La Vocation/Deuxième partie/VI

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Paul Ollendorff (p. 103-106).
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VI


Mme  Daneele raconta à Mme  Cadzand la scène de la tristesse de Wilhelmine. Touchante conspiration des deux mères pour un même but qui devait guérir leurs deux enfants malades. À la vérité, leur mal, qui semblait si différent, était pareil. L’un était en peine de la foi ; l’autre, en peine de l’amour. Mais la foi et l’amour, ne sont-ce pas les deux visages de l’Infini ? Tous deux souffraient à la fois d’une solitude et d’une plénitude, d’un besoin de s’augmenter et de s’échanger. Nous n’avons qu’un cœur pour toutes nos amours : Hans sans doute priait Dieu avec des paroles de tendresse ; Wilhelmine aimait Hans avec des élans d’adoration.

Aussi le remède était le même ; il fallait les guérir l’un par l’autre ; mais comment les en persuader ? Les deux mères étaient bien indécises et presque anxieuses, elles qui attendaient aussi ce grand événement des noces espérées, pour se sentir mieux unies, après tant d’années d’une sûre affection, comme de la même famille enfin… Il leur semblait que, le jour du mariage, elles deviendraient sœurs.

Mme  Daneele conseilla à sa vieille amie d’en parler à Hans, de louvoyer, de chercher à savoir… Mais celle-ci hésita sur la tactique. Il ne fallait pas que son fils se doutât d’un projet, d’un plan suivi. Il se laisserait d’autant moins émouvoir qu’elle aurait l’air de l’influencer, d’empiéter sur son avenir, de remettre en jeu cette question de sa vocation qui était réglée entre eux. Sans doute que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. Il est préférable qu’elles suivent leur pente. Les jeunes cœurs se comprennent mieux entre eux, à demi-mot. Tel jour, à cause d’une nuance de l’heure ou d’une nuance de sa voix, Wilhelmine fera plus avec une seule parole qu’elles ne pourraient le faire toutes les deux avec de longs discours et des stratégies.

Ainsi pensa Mme  Cadzand, et qu’il fallait tout attendre d’elle, de sa grâce, du fluide de l’amour contagieux. C’est que, au fond d’elle-même et sans l’avouer à son amie, elle n’espérait plus qu’en un miracle. Elle avait épié son fils ; elle voyait bien sa piété intacte, sa vie déjà monastique, et qu’il s’était résigné avec peine, ne différait son projet que par affection filiale et pour accomplir sa promesse. Mais il continuait à être dans le monde comme en exil, usant ses jours monotones, les occupant à quelques recherches et à des travaux sans ardeur, tout tourné vers Dieu, et ne laissant apparaître un peu de contentement sur son mélancolique visage que lorsqu’ils allaient à l’église, que l’orgue vibrait, que les offices se déroulaient. Le reste du temps, il semblait dans l’attente.

Quant à Wilhelmine, il en éprouvait plutôt une impression d’inquiétude, de malaise, comme d’une personne trop profane, surtout depuis le soir où elle était venue en toilette de bal.

Mme  Cadzand se rendait compte de tout cela ; mais elle espérait quand même. Est-ce qu’on ne continue pas jusqu’au bout à espérer ce qu’on désire ?