La Vie amoureuse de Diderot/2

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Flammarion (p. 27-44).


II

MADAME DE PUISIEUX


Diderot connut-il Mme de Puisieux pendant le premier voyage de sa femme à Langres ? Les Mémoires de Mme de Vandeul l’affirment. Certains historiographes le nient. C’est encore un mystère. Nous en verrons bien d’autres. N’est-ce point stupéfiant, de rencontrer tant de points obscurs dans l’existence d’un homme qui fut célèbre de son vivant, d’un homme dont cent cinquante ans à peine nous séparent, d’un homme à qui l’on a précisément reproché de trop se raconter dans ses livres, de trop se mettre en scène ? Quand on suit l’existence de Diderot, on a l’impression de cheminer sur une de ces routes de montagnes qui bordent un torrent tumultueux et qui, parfois, passent en tunnel. Par moments, on avance dans la nuit. Mais on ne cesse pas pour cela d’entendre le tumulte du torrent.

D’ailleurs, Mme de Vandeul n’était pas née lors du premier voyage à Langres, ni lors de la rencontre avec Mme de Puisieux. Elle n’a pu connaître ces deux événements que par les confidences de ses parents. Peut-être a-t-elle obéi à leur suggestion ou même au simple instinct filial, en situant la première infidélité du mari dans la première absence de la femme. Du même coup, elle atténuait la faute de son père et elle ménageait l’amour-propre de sa mère.

Renonçons donc à savoir si ces deux événements coïncident et retenons seulement l’essentiel de l’un et de l’autre. L’histoire du premier voyage à Langres a ceci d’aimable qu’elle nous montre un Didier Diderot dont la rigueur fléchit, dont l’humeur s’humanise.

Il a reçu de ses amis parisiens les plus fâcheux rapports sur son fils. Comme le mariage de Denis est resté secret, les apparences lui sont contraires et les méchants ont beau jeu : il vit avec deux femmes ; il a des bâtards. La naissance, les mœurs, le caractère de Nanette ne sont point épargnés. Mais cette fois, le maître coutelier ne se roidit pas d’indignation. Il se penche. Il veut savoir. Il écrit à son fils. Voyons, oui ou non, est-il marié ? Oui ou non a-t-il des enfants ? S’il en a, qu’il les fasse voir, ces petits, que diable ! Le geste n’est-il pas charmant ?

Sa dure enveloppe cachait un cœur tendre. Certains traits de sa vie l’avaient déjà décelé. Ainsi, lorsque Denis était entré chez les Jésuites de Paris, son père ne s’était pas borné à l’accompagner. Il était resté toute une quinzaine dans une auberge où il périssait d’ennui, simplement pour s’assurer que son fils s’accommodait de sa nouvelle vie et pour pouvoir le remmener dans le cas contraire.

Écoutez le ton de sa lettre à ce fils dont on lui dénonçait les désordres : « Je vous préviens que vous ne recevrez jamais de preuves de mes bonnes grâces que vous ne m’ayez marqué au vrai et sans équivoque si vous êtes marié comme on l’a écrit de Paris et que vous avez deux enfants. Si ce mariage est légitime et que la chose soit, j’en suis content ; je compte que vous ne refuserez pas à votre sœur le plaisir d’élever ces enfants et à moi celui de les voir. »

Denis Diderot jugea que, pour se justifier près des siens, il n’aurait pas de meilleur avocat que Nanette elle-même. Il les prévint qu’il la mettait dans le coche.

À Langres, Denise, la sœur de Denis, attendait la jeune femme au saut de la voiture. Gaie, pieuse, active et résolue, elle était restée fille pour se vouer au foyer paternel. Elle adorait son frère Denis, son compagnon d’enfance, qui le lui rendait bien. Par attachement pour lui, elle fit grand accueil à sa belle-sœur. Toutefois, la première soirée fut glacée, au logis familial, dans la petite maison de la Place Chambeau.

Mais Denis Diderot avait vu juste. Dès le lendemain, la figure de Nanette, sa piété, son sens filial, et plus encore peut-être, ses vertus ménagères, dissipèrent toutes les préventions et gagnèrent tous les cœurs. Elle devait passer quelques jours à Langres : elle n’en partit qu’au bout de trois mois, comblée de présents. Et Didier Diderot rétablit la pension dont il avait privé l’enfant prodigue.

Quand Diderot rencontra Mme de Puisieux, elle avait de vingt-cinq à trente ans. Déjà, au dix-huitième siècle, il était difficile de connaître exactement l’âge d’une jolie femme. Son mari était avocat au Parlement. Dans un de ses livres, intitulé Conseils à une amie, elle confesse que « devant la tentation d’une berline bien dorée, d’une belle livrée, de beaux diamants, de jolis chevaux, elle aurait épousé l’homme le moins aimable pour avoir la berline, les diamants, mettre du rouge et des mules. » Peut-être a-t-elle épousé M. de Puisieux pour ces raisons-là.

Elle avait de petits talents. Elle dessinait, elle jouait du clavecin. Mais c’était surtout une mondaine de lettres, une de ces femmes qui aiment s’entourer d’écrivains avec l’arrière-pensée d’écrire à leur tour. À force de se frotter à eux, elles se sentent grosses de quelques livres. « Après tout, disent-elles, pourquoi pas moi ? » Cette espèce est de tous les siècles.

Lorsqu’une de ces Égéries intéressées décide de séduire un auteur dont elle a discerné le talent, elle est sûre d’y parvenir. Comment voulez-vous qu’il lui échappe ? Ils combattent avec des armes trop inégales. Elle a les mêmes dons que lui : les prestiges de l’esprit et de la parole. Et elle a de plus ses dons à elle, tous ses attraits féminins, sa coquetterie, et la supériorité mondaine.

Il est certain que Mme de Puisieux a joué ce rôle actif et prépondérant, qu’elle a recherché, investi et séduit Diderot. Lui-même le marquera dans ses propos, lorsque l’orage grondera entre eux, à ce moment mélancolique où les amants désunis se disent ce qu’ils ont sur le cœur et non plus ce qu’ils ont dans le cœur. « Prenez-y garde, vous vous défigurez dans mon cœur ; il y a là une image à laquelle vous ne ressemblez plus ; vous n’êtes plus celle qui m’engageait malgré moi, je cesserai d’être ce que je suis. »

Ces sortes de femmes sont utiles en ce sens qu’elles contraignent un écrivain nonchalant à se réaliser, à sortir une œuvre. Sans elles, son talent se serait peut-être émietté en petits articles, évaporé en causeries d’estaminet.

Mais elles sont déplorables quand elles se mêlent d’écrire. Car alors elles appellent leur grand homme à l’aide. Il lit. Il demeure atterré : la forme, le fond, tout serait à reprendre. Et alors, de deux choses l’une : ou bien le malheureux perd un temps démesuré à cette tâche surhumaine ; ou bien, découragé d’avance, il se borne à quelques retouches dont la dame ne lui sait pas suffisamment gré.

Diderot révisa donc les livres de Mme de Puisieux. « Elle écrivit, nous dit un bibliophile, le marquis de Paulmy, des romans et de petits traités de morale qui furent au moins passables tant qu’elle resta l’amie de Diderot. »

Elle-même fait allusion à l’aide de Diderot dans son livre Les Caractères, où l’empreinte de l’écrivain apparaît, en effet, dans des traits malheureusement isolés. Mais comme elle publia ce volume après sa rupture avec Diderot, elle crut devoir, tout en se targuant de son appui, le tourner en dérision. C’était sa façon de l’en remercier : « Monsieur D… me menace de me priver de ses conseils ; je ne sais quelle est sa bizarrerie, car je les écoute avec toute l’attention qu’ils méritent et, pourvu que je n’efface point, je suis toujours de son avis. »

Quand Mme de Puisieux volait de ses propres ailes, elle volait très bas. Ses vers étaient particulièrement médiocres. Un moment, le bruit courut qu’elle serait embastillée pour avoir écrit un libelle intitulé Le Pater. Elle se défendit d’en être l’auteur, dans un poème aussi humble d’esprit que de forme :

Jamais d’une coupable audace
À ma Muse je n’ai permis
Contre des personnes en place
De décocher des traits hardis.

Mais ne nous attardons pas davantage aux œuvres de Mme de Puisieux. Arrivons à celles que Diderot écrivit sous son influence. À la vérité, elle ne le poussait pas au travail uniquement pour qu’il affirmât son talent dans des ouvrages durables. Elle prenait à l’entreprise un intérêt plus étroit. La gloire était pour lui, les droits étaient pour elle.

Mme de Vandeul, dans ses Mémoires, le raconte bien ingénument : « Mme de Puisieux était pauvre ; elle demanda de l’argent à mon père ; il publia l’Essai sur le Mérite et la Vertu, vendit cet ouvrage cinquante louis et les lui porta. »

Ce n’était encore qu’une traduction libre d’un philosophe anglais. Mais Mme de Puisieux lui donna très vite l’occasion d’écrire un premier ouvrage vraiment original. En effet, « bientôt elle lui demanda une nouvelle somme ; il publia Les Pensées philosophiques, les vendit cinquante louis et les lui porta. »

Cet ouvrage fut écrit en trois jours, du Vendredi-Saint au dimanche de Pâques. Bien que l’athéisme n’y parût point encore, il fut condamné au feu par le Parlement, en juillet 1746.

Peu après, Diderot eut l’imprudence de prétendre, devant Mme de Puisieux, que les légers romans de Crébillon, alors en pleine vogue, étaient faciles à imiter. Il suffisait, disait-il, de développer en libertinage une idée plaisante. Son amie le défia de produire un ouvrage de ce genre. Quinze jours plus tard, nous dit Mme de Vandeul, « il lui porta Les Bijoux indiscrets et cinquante louis ».

Diderot a souvent déploré d’avoir écrit Les Bijoux indiscrets. « Ce sont des intempérances de l’esprit qui lui ont échappé », écrira-t-il au lieutenant de police Berryer. À la fin de sa vie, il assurait à son ami Naigeon « que s’il était possible de réparer cette faute par la perte d’un doigt, il ne balancerait pas d’en faire le sacrifice ». Mais il avait l’âme excessive.

N’avait-il pas d’illustres prédécesseurs, qui avaient dû voiler aussi la satire sous le libertinage ? Il l’indique lui-même, dans un autre mea culpa, dans la dédicace à Mme de Prémontval d’austères Mémoires de mathématiques. « Je n’opposerai pas à vos reproches l’exemple de Rabelais, de Montaigne, de Swift, et de quelques autres que je pourrais nommer, qui ont attaqué, de la manière la plus cynique, les ridicules de leur temps et conservé le titre de sages… Sans perdre le temps en apologie, j’abandonne la marotte et les grelots, pour ne les reprendre jamais. »

Ayons donc plus d’indulgence pour lui que lui-même. N’était-il pas dans le ton de l’époque ? Les femmes ne lui pardonneront-elles pas d’avoir donné le nom de bijou à l’endroit le plus précieux d’elles-mêmes ? N’est-ce pas une idée charmante de lui avoir, sous la robe, prêté la parole ? Le plus grand reproche que doive encourir cet ouvrage, c’est d’être traité à la façon des contes orientaux et d’en présenter les longueurs.

L’année suivante, nous apprend encore la fille de Diderot, « de nouveaux besoins de Mme de Puisieux l’engageaient à publier la Lettre sur les aveugles ». Mais cette fois, comme on va voir, l’aventure tourna mal pour la dame et pour lui-même.

Il faut dire que, depuis quelque temps déjà, il était guetté, surveillé. Deux ans plus tôt, Pierre Hardy, le curé de Saint-Médard, sa paroisse, l’avait dénoncé au lieutenant de police comme « bel esprit et trophée d’impiété ». À la même époque, un exempt adressait à ce magistrat un rapport contre « ce misérable Diderot, homme très dangereux qui parle des saints mystères de notre religion avec mépris ». L’un et l’autre ajoutaient que Diderot achevait des ouvrages encore plus pernicieux que ceux dont il était déjà l’auteur.

Or, le bon Diderot, qui s’intéressait au sort des aveugles, fut invité à voir, chez M. de Réaumur, un aveugle-né, récemment opéré de la cataracte et dont on allait lever le bandeau. Les premières impressions d’un homme qui découvre l’univers ne manqueraient pas d’être curieuses. Mais dès que le sujet commença de parler, Diderot s’aperçut qu’il ne voyait pas pour la première fois. En effet, on avait offert la primeur de l’expérience à Mme Dupré de Saint-Maur, grande amie du Ministre de la Guerre, le comte d’Argenson.

Diderot, fort déçu, sortit en déclarant qu’on avait mieux aimé comme témoins de beaux yeux sans conséquence que des yeux dignes de juger. Et il tint à le répéter, noir sur blanc, dès les premières lignes de sa fameuse Lettre sur les Aveugles, qu’il publia peu après.

Mme Dupré de Saint-Maur avait des prétentions à la science. Elle s’offensa d’un propos plus flatteur pour la beauté de ses yeux que pour l’autorité de son jugement. Elle s’en plaignit à son ami le ministre.

Et, le 24 juillet 1749, au matin, un commissaire et trois argousins, après avoir minutieusement fouillé les papiers de Diderot, le conduisirent au donjon de Vincennes.

Mme Diderot ne connut l’arrestation que par surprise. Dans une chambre voisine, elle habillait son petit garçon. Afin de ne pas l’inquiéter, Diderot lui dit qu’il se rendait chez son éditeur. Par hasard, elle se pencha à la fenêtre. Elle vit trois hommes jeter son mari dans un fiacre et repousser un apprenti qui voulait lui tendre une épreuve d’imprimerie.

Diderot expiait-il uniquement le crime d’avoir déplu à Mme Dupré de Saint-Maur ? Nullement. Rien n’est simple. Les multiples raisons de son arrestation apparaissent à la lecture de son interrogatoire par le lieutenant de police Berryer, au donjon de Vincennes.

Certes, en le jetant en prison, on fait plaisir à une jolie femme. Et c’est une occasion qu’un ministre ne laisse guère échapper. Mais surtout on met la main sur l’homme qu’on surveille depuis deux ans, l’homme qui scandalise et qui inquiète.

Berryer, dans cet interrogatoire, demande à Diderot s’il se reconnaît l’auteur des Bijoux indiscrets, des Pensées Philosophiques, de la Lettre sur les Aveugles. On poursuit donc bien en lui l’audacieux et le libertin, l’homme qui scandalise.

Mais c’est aussi l’homme qui inquiète. Car Berryer lui demande également s’il n’a pas composé des livres appelés La Promenade du Sceptique et L’Oiseau blanc, conte bleu. Ces ouvrages n’ont pas encore paru. Mais le bruit court qu’ils contiennent des allusions au Roi, à Mme de Pompadour. Il faut donc les saisir, les étouffer au nid, les empêcher de prendre leur vol.

Et ce sont encore ces deux ouvrages que Berryer presse Mme Diderot de lui livrer, afin, dit-il, de hâter la libération du prisonnier. Car, dès l’arrestation de son mari, elle a couru chez le lieutenant de police.

J’ajoute que Berryer ne put rien tirer d’elle. Il s’aperçut très vite que Mme Diderot était une ménagère modèle, mais qu’elle ignorait tout des travaux de son mari. Ainsi, comme il lui parlait, par erreur, non pas de l’Oiseau blanc, mais du Pigeon blanc, elle lui déclara qu’elle ne connaissait à la maison ni pigeon blanc ni pigeon noir. Il la congédia en lui promettant qu’elle aurait bientôt la permission de voir son mari.

Cette permission tarda, bien que Diderot l’eût sollicitée de son côté dans une lettre au ministre d’Argenson. « J’ai laissé à la maison une femme désolée, un enfant au berceau. Ils ne subsistent que par moi, je leur manque. Que vont-ils devenir ? Permettez à cette femme de descendre dans ma prison. » Mme Diderot ne fut autorisée à voir son mari qu’au vingt-huitième jour de sa captivité.

Pendant le mois où il resta au secret, Diderot, pour tromper l’ennui, résolut d’écrire. Il n’avait pas de papier. Mais on lui avait laissé un volume du Paradis perdu, de Milton. Il couvrit les interlignes et les blancs de réflexions que lui inspiraient le poème et sa propre situation. Quant à la plume et l’encre, il les avait fabriquées lui-même. Et comme il pensait toujours aux autres, il voulut léguer sa recette à ses successeurs. Il inscrivit au-dessus de la porte : « On fait de l’encre avec de l’ardoise réduite en poudre très fine et du vin, et une plume avec un cure-dent. » Plus tard, on lui donna des cahiers, où il nota surtout ses observations sur l’Histoire naturelle de Buffon.

Au bout d’un mois, la discipline se détendit. Le prisonnier fut transféré du Donjon au Château. Le gouverneur, le marquis du Châtelet, le traita dignement, lui offrit sa table, l’autorisa à recevoir des visites et même à se promener dans le parc.

Mais ce n’était tout de même pas la liberté. Au moment de l’arrestation de Diderot, le premier volume de l’Encyclopédie était prêt à paraître. J’aurai l’occasion de revenir sur cette entreprise formidable, qui fait corps, pour ainsi dire, avec le philosophe, puisqu’il l’anima de son souffle pendant près de trente ans. Comme il n’y pouvait guère travailler en prison, le sort de l’ouvrage risquait d’être compromis. Diderot s’adressa de nouveau au comte d’Argenson qui avait précisément accepté, quelques années plus tôt, la dédicace de l’Encyclopédie. Il observa « qu’il était l’éditeur de l’Encyclopédie, ouvrage de longue baleine, qui comporte des détails infinis auxquels il ne peut vaquer ». Les libraires qui devaient le publier appuyèrent de deux requêtes, très curieusement motivées, la demande de Diderot. Il fut libéré le 3 novembre 1749. Il avait été retenu à Vincennes pendant cent jours.

Pendant ces cent jours, de Puisieux lui avait plusieurs fois rendu visite. C’était bien le moins. N’expiait-il pas, en particulier, la Lettre sur les Aveugles, qu’il avait écrite dans l’intérêt de sa maîtresse ? Elle aurait même pu pousser plus loin la reconnaissance et s’abstenir, par exemple, de nouer une nouvelle intrigue amoureuse pendant qu’il était en prison. Mais la délicatesse n’était pas son fort. Elle coquetait avec un robin. Et Diderot ne l’ignorait pas. Ce sont les gens enfermés qui savent le mieux ce qui se passe dehors.

Un jour qu’elle arrivait en grande parure, il lui demanda la raison de ces atours et de ces apprêts. Elle répondit qu’elle devait assister à une fête à Champigny. Il insinua que le robin pourrait bien être de la partie. Indignée, elle jura sur l’honneur qu’il ne l’accompagnait pas. Diderot ne fut pas convaincu par ce serment.

Sa liaison avec Mme de Puisieux s’était fort relâchée. Bon gré mal gré, il s’était aperçu que la dame appréciait plus ses talents que sa personne. La jalousie n’aurait pas dû le tourmenter à l’extrême. Mais cet homme ne savait pas s’arrêter à mi-côte d’un sentiment : il lui fallait toujours atteindre le sommet. Aussi résolut-il de connaître la vérité, impatient de la découvrir, il ne tenait pas en place. La nuit le surprit dans le parc où il se démenait. Alors, à trente-six ans, il eut un geste d’écolier : il sauta le mur.

Il courut à Champigny, vit naturellement sa maîtresse au bras de son rival, repassa le mur et, pour ne pas éveiller l’attention de ses gardiens, acheva la nuit dans le parc. Il avoua d’ailleurs son équipée, dès le lendemain matin, au gouverneur, le marquis du Châtelet. Mais cette aventure et cette veillée achevèrent de le refroidir quant à la dame de lettres. Ainsi perdit-elle en lui un guide précieux en tous points. Lorsqu’il sortit de prison, Diderot était également délivré de Mme de Puisieux. Il avait recouvré toute sa liberté.