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La Vie nouvelle/Commentaires/Chapitre XXIV

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La Vita Nuova (La Vie nouvelle) (1292)
Traduction par Maxime Durand-Fardel.
Fasquelle (p. 177-179).


CHAPITRE XXIV


Io mi sentii svegliar dentro allo core

Ce sonnet a plusieurs parties.

La première dit comment je sentis s’éveiller en moi le tremblement bien connu de mon cœur, et comment il me sembla que l’amour venait à m’apparaître de loin tout joyeux. La deuxième dit comment il me sembla que l’amour parlait dans mon cœur et ce qu’il me semblait dire. La troisième dit comment, après qu’il fut resté ainsi avec moi un peu de temps, je vis et j’entendis certaines choses.

La deuxième partie commence à : et il disait… la troisième commence à : et comme mon Seigneur…

Cette troisième partie se divise en deux : dans la première, je dis ce que j’ai vu ; et dans la deuxième, ce que j’ai entendu. Et elle commence à : l’amour me dit…


Ceci nous fait assister à la réconciliation de Dante avec Béatrice. Il a plu au Poète de donner à ce récit une forme presque sibylline, sans doute à cause du caractère solennel qu’il lui attribuait. Il paraîtra peut-être difficile d’en saisir au premier abord la signification : voici l’interprétation qui peut en être donnée.

Guido Cavalcanti « le premier des amis de Dante », avait aussi une amie, qui se nommait Giovanna. Dante la vit donc s’approcher de lui, et derrière elle marchait Béatrice. Voilà tout ce que contient le récit. Cette Giovanna, qui était connue sous le nom de Primavera qu’on lui avait donné sans doute à cause de son genre de beauté, il traduit son nom de Primavera par celui de Prima verrà (celle qui viendra la première). Et il trouve en outre que le nom de Giovanna lui convient parce qu’il lui vient de celui de Giovanni (saint Jean), qui avait annoncé la vraie lumière (Vox clamantis…).

Ici la vraie lumière, c’est Béatrice. Et c’est Giovanna qui la précède et l’annonce, s’étant sans doute chargée de ramener Béatrice à Dante, et de mettre fin à la brouille qui les séparait.

Tout ceci est bien alambiqué et typique de l’époque, ainsi que cette intrusion d’allusions sacrées au simple fait du rapprochement de deux amans brouillés par suite d’un malentendu. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes au XIIIe siècle.


Voici encore un sonnet, compris dans les rime spettanti alla Vita nuova, qui se rapporte à ce même incident, et dont les termes mêmes ne permettent aucun doute sur son authenticité[1].

J’ai vu une gracieuse compagnie de femmes,
C’était le jour de la Toussaint passée.
Et l’une d’elles venait presque la première,
Menant avec elle l’amour à sa droite.
Ses yeux jetaient une lumière
Qui semblait un esprit enflammé :
Et ayant eu la hardiesse de regarder son visage,
J’y vis la figure d’un ange.
Cette douce et sainte créature
Saluait de ses yeux
Ceux qui en étaient dignes.
Et le cœur de chacun s’imprégnait de sa vertu.
Je crois que c’est dans le ciel qu’est née cette merveille,
Et qu’elle est venue sur la terre pour notre salut.
Heureuses donc celles qui l’accompagnent.



  1. Di donne io vidi una gentil Schiera… (Altre rime spettanti alla Vita nuova.)