La cuisine des pauvres/Rapport fait à la Faculté de Médecine de Paris

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Claude-Marc-Antoine Varenne de Beost
La cuisine des pauvres,

ou Collection des meilleurs mémoires qui ont paru depuis peu , soit pour remédier aux accidens imprévus de la disette des grains, soit pour indiquer des moyens aux personnes peu aisées de vivre à bon marché dans tous les tems.

Rapport fait à la Faculté de Médecine de Paris,
ſur l’usage des Pommes de terre



RAPPORT


Fait à la Faculté de Médecine de Paris, fur l’usage des Pommes de terre.


Les Pommes de terre inconnues en Europe, avant la découverte du nouveau Monde où elles viennent naturellement, y ont été tranſportées il y a environ deux ſiecles. Cultivées depuis ce temps pour la nourriture des hommes & des beſtiaux, elles ſont devenues ſi communes, qu'il n'y a presque point de Province où l’on n'en trouve, où ces racines tubéreuſes ne ſoient regardées comme une reſſource utile en tout temps, & néceſſaire dans les cas de diſette. Excités par l’amour du bien public, tous les Auteurs qui ont parlé de cet aliment, ont cherché, par les éloges qu'ils en ont fait, à intéreſſer les Cultivateurs, & même attirer l’attention du Gouvernement pour un objet qu'ils regardent comme ſingulièrement important. La facilité à élever cette plante, qui ſuivant eux, ne demande que peu de ſoins, & croît abondamment dans les terreins qui reſtent la plupart incultes ; la bonté de la nourriture qu'elle peut fournir à peu de frais aux hommes qui les mangent avec plaiſir, lorsqu'ils y ſont accoutumés ; l’utilité dont elles ſont pour élever & engraiſſer la plupart des beſtiaux; l’excellence & l’abondance du lait que fourniſſent les Vaches à qui on en donne, ſont les motifs qu ils expoſent à l’envi, pour faire connoître combien il eſt avantageux de cultiver une plante d'une utilité ſi étendue.

Ces éloges ne ſont pas ſeulement dans les ouvrages de ceux qui ont écrit sur l’uſage & la culture des Pommes de terre : ſi l’on interroge les Habitans de différentes Provinces où ces racines ſont abondantes, il n'en eſt point qui n'en parle comme, d'un aliment aussi utile qu'agréable. Tout le monde ſait avec quel plaiſir & quelle avidité les enfans en mangent pour ainsi dire ſans apprêt ; & ce goût, lorsqu'ils l’ont une fois contracté, subſiſte juſque dans l’âge avancé, quoique l’on voie preſque tous, les autres ſe perdre avec le temps.

Tant d'éloges donnés unanimement aux Pommes de terre,, & même prodigués par tous les Écrivains : les champs immenſes, dans preſque tous les Pays de l’Europe, couverts de cette plante ; l’expérience que fournit cette multitude d'hommes qui en font un uſage journalier, auraient dû mettre ces racines à l’abri d'être ſoupçonnées de pouvoir jamais être nuiſibles : cependant un Auteur anonyme expoſe dans une Lettre qu'il adreſſe aux Médecins, & qu'il a fait inſérer dans la cinquième des Feuilles hebdomadaires qui s'impriment à Rouen, & qui eſt datée du premier Février 1771, qu'il a lieu de douter que cet aliment si préconiſé, ſoit auſſi ſalutaire qu'on veut le faire croire : les raiſons qu'il rapporte, ont paru avec juſtice à Mr. le Contrôleur Général, mériter que vous fuſſiez conſultés, Meſſieurs, pour ſavoir ſi les doutes de cet Auteur ſont fondés, & s'il y a en effet quelque danger à craindre pour ceux qui font uſage des Pommes de terre.

Chargés de vous donner les éclairciſſemens néceſſaires pour répondre à Mr. le Contrôleur Général, nous avons aiſément reconnu que cette réponſe exigerait un travail & des recherches beaucoup plus étendues que celles que nous avons faites : mais le temps qu'elles nous auraient pris, aurait trop retardé la réponſe que vous lui devez ; nous avons donc penſé qu'il ſuffirait de ſatiſfaire plus ſuccinctement à ſes demandes, en lui offrant néanmoins d'examiner par la ſuite, & de diſcuter avec plus de ſoin ? la queſtion, s'il le jugeoit à propos, Ce qui a commencé à faire naître les ſoupçons de l’Auteur de la Lettre ſur l’uſage des Pommes de terre, eſt, dit-il, un paſſage de Mr. Tyſſot, dans ſon Traité ſur les Maladies des Gens du Monde (édition de 1770, page 267 ;) il dit y avoir lu que les Pommes de terre ſont placées dans la claſſe des alimens gras & viſqueux.

Mais cet Auteur aurait dû obſerver que Mr. Tyſſot, dans son Eſſai fur les Maladies des Gens du Monde, édition de 1770, après avoir parlé de ceux qui ont quelque viſcère obſtrué, des cauſes de ces obſtructions, de leurs différens ſièges, ce qu'il fait d'une manière très-abrégée, comme il eſt permis de le faire dans un Eſſai & non dans un Traité, propoſe enſuite, & de la même manière, les moyens que ces Perſonnes doivent employer pour leur guériſon ; les premiers, devant ſe tirer de la diète : il recommande au premier article, la ſobriété ; le ſecond, page 267, eſt conçu en ces termes.

«  2°. La plus grande attention à éviter tous les alimens gras & viſqueux, tels que les pieds, les têtes, les inteſtins d'animaux, les pâtiſſeries, tous les laitages, les châtaignes, les Pommes de terre, & en général tous les épaiſſiſſans. »

Il eſt facile de voir que Mr. Tyſſot défend aux Perſonnes obſtruées, les Pommes de terre, comme un aliment épaiſſiſſant ; mais il n'en interdit pas plus l’uſage aux Perſonnes ſaines, que celui des châtaignes, des laitages, des pâtiſſeries & des iſſues des animaux. L'anonyme, ſans doute, ne prétend pas non plus leur interdire tous ces alimens, parce que Mr. Tyssot juge avec raiſon, qu'ils ne conviennent pas aux perſonnes obſtruées.

Lorsqu’il s'agit de guérir un Malade, le premier ſoin d'un Médecin doit être de conformer la nourriture de ce Malade à ſa ſituation, de veiller avec la plus grande attention, à ce que la qualité des alimens dont il ſe nourrit, ſoit, autant qu'il eſt poſſible, oppoſée au caractère vicieux de ſes humeurs. Chez les Perſonnes obſtruées, elles tendent preſque toujours à l’épaiſſiſſement : on a lieu de leur ſoupçonner une viſcoſité qui les laiſſe difficilement traverſer leurs couloirs. II eſt donc très-important de corriger cette viſcoſité, par des alimens qui ſe digèrent aiſément, ou du moins, de ne la point augmenter par des épaiſſiſſans d'une conſiſtance trop forte, 6í qui ne pourraient être briſés que par une action pénible des viſcères.

L'auteur de la Lettre confond encore les idées de Mr. Tyſſot, lorſqu'il avance que cet Auteur a placé les Pommes de terre dans la claſſe des aliments gras & viſqueux ; il ſuffit qu'elles donnent un ſuc viſqueux, capable d'épaiſſir les humeurs, pour que Mr. Tyſſot les défende aux perſonnes obſtruées, ainſi que les. aliments gras qui leur ſont également nuiſibles.

Le ſecond Ouvrage où les motifs des ſoupçons ſur l’uſage des Pommes de terre, ont été puiſés, eſt le Guide du Fermier : cet Ouvrage auſſi eſtimé qu'il eſt eſtimable par les vues nombreuſes & de la plus grande utilité dont il eſt rempli, eſt partagé par Lettres qui contiennent des inſtructions eſſentielles ſur la manière d'élever, de nourrir les différents beſtiaux d'une baſſe-cour, & d'en tirer le plus grand profit. L'Auteur, perſuadé de l’avantage immenſe que les gens de la Campagne peuvent ſe procurer, en cultivant les Pommes de terre, a jugé à propos de terminer ſon Livre par une Lettre très-étendue ſur ce sujet, quoiqu'elle parût s'écarter de celui qu'il s'étoit propoſé de traiter.

Il faudrait, Meſſieurs, vous tranſcrire ici toute la Lettre, pour vous donner une idée de la manière dont l’Auteur penſe sur la bonté de l’aliment que rourniſſent les Pommes de terre ; il y répète preſque à chaque page, qu'il eſt difficile de ſe procures une nourriture plus ſaine, plus abondante & à moins de frais ; il aſſure « que de telle manière qu'on les mange, elles ſont un aliment plus ſain, plus ſalutaire, plus ſalubre, plus nourriſſant, d'une digeſtion plus facile que le Pain groſſier que mangent ordinairement les gens de la Campagne : » ce ſont ſes termes, pag. 101 & 102 ; & aux pages 197 & 198, il avoit déjà dit « que ſeules, elles produiſoient du Pain qui n'a d'autre défaut que d'être un peu lourd, mais qui l’eſt bien moins que le Pain que l’on fait avec des châtaignes, & que toutes ces eſpèces de Pain, pour l’ordinaire, mal cuits, que l’on fait dans beaucoup de Provinces, avec de l’Orge, de l’Avoine, du Sarraſin, des Féveroles, des Pois. »

Il eſt vrai que l’Auteur ajoute aux pages 228, 229 & 230 ; comme l’a remarqué l’Auteur de la Lettre, que pour préparer la Farine de Pommes de terre que l’on deſtine à faire du Pain ; « il faut les râper dans de l’eau claire & pure, remuer ensuite cette farine dans l’eau qui devient d'un verdâtre ſale ; qu'une nouvelle eau dans laquelle on braſſe cette Farine, ſe charge encore d'une couleur preſque auſſi foncée que la premiere ; qu'il faut la jetter, en remettre d'autre, braſſer de nouveau la Farine, changer encore d'eau juſqu'à ce que la derniere reſte auſſi claire qu'elle-y a été miſe ; que ce n'eſt qu'au ſixième ou ſeptième lavage, qu'elle ceſſe de s'éteindre ; qu'il eſt viſible par-là, que les Pommes de terre jettent beaucoup » d'impuretés qui y reſtent toutes, lorsqu'on ſuit le procédé de la cuiſſon ; qu'il faut faire ſécher cette Farine lavée & épurée, à la chaleur du Soleil, préférablement à celle du Four, qui en altère la blancheur ; qu'elle se conſerve enſuite à merveille & pendant très-long-temps ; que néanmoins au mois de Mai, elle commence à s'altérer ; qu'enfin, elle ſe corrompt, devient verte, ſe pourrit, & n'eſt plus bonne à rien »

L'auteur attribue cette corruption au principe de végétation qui ſe trouve dans toutes les parties de cette plante, & qui y eſt d'une activité que rien ne peut détruire ; « ce principe que les grains perdent, dit-il, par la ſeule mouture, ſe développe au retour de la belle ſaiſon, dans la Farine de Pommes de terre, quelque diviſée qu'elle ait été, & procure cette corruption ; quoique, dit-il, on penſe bien qu'il ne va pas jusqu'à pouſſer des tiges. II ajoute même que la germination eſt ſi adhérente aux Pommes de terre, que l’amidon préparé avec ces racines, & réduit en poudre à poudrer, préſente encore les mêmes phénomènes que la Farine. » Nous aurions déſiré pouvoir éclaircir ces faits qui nous ont paru dignes de la plus grande curioſité : il ſeroit ſans doute utile d'examiner plus particulièrement cette partie colorante qui ſe tire de la Farine des Pommes de terre, & ne peut s'enlever qu'après le ſixième ou ſeptième lavage, & prononcer ſi elle mérite les craintes qu'elles a données à l’Auteur de la Lettre ; mais vous ſentez aiſément, Meſſieurs, combien ce travail auroit retardé une réponſe que votre empreſſement pour le bien public, ne vous permettoit pas de différer auſſi long-temps que l’auroit exigé cette recherche.

Privés des lumières qu'aurait pu fournir une analyſe exacte de cette matière colorante, nous aurons recours à l’expérience, ce grand Maître dans l’Art que nous profeſſons.

Si les impuretés verdâtres que l’Auteur cherche à enlever par le lavage réitéré de la Farine des Pommes de terre, étoient nuiſibles, comment ne s'en ſeroit-on pas apperçu par quelque dérangement dans la ſanté du grand nombre d'adultes, & ſur-tout d'enfans qui en font un uſage journalier ? Pourquoi, depuis que cet uſage eſt devenu ſi commun, aucun Auteur n'a-t-il parlé d'accidens que l’on dût attribuer à la qualité vicieuſe de ces impuretés, dont juſqu'à préſent on n'a point cherché à priver les Pommes de terre ? Leur couleur verdâtre n'eſt point une raiſon pour les faire regarder comme plus dangereuſes que les épinards, l’oſeille, les olives. Il peut être utile de priver la Farine de Pommes de terre, de cette matière colorante, pour la rendre plus blanche & en faire un Pain plus beau, ſans que l’on doive pour cela les regarder comme nuiſibles à la ſanté, lorſqu'on les y aura laiſſées. Mr. Muſtel, dans ſon Mémoire ſur les Pommes de terre & ſur le Pain économique, qu'il a lu à la Société Royale d'Agriculture de Rouen, ne parle point de ces impuretés, & ne conſeille aucun lavage, quoique ſa manière de préparer la Farine de ces racines, diffère très-peu de celle que propoſe l’Auteur du Guide du Fermier.

Mais tandis que ce dernier Auteur avance que ſa Farine préparée & lavée, comme il l’a indiqué, forme avec le mélange d'un tiers de Farine de Froment, un Pain très-blanc, piqué d'yeux, léger, d'une digeſtion facile & de bon goût, pourvu qu'il ſoit fait avec tout le ſoin poſſible ; lorſqu'il va même juſqu'à dire que cette Farine ſeule donne un Pain paſſable, & préférable de beaucoup, au Pain dont ſe nourriſſent en général les Habitans de la Campagne. Mr. Muſtel, qui ne propoſe aucune lotion, ne parle point de Pain fait avec cette Farine ſeule ; mais il aſſure qu'en la mêlant avec un tiers de Farine, on fait du Pain très mangeable ; qu'à parties égales, il eſt bon, & que le mélange d’un tiers de Farine de Pommes de terre, avec deux tiers de celle de Froment, fournit un Pain tel, qu'il eſt difficile de s'appercevoir qu'il n'eſt pas de pur Froment.

Ces différences dans la qualité du Pain, quoique fait avec des quantités pareilles de Farine de Froment, & de celle de Pommes de terre lavée ou non lavée, la néceſſité de mettre deux tiers de celle de Froment, ſur un tiers de Farine non lavée, pour qu'il ſoit auſſi beau que celui qui ſe fait avec deux tiers de Farine lavée, & un tiers de celle de Froment, nous autoriſent à penſer que ces impuretés verdâtres que l’on enleve à la Farine de Pommes de terre, par les lotions réitérées, ne font qu'altérer la beauté du Pain fait avec cette Farine, lorſqu'on les y laiſſe, ſans lui communiquer aucune qualité nuiſible. Et comment pourroit-on les regarder comme dangereuſes ? Depuis deux ſiècles, l’uſage des Pommes de terre devient de plus en plus commun ; & ce n’eſt que l’année derniere, que l’Ouvrage où l’on parle de ces impuretés, & de la manière de les enlever, a été rendu public : encore l’Auteur n'en parle-t-il que lorſqu'il propoſe la préparation de cette Farine pour en faire du Pain ; Pain qui n'eſt encore connu que de très-peu de Perſonnes, tandis qu'on mange tous les jours les Pommes de terre, telles pour ainſi dire, que la Nature les donne, ſans autre préparation qu'une cuiſſon groſſièrement faite.

La Farine préparée & lavée, ne se conſerve cependant que juſqu'au mois de Mai ; elle s'altère vers ce temps, devient verte ; se pourrit, & n'eſt bonne à rien.

C'est ſans doute un malheur, que l’humidité qui eſt inhérente à cette plante, & dont il eſt impoſſible de la priver, même lorſqu'elle eſt réduite en Farine, à moins qu'on ne lui faſſe éprouver une chaleur qui va preſque juſqu'à la cuiſſon, la rende incapable, ſuivant le Guide du Fermier, de fermenter, & par conſéquent, de faire du Pain ; c'eſt, diſons-nous, un malheur, que cette humidité prive les Pauvres pendant la moitié de l’année, de la reſſource que fourniſſent ces racines ; mais cette raiſon ne les rend pas plus à craindre, que tous les fruits qui ſont dans le même cas. Les plus délicieux ne ſont-ils pas la plupart ſujets à une pourriture prompte ? Eſt-il aliment qui ſe putréfie plus vite que la chair des animaux ?

Enfin, Meſſieurs, nous ne ſommes point touchés de l’autorité de Daniel Lang-hans, que l’Auteur de la Lettre traite de célèbre Médecin Suiſſe ; la manière dont il s'exprime, ſuffit ſeule pour la faire rejetter, puiſqu'il n'y a qu'un Médecin peu inſtruit, qui puiſſe avancer que les écrouelles ſont extrêmement rares dans les Pays où l'on ne connoît point les Pommes de terre. Vous ſavez, Meſſieurs, qu'elles ſont communes à Paris, ſur-tout parmi les gens que la pauvreté met hors d'état de ſe procurer des alimens d'une bonne qualité ; & cependant il y a peu d'années que les Pommes de terre ſe voient dans nos Marchés aſſez communément, pour dire qu'elles ſont partie de la nourriture du Peuple.

D'ailleurs, l’autorité de ce Médecin, ne peut l’emporter sur celle de Mrs. Gevigland & Sallin, tous deux Médecins de la Paroiſſe de Saint Roch, & deux de vos Commiſſaires ; ils vous répètent ici ce qu'ils vous ont déjà certifié de vive voix, & qu'ils avoient précédemment ſcellé de leur ſignature, dans une Brochure imprimée, dans laquelle on publie la manière dont on prépare le Riz économique pour les Pauvres de cette Paroisse ; on voit qu'il y entre les trois cinquièmes de Pommes de terre; & ces Mrs. nous aſſurent, tant de vive voix, que par leur Certificat imprimé à la ſuite de cette Brochure, « que cet aliment eſt non-ſeulement plus propre à la ſanté que tous ceux que peuvent ſe procurer les Pauvres ; mais encore qu'il prévient beaucoup d'infirmités auxquelles ſont ſujets les enfans, & qui en font périr un grand nombre, telles que le carreau ou gros ventre, les ulcères, maux d'yeux, l’atrophie & autres maladies ; nous ne pouvons, ajoutent-ils, trop recommander l’uſage d'un aliment ſi avantageux, qui eſt agréable, & ſur lequel l’expérience a prononcé par le ſuccès le plus conſtant. »

Comment un aliment qui mérite ces éloges, pourrait-il produire les écrouelles, dont la cauſe la plus commune, eſt la mauvaiſe nourriture ? Eſt-il maladies plus voiſines des écrouelles, que celles dont nous venons de faire mention ? Ne pourroit-on pas même les regarder à juſte titre, comme ſcrophuleuses ? Dira-ton qu'un aliment qui prévient à Paris des maladies presque ſcrophuleuses, si elles ne le ſont pas, donne les écrouelles en Suiſſe ?

Nous terminerons, Meſſieurs, par une derniere réflexion. Une des principales propriétés des Pommes de terre, & qui les rend particulièrement recommandables, eſt, ſuivant les Auteurs, d'améliorer le lait des animaux, & d'en augmenter la quantité. Mrs. Gevigland & Sallin, vous ont atteſté qu'ils avoient remarqué qu'elles produiſoient le même effet chez les Nourrices des pauvres enfans de la Paroiſſe de Saint Roch ; c'eſt même à cette cauſe qu'ils ont attribué le changement favorable qu'ils ont obſervé dans ces enfans. Or, des Médecins ne pourraient jamais penſer qu'un aliment qui produit un changement ſi avantageux dans le lait des Nourrices & des animaux, puiſſe devenir la cauſe d'une maladie, qui, chez les enfans, ne doit ſi ſouvent son origine qu'au mauvais lait que leur fourniſſent des Nourrices pauvres & mal nourries.

Si les raiſons que nous venons de vous expoſer, Meſſieurs, nous ont déterminés à regarder les objections que l’Auteur de la Lettre anonyme propoſe contre l’uſage des Pommes de terre, comme mal fondées ; ſi nous penſons que ses ſoupçons n'ont aucun motif réel, nous ſommes bien éloignés de blâmer le zèle de ce Citoyen ; nous ſommes au contraire perſuadés qu'on ne ſaurait en faire trop voir dans une affaire auſſi importante, que tout ce qui concerne la nourriture des hommes & des beſtiaux, & qu'on ne doit rien négliger pour écarter juſqu'aux moindres doutes, & diſſiper les craintes les plus légères. Signé, P. Bercher, Macquer, P. Gevigland, Roux, Darcet, Sallin.


Le Samedi vingt-trois Mars mit ſept cent ſoixante-onze, la Faculté de Médecine aſſemblée pour entendre la lecture du Mémoire ſait par les Commiſſaires quelle a nommés, pour donner leur avis ſur l’uſage des Pommes de terre, a approuvé en tout le contenu de ce Mémoire, & elle a arrêté qu'il ſeroit la réponſe que la Compagnie auroit l’honneur de préſenter à M. le Contrôleur Général.

L. P. T. R. Le Thieullier, Doyen.