La méthode graphique/Supplément

La bibliothèque libre.
La méthode graphique dans les sciences expérimentales (1878)
et principalement en physiologie et en médecine
G. Masson.


TABLE DU SUPPLÉMENT

 51

DÉVELOPPEMENT

DE LA

MÉTHODE GRAPHIQUE


DÉVELOPPEMENT

de la

MÉTHODE GRAPHIQUE

par l’emploi

DE LA PHOTOGRAPHIE

PAR E. J. MAREY

Membre de l’Institut, Professeur au Collège de France



SUPPLÉMENT À LA MÉTHODE GRAPHIQUE

DANS LES SCIENCES EXPÉRIMENTALES

Avec 35 figures dans le texte



PARIS
G. MASSON, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE
Boulevard Saint-Germain et rue de l’Éperon
EN FACE DE L’ÉCOLE DE MÉDECINE

AVERTISSEMENT




Depuis la publication du Traité de la Méthode graphique dans les sciences expérimentales[1], j’ai cherché dans l’emploi de la photographie la solution de certains problèmes qui échappaient aux procédés d’inscription mécanique des mouvements. Le succès de ces tentatives a été si complet que je crois nécessaire de faire connaître des procédés nouveaux qui donnent à la méthode graphique son entier développement.

Un artifice qui consiste à prendre sur une même plaque immobile, et à des intervalles de temps égaux, une série de photographies d’un corps qui se déplace, traduit sous une forme extrêmement simple les mouvements les plus compliqués.

La Chrono-photographie, tel est le nom que je donnerai à ce procédé expérimental, comble une importante lacune de la méthode graphique. Elle saisit aisément des phénomènes qui échappent à l’observation directe, et même à l’emploi des appareils inscripteurs ordinaires. Non seulement les physiologistes, mais, en général, tous les expérimentateurs trouveront dans la chrono-photographie la solution d’un grand nombre de problèmes.

Bien des auteurs ont essayé déjà de montrer les services que la photographie est appelée à rendre aux différentes branches de la science ; je rappellerai sommairement leurs travaux, pour faire saisir dans leur ensemble l’extension et les perfectionnements de cette méthode.


Paris, 22 mai 1884.

TABLE DU SUPPLÉMENT

 51
DÉVELOPPEMENT
DE LA
MÉTHODE GRAPHIQUE
PAR L’EMPLOI DE LA PHOTOGRAPHIE

L’inscription mécanique d’un mouvement, au moyen d’un style qui trace sur un cylindre tournant, exige certaines conditions parfois difficiles à remplir. Il faut d’abord, pour mouvoir ce style, qu’on dispose d’une force suffisante, ce qui n’arrive pas toujours. Dans les cas les plus favorables, l’inscription mécanique se borne à traduire, en fonction du temps, les phases d’un ou de plusieurs mouvements rectilignes. On a vu, dans le Traité de la Méthode graphique, comment, par certains artifices, on peut ramener à des mouvements rectilignes un grand nombre de changements d’état. Ainsi, non seulement les mouvements proprement dits peuvent s’inscrire sous forme de courbes, mais les variations d’une force, les pressions, les changements de température ou de tension électrique, et même les quantités de chaleur produites en un temps donné s’inscrivent de la même manière.

Une limite s’impose naturellement à la méthode que nous venons de décrire, c’est quand la force qui engendre le mouvement est incapable de surmonter la moindre résistance. J’ai montré, dans un cas de ce genre, les avantages de la photographie. Il s’agissait d’obtenir l’inscription des changements de niveau d’une colonne de mercure de 1/20 de millimètre de diamètre. Cette petite colonne constitue l’organe essentiel de l’électromètre de Lippmann. On en a obtenu l’image sur une plaque de collodion humide animée d’un mouvement de translation dans l’intérieur de la chambre noire. La figure (Méth. graph., p. 329) représentait par une silhouette la courbe des mouvements que des variations électriques imprimaient à la colonne de l’électromètre.

La photographie sert de même à inscrire les variations du galvanomètre, celles de l’électromètre de Thomson, de tous les appareils enfin qui sont incapables de vaincre une résistance, si faible qu’elle soit.

Parfois la photographie est un excellent moyen pour contrôler les indications d’un instrument inscripteur dont on suspecte la fidélité ; c’est ainsi que Czermak, supposant que mon sphygmographe pouvait altérer la forme des pulsations artérielles, inscrivit photographiquement les déplacements que le pouls imprimait à un rayon lumineux réfléchi par un miroir léger placé sur l’artère. Le Pulsspigel[2] a donné des indications semblables à celles du sphygmographe, mettant ainsi hors de doute l’exactitude de cet instrument. On a parfois recours à la photographie, dans certains cas où l’inscription mécanique eût été possible : pour tracer les courbes du thermomètre, par exemple, et celles du baromètre. C’est à notre avis un abus, car on disposait alors d’une force suffisante pour actionner un style, et on se condamnait inutilement à des manipulations chimiques longues et fastidieuses.

Dans tous ces cas, l’emploi de la photographie n’est encore qu’un succédané de l’inscription mécanique : elle ne traduit que les phases d’un mouvement rectiligne en fonction du temps. Mais cette méthode a un rôle plus grand dans la science ; elle permet d’aborder des problèmes d’une grande complexité et en donne la solution concrète avec une facilité singulière. C’est sur ce genre d’avantages que nous aurons à insister particulièrement.

Ainsi, quand le corps en mouvement est inaccessible, comme un astre dont on veut suivre le déplacement ; quand il exécute des mouvements en sens divers, ou d’une étendue si grande qu’ils ne puissent être inscrits directement sur une feuille de papier, la photographie supplée aux procédés mécaniques avec une très grande facilité : elle réduit l’amplitude du mouvement, ou bien elle l’amplifie à l’échelle la plus convenable.

De la valeur des images photographiques.

Si l’on recherche la sincérité dans les descriptions scientifiques, c’est à la photographie qu’on doit recourir. Les dessins les plus soigneusement faits d’après nature, soit qu’il s’agisse de représenter l’aspect général d’un animal ou d’une plante, soit qu’on ait à figurer les éléments histologiques révélés par le microscope, sont toujours plus ou moins éloignés de la vérité. En outre, ces dessins ne peuvent nécessairement contenir que ce que l’observateur a vu sur la nature ; or, que de choses échappent, même à des observations souvent répétées. Dans une photographie, tout est représenté, et, sur une image chargée de détails, si nous ne saisissons pas tout dès le premier coup d’œil, nous pouvons revenir plus tard à un nouvel examen de cette image et y découvrir ce qui nous avait échappé tout d’abord.

Le docteur Francis Galton[3] a publié, sur le rôle de la photographie dans les sciences, de remarquables observations ; pour lui, cette méthode est destinée à accroître beaucoup les ressources de l’esprit humain dans les découvertes scientifiques. Dans les sciences naturelles, en effet, nos jugements et nos raisonnements sont basés sur la comparaison, le rapprochement de choses ou de phénomènes que nous avons vus. C’est le plus souvent dans notre mémoire que nous cherchons les éléments de ces comparaisons. Or, quoi de plus infidèle que nos souvenirs ? La meilleure mémoire ne représente que ce qu’on a attentivement observé, ce qui a vivement attiré l’attention. En outre, chacun de nous a éprouvé les effets désastreux du temps sur la mémoire : non seulement l’effacement graduel des souvenirs, mais la transformation des faits ou des images, sous l’influence d’autres faits ou d’autres images qui viennent se confondre avec eux. Que de fois, en revoyant à long intervalle les mêmes lieux ou les mêmes objets, ne sommes-nous pas étonnés du faux souvenir que nous en avions gardé ?

La photographie, comme toutes les représentations graphiques, est une mémoire fidèle qui conserve inaltérées les impressions qu’elle a reçues. Grâce à elle, au lieu d’invoquer de vagues souvenirs pour comparer entre eux des êtres ou des phénomènes, il suffit de rapprocher les unes des autres les figures photographiques de ces êtres ou les courbes de ces phénomènes : les éléments d’une telle comparaison sont les plus parfaits qu’on puisse souhaiter, car on s’appuie sur des documents immuables.

Dans les sciences naturelles, une difficulté se présente souvent : c’est que les proportions de deux êtres morphologiquement analogues sont trop différentes pour qu’on en saisisse aisément les analogies et les dissemblances. Un chat et un tigre, par exemple, se ressemblent par beaucoup de points, mais il y a entre eux certaines différences qui échappent à cause de la difficulté de soumettre à une mesure commune chaque partie du corps de ces animaux. Or, la photographie possède une merveilleuse aptitude à augmenter ou à réduire l’image d’un objet, tout en lui conservant ses proportions, de sorte que deux animaux de tailles très différentes peuvent être ramenés à deux figures égales dont toutes les parties sont représentées à la même échelle, de même que deux figures géométriquement semblables peuvent être ramenées à l’égalité et devenir superposables l’une à l’autre.

Cette méthode des géomètres qui consiste en une superposition fictive de deux figures pour en démontrer l’identité peut être effectivement appliquée, dans le domaine des sciences naturelles, au moyen de la photographie. Développant une belle conception d’Herbert-Spencer, M. Fr. Galton eut l’idée de superposer les unes aux autres les images d’êtres qui se ressemblaient entre eux. Cette superposition se faisait de la manière suivante. Soient dix portraits d’individus d’une même race ramenés à la même échelle ; des repères sont établis pour que chacun de ces portraits se place, tour à tour, devant un même appareil photographique et y peigne son image sur la même plaque sensible et au même endroit. S’il faut dix secondes, par exemple, pour obtenir une photographie, on ne laissera poser chacun des portraits que pendant une seconde, et c’est avec les dix portraits successivement présentés devant la plaque sensible qu’on aura impressionné celle-ci au degré suffisant. Il en résultera une photographie composite, comme l’auteur la nomme, et qui n’aura retenu des images successives qui l’ont produite que leurs caractères généraux. Un signe particulier sur l’un de ces visages ne laissera dans l’image collective qu’une trace insensible ; mais les types génériques, les caractères de race s’imprimeront fortement. Si, chez la plupart des sujets qui ont contribué à faire cette photographie, les yeux sont petits, le nez fort, le front bas et les lèvres saillantes, l’image résultante aura tous ces caractères ; et si un individu s’éloigne en quelque chose du type générique, cette exception n’imprimera à l’effet total qu’une modification légère. Dans cette expérience, il se fait automatiquement, et d’une manière extrêmement rapide, une véritable synthèse dans laquelle chacun des éléments complexes entre exactement pour sa part.

Des courbes statistiques pareillement superposées donneraient instantanément des moyennes qu’il serait fort difficile d’obtenir par de lentes additions. Bien plus, la méthode arithmétique est assurément moins bonne, car une variation exceptionnelle suffit pour altérer la moyenne d’un certain nombre de valeurs qui concordaient parfaitement entre elles. La superposition photographique montrerait les exceptions sous forme de traits qui s’écartaient de la direction générale ; elle ferait voir ainsi la parfaite concordance de la plupart des autres éléments dans la courbe résultante.

Enfin, les tracés obtenus au moyen des appareils inscripteurs peuvent avantageusement être comparés entre eux par superposition ; ce serait même le vrai moyen d’obtenir ces courbes idéales qu’on a cherché à définir et qui représenteraient les types normaux des tracés du pouls, de la pulsation du cœur, de la respiration, etc.

Applications de la photographie à l’étude des mouvements complexes.

Pendant longtemps la photographie n’a été employée que pour reproduire la forme d’objets immobiles ; on posait assez longtemps devant l’objectif et le moindre mouvement suffisait pour altérer l’image, au point de rendre un portrait méconnaissable.

Cependant, malgré son imperfection, la photographie pouvait déjà servir à préciser la nature de quelques mouvements : en 1865 MM. Onimus et A. Martin ont photographié de cette manière le cœur d’animaux vivants[4] ; la figure 1 montre un cœur de tortue dans ses deux positions extrêmes de réplétion et de vacuité, c’est-à-dire à la fin de ses périodes de systole et de diastole. Un double contour signale les formes du cœur à ces deux instants extrêmes où il existe une immobilité passagère, tandis que, dans les temps intermédiaires, la forme du cœur est trop variable pour donner son image. La figure 2 représente un cœur de lapin avec ses deux formes extrêmes.

0000
Fig. 1. Cœur de tortue
photographié dans ses positions extrêmes
de systole et de diastole.
0000 Fig. 2. Cœur de lapin
photographié dans ses positions extrêmes
de systole et de diastole.

L’emploi du collodion humide, en augmentant la rapidité de la formation des images, ouvrit à la photographie un nouveau champ d’applications. Les physiciens et les astronomes y recoururent pour résoudre certains problèmes pour lesquels l’observation directe était insuffisante. En employant une lumière très intense et en la concentrant dans des images de petites dimensions, on réussit à photographier des corps animés de mouvements rapides, par exemple un diapason vibrant muni d’une petite paillette brillante. Dans ces expériences, la plaque sensible était animée d’un mouvement de translation uniforme et l’image lumineuse oscillait perpendiculairement à la direction de ce mouvement[5].

Tout autre est la méthode imaginée par M. Janssen pour représenter certains phénomènes astronomiques. Il s’agissait de déterminer les positions successives de la planète Vénus à différents instants de son passage au-devant du soleil. M. Janssen, créa pour cet usage son revolver astronomique dans lequel une plaque sensible, de forme circulaire, animée à certains intervalles de temps, d’un déplacement angulaire de quelques degrés recevait, à chaque fois, une image sur un point différent de sa surface. La figure 3 montre une série de photographies représentant les positions successives de la planète Vénus au-devant du soleil, à des intervalles de 70 secondes environ.

Fig. 3. Fac-similé positif d’une plaque photographique obtenue avec le revolver astronomique, pour le passage de la planète Vénus sur le soleil, le 8 décembre 1874. (Dessin de M. Janssen.)

Les images ont été prises à des intervalles de temps d’environ 70 secondes. Le disque de Vénus se détache en noir sur un triangle brillant formé par une partie de celui du soleil. Le disque de Vénus, qui, dans la première image, déborde le limbe solaire, est en contact intérieur avec lui à la troisième.

Le même savant a proposé d’appliquer cette méthode des images successives à l’étude de la locomotion animale[6]. Il appartenait à M. Muybridge de San-Francisco de réaliser, par une méthode analogue, l’analyse de la locomotion du cheval, de l’homme et de certains animaux.

M. Stanford, ancien gouverneur de la Californie, pensa que la photographie

Fig.4. Champ d’expériences établi par M. Muybridge. À gauche, l’écran incliné qui réfléchit la lumière solaire et devant lequel passe le cheval ; à droite, la série des appareils photographiques. — D’autres appareils montés sur des tréteaux servent à obtenir des images simultanées du cheval vu sous différents angles.


pourrait saisir les attitudes du cheval dans ses diverses allures et entreprit de faire faire des expériences sur ce sujet ; il eut la bonne fortune de confier ce travail à M. Muybridge qui obtint, dans la photographie des allures, le succès le plus complet.

La description des expériences a été donnée dans un ouvrage[7] publié sous les auspices de M. Stanford par le docteur Willmann.

Le champ d’expérience est formé (fig. 4) d’une route passant au-devant d’un écran blanc incliné et orienté de manière à réfléchir la lumière solaire dans la direction des appareils photographiques. Sur l’écran, sont tracées des divisions équidistantes qui se reproduisent dans les images et servent à mesurer les distances parcourues par le cheval. Une série d’appareils photographiques sont braqués, en face de la piste, sur les différents points de sa longueur. Des fils électriques, tendus en travers de la piste, se rendent à des électro-aimants dont chacun actionne l’obturateur d’un des appareils photographiques. Le cheval, en passant sur la piste, rompt successivement ces fils et provoque l’ouverture successive des appareils dont chacun prend une image du cheval à l’une de ses attitudes successives. La figure 5 montre une de ces photographies instantanées du cheval ; M. Muybridge estime que le temps de pose n’était pas de plus de 1/500 de seconde pour chacune des images obtenues.

Ces admirables expériences déterminent les positions des membres et du corps à des instants successifs. Les déplacements s’apprécient au moyen des divisions tracées sur l’écran ; ainsi, dans la figure 5, première image, la tête du cheval est comprise dans l’espace qui porte le numéro 8 ; la seconde image la montre dans l’espace no 9 ; les images suivantes dans les espaces nos 10, 11, etc. Pendant ce temps, chacun des membres subit des changements d’attitude.

Dans les allures très rapides, M. Muybridge ne put obtenir que la silhouette du cheval, mais les images étaient encore assez nettes pour permettre d’apprécier les changements d’attitude des membres (fig. 6). M. Muybridge m’a gracieusement offert un curieux album où l’on trouve la représentation de différents animaux en mouvement : bœufs, chèvres, chiens, cerfs, porcs, etc. Ailleurs sont des coureurs, des sauteurs, des lutteurs, dont les silhouettes, recueillies instantanément, montrent des attitudes fort intéressantes au point de vue de la représentation artistique des mouvements de l’homme.

photographies instantanées de m. muybridge.
Fig. 5. Six images successives d’un cheval au pas. La première image est en haut et à gauche.
Vitesse du pas : 106 mètres à la minute.

L’intervalle qui sépare les divisions verticales tracées sur l’écran est de 0m,58 ; ces repères servent à déterminer la vitesse de translation du cheval et à mesurer l’étendue des mouvements de ses membres. (Figure tirée du journal la Nature.)

Et cependant l’éminent expérimentateur ne se servait, pour ses photographies, que du collodion humide ; la découverte des propriétés du gélatino-bromure d’argent permet aujourd’hui d’obtenir des résultats bien plus parfaits.

photographies instantanées de m. muybridge.
Fig.6. Douze photographies successives d’un cheval au grand galop. À la dernière image le cheval est au repos.
Vitesse du galop : 1142 mètres à la minute.
Fusil photographique donnant des images successives
à très courts intervalles.

Dès l’apparition des photographies instantanées de M. Muybridge, il me sembla que les mouvements du vol des oiseaux pourraient être analysés au moyen de cette méthode ; mon confrère et ami L. Cailletet m’a dit en effet qu’il avait réussi à prendre des photographies d’hirondelles au vol. Je priai donc M. Muybridge d’appliquer ses appareils à l’étude du vol des oiseaux. Il s’empressa de satisfaire à ma demande, et, lorsqu’il vint à Paris en août 1881, il m’apporta plusieurs clichés représentant des pigeons photographiés en 1/500 de seconde.

Dans ces images, où plusieurs oiseaux étaient figurés à la fois, chacun d’eux se trouvait dans une attitude particulière : l’un avait les ailes élevées, l’autre les portait en avant, un autre les abaissait. Ces attitudes me parurent coïncider assez exactement avec ce que faisaient prévoir les études graphiques dont il a été question (Méth. graph., page 211).

Mais, outre que la netteté de ces images n’était pas suffisante, il leur manquait ce qui donne tant d’intérêt à celle des allures du cheval, la disposition en série montrant les positions successives de l’animal. C’est qu’en effet il n’est pas possible d’appliquer au vol libre de l’oiseau la méthode employée pour le cheval et qui consiste à faire rompre, par l’animal lui-même, des fils électriques échelonnés sur son passage, afin d’actionner une suite d’appareils photographiques.

Je conçus alors le projet de construire un appareil en forme de fusil permettant de viser et de suivre dans l’espace un oiseau qui vole, pendant qu’une glace tournante recevrait une série d’images montrant les attitudes successives des ailes.

La difficulté était d’imprimer à la glace sensible des alternatives de mouvements et d’arrêts assez brefs pour prendre plusieurs images par seconde. Je réussis à construire un instrument qui donnait douze images à la seconde, le temps de pose pour chacune d’elles n’étant que de 1/720 de seconde (fig. 7)[8].

Après quelques expériences d’essai, j’abordai la photographie d’animaux en mouvement. On voit (fig. 10) une mouette dont on peut comparer les douze attitudes successives pendant la durée d’une seconde. L’oiseau exécute le vol ramé ; il est vu obliquement ;

Fig. 10. Épreuve positive d’une plaque du fusil photographique montrant douze images d’une mouette qui vole. Ces douze images ont été photographiées en une seconde. Pour chacune des images le temps de pose a été de 1/720 de seconde.


l’observateur est placé en arrière et un peu en dessous. Dans d’autres expériences, j’ai réussi à photographier la mouette tandis qu’elle volait en plein travers. Comme l’oiseau donnait exactement trois coups d’aile par seconde, on trouvait dans les douze figures quatre attitudes successives qui se reproduisaient périodiquement. Les ailes étaient élevées dans une première image, puis elles commençaient à s’abaisser dans l’image suivante ; elles étaient au plus bas de leur course dans la troisième, et dans la quatrième elles se relevaient. Une nouvelle série pareille de mouvements revenait ensuite.

En photographiant l’oiseau dans d’autres conditions, par exemple lorsqu’il s’éloigne de l’observateur ou qu’il s’en rapproche (fig. 12), lorsqu’il est vu d’en bas ou d’en haut, on obtient d’autres renseignements sur le mécanisme du vol ; ainsi, on observe aisément les changements d’inclinaison du plan de l’aile, l’inflexion des rémiges par la résistance de l’air, les mouvements par lesquels l’aile se porte en avant pendant son abaissement, en arrière pendant son élévation.


Fig. 12. Image d’une mouette venant sur l’observateur

J’ai comparé, à cet égard, les renseignements donnés par la photographie à ceux que m’avait autrefois donnés la méthode graphique, et j’ai obtenu ainsi la confirmation des points principaux que je croyais avoir établis par la première de ces méthodes. Il ne paraît pas douteux que les images photographiques n’ajoutent beaucoup de connaissances nouvelles à celles que nous avons sur le mécanisme du vol.

La figure 13 représente une série de silhouettes d’oiseaux et de chauves-souris[9] dans les différentes attitudes du vol.

Le fusil photographique se prête plus facilement encore à l’analyse des mouvements beaucoup moins rapides de la locomotion terrestre. On voit (fig. 14) un cheval traînant une voiture ; la photographie a été prise d’une distance de 150 mètres ; le temps de pose était 1/720 de seconde.

Il est difficile de dépasser le nombre de dix à quinze images par seconde au moyen d’appareils dans lesquels une plaque doit se déplacer et s’arrêter tour à tour pour être impressionnée en des points différents de sa circonférence ; j’ai quelquefois doublé cette vitesse, mais alors l’appareil entre en vibration et la netteté des images peut être compromise.

M. Janssen a proposé de recueillir les images sur une plaque

animée d’une rotation continue[10]. Il est certain que, si l’on fait les temps d’éclairage assez courts, on rendra négligeable le

Fig. 13. Silhouettes d’oiseaux de différentes espèces et de chauves-souris au vol.

Explication des figures contenues dans la figure 13.

Les silhouettes ont été groupées le plus souvent en séries représentant les attitudes des différentes espèces d’oiseaux dans l’ordre de leur succession naturelle.

Hibou. — En bas du tableau, H1 représente un hibou au moment où il commence à abaisser ses ailes ; H2 et H3 montrent l’oiseau à des périodes de plus en plus avancées de la phase d’abaissement des ailes ; H4 représente les ailes se relevant. La forme sphérique de la tête de l’oiseau en rend la silhouette difficilement intelligible au premier abord ; une autre obscurité tient à l’inclinaison oblique du corps de l’oiseau, mais on se familiarise bien vite avec ces aspects de l’animal.

Le Faisan argenté F est représenté au moment du départ et dans le milieu de l’abaissement de ses ailes ; l’oiseau est encore orienté un peu obliquement ; sa face ventrale était tournée du côté de l’appareil.

Le Pigeon, P1 montre la fin de l’abaissement des ailes, P2 la fin de l’élévation. L’animal représenté en P3 est un pigeon Montauban : cette espèce vole très mal. Il faut jeter l’oiseau en l’air pour provoquer son essor, et le plus souvent il fait alors exclusivement des efforts dans le but de ralentir sa chute. p1, pigeon-paon vu obliquement au milieu de l’abaissement des ailes ; p2, le même à la fin de cet abaissement.

Mouette. — M représente une mouette volant horizontalement à une faible hauteur et vue un peu d’arrière. (La même silhouette s’observerait si l’oiseau était vu un peu d’avant, mais alors l’image de l’aile droite devrait être attribuée à la gauche, et réciproquement.) Les positions 1, 2, 3, 4, 5 correspondent aux degrés successifs d’abaissement des ailes. M6 est une mouette planant et vue d’en haut ; M7, mouette à la fin de l’abaissement de l’aile et vue obliquement par rapport à la direction du vol ; M8, autre début de l’abaissement de l’aile.

Bécassine. — B1 et B2, vue presque de face pendant l’abaissement de l’aile ; B3, l’oiseau est vu de côté et par en dessous, à la fin de l’élévation de l’aile ; B4 et B5, l’oiseau se laisse glisser sur l’air avec les ailes demi-fléchies.

Grive. — G1, la grive vue par en dessous au début de l’abaissement des ailes ; G2, l’oiseau tient ses ailes presque fermées et se lance comme un projectile jusqu’à un nouveau coup d’ailes ; il reprend alors la position G1.

Émouchet E planant presque immobile : le bec est toujours orienté contre le vent L’oiseau reste en place au moyen de coups d’ailes qui compensent exactement l’entraînement que le vent lui ferait subir.

Canard. — C1, C2, divers degrés de l’élévation de l’aile ; C3, fin de l’abaissement.

Chauve-souris. — Ch1, milieu de l’élévation de l’aile ; l’animal est vu par en dessous. Ch2, fin de l’abaissement des ailes ; l’animal est vu d’arrière. Ch3,  début de l’élévation des ailes ; l’animal représenté dans cette figure avait perdu une partie de sa membrane interdigitale du côté gauche ; l’avant-bras dénudé imprimait des mouvements étendus à la main encore pourvue de ses membranes.




déplacement de la plaque pendant le temps de pose ; mais, dans la pratique,

cette méthode donne des images qui manquent de netteté, à moins d’être prises à d’assez grands intervalles de temps,


Fig. 14. Cheval attelé à une voiture. Photographie instantanée prise au fusil en 1/720 de seconde. Agrandissement à 18 diamètres. (Cette image, n’ayant pas été photographiée contre le fond lumineux du ciel, n’est plus une simple silhouette, mais présente un certain modelé.)


même lorsqu’on l’applique à photographier des objets soumis à une vive lumière. Un autre procédé peut lui être substitué avec avantage ; il consiste à disposer une série d’objectifs circulairement au-devant de la plaque sensible et à démasquer successivement tous ces objectifs au moyen d’un disque fenêtré qui tourne très rapidement. M. Londe m’a montré un appareil de ce genre qu’il a imaginé, et M. Muybridge, de son côté, m’a envoyé les dessins d’un instrument semblable.

Dans son instrument, M. Londe a donné au disque tournant qui démasque successivement les différents objectifs une vitesse insuffisante pour prendre des images à très courts intervalles. J’en ai fait construire un du même genre dans lequel les six images sont prises en 1/10 de seconde : l’intervalle de temps qui s’écoule entre chacune d’elles est donc de 1/60 de seconde et, comme l’ouverture qui laisse passer la lumière n’est que d’un centième de la circonférence du disque, le temps de pose pour chaque image n’est que d’un millième de seconde[11].

Cet appareil est spécialement destiné à étudier les phases d’un mouvement très rapide exécuté sur place par un homme ou par un animal ; les mouvements accompagnés de translation du corps sont plus facilement analysés par une méthode qui sera


Fig. 15. Une série de silhouettes obtenues à de très courts intervalles, au moyen de l’appareil à six objectifs. L’homme qui lance une pierre présente des attitudes différentes du bras, et la pierre elle-même se déplace d’une image à l’autre. (La partie inférieure du corps était cachée par une balustrade ; on l’a supprimée dans la figure.)


décrite tout à l’heure. Mais si nous considérons par exemple l’acte de lancer une pierre, l’homme dont on prend l’image reste en place au-devant de l’appareil ; son bras seul est animé d’un mouvement rapide dont il s’agit de déterminer les phases. La figure 15 montre une série de silhouettes ainsi obtenues. Ces images, découpées sur le papier, ont été disposées en série linéaire, de façon à bien montrer les changements d’attitude à des instants successifs. La pierre qui, dans la première silhouette (en commençant par la gauche), vient de s’échapper de la main, se trouve de plus en plus haut dans les images suivantes. En même temps, la main se ferme, le bras se porte de plus en plus à gauche et finit par être entièrement derrière la tête.

Images successives obtenues, avec un seul objectif, sur une même plaque immobile.

Dans toutes les expériences qui viennent d’être décrites, les images obtenues sont indépendantes les unes des autres ; si l’on en veut tirer la connaissance des mouvements d’un animal, il faut, en s’aidant de repères analogues aux lignes numérotées de M. Muybridge, échelonner ces figures en série et les imbriquer pour ainsi dire, de sorte que chacune d’elles occupe, sur le papier, la place qui correspond à celle que l’animal occupait dans l’espace à l’instant où il a été photographié. Il m’a paru fort utile d’éviter ce travail long et minutieux. J’y suis arrivé par la méthode suivante.

On braque l’appareil photographique en face d’un écran noir, et devant cet écran on fait passer un homme vêtu de blanc, un animal, un objet quelconque, blanchis et vivement éclairés par le soleil. Pendant ce temps, un appareil rotatif laisse passer la lumière à des intervalles réguliers ; à chaque admission de la lumière, une image se forme sur la glace sensible, en des points différents.

On conçoit, en effet, que l’appareil photographique puisse être ouvert en face d’un écran noir sans que la plaque en reçoive d’impression. À un moment donné, faisons apparaître devant un point de cet écran un homme vêtu de blanc et fortement éclairé ; une image se produira sur la glace. Fermons alors l’appareil et plaçons l’homme devant l’écran, mais en un autre endroit ; une autre image pourra être produite encore sans se confondre avec la première, car le déplacement de l’homme aura amené son image en un endroit de la plaque où la lumière n’a pas encore agi. Le rôle de l’interrupteur rotatif est justement Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/735 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/736 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/737 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/738 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/739 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/740 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/741 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/742 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/743 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/744 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/745 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/746 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/747 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/748 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/749 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/750 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/751 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/752 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/753 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/754 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/755 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/756 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/757 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/758 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/759 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/760 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/761 Page:Marey - La méthode graphique, 1885.djvu/762

Le genou décrit un arc de cercle parfait, tant que la jambe tourne autour de comme centre, mais aussitôt que le talon s’élève et que le point d’appui du pied passe en , la trajectoire du genou, au lieu de s’abaisser vers la terre suivant sa direction primitive, se relève, par suite de l’allongement du rayon du membre, et décrit la courbe qui se rapproche plus ou moins d’une droite horizontale.

Enfin, la trajectoire de la hanche diffère de celle du genou à cause des changements de longueur qu’éprouve le rayon du membre sous l’influence des flexions et extensions de la jambe sur la cuisse.

Il n’y a pas lieu de développer ici les considérations cinématiques relatives à la locomotion humaine ; nous voulions seulement faire voir que, sur des photographies agrandies, on peut faire les constructions géométriques nécessaires pour déterminer avec une exactitude parfaite les positions successives des membres.




RÉSUMÉ

Dans tous les cas où l’inscription directe d’un mouvement est impossible, on peut recourir à l’emploi de la photographie. Celle-ci présente deux modes d’application différents :

1oSilhouettes successives sur fond clair. — Si le corps à photographier se détache sur un fond clair, on en obtient une silhouette ou une série de silhouettes successives prises à des instants connus. Des appareils multiples disposés en série, des objectifs multiples démasqués tour à tour par un disque fenêtré, des instruments basés sur la rotation saccadée d’une plaque sensible, tels sont les différents moyens d’avoir une série d’images indépendantes à des intervalles de temps très courts parfois, puisqu’on en peut recueillir jusqu’à 12 ou 15 par seconde. Le temps de pose dans ces conditions peut être extrêmement court, si le champ au-devant duquel le corps en mouvement se détache en noir est assez vivement éclairé.

2oImages sur fond obscur. — Cette méthode présente sur la précédente de notables avantages. Simplification des appareils, puisqu’un simple disque fenêtré, tournant devant l’objectif d’une chambre photographique ordinaire, suffit pour donner une série d’images disposées sur une même plaque. Ces images, susceptibles d’un beau modelé, renseignent plus complètement sur les caractères du mouvement qu’on étudie, principalement quand il s’agit de la locomotion de l’homme ou d’un animal.

Les difficultés inhérentes à cette méthode tiennent d’abord à la nécessité d’opérer sur un animal ou sur un objet de couleur blanche, et à celle de se placer devant un champ noir sur lequel le corps en mouvement se détache. Ces conditions remplies, le succès ne dépend plus que de l’intensité de la lumière qui éclaire le corps en mouvement, car de l’intensité de cette lumière dépend la brièveté des temps de pose et la netteté des images. Dans nos climats, l’extrême rareté d’une atmosphère pure et d’un soleil éclatant rend ces expériences assez difficiles, tandis qu’en d’autres pays elles donnent, à peu près chaque jour, d’excellents résultats. Pour compenser l’insuffisance de l’éclairage, il faut prendre un objectif à court foyer, afin de concentrer dans la plus petite image possible la lumière qui émane de l’objet en mouvement. Les éclairages artificiels seront précieux pour les expériences de physique dans lesquelles on devra déterminer la trajectoire d’un point. En opérant la nuit, sur un point de lumière électrique, on aura certainement des trajectoires chronographiques d’une précision admirable.

Cette méthode est d’autant plus précieuse qu’elle s’adresse à des problèmes insolubles autrement ; mais il me semble excessif d’appliquer la photographie à l’inscription de phénomènes où l’on dispose d’une force mécanique suffisante pour actionner les appareils inscripteurs. Du reste, la chrono-photographie devra bien souvent être employée concurremment avec les procédés d’inscription directe des phénomènes. Ainsi, lorsqu’on étudie les conditions dynamiques de la locomotion, il faut recueillir à la fois les courbes du dynamomètre inscripteur et des trajectoires chrono-photographiques. Dans ces cas, on doit établir, entre ces deux ordres de courbes, des repères de synchronisme, afin de les rendre comparables entre elles.


FIN

  1. Un vol. in-8o, 676 pages. Paris, 1878. G. Masson.
  2. Sphygmische Studien (Gesammelte Schriften von l. Nep. Czermak, II Bo, p. 693. Leipzig, 1879).
  3. Voir Revue scientifique, no 2 (13 juillet 1878) et no 10 (6 septembre 1879).
  4. Onimus, Études critiques sur les mouvements du cœur. Journ. de l’Anat. et de la Physiol., 1865.).
  5. Voir, pour les applications de la photographie à l’étude de certains mouvements, Stein, Das Licht, Leipzig, 1877.
  6. Voici comment ce savant s’exprimait en 1878 : « La propriété du revolver, de pouvoir donner automatiquement une série d’images nombreuses, et aussi rapprochées qu’on veut, d’un phénomène à variations rapides, permettra d’aborder des questions intéressantes de mécanique physiologique se rapportant à la marche, au vol, aux divers mouvements des animaux. Une série de photographies qui embrasserait un cycle entier des mouvements relatifs à une fonction déterminée fournirait de précieuses données pour en éclairer le mécanisme.

    « On comprend, par exemple, tout l’intérêt qu’il y aurait, pour la question encore obscure du vol, à obtenir une série de photographies reproduisant les divers aspects de l’aile durant cette action. La principale difficulté viendrait actuellement de l’inertie de nos substances sensibles, eu égard aux durées si courtes d’impression que ces images exigent ; mais la science lèvera certainement ces difficultés.

    « À un autre point de vue, on peut dire aussi que le revolver résout le problème inverse du phénakisticope. Le phénakisticope de M. Plateau est destiné à produire l’illusion d’un mouvement ou d’une action au moyen de la série des aspects dont ce mouvement ou cette action se compose. Le revolver photographique donne, au contraire, l’analyse d’un phénomène en reproduisant la série de ses aspects élémentaires. » (Bulletin de la Société française de photographie, no du 14 déc. 1876.)

  7. The Horse in Motion as schown by instantaneous Photography. In-4o. London, Turner and Co. 1882.
  8. Le canon de ce fusil est un tube qui contient un objectif photographique. En arrière, et solidement montée sur la crosse, est une large culasse cylindrique dans laquelle est contenu un rouage d’horlogerie ; l’axe du barillet se voit extérieurement en B. Quand on presse la détente du fusil, le rouage se met en marche et imprime aux différentes pièces de l’instrument
    Fig. 7. Le fusil photographique.
    (Journ. la Nature.)
    le mouvement nécessaire. Un axe central, qui fait douze tours par seconde, commande toutes les pièces de l’appareil. C’est d’abord un disque de métal opaque et percé d’une étroite fenêtre. Ce disque forme obturateur et ne laisse pénétrer la lumière émanant de l’objectif que douze fois par seconde, et chaque fois pendant 1/720 de seconde. Derrière ce premier disque, et tournant librement sur le même arbre, s’en trouve un autre qui porte douze fenêtres et en arrière duquel vient s’appliquer la glace sensible, de forme circulaire ou octogonale. Ce disque fenêtré doit tourner d’une manière intermittente, de façon à s’arrêter douze fois par seconde en face du faisceau de lumière qui pénètre dans l’instrument. Un excentrique E (fig. 8) placé sur l’arbre produit cette rotation saccadée, en imprimant un va-et-vient régulier à une tige munie d’un cliquet C qui saisit à chaque oscillation une des dents qui forment une couronne au disque fenêtré.

    Un obturateur spécial O arrête définitivement la pénétration de la lumière dans l’instrument aussitôt que les douze images ont été obtenues. D’autres dispositions ont pour but d’empêcher la plaque sensible de dépasser par sa vitesse acquise la position où le cliquet l’amène, et où elle doit être parfaitement immobile pendant la durée de l’impression lumineuse. Un bouton de pression b (fig. 7) appuie énergiquement sur la plaque dès que celle-ci est introduite dans le fusil. Sous l’influence de cette pression, la plaque sensible adhère à la face postérieure de la roue fenêtrée qui est recouverte de caoutchouc pour éviter les glissements.

    On fait la mise au point en allongeant ou en raccourcissant le canon, ce qui déplace l’objectif en avant ou en arrière ; enfin on vérifie cette mise au point en observant au microscope par ouverture o (fig. 7) faite à la culasse, la netteté de l’image reçue sur un verre dépoli.


    Fig. 8. Disposition intérieure du mécanisme. (Journ. la Nature.)

    Une boîte porte-plaques, de forme circulaire, analogue à celles qui existent dans


    Fig. 9. Boîte porte-plaque. (Journ. la Nature.)
    le commerce, me sert à loger vingt-cinq plaques sensibles, à les faire passer dans le fusil et à les en retirer sans qu’elles soient exposées à la lumière (fig. 9).

    Avant d’appliquer cet instrument à l’étude du vol, je le soumis à certaines épreuves expérimentales, et les résultats que j’obtins furent satisfaisants.

    Je disposai une flèche noire sur un axe central autour duquel elle tournait en se détachant sur un fond blanc bien éclairé par le soleil. La vitesse de rotation de la flèche était telle que ses extrémités parcouraient environ 5 mètres par seconde, ce qui représentait six tours. Le tireur, placé à 10 mètres, visa le centre de la cible sur lequel on n’apercevait rien qu’une légère teinte grise générale, à cause de la vitesse de rotation. La plaque sensible, une fois développée, montra douze images disposées circulairement. Sur chacune d’elles la flèche se voyait, avec son ombre portée, à peu près aussi nettement que si elle eût été immobile.

    Une autre fois je photographiai un pendule noir oscillant au-devant d’une règle blanche portant des divisions. Le pendule battait les secondes, et j’obtins, en effet, douze images représentant les positions successives occupées par le pendule aux différentes phases d’une oscillation complète.

    Pour plus de sûreté dans la mesure des durées, j’adaptai au fusil un appareil chronographique formé d’une capsule à air qui recevait un choc à chacun des déplacements de la plaque sensible ; un tube de caoutchouc reliait cette capsule à un appareil inscripteur qui traçait sur un cylindre tournant, en même temps qu’un chronographe ou qu’un diapason d’un nombre de vibrations connu. De cette manière, la durée de l’impression lumineuse et l’intervalle de temps qui séparait les images les unes des autres, étaient mesurés avec une précision satisfaisante.

    En agrandissant ces figures, on obtient des images visibles à distance, mais dont la netteté laisse à désirer, car les clichés négatifs sont toujours légèrement grenus. La reproduction de ces images par l’héliogravure ne donne qu’une silhouette noire (fig. 11).


    Fig. 11. Agrandissement d’une image du fusil photographique.


    Il ne faudrait pas croire, toutefois, qu’on ne puisse jamais obtenir un certain modelé dans les images. Ce modelé s’obtient quand l’oiseau vivement éclairé passe devant un fond obscur. J’ai placé sous un microscope à faible grossissement des négatifs obtenus avec une mise au point bien exacte : sur ces images, qui représentent l’oiseau vu d’en haut, on peut aisément compter les rémiges et saisir l’imbrication de ces plumes.

    Si l’on dispose des photographies d’oiseaux sur un phénakisticope, on reproduit bien l’apparence des mouvements du vol, mais les images correspondant à chaque révolution de l’aile sont encore trop peu nombreuses pour se bien prêter à l’analyse de ses mouvements : il faudra donc en augmenter le nombre. On y peut arriver, par exemple, en doublant la vitesse du mouvement de la plaque et des obturateurs, ce que j’ai pu faire avec ce même fusil, tout en ayant encore assez de lumière pour la production des images en silhouettes : la durée de l’éclairage de la plaque n’était alors que de 1/1440 de seconde ; encore l’objectif employé n’était-il pas des plus rapides.

  9. La chauve-souris est difficile à photographier, à cause de son vol capricieux, de sa petite taille et de l’heure tardive à laquelle elle se montre. Mes meilleures plaques ne m’ont donné que cinq ou six images sur les douze changements de position de la plaque photographique ; encore ces images étaient-elles parfois sur la limite du champ éclairé de l’instrument.
  10. C. R. de l’Académie des Sciences, t. XCIV, p. 911, 1882.
  11. Une grande difficulté se présentait dans la construction de cet instrument : c’est de ne laisser arriver la lumière qu’une fois dans chacun des six objectifs. Pour cela, un obturateur spécial doit s’ouvrir à un instant donné de la rotation du disque, rester ouvert pendant un tour complet de celui-ci et se fermer à la fin de ce tour. C’est au moyen de l’air comprimé et en serrant une poire en caoutchouc que l’on produit l’entraînement de cet obturateur par le disque et sa clôture après une révolution du disque. L’extrême vitesse des pièces qui se rencontrent donne lieu à un choc violent et compromettra certainement la durée de l’instrument.