La palingénésie philosophique

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La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. xi-xxiii).

PRÉFACE.

Mon Libraire de Coppenhague réïmprimoit mon Essai Analytique sur les Facultés de l’Ame ; il me demandoit des Additions : je les lui avois refusées : elles auroient été un espèce de vol que j’aurois fait à ceux qui avoient acheté la première Edition. Je m’étois donc déterminé à les publier dans un nouvel ouvrage, qui seroit comme un Supplément à mes derniers écrits ; & c’est cet Ouvrage que je donne aujourd’hui au Public.

La crainte de rendre les Volumes trop gros ne m’a pas permis d’y insèrer quelques pièces que je pourrai publier un jour, & qui roulent sur des sujets de métaphysique[1] & d’histoire naturelle.

On trouvera à la tête de cette nouvelle production deux petits écrits, qui avoient déja paru dans la préface de ma contemplation de la nature : ce sont ces extraits raisonnés que j’ai moi-même faits de l’essai analytique & des considérations sur les corps organisés. Il m’a paru que je devois les reproduire ici, parce qu’ils sont propres à éclaircir divers endroits de ces ouvrages, & à faire mieux sentir la liaison des principes & l’enchaînement des conséquences. J’y ai mènagé des titres particuliers qui manquoient à la préface de la contemplation, & qui étoient absolument nécessaires pour mettre plus de distinction dans les sujets, & les retracer plus fortement à l’esprit.

L’écrit psychologique dont ces extraits sont immédiatement suivis, est tout neuf. Il est principalement destiné à faciliter l’intelligence des principes que j’ai exposés dans l’essai analytique ; à montrer l’application de ces principes aux cas particuliers ; & à éxercer l’entendement dans une recherche si digne des plus profondes méditations de l’être pensant. Le morceau sur l’association des idées m’auroit fourni facilement la matière d’un gros livre. Je me suis renfermé dans l’espace étroit de quelques pages. Ma santé l’éxigeoit. Le lecteur intelligent sçaura développer mes idées, & en tirer une multitude de conséquences que je n’ai pas même indiquées.

Si après qu’on aura un peu médité cet écrit & l’analyse abrégée, on n’entend pas mieux mon livre sur l’ame ; si l’on se méprend encore sur mes principes & sur leur application ; ce ne sera plus assurément parce que je ne me serai pas expliqué assés, ni d’une manière assés claire & assés précise. Jamais peut-être aucun écrivain de philosophie rationnelle ne s’étoit plus attaché que moi à mettre dans cette belle partie de nos connoissances, cette netteté, cette précision, cet enchaînement dont elle ne sçauroit se passer, & dont quelques ouvrages célébres sont trop dépourvus. J’ai prié qu’on voulût bien comparer mon travail à celui des auteurs qui m’ont précédé, & je le demande encore.

Au reste ; on juge aisément, que depuis environ vingt-sept ans que je ne cesse point de composer pour le public, j’ai eu des occasions fréquentes de m’occuper de la méchanique du style en général, & de celle du style philosophique en particulier. J’ai donc médité souvent sur les signes de nos idées, sur l’emploi de ces signes, & sur les effets naturels de cet emploi. J’ai reconnu bientôt que ce sujet n’avoit point été creusé ou anatomisé autant qu’il méritoit de l’être, & qu’il avoit avec les principes de la sçience psychologique des liaisons secrettes, que les meilleurs écrivains de rhétorique ne me paroissent pas avoir apperçues. Je ne me livrerai pas ici à cette intéressante discussion : elle éxigeroit des détails qui me jetteroient fort au delà des bornes d’une préface.

L’essai d’application de mes principes psychologiques, est avec les écrits qui le précèdent, une sorte d’introduction à la palingénésie philosophique. En commençant à travailler à cette palingénésie, j’étois bien éloigné de découvrir toute l’étendue de la carrière qu’elle me feroit parcourir. Je ne me proposois d’abord que d’appliquer aux animaux une de ces idées psychologiques, que je m’étois plu à développer en traitant de la personnalité & de l’état futur de l’homme : essai analyt chap XXIV. Insensiblement le champ de ma vision s’est aggrandi : j’ai apperçu sur ma route une infinité de choses intéressantes, auxquelles je n’ai pu refuser un coup-d’œil, & ce coup-d’œil m’a découvert encore d’autres objets.

Enfin ; après avoir marché quelque tems au milieu de cette campagne riante & fertile, une perspective plus vaste & plus riche s’est offerte à mes regards ; & quelle perspective encore ! celle de ce bonheur à venir que Dieu réserve dans sa bonté à l’homme mortel.

J’ai donc été conduit par une marche aussi neuve que philosophique à m’occuper des fondemens de ce bonheur ; & parce qu’ils reposent principalement sur la révélation, l’examen logique de ses preuves est devenu la partie la plus importante de mon travail. Je n’ai annoncé qu’une esquisse : pouvois-je annoncer plus, rélativement à la grandeur du sujet & à la médiocrité de mes connoissances & de mes talens !

Ma principale attention dans cette esquisse, a été de ne rien admettre d’essentiel qu’on pût me contester raisonnablement en bonne philosophie. Je ne suis donc parti que des faits les mieux constatés, & je n’en ai tiré que les résultats les plus immédiats. Je n’ai parlé ni d’évidence ni de démonstration : mais ; j’ai parlé de vraisemblances & de probabilités. Je n’ai supposé aucun incrédule : les mots d’incrédule & d’incrédulité ne se trouvent pas même dans toute cette esquisse. Les objections de divers genres, que j’ai discutées, sont nées du fond de mon sujet, & je me les suis proposées à moi-même. Je n’ai point touché du tout à la controverse : j’ai voulu que mon esquisse pût être lue & goûtée par toutes les sociétés chrétiennes. Je me suis abstenu sévérement de traiter le dogme : je ne devois choquer aucune secte : mais ; je me suis un peu étendu sur la beauté de la doctrine.

Je n’ai pas approfondi également toutes les preuves ; mais, je les ai indiqué toutes, & je me suis attaché par préférence à celles que fournissent les miracles.

Les lecteurs que j’ai eu sur-tout en vue, sont ceux qui doutent de bonne foi, qui ont tâché de s’éclairer & de fixer leurs doutes ; de résoudre les objections, & qui n’y sont pas parvenus. Je ne pouvois ni ne devois m’adresser à ceux dont le cœur a corrompu l’esprit.

Dans la multitude des choses que j’ai eu à exposer, il s’en trouve beaucoup qui ne m’appartiennent point : comment aurois-je pu ne donner que du neuf dans une matière qui est traitée depuis seize siécles par les plus grands hommes, & par les plus sçavans écrivains ? Je n’ai donc aspiré qu’à découvrir une méthode plus abrégée, plus sûre & plus philosophique de parvenir au grand but que je me proposois.

J’ai tâché d’enchaîner toutes mes propositions si étroitement les unes aux autres, qu’elles ne laissassent entr’elles aucun vuide. Peut-être cet enchaînement a-t-il été moins dû à mes efforts, qu’à la nature de mon plan. Il étoit tel que je prévoyois assés, que mes idées s’enchaîneroient d’elles-mêmes les unes aux autres, & que je n’aurois qu’à me laisser conduire par le fil de la méditation.

On comprend que cette esquisse ne pouvoit être mise à la portée de tous les ordres de lecteurs. Je l’ai dit : je la destinois à ceux qui doutent de bonne foi, & en général le peuple ne doute guères. Une méthode & des principes un peu philosophiques ne sont pas faits pour lui, & heureusement il n’en a pas besoin.

Qu’il me soit permis de le remarquer : la plupart des auteurs que j’ai lus, & j’en ai lu beaucoup ; m’ont paru avoir deux défauts essentiels : ils parlent sans cesse d’évidence & de démonstration, & ils apostrophent à tout moment ceux qu’ils nomment déïstes ou incrédules. Il seroit mieux d’annoncer moins ; on inspireroit plus de confiance, & on la mériteroit davantage. Il seroit mieux de n’apostropher point les incrédules : ce sont eux qu’on veut éclairer & persuader ; & l’on commence par les indisposer. S’ils ne ménagent pas toujours les chrétiens ; ce n’est pas une raison pour les chrétiens de ne pas les ménager toujours.

Un autre défaut, que j’ai apperçu dans presque tous les auteurs que j’ai étudiés & médités, est qu’ils dissertent trop. Ils ne sçavent pas resserrer assés leurs raisonnemens ; je voulois dire, les comprimer assés. Ils les affoiblissent en les dilatant, & donnent ainsi plus de prise aux objections. Quelquefois même il leur arrive de mêler à des argumens solides, de petites réfléxions hétérogènes, qui les infirment. La paille & le chaume ne doivent pas entrer dans la construction d’un temple de marbre élevé à la vérité.

Le désir de prouver beaucoup, a porté encore divers apologistes, d’ailleurs très estimables, à donner à certaines considérations une valeur qu’elles ne pouvoient recevoir en bonne logique.

Je n’ai rien négligé pour éviter ces défauts : je ne me flatte pas d’y avoir toujours réüssi. Je pouvois peu : je ne suis pas resté au dessous du point où je pouvois atteindre. J’ai concentré dans ce grand sujet toutes les puissances de mon ame. Je n’ai pas nombré les argumens : je les ai pesés, & à la balance d’une logique éxacte. J’ai souhaité de répandre sur cette importante recherche tout l’intérêt dont elle étoit susceptible, & qu’on avoit trop négligé. J’ai approprié mon style aux divers objets que j’avois à peindre ou plutôt les teintes de ces objets ont passé d’elles-mêmes dans mon style. J’ai senti & désiré de faire sentir. J’ai visé à une extrême précision, & en m’efforçant d’y atteindre, j’ai fait en-sorte que la clarté n’en souffrît jamais. Je n’ai point affecté une érudition qui ne me convenoit pas : il est si facile de paroître érudit & si difficile de l’être : j’ai renvoyé aux sources ; on les connoît.

Les vrais philosophes me jugeront : si j’obtiens leur suffrage, je le regarderai comme une recompense glorieuse de mon travail : mais ; il est une recompense d’un plus haut prix à laquelle j’aspire, & celle-ci est indépendante du jugement des hommes.

À Genthod, près de Genève le 19 de mai, 1769.

ESSAI D’APPLICATION

DES

PRINCIPES PSYCHOLOGIQUES.




PALINGÉNÉSIE

PHILOSOPHIQUE.



  1. C'est en particulier une de ces Pièces de Métaphysique, à laquelle je renvoye dans la Partie XIII, pag. 34 de cette Palingénésie que j’aurois désiré le plus d’y insérer : je parle de mon Esquisse du Leibnitianisme. Elle auroit été utile pour l'intelligence de quelques endroits de cette Partie, & de la Partie VII.