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La palingénésie philosophique/Avant-propos

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La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 165-168).

Palingénésie[1]

philosophique

ou

idées sur l’état passé

et sur

l’état futur

des

etres vivans.


AVANT-PROPOS

L’existence de l’ame des bêtes est un de ces dogmes philosophiques qui ne reposent que sur l’analogie. Les rapports de similitude que nous découvrons

entre les organes des animaux & les nôtres, & entre leurs actions & celles que nous produisons dans des circonstances pareilles, nous portent à penser qu’il est dans l’animal un principe d’action, de sentiment & de vie analogue à celui que nous reconnoissons au dedans de nous.

Nous ne pouvons même nous défendre d’un certain sentiment qui nous entraîne comme malgré nous à admettre que les bêtes ont une ame. Le philosophe lui-même ne résiste pas plus à ce sentiment que le vulgaire, & je ne sçais si l’inventeur de l’automatisme des brutes ne s’y laissoit pas entraîner quelquefois.

J’ai assés dit & répèté dans mes trois derniers ouvrages,[2] que je ne regardois l’éxistence de l’ame des bêtes que comme probable ; mais, il faut convenir que cette probabilité va, au moins, jusqu’à la plus grande vraisemblance. Je ne nierai point, qu’avec beaucoup de subtilité d’esprit on ne puisse expliquer méchaniquement toutes les opérations des brutes. Je ne le tenterois pas néanmoins, parce qu’il me paroîtroit assés peu philosophique de donner la torture à son esprit pour trouver des explications méchaniques, toutes plus ou moins forcées, tandis qu’on rend raison de tout de la manière la plus simple, la plus heureuse, en accordant une ame aux brutes.

Des théologiens & des philosophes estimables en consentant d’admettre que les bêtes ont une ame, n’ont pas voulu accorder que cette ame survécût à la destruction du corps de l’animal. Ils ont jugé que la révélation seroit trop intéressée dans cette sorte de croyance philosophique, & ils ont accumulé sur ce sujet des objections qui ne me paroîssent pas solides.

Pourquoi intéresser la révélation dans une chose où il semble qu’elle nous a laissé une pleine liberté de penser ? Je le disois dans le paragraphe 716 de mon essai analytique : « On a soutenu l’anéantissement de l’ame des bêtes, comme si le dogme de l’immortalité de notre ame étoit lié à l’anéantissement de celle des bêtes. Il seroit bien à désirer qu’on n’eut jamais mêlé la religion à ce qui n’étoit point elle. »

J’espère donc que les amis sincères de la religion & du vrai voudront bien me pardonner, si j’essaye aujourd’hui de montrer qu’il est possible qu’il y ait un état futur reservé aux animaux. Cette tentative ne sçauroit déplaire aux ames sensibles & qui désirent qu’il y ait le plus d’heureux qu’il est possible. Combien les souffrances des bêtes ont-elles de quoi intéresser cette sensibilité raisonnable qui est le caractère le plus marqué d’un cœur bien fait ! Combien l’opinion que j’ose chercher à justifier s’accorde-t-elle avec les hautes idées qu’un philosophe chrétien se forme de la bonté suprême !

Le 15 de mars 1768.

  1. Mot Grec qui signifie nouvelle naissance, & qui pourroit être rendu par le mot François de Renaissance. Quelques Auteurs modernes, plus Alchymistes que Physiciens, ont soutenu qu’en échauffant un peu les Cendres d'une Plante ou d'un Animal selon certaines Règles, ces Cendres voient s'élever en fumée, & représenter ainsi la Figure & la Couleur de la Plante, ou de l'Animal. C'est cette sorte de Resurrection ou de nouvelle naissance qui a reçu le nom de Palingénésie. On a cru ensuite qu'en faisant geler une lessive des Cendres d'une Plante, on y verroit l’Image de cette Plante tracée fidélement sur la Glace, & ç’a été une autre sorte de Palingénésie, qui n’a pas fait moins de bruit que la première. Voyez la belle Dissertation sur la Glace, de l’Illustre Mr. de MAIRAN ; 1749, pag. 302 & 303. Il m’a paru que je pouvois adopter ici le Mot de Palingénésie pour exprimer une Renaissance, qui a des fondemens plus philosophiques, que celle des Auteurs dont parle Mr. de MAIRAN.
  2. Essai Analytique sur les Facultés de l'Ame : 1760. §. 715.
    Considérations sur les Corps organisés : 1762. Art. 283.
    Tableau des Considérations XVI.
    Contemplation de la Nature : 1764. Part IX. chap. I. pag. 254. de la première Edition.