La Vie nouvelle/Chapitre XV
CHAPITRE XV
Après cette nouvelle transfiguration, il me vint une pensée opiniâtre, qui ne me quittait guère, mais me reprenait continuellement et me disait : puisque tu prends un aspect si lamentable quand tu es proche de cette femme, pourquoi cherches-tu à la voir ? Si elle te le demandait, qu’aurais-tu à lui répondre, mettant que tu aurais l’esprit assez libre pour le faire ?
Et une autre pensée répondait humblement : si je ne perdais pas toutes mes facultés et que j’eusse assez de liberté pour lui répondre, je lui dirais : aussitôt que je m’imagine sa merveilleuse beauté, il me vient un désir de la voir d’une telle puissance qu’il détruit, qu’il tue dans ma mémoire, tout ce qui pourrait s’élever contre lui, et les souffrances passées ne sauraient retenir mon désir de chercher à la voir.
Alors, cédant à ces pensées, je songeai à lui adresser certaines paroles dans lesquelles, en m’excusant près d’elle des reproches que j’avais pu lui adresser[1], je lui ferais connaître ce qu’il advient de moi quand je l’approche.
Tout ce que j’ai dans mon esprit expire[2] |
- ↑ Il paraît que Dante s’était plaint hautement, soit en paroles soit autrement, du rire moqueur de Béatrice. Mais il ne s’est pas expliqué davantage sur ce sujet.
- ↑ Ciò che m’incontra nella mente, more…
- ↑ Ici le cœur est pris pour la personne. Allusion à la scène de la page 54.
- ↑ Commentaire du ch. XV.