La Troisième République française et ce qu’elle vaut/39

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CHAPITRE XXXIX.

Et, cependant, alors, comme la Révolution se montrait encore débile en comparaison de ce qu’elle est de nos jours ! Mais l’esprit d’indiscipline était déjà tout puissant et difficilement eût-on pu le transformer en attachement personnel, je ne dirai pas même dynastique. Ces générations commençaient à naître qui sont bien convaincues que mal passé n’est que songe. On ne voyait peut-être pas encore des gens ne croyant pas à ce qui s’était passé sous la Convention ; mais il s’en trouvait déjà qui considéraient ce qu’on en pouvait dire comme fort exagéré. Sous la Restauration on se perfectionna ; les conspirations avortées furent déclarées n’avoir jamais existé que dans les manœuvres de la police ; les Bonapartistes se trouvèrent soudain les meilleurs amis des libéraux ; les uns comme les autres professaient les mêmes principes, grâce à l’échange d’idées le plus fraternel : toi, Bonapartiste, tu vas découvrir que tu aimes la liberté et moi, libéral, je serai pris de la plus noble passion pour la guerre et ses lauriers et tous les deux nous serons les amants jaloux et exclusifs de la Charte !

Sous Louis-Philippe, après les histoires de Saint Merry, de la rue Tournonaise et tant d’autres affaires du même genre, les gens d’esprit professèrent combien il était ridicule de croire aux révolutions et d’effrayer les enfants de tels croquemitaines, ce qui mena doucement à la révolution de février et aux massacres de juin.

On en était à peine sorti que le bourgeois de Paris recommença sur les instigations des personnes bien informées à se moquer de plus belle et du fond de son cœur du spectre rouge, jusqu’au moment où vint la Commune et, maintenant, de quoi, en bonne conscience, pourriez-vous avoir peur, quand on vous dit qu’on se sent si fort désormais qu’étant bien maître de la légalité et de lui donner la portée que l’on voudra, il y aurait véritablement abus et niaiserie à vous accabler encore d’algarades ?

Je ne sais ce qu’on va faire, mais ce qui est assuré c’est que le général qui délivrera la France de ce qu’on fera, n’aura pas été plus tôt acclamé, porté au faîte du pouvoir absolu et encouragé à tout faire, que la population entière, moins son entourage immédiat ou médiat, va s’entendre à merveille sur ce point qu’il est une superfétation et que ce qui pourrait arriver de plus heureux serait d’en être débarrassé.

Il n’existe pas l’ombre d’un motif pour que les choses se passent autrement. Aucun parti n’aura abdiqué, aucun n’aura désarmé, aucun ne se sera attendri. Les craintes en se calmant auront disparu et beaucoup de fuyards tiendront à prouver qu’ils n’ont jamais eu peur. Quant aux gens fatigués, ils auront dormi et, partant, ne seront plus fatigués. Tout au contraire, ce qu’ils craindront, ce sera de s’ennuyer.

Si le général voulant se soutenir, a recours à l’élément civil, à la force administrative, il sera servi par l’un et par l’autre tout comme ses prédécesseurs l’ont été, c’est-à-dire, mené à grandes guides vers sa fin. Se veut-il, au contraire, contenter de sabres, de fusils et d’engins de destruction, il lui faut alors maintenir l’armée en bonne humeur et toute armée, pour se montrer telle, veut de l’avancement et quelque chose qui brille. Dans l’état actuel de l’Europe, que dira-t-on en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Russie, voire en Angleterre ? Si le souverain se déclare disposé à vivre en paix perpétuelle avec tout ce monde, la nation lui déclarera en chœur et avec indignation que son armée n’est qu’une gendarmerie, il sera odieux, de plus ridicule ; et ses soutiens ne voudront pas longtemps partager de tels bénéfices. Alors, viendront les conspirations militaires.

Il est difficile de considérer comment le potentat se tiendrait debout. Je ne parle pas des mérites ou des démérites de son gouvernement. Je veux le croire le meilleur du monde ; cela ne fait absolument rien à l’affaire devant la réprobation chronique dont il restera frappé par les républicains, les royalistes, les impérialistes et les libéraux. Ceux qui resteraient assez libres de prévention pour avouer in petto ses bienfaits constituent cette classe de tempéraments désossés dont aucun pouvoir n’a rien à attendre. La conclusion est donc que si un général peut très aisément se faire mettre sur le parvis par son armée, il en tombera tout aussi vite ; le tumulte se commencera plus ou moins pareil ; un même moyen en viendra à bout. Ce jeu peut durer longtemps, mais ne saurait produire aucun résultat définitif, si ce n’est d’ajouter à la liste déjà si longue des factions déjà contendantes la série plus ou moins nombreuse des favoris déchus produits de ces régimes éphémères.