Ces vérités ont été confusément senties par les législateurs eux-mêmes ; mais ils n’ont pas pour cela supprimé la torture. Seulement ils conviennent que les aveux arrachés à l’accusé par les tourments sont de nulle valeur, à moins qu’il ne les confirme ensuite ; mais s’il s’y refuse, il est de nouveau livré au bourreau. On espère, en appliquant l’accusé à la question, éclaircir les contradictions relevées dans ses précédents interrogatoires. Mais la crainte du supplice, la solennité des procédures, l’ignorance même, également commune à la plupart des accusés, innocents ou coupables, sont autant de raisons pour faire tomber dans les contradictions, et l’innocence qui tremble, et le crime qui cherche à se cacher. Enfin, dit Beccaria, donner la torture à un malheureux pour découvrir s’il est coupable d’autres crimes que celui dont on l’accuse, c’est lui faire cet odieux raisonnement : « Tu es coupable d’un délit, donc il est possible que tu en aies commis cent autres. Ce soupçon me pèse ; je veux m’en éclaircir ; je vais employer mon épreuve de vérité. Les lois te feront souffrir pour les crimes que tu as commis, pour ceux que tu as pu commettre et pour ceux dont je veux te trouver coupable[65] » !

L’éloquent réquisitoire du gentilhomme milanais obtint un succès immense. Traduit en français par l’abbé Morellet[66], en allemand par Butscheck[67], et bientôt dans toutes les langues, annoté par Diderot, commenté par Voltaire, multiplié par d’innombrables éditions, il provoqua une émotion générale[68]. Il venait à son heure et trouvait l’opinion merveilleusement préparée, car depuis longtemps les philosophes travaillaient à développer dans les cœurs la compassion pour les souffrances humaines. En France, Brissot de Warville, Lacretelle, Philpin de Piépape, Servan, Pastoret, Bexon et bien d’autres firent au livre de Beccaria un accueil enthousiaste, et contribuèrent à répandre ses idées et à faire triompher ses principes.

Le Traité des délits et des peines trouva cependant d’âpres contradicteurs. Sans compter des énergumènes comme Vincenzo Facchinei, qui le traitent d’ouvrage « horrible, venimeux, infâme, impie et blasphématoire[69] », il rencontra dans le monde judiciaire des résistances énergiques. Des jurisconsultes d’une indiscutable valeur, mais chez qui l’esprit d’autorité tuait l’esprit de réforme, firent entendre des cris d’alarme contre les systèmes dangereux et « les idées nouvelles qui, si elles étaient adoptées, n’iraient à rien moins qu’à renverser les lois reçues par les nations les plus policées, et donneraient atteinte à la religion, aux mœurs et aux maximes sacrées du Gouvernement[70] ».

Jousse, conseiller au Présidial d’Orléans, rappelle que la question n’est pas infamante pour celui qui la subit[71]; Muyart de Vouglans, conseiller au Grand Conseil de Paris, consacre tout un livre à réfuter Beccaria[72]. Pour le magistral parisien, le publiciste milanais est un fou ou un criminel : « Je laisse, dit-il, à ceux qui sont chargés spécialement de cette partie de notre droit public le soin d’exercer leur censure et d’employer toute leur autorité pour en arrêter la contagion[73] ». Il extrait du Traité des délits et des peines une série de propositions qu’il déclare abominables et qui aujourd’hui sont indiscutées, tels le principe de l’égalité des peines et la négation de la vindicte publique. Muyart de Vouglans n’hésite pas à défendre le maintien intégral du vieux système, y compris le serment des accusés et la question tant préparatoire que préalable[74]. D’autre part, il approuve les dissimulations et les violences du juge, et il réédite pour son compte cette ineptie de quelques anciens criminalistes pour qui « la torture est une indulgence de la loi ».

Si des jurisconsultes de valeur se réfugient aussi aveuglément dans la routine, que feront les légistes médiocres ? Heureusement, comme nous le verrons plus loin, l’apologie de la question ordinaire et extraordinaire publiée par Muyart de Vouglans en 1767 ne devait pas empêcher Louis XVI de l’abolir le 24 août 1780. C’est que les disciples de Beccaria, en France, étaient devenus légion et donnaient un vigoureux assaut aux législations vieillies et affaissées sous le poids de leurs abus.

Déjà avant Beccaria, la matière avait été sommairement abordée par Bayle, dans son Dictionnaire critique[75]. Montesquieu avait déclaré que la torture ne pouvait convenir qu’aux États despotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre dans les ressorts du gouvernement[76]. Voltaire ajoute au raisonnement de Montesquieu ses sarcasmes et son ironie sans réplique. Il soulève les consciences contre les abominations d’une procédure barbare ; tous ses coups portent, d’autant plus que chaque œuvre sortie de sa plume est lue avidement ; la clarté et la séduction de son style font passer dans les esprits une foule de vérités que toutes les discussions entre savants et juristes n’avaient pu vulgariser avant lui. Dans une page célèbre, il résume tous les arguments produits contre la torture depuis saint Augustin jusqu’à Beccaria, et il conclut : « Quand il n’y aurait qu’une nation sur la terre qui eût aboli l’usage de la torture, s’il n’y a pas plus de crimes chez cette nation que chez une autre, son exemple suffit au reste du monde entier[77] ».

« En France, dit-il ailleurs, il semble que les livres de la procédure aient été composés par le bourreau[78] ». Il cite aussi des exemples d’erreurs judiciaires célèbres : « Les juges en pleurèrent, mais leur repentir n’abolit point la loi[79] ».

Le Dictionnaire encyclopédique, au mot question, s’inspire des mêmes idées[80]. Risi, Seigneux de Correvon et bien d’autres, sans apporter au débat beaucoup d’arguments nouveaux, entretiennent dans les esprits une agitation féconde. On voit des juristes et même des magistrats entrer dans le mouvement. Serpillon, conseiller au Présidial d’Autun, constate que le public se plaint de l’usage de la torture, et il s’associe à ces plaintes. « Plusieurs innocents, dit-il, sont morts à la question, c’est un fait trop notoire pour avoir besoin d’être prouvé en détail[81] ». Parlant de la torture qu’on applique à Autun, sous ses yeux, il en fait une description épouvantable, et rapporte plusieurs accidents graves qui se sont produits et à la suite desquels on n’ose plus « y condamner préparatoirement ». Servan, avocat général, fait entendre en 1766 des paroles qui doivent singulièrement détonner dans les chambres du parlement de Grenoble ; il s’élève contre la torture employée comme moyen de preuve : « Prenez garde, s’écrie-t-il, vous ne faites pas parler un coupable, vous faites mentir un innocent »!… « Et nous reprochons aux anciens leurs cirques et leurs gladiateurs, à nos pères leurs épreuves de l’eau et du feu ! oh ! plutôt que de le livrer au bourreau, faisons combattre un accusé sur l’arène, du moins il aura la liberté de se défendre : qu’on le jette au milieu des flammes, il aura du moins l’espérance du hasard ou de la fuite[82] » ! D’autres discours de rentrée trahissent les mêmes dispositions. Les sociétés savantes et les académies, qui pullulent au XVIIIe siècle, contribuent à entretenir dans les provinces un zèle ardent pour l’étude des réformes criminelles[83].

Il est à remarquer que la plupart de ces écrivains ne vont pas jusqu’à préconiser l’abolition pure et simple de la torture. Soit qu’ils éprouvent des difficultés à secouer complètement le joug des opinions dominantes, soit qu’ils espèrent obtenir ainsi plus facilement l’adhésion des hommes timides, beaucoup font des réserves et des concessions. C’est le cas pour Risi, qui admet l’usage de la torture pour l’instruction des crimes de lèse-majesté[84] ; pour Brissot, qui trouve que l’on peut forcer un accusé à dénoncer ses complices[85] ; pour Seigneux de Correvon, qui laisserait appliquer à la question les accusés qui refusent de répondre[86] ; pour Voltaire lui-même, qui approuve la torture de Ravaillac[87]. Le Trosne considère la question comme un « moyen équitable » de départager les juges en matière de crimes capitaux[88]. Servin, avocat général au parlement de Rouen, sent bien qu’une résistance absolue est désormais impossible, et il essaie de sauver le système en faisant les sacrifices nécessaires. « Je sais, dit-il, ce que Montaigne, Montesquieu, Beccaria et les jurisconsultes anglais ont écrit sur ce sujet, et ce que mon cœur, aussi éloquent qu’eux tous, y ajoute… cependant la question en elle-même peut être bonne et utile sans inconvénients dans certaines circonstances… Il ne faut pas en juger par ses abus : c’est le vice du vulgaire que de condamner indéfiniment une chose parce que ses accessoires l’auront rendue pernicieuse[89] ». Pour le magistrat normand, il ne faudrait pas supprimer la question, mais seulement modifier la manière de la donner[90]. Bernardi, qui a traité la torture de « méthode barbare, inutile et de dangereuse conséquence », est d’avis qu’avant de l’abolir, il faut éclairer les esprits[91].

On le voit, si la cause abolitionniste a fait des progrès considérables dans l’opinion publique, le procès n’est pas gagné, il faudra bien des efforts et des luttes pour triompher des habitudes et des préjugés séculaires, et faire passer dans les lois des principes plus doux et plus justes.

Une première victoire fut cependant remportée, lorsque Louis XVI, par une déclaration du 2 décembre 1780, abolit la question préparatoire[92]. C’était entrer nettement dans la voie des réformes. Le préambule de l’édit royal rappelle qu’en 1670 déjà, des magistrats expérimentés ont déclaré la question préparatoire inutile à la connaissance de la vérité, et que le système n’a été maintenu que grâce à « une sorte de respect pour son ancienneté ». Certes, dit-il, on ne doit pas se déterminer trop facilement à abolir des lois qui ont pour elles l’appui d’une longue tradition, ni introduire à la légère un droit nouveau qui pourrait « ébranler les principes et conduire par degrés à des innovations dangereuses ». Cependant, après avoir mis en balance les inconvénients certains de la torture et ses avantages problématiques, le roi décide d’abroger l’usage de la question préparatoire, et défend aux juges de « l’ordonner avec ou sans réserve de preuves, en aucun cas, et sous quelque prétexte que ce puisse être ».

Quelques années plus tard, un nouveau progrès est réalisé. Le 8 mai 1788, dans un lit de justice tenu à Versailles, Louis XVI s’exprime en ces termes : « Nous avions pensé que la question, toujours injuste pour compléter la preuve des délits, pouvait être nécessaire pour obtenir la révélation des complices. Mais de nouvelles réflexions nous ont convaincu de l’illusion de ce genre d’épreuves… D’ailleurs, la question préalable est dangereuse pour l’innocence, en ce que la torture pousse les patients à des déclarations fausses qu’ils n’osent plus rétracter, de peur de voir renouveler leurs tourments[93] ». En conséquence, la question préalable est supprimée.

Malheureusement, la disgrâce de Lamoignon, survenue le 14 septembre de la même année, eut pour conséquence le retrait de tous les édits du 8 mai, dont le célèbre chancelier avait été l’inspirateur.

Mais c’était la fin des résistances routinières. Le 24 septembre, le parlement enregistra une déclaration royale portant que les États généraux de la nation seraient convoqués l’année suivante. En 1789, l’unanimité des Cahiers se prononça pour la suppression de la torture[94], et, le 11 octobre de cette année, l’Assemblée nationale, considérant « qu’un des principaux droits de l’homme est celui de jouir, lorsqu’il est soumis à l’épreuve d’une accusation criminelle, de toute l’étendue de liberté et de sûreté pour sa défense, qui peut se concilier avec l’intérêt de la société qui commande la punition des délits[95] », abolit l’usage de la sellette et la question dans tous les cas[96].

La France avait été précédée dans cette œuvre de progrès par plusieurs nations de l’Europe. La Prusse avait aboli la torture en 1754 ; la Russie, en 1767[97] ; la Bavière, en 1767 ; la Saxe, en 1770 ; la Suède, en 1772 ; l’Autriche, en 1776 ; les Pays-Bas autrichiens, en 1787[98]. N’oublions pas de dire, à la gloire de l’Angleterre, que la torture avait été rayée des lois anglaises dès 1641[99].

Retraçons maintenant d’une manière succincte l’histoire du mouvement des esprits contre la question judiciaire dans deux pays qui nous touchent de près : l’Autriche, dont les souverains étaient aussi les nôtres au XVIIIe siècle, et la république des Provinces-Unies, dont les habitants entretenaient avec les Belges des rapports suivis, facilités par la contiguïté des territoires, l’origine commune et l’identité de la langue, au moins dans la région flamande des Pays-Bas autrichiens.

Lorsque, en 1755, se réunit à Vienne la commission chargée d’élaborer un code criminel pour les États autrichiens, pas une voix ne s’éleva contre le maintien de la torture. On conserva ce qui existait et, à l’unanimité, on décida d’inscrire dans la loi qu’avant et après chaque aggravation des tourments, le juge recommanderait au patient de penser à Dieu et de dire la vérité, afin de ne pas s’exposer à souffrir davantage[100].

Cependant, à plus d’une reprise déjà, les errements de la procédure criminelle avaient été relevés par des hommes de valeur qui avaient montré les graves défauts du système d’instruction ; il suffira de rappeler Loos, von Spee, Tanner, Thomasius[101], qui avaient éloquemment plaidé la cause de l’humanité et de la justice. Mais leurs écrits étaient demeurés sans effet sur le Gouvernement, et lorsque, le 31 décembre 1768, fut promulguée la Constitutio criminalis Theresiana[102], non seulement la torture fut maintenue, mais on jugea convenable d’y joindre, pour la plus grande facilité des juges, vingt-neuf gravures sur cuivre montrant en détail les ingénieux raffinements du système. Il n’y avait qu’une seule amélioration : désormais la sentence ordonnant la torture devait être ratifiée au préalable par le tribunal supérieur[103].

Une pareille loi devait soulever une vive opposition, sinon dans les corps judiciaires, respectueux par essence des anciennes traditions, tout au moins dans le milieu scientifique par excellence, dans la Faculté de droit de l’Université de Vienne, illustrée par l’enseignement et les écrits de Martini, de Riegger, de Bannizza et de Sonnenfels.

Ce dernier surtout devait jouer un rôle important dans la lutte que nous étudions, et son intéressante figure mérite de nous arrêter un instant.

Joseph von Sonnenfels avait depuis longtemps attaqué avec ardeur du haut de sa chaire la torture, la peine de mort et le droit d’asile. Cette attitude lui avait attiré de nombreuses inimitiés au sein des cours de justice, des cercles politiques et dans les rangs du clergé. Parmi ses adversaires les plus actifs se trouvaient le chancelier Rodolphe Chotek et l’archevêque de Vienne, Migazzi[104]. Ces deux hauts personnages accusèrent le professeur viennois de prêcher des doctrines subversives de l’autorité tant civile que religieuse, et de corrompre la jeunesse ; ils prièrent en conséquence l’impératrice de lui infliger un blâme sévère[105]. Marie-Thérèse trouva l’accusation excessive et se borna à donner à Sonnenfels, sous une forme très bienveillante, un simple conseil de discrétion et de prudence. Le professeur viennois avait d’ailleurs un protecteur puissant et dévoué dans la personne de Joseph II. L’empereur-corégent fit nommer Sonnenfels membre du conseil de régence de la Basse-Autriche, ainsi que de la commission des études, et il lui envoya officiellement ses félicitations, quand parurent les deux premières parties de son manuel des sciences politiques et financières[106].

Ainsi soutenu, Sonnenfels continua de plus belle sa campagne contre la procédure et la législation pénales, même après la publication de la Constitutio criminalis. Mais l’impératrice trouva d’une suprême incorrection qu’on attaquât les actes de l’autorité souveraine dans une chaire ouverte par le Gouvernement ; elle se décida à sévir, et prescrivit à Sonnenfels de s’abstenir dorénavant de traiter dans ses leçons de la torture et de la peine de mort. Le professeur, censuré, se défendit par une lettre éloquente, et affirma qu’il avait concédé l’usage de la torture pour quelques cas déterminés ; il était du reste d’avis, disait-il, que c’était un procédé généralement inefficace, et dès lors illicite. Il rappelait les erreurs judiciaires dont la question avait été cause, les nombreux innocents à qui la seule vue de l’appareil des bourreaux avait arraché des aveux mensongers et coûté la vie, les cruautés horribles dont elle était journellement l’occasion ; il adjurait l’impératrice de n’écouter que son cœur et d’effacer des lois de l’Empire cette institution néfaste. Il demandait qu’une nouvelle commission d’enquête fût formée ; les partisans de la torture pourraient y soutenir leur système contre lui. S’il était battu, il se rétracterait à la face du monde savant ; mais s’il sortait vainqueur du débat, personne ne douterait de la décision que prendrait la souveraine dans sa haute sagesse[107].

Marie-Thérèse, déjà ébranlée par les instances de son fils, se rappelant les accidents fréquemment[108] survenus au cours des instructions judiciaires, conçut des scrupules et renvoya le mémoire justificatif de Sonnenfels à l’avis du comte de Blumegen, chancelier supérieur. Celui-ci estima que, s’il était convenable d’éviter les discussions publiques sur une loi récemment promulguée, il n’y avait d’autre part rien à répondre aux arguments « indiscutables » de Sonnenfels. Il ne pouvait donc être question de forcer le professeur à se rétracter et à effacer de ses livres les passages incriminés. Marie-Thérèse n’était cependant pas encore convaincue, et, malgré le rapport de Blumegen, elle fît notifier à Sonnenfels défense de soutenir publiquement des théories en désaccord avec les lois de l’Empire.

Mais le mouvement de l’opinion devenait irrésistible. Le 19 novembre 1773, l’impératrice, à la demande de la Faculté de médecine de Vienne, interdit ce qu’on appelait l’Intercalartortur[109] et mit à l’étude des gouvernements provinciaux un projet d’abolition radicale du système des tourments et la recherche des mesures de précaution qui devraient être prises[110]. Sonnenfels, nous l’avons vu, était membre de la régence de la Basse-Autriche ; il défendit naturellement avec chaleur, au sein de cette assemblée, les idées qui lui étaient chères ; quelques jours après la séance, son discours fut publié en brochure à Zurich. Il protesta contre cette publication, faite, affirmait-il, à son insu, ce qui n’empêcha pas le Gouvernement de lui infliger un blâme sévère pour avoir trahi un secret professionnel par une ambition étourdie et inconvenante[111].

La brochure de Sonnenfels fut traduite en français et publiée plus tard dans la Bibliothèque philosophique de Brissot[112] ; son succès fut immense. Après avoir tracé une esquisse historique de la question depuis l’antiquité grecque ; l’auteur récapitule tous les arguments qui ont été produits contre la torture, depuis saint Augustin jusqu’à Beccaria ; il insiste surtout sur l’expérience, à son avis concluante, qui a été faite en Angleterre, en Russie et en Prusse, où l’abolition de la torture n’apporte nul obstacle à la bonne administration de la justice. Dans l’espoir, sans doute, de désarmer l’opposition, il concède que l’on pourrait conserver la question préalable, tourmenter un coupable afin de lui faire dénoncer ses complices. Il se livre à un raisonnement très spécieux pour justifier cette concession, et il semble ne pas voir combien il est inconséquent en faisant dépendre la vie d’un citoyen du témoignage d’un scélérat, et d’un scélérat contraint par les supplices de la question[113]. Sonnenfels termine son œuvre par l’étude de ce que l’on devrait substituer à la torture. On pourrait résumer tout ce chapitre en une ligne : le juge doit procéder à son enquête avec beaucoup d’habileté[114].

Dans les régences provinciales, la plupart des conseillers s’étaient prononcés pour le maintien du statu quo. Le projet vint ensuite au Conseil d’État : ici la majorité fut favorable à l’abolition. Deux conseillers, Stupan et Hatzfeldt, proposèrent alors une mesure transactionnelle : la torture ne serait plus appliquée que pour les crimes de haute trahison, vols de grand chemin et falsification des monnaies. L’impératrice se rallia à l’avis de la minorité, et le décret, rédigé dans ce sens, fut soumis, le 12 août 1775, à l’empereur-corégent. Joseph II écrivit en marge : « Dans ma conviction, la suppression de la torture est non seulement une chose inoffensive et juste, mais nécessaire. Je suis donc partisan, sans crainte, de l’effacer de la Nemesis Theresiana[115] ».

En présence de ces avis contradictoires, Marie-Thérèse était assaillie de mille doutes. Son cœur lui conseillait l’abolition de la torture, mais, d’autre part, elle craignait que cette mesure d’humanité n’entraînât des conséquences funestes pour l’ordre public. Ne sachant à quel parti s’arrêter, elle remit la décision à son fils par la lettre suivante : « Je prie l’Empereur, qui a étudié le droit, et me confiant à sa justice et à sa philanthropie, de décider cette affaire sans mes conseils, parce que je ne la comprends pas et que je ne puis me décider d’après ces avis divergents[116] ».

Joseph II recourut aux lumières d’une commission mixte ; mais celle-ci se divisa en deux fractions égales : magistrats conservateurs et conseillers d’État partisans des innovations. L’impératrice s’en remit alors de nouveau au chancelier Blumegen ; celui-ci, appuyé par l’empereur, fit pencher la balance et, en conséquence, un billet autographe de Marie-Thérèse, daté du 2 janvier 1776, abolit la torture dans les États héréditaires allemands ainsi que dans le Banal de Temesvar et la Gallicie. Cette réforme considérable, dont on fit tant d’honneur à l’impératrice, lui avait coûté beaucoup, et la cause abolitionniste était loin d’avoir ses sympathies ; dans une lettre écrite le 4 janvier 1776 à l’archiduc Ferdinand, elle exprime les craintes que lui inspirent les innovations en cette matière[117].

Dans la république des Provinces-Unies, les ordonnances criminelles de Philippe II semblent pendant longtemps tombées en désuétude. Au cours du XVIe et du XVIIe siècle, on les voit rarement invoquées[118]. Quand un tribunal se trouve embarrassé par le caractère d’incertitude des coutumes locales, il recourt à l’ouvrage de Carpzovius.

La torture est restée en vigueur, et un décret des États généraux, en date du 10 septembre 1591, porte que les jugements qui la prescrivent ne peuvent être frappés d’appel[119]. Elle devient même d’un usage courant, alors que dans l’esprit de l’ancien droit elle ne devait être qu’un procédé extraordinaire d’investigation ; enfin on en arrive à établir dans la jurisprudence que l’on ne peut condamner un criminel qu’après avoir obtenu son aveu, et nous voyons les magistrats hollandais fréquemment hésitants, et forcés de retenir en prison des individus dont le crime est certain, mais qui ont su résister aux tourments, et persévèrent dans leurs dénégations[120].

Au XVIIIe siècle, on sentit la nécessité d’améliorer l’organisation judiciaire aussi bien que la procédure. Une commission fut nommée en 1734. avec mission de proposer un plan complet de réformes. Ses délibérations, on ne sait pour quelle cause, demeurèrent stériles, mais ses archives subsistent, et l’on y a constaté que d’après son projet, on devait procéder à l’instruction en entendant d’abord les témoins, puis aurait lieu la confrontation de l’accusé avec les témoins, et enfin, s’il persistait à nier, on pouvait l’appliquer à la question, en observant les règles prescrites par les ordonnances de Philippe II[121].

Cependant, en Hollande aussi, des publicistes distingués avaient élevé la voix et fait le procès à la torture. L’ouvrage de Grævius, qui fut publié à Hambourg, en 1624[122], est fréquemment cité par les écrivains hollandais et semble avoir exercé sur certains d’entre eux une réelle influence. Matthæus, professeur à l’Université d’Utrecht, dans son commentaire estimé du Digeste[123], parle longuement de la torture et réfute avec vigueur les arguments que font valoir ses partisans ; aux raisons théoriques il joint les constatations de l’expérience, et, entre autres abus, il rapporte, de science personnelle, que souvent le bourreau appelé à torturer un accusé riche, ménage le patient dans l’espoir d’obtenir une grosse somme d’argent, tandis que le magistrat ne se rend pas compte de la fraude qui se pratique sous ses yeux. Tout en protestant contre le maintien d’un mode de procédure qu’il déclare absurde, il admet cependant, lui aussi, la question infligée au condamné pour obtenir la dénonciation des complices. Van Heemskerk[124] combat surtout la torture en se plaçant au point de vue de l’idée chrétienne, qui réprouve les cruautés, et mentionne un grand nombre d’erreurs judiciaires dues à l’usage des tourments. Jonktijs[125] s’est inspiré de Grævius et présente un tableau complet de la question criminelle. Après avoir retracé l’histoire de la procédure pénale depuis l’antiquité, il reproduit les arguments des partisans du statu quo et les combat avec une grande vivacité ; il n’admet ni tempéraments ni concessions : la torture est un mode d’investigation vicieux par essence, indigne de juges chrétiens et éclairés ; elle n’est pas plus justifiable dans les procès de lèse-majesté ou dans la recherche des complices que dans les autres enquêtes ; il n’y a qu’un remède possible à ses abus : la suppression radicale et immédiate[126].

L’objet qui nous occupe inspira au XVIIIe siècle quelques thèses présentées à l’Université de Leyde en vue de l’obtention du titre de docteur en droit ; elles sont de peu de valeur, d’un intérêt presque nul, et, chose étrange, leurs auteurs, un seul excepté, semblent ne pas se douter de l’existence du vaste mouvement d’opinion qui s’est produit dans toute l’Europe ; tout au plus citent-ils leurs compatriotes Van Heemskerk et Matthæus. On y examine, dans un latin barbare et avec une sécheresse rebutante, les règles prescrites sur la matière. De Neck[127] se déclare partisan de la torture, bien qu’il y ait contre elle « ponderosa argumenta » ; il avoue que des erreurs judiciaires ont pu être commises, mais elles ne prouvent rien contre l’institution, elles ne prouvent que contre les juges ; quand un médecin tue son malade, on ne condamne pas pour cela le médicament[128] ! Si l’accusé souffre, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même, puisqu’il peut éviter la souffrance en faisant spontanément l’aveu qu’on réclame de lui[129]. Mais c’est assez nous arrêter à ces inepties. Van Toulon[130] et Opperdoes[131] concluent à l’abolition, mais leurs thèses sont des compilations ennuyeuses. La seule dissertation intéressante de l’Université de Leyde a pour auteur Pelgrom[132], qui indique ses préférences par le titre même de sa dissertation : De injustitià torturæ ; il est au courant des travaux publiés sur la question depuis Aristote et saint Augustin jusqu’aux criminalistes du XVIIIe siècle, et, seul des Hollandais que nous avons cités, il parle de Beccaria et de Sonnenfels. Il félicite chaleureusement le roi de Prusse, la czarine et Joseph II de leur zèle novateur.

En terminant ce chapitre, nous pouvons citer, non sans quelque fierté, l’œuvre d’un de nos compatriotes qui employa pour la cause de l’humanité toutes les ressources d’une puissante dialectique, et, bien des années avant la plupart des publicistes illustres d’Italie, de France et d’Allemagne, dont nous avons analysé les travaux, publia contre la torture un réquisitoire irréfutable. Nous voulons parler de Bernard Van Espen, professeur à l’Université de Louvain.

Son Jus ecclesiasticum universum, dont la première édition parut à Louvain en 1720, contient un chapitre consacré à la procédure. Le savant canoniste établit à l’évidence que l’on ne peut pas légalement infliger la question à un accusé, s’il existe un autre moyen de prouver sa culpabilité, et il commente sur ce point avec une admirable lucidité les ordonnances criminelles de Philippe II. Puis, abordant le fond, il expose les opinions divergentes sur l’utilité de l’institution, sans prendre personnellement parti d’une manière bien nette, mais avec une complaisance marquée pour les adversaires des procédures cruelles. Il insiste surtout sur les arguments de Vivès et de Nicolas, met en pleine lumière l’incertitude, l’iniquité et l’absurdité de la question, et, quarante-cinq ans avant Beccaria, il formule, lui aussi, le fameux dilemme que nous avons cité en parlant du Traité des délits et des peines : « Vel reus de crimine ipso est plené convictus, vel non. Si sit convictus, crimenque plené probatum, reus tormentis subjiciendus non est ut confessio ab ipso extorqueatur : cùm ad condemnationem confessio necessaria non sit ubi aliunde de veritate commissi criminis sufficienter constat[133] ».

Et cependant, nous le constaterons dans le chapitre suivant, les doctrines abolitionnistes rencontrèrent dans les Pays-Bas autrichiens une hostilité opiniâtre, qui dura jusqu’à la fin de l’ancien régime. Comment l’influence d’un juriste aussi renommé que Van Espen n’a-t-elle pas produit d’effet plus sensible ? Ed. Poullet a parfaitement rendu compte de ce fait étrange : Van Espen, dit-il, écrivait en latin ; Van Espen produisait ces énormes in-folio, chers à l’homme d’étude, redoutables à l’homme du monde et presque inutiles à l’homme d’État. Van Espen raisonnait juste, mais il n’avait pas ces accents chaleureux qui émeuvent l’opinion publique. Van Espen n’affirmait pas : et qui peut espérer de former une école, de créer des disciples sans affirmer hautement sa pensée ? Van Espen avait vu ce que vit plus tard Beccaria ; mais il ne peut évidemment être considéré comme un réformateur. Tout ce qu’il y eut de radical dans les réformes tentées en matière criminelle fut, en Belgique, le produit des influences extérieures, et lorsque le Gouvernement voulut agir, il se heurta contre l’opposition presque unanime des corps judiciaires[134].

L’évolution des doctrines criminalistes, que nous avons étudiée depuis ses débuts au XVIe siècle, est accomplie au siècle dernier, au moins en Italie, en France et en Allemagne. Les Pays-Bas y sont demeurés pour ainsi dire étrangers, et nous allons voir maintenant les ministres autrichiens réformateurs aux prises avec nos tribunaux, défenseurs obstinés des institutions anciennes.


  1. Traité de la sagesse, liv. 1, chap. XXXVII.
  2. Allusion à l’Angleterre probablement.
  3. Essais, liv. II, chap. V.
  4. Commentaires sur la Cité de Dieu de saint Augustin, t. XIX, p.6.
  5. Voir sur Damhoudere, Wielant et la Praxis criminalis, les intéressants articles d’Ad. Du Bois, dans le Messager des sciences historiques, 1889, pp. 301, 380, et 1891, p. 237.
  6. « Simpliciter de plano et sine strepitu et figura judicii, quum negotium celeritatem desiderat, adeò ut mora ac dilatione maius dispendium, periculum et inconveniens Reipublicæ imminere posset, veluti tempore commotionis aut seditionis : quo quidem tempore quatuor aut quinque ex præcipuis seditiosis subita decollatione tolluntur e medio, ac postea disputatur æquo ne jure sublati sint. Nam in hujusmodi notoriis nequaquam opus est juris ordinem servare. Si veró judici perspectum fuerit occasione temporis, ex huiusmodi subita punitione plus mali quam boni Reipublicæ posse oriri, eo tempore iudex dissimulanter et conniventer justitia protrahet, atque eo tempore talis dissimulatio veræ bonæque iustitie nomen merebitur » [Prax. crim., III, p. 5, éd. d’Anvers de 1570, p. 6]
  7. Pract. crim., XXXIX, 3, éd. de Paris de 1555.
  8. Ibid., XXXVIII, 17, éd. de Paris de 1555, p. 52.
  9. Pract. crim., XXXVII, 17, p. 49.
  10. Pract. caus. crim., VI, VII.
  11. « Les ouvrages de Clarus et de Farinacius ont exercé jusqu’à la fin du XVIIIe siècle une influence considérable sur l’administration de la justice criminelle et sur la doctrine. Ils étaient répandus en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, etc. Les criminalistes de ces divers pays invoquent leur autorité à chacune des pages de leurs livres » [Nypels, Bibliothèque choisie du droit criminel, éd. de 1863, p. xxv].
  12. « Multi enim innocentes propter tormentorum sævitiam confessi et condemnati fuerunt, ut etiam diebus nostris contigisse intellexi in duobus, qui tortura confessi fuerunt occidisse quemdam nobilem eorum inimicum, qui deinde post multos annos repertus fuit vivus in quodam castro carceratus per magnum quemdam dominum » [Pract. civ. atq. crim., 705]. Un commentateur de Clarus, Droghi, rappelle à ce propos l’histoire du cardinal Paul d’Arezzo, qui entra dans les ordres à la suite des remords qu’il éprouvait d’avoir, étant juge à Naples, condamné un innocent qui avait avoué, vaincu par les tourments de la question, et celle de Galeas de Zucchi, condamné dans les mêmes conditions, et sauvé au moment du supplice par la rétractation de l’accusateur. — Voir aussi de curieux exemples d’erreurs judiciaires causées par la torture, dans Charondas Le Caron, Pandectes du droit français, liv. IV, ch. X.
  13. Il est l’auteur d’un Tractatus de confessionibus maleficarum et sagarum dont l’épigraphe fait suffisamment connaître le degré d’humanité : « Malelicas non patieris vivere ».
  14. Tractatus Comm. in tit. C de malef., concl. 6, 91, concl. 5, cité par Nicolas, p. 29.
  15. P. Ayrault, L’ordre, formalité, etc., p. 527.
  16. Dandin.

    N’avez-vous jamais vu donner la question ?

    Isabelle.

    Non ; et ne le verrai, que je crois, de ma vie,

    Dandin.

    Venez, je vous en veux faire passer l’envie.

    Isabelle.

    Eh ! Monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux ?

    Dandin.

    Bon ! Cela fait toujours passer une heure ou deux.


    [Acte III, scène IV].

  17. « Enfin, c’en est fait ! La Brinvilliers est en l’air ! Son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et ses cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons, et que, par communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tout étonnés » [Lettre à Mme  de Grignan, du 17 juillet 1676].
  18. « Les témoignages tirés des tortures ne sont point certains, attendu que parfois il se trouve des hommes forts et robustes, ayant la peau dure comme la pierre, et le courage fort et puissant, qui endurent et supportent constamment la rigueur de la géhenne, au lieu que les hommes timides et appréhensifs, avant que d’avoir vu les tortures, demeurent incontinent éperdus et troublés, tellement qu’il n’y a point de certitude au témoignage des tortures » [Rhét. d’Aristote, liv. I, chap. XV].
  19. « Judices, qui propter delectationem, quam habent in torquendis reis inveniunt novas tormentorum species : ii enim appellantur judices irati et perversi et ratione eorum perversitatis Dominus eos confundet in inferno » [liv. I, tit. V, quæst. 38, n° 55, éd. de Francfort de 1622, p. 609].
  20. Au chapitre de Reo confesso et convicto, quest. 81, nos 305, 306, 307, t. III, p. 41.
  21. Practica nova imperialis rerum crim., p. III, q. cxvii, nos 3, 4, 5, éd. de 1723, t. III, p. 134.
  22. Ibid., n° 8.
  23. Tome III, p. 117.
  24. Traité des crimes, t. I, tit. X.
  25. Caractères, chap. XIV.
  26. « M. Pussort déclare qu’au surplus la question préparatoire lui a toujours semblé inutile, et que, si l’on vouloit ôter la prévention d’un usage ancien, l’on trouveroit qu’il est rare qu’elle ait tiré la vérité de la bouche d’un condamné » [Procez-verhal des conférences, t. II, p. 224]. En France, on entend par la question préparatoire les tourments auxquels on soumet l’accusé pour lui faire avouer son crime ; la question préalable est infligée au condamné pour lui faire dénoncer ses complices.
  27. « M. le Président [Lamoignon] a dit qu’il voïoit de grandes raisons de l’ôter, mais qu’il n’avoit que son sentiment particulier. Cette dernière ouverture est restée sans effet » [Ibid.]
  28. Voir sur von Spee : E. Wolff, Das deutsche Kirchenlied des XVI und XVII Jahrundert dans la Deutsche national Litteratur, t. XXXI. — Voir aussi J.-B.-M. Diel, Friedrich von Spee. Eine biographische und historische Skizze, Fribourg i/B., 1872, et Cardauns, Friedrich von Spee, Francfort, 1882, in-8o.
  29. La première édition parut à Rhintel en 1631, la deuxième à Cologne en 1632, la troisième à Francfort, aussi en 1632 ; nous citons d’après cette dernière édition.
  30. Essai sur la bonté de Dieu et la liberté de l’homme, trad. de Neufville, Amsterdam, 1712, p. 217.
  31. « Nune sunt qui [il se range parmi ceux-là] putant nimium tribulum esse narratiunculis et fallacissimis confessionibus in tortura efîeclis… dubitant de tripudiis illis, seu conventibus sagarum : aut saltem cum Tannero rariores esse existimant, cùm plerasque phantasmatis illudi credibilius sit ». Cautio criminalis, p. 23.
  32. « Pudet me quæstionis, sed iniquitas nostrorum temporum pudorem detergit » [Caut. crim., p. 94].
  33. Caut. crim., p. 31.
  34. Ibid.
  35. Ibid., p. 125.
  36. « Verum est ut robustissimi quidam qui gravissimorum scelerum causa in tormentis pependerant, sancte mihi affirmarint nullum tantum excogitari posse crimen quod non promptissime sibi imposituri fuissent, si ejus confessione tantisper se tanto cruciatu excipere licuisset : quin imo antequam reduci se eodem paterentur potiùs in denas mortes rectis pedibus insulturos esse. Quod si inveniuntur alii, qui discerpi potius quam silentium solvere in equuleo malint, ii et rari sane hodie sunt… Atque ut magis innotescat vel tormentorum magnitudo, vel impatientia nonnullorum, hoc exemplum esto : scient confessarii qui experientiam aliquam habent, reperiri nonnullos, qui ubi falso quospiam in tormentis detulere ; post autem in pænitentiæ sacramento intelligunt non posse peccatis absolvi, nisi quod falsa accusatione in vitæ discrimen coniecere rursus eripiant ; excipere solere, id se facere non posse, quod timeant, ne si canant palinodiam, rursùm in quæstiones repetantur. Ad quod, si instet confessarius, nihilhominus non posse innocentes in culpà relinqui sub pæna damnationis ; reperiundam aliquam esse viam quà delatæ juventur, respondere non rarò, se vero quavis ratione innocentiæ eorum consulere paratos esse, sed ni aliter queant quam cum periculo redeundi in quæstionem, non posse neque velle, ne quidem si de salute sit actum. Ex quo igitur infero in hunc modum : si nonnullis ita gravis ac intolerabilis tortura est, ut damnari potiùs quàm torqueri sustineant, quis neget prudenter et cum ratione credi posse quod diximus : nimirum torturas has non leve secum trahere periculum, ne, si non serio occurratur, nocentum numerum innocentes exaggerent. Ego de me fateor, tam minime tantis pænis exhauriendis subsistere, ut si in quæstiones abriperer, non dubitarem mox ipso initio reum me cujuscumque maleficii statuere et mortem potiùs quam tantos cruciatus amplecti ». Caut. crim., pp. 125-128.
  37. Ibid., p. 129.
  38. Ibid., p. 131.
  39. Von Spee vise notamment Sprenger. Voir Malleus malelicorum, III, q. xiv, p. 513 de l’éd. de Francfort de 1580.
  40. « Nescio quid dicam, itane viros religiosos ac sacerdotes loqui posse et ludere in re tam acerba. Nam certe irreligiosa hæc mihi crudelitas videtur ; et vereri incipio, imo sæpe ante sum veritus, ne pædicti inquisitores omnem hanc Sagarum multitudinem primum in Germaniam importarint, torturis suis tam indiscretis ». Caut. crim., p. 172, Dub. XXIII, Prætext. 5.
  41. « Mihi constat enormioribus torturis multos esse mortuos, multos etiam in omnem vitam inutiles redditos, multos ita laniatos et scissos, ut, cum capite plectendi essent, non ausus fuerit lictor pro more humeros nudare, ne crudeli spectaculo populum concitaret : quosdam in ipsa adhuc ad supplicium via expediri debuisse, ne antequam pervenirent, mortui conciderent, etc. ». Ibid., Dub. XX, Ratio VIII, p. 131.
  42. Caut. crim., Dub. XXIX, Argum. IV, p. 208.
  43. Ibid., Dub. XXIX, pp. 209 et suiv.
  44. Si la torture est un moyen seur a verifier les crimes secrets. Dissertation morale et juridique par laquelle il est amplement traité des abus qui se commettent partout en l’instruction des procès criminels et particulièrement de la recherche du sortilège.
  45. Il est toutefois partisan de la tolérance : « Notre profession du Christianisme n’a pas esté exempte de ces funestes excès, lors qu’un zèle mal ménagé nous a fait armer contre nos frères rebelles pour vanger sur eux l’interest de la divinité et l’altération de son culte et de la foy que nous luy devons ». Page 50.
  46. Page 93.
  47. Page 190.
  48. Page 15.
  49. « Je confesse ingénûment que je ne croiray légitimement convaincu un homme qui aura confessé ce que la douleur luy aura fait dire » [p. 84], — « qui est l’homme ou la femme, pour rustiques et campagnards qu’ils puissent estre, qui ne sçache désormais jusqu’aux circonstances les plus menues de ce qu’on dit estre fait en ces sabats ? Il ne faut qu’avoir été assis une demi-heure sous l’orme ou sous la tille devant l’église de son village en conversation avec ses commères, au four, au moulin, aux veillées d’hyver, pour sçavoir de ces particularitez autant à peu près que Remi, Bodin, del Rio et le Maillet des sorciers nous ont appris » [p. 105].
  50. Page 163.
  51. Page 153. Rien d’étrange à cela, du reste, « car la torture est une invention du diable, suggérée à des payens et à des tyrans pour l’oppression d’une infinité de gens de bien » [p. 34]. — Nicolas s’élève aussi contre l’inefficacité des supplices. Le scélérat se flatte toujours, dit-il, de l’espérance de l’évasion ou de l’impunité. Ce qui peut empêcher un homme de commettre un délit ou un crime, ce n’est pas la gravité du châtiment, mais la certitude de le subir. « Ce qu’il faut, ce n’est pas une législation cruelle, mais une bonne police » [p. 146].
  52. Page 197.
  53. Pages 177-181.
  54. « Je suis étonné mille fois que tant de papes et de conciles qui ont aboli l’usage des purgations vulgaires, comme superstitieux et violent, n’ayent pas étendu leurs réflexions sur les tragiques effets de la torture. Ou jamais il n’y eut de hasard et d’incertitude dans les preuves par l’eau ou par le feu, ou celle de la torture les surpasse toutes… Les criminalistes même sont forcés d’avouer que la torture est une purgation vulgaire… et ceux mêmes qui l’ont introduite et la soutiennent avouent que l’innocent y court un risque évident et moralement inévitable » [p. 198].
  55. Page 41.
  56. « Outre l’acquit de leur conscience, ils leur procureront en cecy le plus grand service qu’un sujet et un officier puisse rendre à son souverain. Il s’agit de désarmer la justice divine si souvent provoquée à la vengeance des innocens opprimés par ces voyes d’erreur et de mensonge ». Pages 189-190.
  57. « La congrégation du Saint-Office de Rome nous confirme qu’elle est un remède trompeur, et qu’une infinité de femmes idiotes ont été surprises par les procédures irrégulières des juges du sortilège, et par les atrocitez abominables de la torture ». P. 217.
  58. Page 159.
  59. Ibid.
  60. Theat. pæn., 597.
  61. Cantu, Beccaria e il Diritto penale. Florence, 1862.
  62. Né à Milan le 15 mars 1738, mort dans la même ville le 28 novembre 1794.
  63. Dei Delitti e delle Pene. Milan, 1764. — Éd. Faustin-Hélie. Paris, 1870, p. 60.
  64. Pge 63.
  65. Pages 64-66.
  66. La traduction de Morellet eut sept éditions en six mois.
  67. Prague, 1765.
  68. Morellet dit dans ses Mémoires [t. I, p. 57] : « L’abolition de la question préparatoire et le projet d’adoucir les peines et les lois ont été, avant la Révolution, des effets de l’impression forte et générale qu’a faite l’ouvrage de Beccaria ».
  69. Ce moine dominicain écrivit en 1763 un libelle extraordinairement violent contre Beccaria ; il traitait celui-ci de « fanatique, imposteur, écrivain faux et dangereux, satirique effréné, séducteur du public, qui distille le fiel le plus amer, etc. ». L’irritable dominicain s’est attaché à réfuter le chapitre du Traité des délits et des peines consacré à la torture, et voici ce qu’il trouve de mieux à dire pour défendre le maintien du statu quo : « Quand un homme est sur le point d’être condamné à mort, on le met à la torture ; s’il résiste, le voilà purgé ! La torture est donc une indulgence de la loi, une voie de salut ouverte à l’accusé ». — Cantu cite aussi parmi les adversaires les plus militants de Beccaria, les juristes Roggeri, Giudici, Briganti, Renazzi. Nous ne sommes pas parvenu à nous procurer leurs ouvrages. Voir Cantu, pp. 34-51 ; 181-227.
  70. Jousse, Voyage en Italie, p. 321.
  71. Jousse, Traité de la justice criminelle en France, t. II, p. 474.
  72. Réfutation du Traité des délits et des peines. Appendice aux Lois criminelles de la France dans leur ordre naturel.
  73. Ibid., p. 814.
  74. « L’on pourroit apporter plusieurs exemples où l’expérience a fait voir pareillement l’utilité de la torture, si cette utilité ne se trouvoit pas d’ailleurs suffisamment justifiée, et par l’avantage particulier qu’y trouve l’accusé lui-même, en ce qu’on le rend par là juge dans sa propre cause, et le maître d’éviter la peine capitale attachée au crime dont il est prévenu, et par l’impossibilité où l’on a été jusqu’ici d’y suppléer par quelque autre moyen aussi efficace, et sujet à moins d’inconveniens ; et enfin par l’ancienneté et l’universalité de cet usage qui remonte aux premiers âges du monde, et qui a été adopté, comme l’on scait, par toutes les nations… Au reste, l’exemple d’une ou deux nations qu’on prétend s’être écartées en dernier lieu de ce même usage, sont des exceptions qui ne servent qu’à mieux confirmer la règle sur ce point… L’on croit pouvoir assurer avec confiance que, pour un exemple que l’on pourroit citer depuis un siècle d’un innocent qui ait cédé à la violence du tourment, l’on seroit en état d’en opposer un million d’autres, qui servent à justifier que, sans le secours de cette voie, la plupart des crimes les plus atroces, tels que l’assassinat, l’incendie et le vol de grand chemin seroient restés impunis, et par cette impunité auroient engendré des inconveniens beaucoup plus dangereux que ceux de la torture même, en rendant une infinité de citoyens les innocentes victimes des scélérats les plus subtils » [pp. 824-825]. — Nous avons quelque peu insisté sur cette opposition de Muyart de Vouglans parce que, comme nous le verrons plus loin, les écrits de ce magistral exercèrent une influence réelle sur l’opinion de nos cours de justice : on retrouve les arguments de Muyart et même parfois son texte dans les réponses de nos tribunaux au Mémoire de G. de Fierlant [Voir chap. III].
  75. Au mot Grævius.
  76. Esprit des lois, liv. VII, 17. Il ajoute : « Mais j’entends la voix de la nature qui crie contre moi ».
  77. Commentaire sur le Traité des délits et des peines, dans la Biblioth. philos. de Brissot, t. I, p. 234.
  78. Le prix de la justice et de l’humanité, art. 24.
  79. Il s’agit des causes célèbres de Langlade et de Lebrun. À cette époque, quelques erreurs judiciaires avaient fait grand bruit. Vers 1750, Antoine Pin, accusé d’avoir tué un certain Joseph Sevas, confessa son prétendu crime dans la torture en indiquant le lieu où le cadavre avait été enseveli. Le cadavre ne fut pas trouvé au lieu désigné ; mais un jugement parfaitement en règle envoya Pin à la potence. Quelque temps après, Sevas, la prétendue victime, reparut. Plusieurs autres exemples contemporains sont cités par Cantu, Beccaria e il Diritto penale, pp. 48, 49. — Seigneux de Correvon cite une erreur éclatante reconnue par le Parlement de Paris en 1767, en cause de Yves Le Flem. — Ces lamentables erreurs n’émeuvent cependant pas toujours bien profondément les juristes. En 1750, raconte l’avocat Barbier, « on a condamné, après une longue prison, un pauvre cabaretier de Charenton à la question ordinaire et extraordinaire qu’il a soufferte pour vol sur le grand chemin, dont il était innocent, suivant la déclaration du véritable voleur qui a été pris et qui a été rompu. Ce qui fait voir la délicatesse de la fonction de juge dans les affaires criminelles » [Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, t. IV, p. 446]. Cette horreur ne lui inspire pas d’accents plus émus.
  80. « Lorsque Guillaume Laud, évêque de Londres, menaça Felton, qui avait assassiné le duc de Buckingham, de le faire appliquer à la torture, s’il ne déclarait ses complices, il lui répliqua : Mylord, je ne sais ce que les tourments de la question me feront dire, mais il se pourra que je vous nommerai comme le premier de mes complices ou quelque autre membre du cabinet du roi. Ainsi vous ferez bien de m’épargner des tourments inutiles ». L’article est de Ch. de Jaucourt.
  81. Code criminel, p. 907.
  82. Discours sur l’administration de la justice criminelle, dans Brissot, Bibl. philos., t. II, p. 173.
  83. Ces académies mettaient au concours des questions comme celle-ci : Du moyen d’adoucir la rigueur des lois pénales en France sans nuire à la sûreté publique. L’Académie de Châlons-sur-Marne, qui avait posé cette question, reçut en 1780 plus de vingt mémoires, qui tous concluaient à l’abolition de la torture.
  84. Dans Brissot, t. II, p. 132.
  85. Observations sur le Traité des délits et des peines [Bibl. philos., t. I, p. 285].
  86. Essai sur l’usage, l’abus et les inconvénients de la torture, p. 15.
  87. Le prix de la justice et de l’humanité, dans Brissot, t. V, p. 94.
  88. Traité des matières criminelles, p. 426.
  89. De la législation criminelle, pp. 390-397.
  90. « Je voudrais qu’elle ne consistât qu’en une douleur vive, mais incapable de disloquer les membres ou d’altérer la santé à toujours ; qu’elle prit sa force plutôt dans ce qu’elle serait répétée plusieurs fois, que dans la violence de chaque torture. Je suis convaincu que l’homme résiste mieux à une douleur extrême mais passagère qu’à une douleur moindre, mais qu’il sait devoir durer plus longtemps, surtout lorsqu’il ignore quelle en sera la durée » [Ibid.]. — Comparer à l’Intercalartortur de Vienne, p. 87.
  91. Discours sur la justice criminelle, dans Brissot, t. VIII, p. 197.
  92. Voir le texte de cette déclaration dans Muyart de Vouglans, pp. 811-812. On lui assigne ordinairement la date du 24 août, mais l’acte officiel porte la date du 2 décembre.
  93. Réimpression du Moniteur, 1843 ; Introduction, p. 312. — Chose étrange, après cette appréciation si sévère de la torture, le roi ajoute : « Nous nous réservons, quoique à regret, de rétablir la question préalable, si, après quelques années d’expérience, les rapports de nos juges nous apprenaient qu’elle fût d’une indispensable nécessité », Ibid.
  94. L.-M. Prudhomme, Résumé des cahiers. Clergé, t. I, p. 351 ; Noblesse, t. II, p. 399 ; Tiers État, t. III, p. 575.
  95. Décret sur la réformation provisoire de la procédure criminelle.
  96. Ibid., art. XXIV. — Ce décret venait absolument à propos : un arrêt du parlement de Paris, du 11 août 1789, avait confirmé une sentence de la prévôté royale de Châteaulandon, laquelle condamnait un certain Tonnelier, accusé de tentative d’assassinat, à la question préalable et au supplice de la roue.
  97. Le décret de Catherine du 30 juillet 1767 est précédé de considérants qui semblent empruntés au Traité des délits et des peines, et qui certainement sont inspirés par l’esprit de Beccaria.
  98. Voir chap. III.
  99. On a même soutenu que la torture avait toujours été inconnue en Angleterre [Voir Allard, Hist. du dr. crim. au XVIe siècle, p. 307]. C’est une erreur. Voir le Théâtre des cruautés des hérétiques, et Jardine, Reading of the use of torture ; ce dernier, p. 73, en cite cinquante-cinq cas, entre les années 1551 et 1640.
  100. Wahlberg, Bruchstücke der Genesis der Theresiana dans Gesammelte, kleinere Schrifte, t. II, p. 120.
  101. Voir Bermann, Maria Theresia und Kaiser Joseph II, t. II, p. 847.
  102. Constitutio criminalis Theresiana, oder Maria Theresia’s peinliche Gerichtsordnung, Vienne, 1769, in-fol.
  103. Arneth, Geschichte Maria Theresia’s, t. IX, p. 199.
  104. Sonnenfels était d’origine juive, ce qui contribua à rendre l’hostilité plus âpre contre lui.
  105. Combattre la peine de mort, était s’attaquer à la religion, disaient Migazzi et Chotek, car Dieu lui-même avait dans son ancienne loi puni le meurtre de la peine capitale, et ce principe avait passé dans la législation de tous les peuples civilisés. Arneth, Gesch. Mar. Ther., t. IX, p. 200.
  106. Grundsätze der Polizei, Handlung und Finanzwissenschaft. Vienne, 1765, 3 vol. in-8o.
  107. Arneth, Gesch. Maria-Theresia’s, t. IX, pp. 209-210.
  108. De malheureux patients avaient eu un bras arraché, une jambe broyée ; d’autres avaient été réduits à une incapacité absolue de travail, et le Gouvernement leur avait accordé une pension alimentaire. Un décret de 1756 avait rendu les juges responsables en cas de pareils abus, mais la situation ne s’était guère améliorée. Voir Wahlberg, Zur Gueschichte der Aufhebung der Tortur in OEsterreich, dans Ges. kl. Schrift., t. II, p. 269.
  109. La torture intercalaire était celle qui ne s’achevait pas tout d’un trait, mais qui s’exécutait à plusieurs reprises, jour par jour, ou de deux jours l’un. Ce procédé était usité, parce que l’on craignait, en faisant une seule application continue de la question, de donner trop beau jeu aux criminels endurcis qui étaient d’une complexion robuste.

    Voici le texte de la disposition inscrite dans la Constitutio criminalis Theresiana de 1769, et abolie par le décret du 19 novembre 1773 :

    Es ist erst vorgehends geordnet worden, dass die Tortur insgemein nacheinander in einem Tage zu vollführen seye : nachdem aber sich öfter ereignet, dass einige schon bevor in anderen Uebelthaten torquirte oder von absonderlicher starker Leibesbeschaftenheit befundene Leute, am meisten aber die zum verstockten Laügnen angewöhnte Juden, oder andere in allerband Unthaten lang geübte Böswichten, wenn die Tortur nacheinander veranlasset wird, gleichsam unempfindlich, und, ohne dass man aus ihnen die Wahrheit herausbringen möge, die Peinigung überstehen, als mag bey solchen verbosten Leuten bewandten Umständen nach auf Ermessen des Obergerichts, wohin ohnedem die Torturserkanntniss als ein ausgenommener Fall zu gelangen hat, die Tortur wohl in 2. auch 3. Täge vertheilet, somit abgesönderter angeleget werden.

    [Constitutio criminalis Theresiana, p. 110, art. 38, § 13 : Tortura quandoque etiam intercalariter adhiberi potest].

  110. Voir Wahlberg, t. II, p. 270.
  111. « Ubereilten, rühmsuchtigen und unanständigen Vorgang » [Arneth, t. IX, p. 579]. L’impératrice, dans son rescrit, déclarait aussi que Sonnenfels méritait d’être censuré, non pour avoir soutenu des idées subversives, mais pour avoir initié prématurément le public à des secrets d’État. Voir Wahlderg, t. II, p. 271.
  112. Tome IV.
  113. « Si la conviction légale de l’accusé est complète, s’il ne reste aucun doute sur son crime, si la nature du délit est telle qu’il ne puisse exister sans complices, il me semble que dans le concours de toutes ces circonstances on a autant de droit que de sûreté à tourmenter un coupable qu’on ne peut amener à une confession volontaire. Je dis qu’on est en droit de le faire, parce qu’il est obligé de répondre au juge qui l’interroge. Or, dès que, nonobstant cette obligation, il s’obstine à se taire, on ne sauroit dire qu’il soit tourmenté pour le crime d’autrui, mais bien à cause de son silence, qui est un nouveau crime contre la sûreté publique, à laquelle il enlève par là tout moyen de rendre inutiles les desseins pervers de quelques scélérats inconnus… Je dis qu’il y a sûreté, parce que dans un procès bien instruit, la déposition d’un accusé ne peut être regardée que comme un simple indice, et non comme un principe de condamnation. Et que l’on ne craigne pas que ce malheureux dénonce l’innocence : toute action tend à un but quelconque ; et celui qui est appliqué à la question n’ignore pas que sa dénonciation est aussi peu capable de perdre l’innocent qu’à le sauver lui-même ; il n’ignore pas non plus qu’une déposition fausse de sa part l’expose à être tourmenté une seconde fois. Il se sert donc de l’unique moyen qu’il ait de s’épargner des douleurs ; il dit la vérité, et ne dénonce que des coupables » [Mém. sur l’abol. de la tort., dans Brissot, t. IV, p. 268].
  114. Brissot met en note : « En lisant ce chapitre, il faut convenir qu’on pourroit appliquer aux jurisconsultes ce que J.-J. Rousseau disoit des philosophes : habiles à détruire, ils ne le sont pas à bâtir ».
  115. Arneth, Gesch. Mar. Ther., t. IX, p. 212.
  116. Ibid., p. 213.
  117. « Die Tortur soll auch aufgehoben werden ; es spricht Vieles dafür und Vieles dawider ; ich hielte mich zur letzteren Partei, weil ich nun einmal die Neuerungen nicht mehr liebe » [Fournier, Historische Studien und Skizzen, 40].
  118. Elles ne sont même pas invoquées par les adversaires de la torture, comme Heemskerk et Malthaeus dont nous parlerons plus loin.
  119. Voir Debosch-Kemper, Wetboek van strafvordering, I, cxviii.
  120. Id., I, cxxiv.
  121. Id., I, cxxvi, cxxvii.
  122. Tribunal reformatum in quo sanioris et tutioris justiciæ via judici christiano in processu criminali commonstratur, rejectà et fugatà torturà, cujus iniquitatem, multiplicem fallaciam atque illicitum inter Christianos usum liberà et necessaria dissertatione aperuit Johannes Grævius Clivensis, Hambourg, 1624. Nous ne sommes pas parvenu à trouver ce livre en Belgique ni dans les bibliothèques de Hollande et d’Allemagne avec lesquelles la bibliothèque de l’Université de Liège est en relations.
  123. Commentarius ad lib. XLVII et XLVIII Digesti de criminibus. Debosch-Kempert dit : « Het werk van Matthæus, de criminibus, niet alleen in Utrecht, maar ook in de andere provincien, is van grooten invloed geweest » [Wetboek van strafvord., I, cviii].
  124. Batavische Arcadia, Amsterdam, 1647 ; rééd. 1729.
  125. De Pijnbank wedersproken en bematigt. Amsterdam ; la première édition n’est pas datée ; M. Daris croit qu’elle est de 1651 ; la deuxième est de 1736.
  126. Jonktijs rappelle aussi toute une série d’erreurs judiciaires, de supplices répétés avec des raffinements de cruauté qu’on ne peut lire sans éprouver une impression d’horreur. Il critique avec une verve impitoyable l’absurdité des procès de sorcellerie où la torture est constamment en usage. « Pourquoi, dit-il, le démon laisserait-il souffrir ses complices alors qu’il peut les sauver ? Il sait les rendre invisibles, dites-vous, pour les mener au sabbat, et il ne les rendrait pas invisibles quand ils sont sur la sellette… Si les soi-disant sorciers n’étaient pas des fous, renonceraient-ils à leur salut éternel et souffriraient-ils tous les tourments imaginables pour mener sur la terre une vie pauvre et misérable ?… Dieu ne fait plus de miracles, et le diable en ferait !… Folie ou mensonge, il n’y a pas de milieu… Aujourd’hui on ne parle plus de sorcellerie dans la république, mais tout le bois du pays accumulé en bûchers ne suffirait pas à brûler ceux qui ont été accusés autrefois… c’est la torture, et peut-être la torture uniquement, qui a fait naître la sorcellerie… qu’on applique les jésuites et les capucins à une question suffisamment rigoureuse, et on verra s’ils ne s’avouent pas sorciers » [pp. 203-220, éd. de 1736].
  127. De torturà.
  128. « Constat enim, inter medicamenta dari talia quæ si prudenter, cauté, et secundum regulas artis præscribantur, felicem producunt effectum, et gravissimos morbos sanant et expellunt : quid ergo, si illa præscribantur ab imperito medico adeó ut ; ægrotum ad tumulum deferant, an statim illa medicamenta, tanquam noxia venena, erunt damnanda, hoc certe nemo dixerit, cum produxissent speratos effectus, si medicus illa rectè præscripsisset » [p. 22].
  129. « Ideo sibi imputare débet id, cum spontanea confessione omnem ex torturà ortum dolorem vitare possit » [p. 21].
  130. Dequœstionibus sive torturà reorum.
  131. De quœstionibus.
  132. À ceux qui invoquent l’autorité et l’excellence du droit romain, il demande [p. 21] pourquoi on n’a pas conservé ce droit dans toute son intégrité, pourquoi on a abrogé le droit, pour le père de famille, de vendre ses enfants, le jus vitæ necisque, etc.
  133. Pars III, tit. VIII de instructione causarum criminalium, chap. III de examine rei et de tortura, n° 31, t. II, p. 324 de l’éd. de Louvain de 1753.
  134. Hist. du droit pénal en Brabant, t. II, p. 473.