La photographie/02

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Henri Desmarest 
Éditions Larousse Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 9-19).

CHAPITRE II

la chambre noire

Un peu de théorie.


Avant de décrire l’appareil photographique proprement dit, la chambre noire de Porta, si profondément modifiée de nos jours, il est indispensable de donner quelques notions théoriques sur l’action physique et chimique des rayons lumineux, action sur laquelle repose la photographie — photos lumière, grapho j’écris.

Les rayons du spectre solaire ont des propriétés calorifiques et chimiques très distinctes. Ainsi, lorsqu’on explore avec un thermomètre très sensible les rayons du spectre, on y trouve des quantités de chaleur croissantes depuis le violet jusqu’au rouge, au delà duquel on trouve encore un spectre calorifique sur une étendue à peu près égale à celle du spectre lumineux : il y a donc des rayons calorifiques lumineux et des rayons calorifiques obscurs. Ces rayons agissent sur le thermomètre, mais sont invisibles à nos yeux. En physique, ils sont connus sous le nom de rayons infra-rouges.

Si l’on reçoit le spectre solaire sur des substances dans lesquelles la lumière produit des combinaisons chimiques, on remarque que les actions sont très variables pour les divers rayons du spectre. À l’inverse de ce qui se passe pour les propriétés calorifiques, les propriétés chimiques se manifestent surtout dans la région violette, et de ce côté elles dépassent les limites du spectre visible pour notre rétine. Donc le soleil nous envoie des rayons chimiques obscurs ; ces rayons sont appelés rayons ultra-violets.

Ce sont les radiations douées de propriétés chimiques qui possèdent aussi les propriétés phosphorogéniques.

On sait que certaines substances, placées dans la partie la plus excentrique du spectre visible, et même dans les rayons ultra-violets, répandent des lueurs phosphorescentes, d’une durée plus ou moins longue, quand on les met dans l’obscurité et dont la teinte diffère selon les substances : tels sont les sulfures de baryum, de calcium, de strontium, etc., qui gardent quelque temps l’impression lumineuse qu’ils ont reçue ; ces substances sont phosphorescentes.

Il en est d’autres qui cessent d’être lumineuses quand on intercepte les rayons invisibles qu’elles recevaient. Tels sont : l’infusion d’écorce de marronnier d’Inde, le verre coloré par l’oxyde d’uranium, le sulfate de quinine, etc. Ces substances sont fluorescentes.

L’action chimique de la lumière — action primordiale pour la photographie — peut être démontrée d’une façon sensible par des expériences très simples. Ainsi, le chlore et l’hydrogène se combinent brusquement sous l’influence de rayons lumineux directs ; et les sels d’argent, iodure, chlorure ou bromure, se décomposent instantanément sous l’action lumineuse.

Nous ne décrirons pas les divers procédés employés pour la fabrication des plaques photographiques : un gros volume n’y suffirait pas.

Les plaques au gélatino-bromure, employées aujourd’hui couramment par les amateurs comme par les praticiens, sont formées d’une feuille de verre aussi exempte de défauts que possible, et sur une des faces de laquelle on a étendu une émulsion, convenablement composée, de gélatine rendue sensible à l’action lumineuse par la dissolution d’un sel d’argent.

La sensibilité de ces plaques dépend de la nature des sels employés et de leur dosage. De l’avis des praticiens les plus expérimentés, il résulte qu’une émulsion extrêmement sensible pour instantané s’obtient plus facilement que celle nécessaire à la fabrication d’une bonne plaque à pose courte et capable de donner une épreuve vigoureuse, fouillée et sans voiles.


L’appareil.


L’image renversée qui se forme sur l’écran de la chambre noire ou sur le verre dépoli de l’appareil photographique, est due à la propagation rectiligne de la lumière.

Nous empruntons à la Physique, de M. E. Fernet, l’explication théorique de la formation des images dans la chambre noire.

Fig. 1. ― Formation de l'image dans la chambre noire.

« Soit un objet lumineux A B (fig. 1.), et soit M N le volet de la chambre obscure, dans lequel est pratiquée une petite ouverture m n ; soit P Q un écran disposé dans la chambre, parallèlement à l’ouverture et à une certaine distance. ― Considérons l’un des points de l’objet lumineux A : ce point éclaire, à l’intérieur, tous les points de l’écran situés dans un cône dont le sommet est A, et dont les arêtes s’appuient sur le contour de l’ouverture. Ce cône détermine donc, sur l’écran, une petite surface éclairée ayant une forme semblable à celle de l’ouverture. Il en est de même pour chacun des points de l’objet lumineux A B. — Mais, si l’ouverture est suffisamment petite et l’objet lumineux suffisamment éloigné pour que les cônes dont il s’agit soient, très aigus, chacune des petites surfaces éclairées n’aura qu’une étendue très petite, et l’ensemble de ces petites surfaces formera une sorte d’image A′ B′ de l’objet, dans une position renversée. Si l’on éloigne progressivement l’écran P Q de l’ouverture, on voit les dimensions de l’image A′ B′ augmenter proportionnellement à la distance de l’ouverture à l’écran. Si l’ouverture avait un diamètre un peu considérable, chaque point de l’objet éclairerait sur l’écran, une surface de dimensions sensibles ; toutes ces surfaces empiétant alors les unes sur les autres, on n’aurait plus qu’un éclairement à peu près uniforme.

« C’est par un phénomène tout à fait semblable que, dans l’ombre d’un arbre, les petites ouvertures, de formes très diverses, que laissent entre elles les feuilles, produisent sur le sol des images dont chacune présente une forme rappelant celle du soleil. Les rayons solaires ayant toujours, dans nos contrées, une direction oblique par rapport au sol, les images formées sur le sol ne sont pas circulaires, mais elliptiques. On obtient des images circulaires sur une feuille de papier que l’on place perpendiculairement aux rayons solaires. — Enfin, pendant les éclipses partielles, quand le soleil éclipsé prend la forme d’un croissant lumineux, les images acquièrent elles-mêmes la forme de petits croissants. »

Dans l’appareil, l’image est rendue plus nette et plus intense par l’adaptation d’une lentille simple ou composée appelée objectif et placée devant l’ouverture circulaire de la chambre noire ; — nous n’expliquerons pas les différents jeux optiques des rayons lumineux à travers les lentilles de l’objectif, ni les distinctions qu’il convient de faire entre le foyer chimique et le foyer optique d’une lentille, car, dans ce guide, nous n’avons pas d’autre but que de rendre pratiques et faciles, pour les amateurs, les principales opérations photographiques.

Ceci posé, commençons par dire un mot de l’appareil chambre-noire. — (Voir planche ci-contre.)

La chambre classique à soufflet, appareil avec pied de campagne ou d’atelier, n’est guère pratique pour les excursions du touriste.

Aussi, à moins d’être photographe de profession, ou de vouloir prendre directement des épreuves de très grande dimension, une des nombreuses chambres à main que l’on construit aujourd’hui sera très suffisante, dans la majorité des cas, pour foire tous les genres de photographie : portraits, paysages posés, vues de monuments, reproductions de tableaux, etc.

L’APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE
1. Chambre noire fermée. — 2. Chambre ouverte sur son pied. — 3. Pied à coulisse, 4. Objectif rectiligne. — 5. Objectif rectiligne muni de son obturateur. 6. Châssis négatif. — 7. Viseur.

Nous pensons qu’il est bon de se munir simplement d’un appareil à main très portatif, léger autant que possible, peu encombrant, ayant un objectif rapide et un obturateur pour pose et instantané.

Comme grandeur, la dimension 9 × 12 donne de bons résultats, mais le 13 × 18 est souvent préférable ; seulement, cette dimension demande des appareils assez lourds et toujours un peu encombrants.

Comme il nous faut avoir une base, nous considérerons toutes nos opérations comme ayant lieu avec des clichés 13 × 18, dimensions de la ½ plaque, la plaque type, l’étalon, pour ainsi dire, étant 18 × 24.

La multiplicité des appareils ordinaires, à soufflet, est devenue telle, avec l’extension prodigieuse de la photographie, qu’on n’a vraiment que l’embarras du choix.

Aujourd’hui on en fabrique de très bons et de très soignés à tout prix, de toutes dimensions, en bois ou en métal. Ces derniers, selon nous, sont bien préférables pour les dimensions n’excédant pas 13 × 18, car, dans ces grandeurs, l’augmentation de poids des appareils métalliques sur les appareils d’ébénisterie est insignifiant, et les avantages d’une construction métallique sont très appréciables.


L’objectif.


L’objectif, jouant généralement un rôle prépondérant pour l’obtention de bonnes images, il est utile d’en avoir un des meilleures marques. Il y a, à présent, beaucoup de marques françaises qui sont excellentes et bien supérieures aux marques étrangères que l’on recherchait autrefois.

Selon ce qu’on désire photographier, les objectifs peuvent se diviser en quatre catégories :

1° Pour les paysages, l’objectif simple ;
2° Pour les portraits — auxquels ils donnent du relief — les objectifs doubles ;
3° Pour les monuments rapprochés, les objectifs grands angulaires ;
4° Pour toutes les vues en général — à moins de désirer obtenir un perfectionnement optique que demande rarement l’amateur — les objectifs rectilignes, aplanétiques rapides.

Le choix d’un objectif est assurément utile dans l’appareil photographique, cependant il ne faudrait pas attacher une trop grande importance à l’emploi d’un objectif spécial pour tel ou tel genre de photographie. Combien de fois n’avons-nous pas obtenu d’excellentes vues de paysages et des portraits, avec une seule lentille formant objectif simple, et qui, par conséquent, ne semblait pas devoir être employée pour ces genres différents.

En photographie, comme dans beaucoup de choses, l’habileté de l’exécutant est souvent bien préférable à la perfection des appareils employés.

En résumé, un objectif ordinaire, rectiligne, rapide, sera presque toujours suffisant pour faire d’excellentes photographies.

Nous aurons l’occasion de parler plus loin des diaphragmes et des effets lumineux, au chapitre de la pose.


Les châssis.


Il existe un grand nombre de châssis pour plaques négatives ; les plus simples, à rideau droit, sans brisures, donnent de très bons résultats.

La brisure du rideau peut être commode pour les grandes dimensions, mais jusqu’au 13 × 18 elle n’offre pas d’avantages capables de compenser les désagréments inhérents à sa construction ; la brisure, en effet, est une cause de détérioration rapide dans le glissement du rideau, et, par conséquent, peut amener des fissures qui laisseraient passer des rayons lumineux.



Fig. 2. – Châssis Hanau-Richard

D – Rideau du châssis ;
C – Support des plaques ;
P – Corps du châssis.

Or, ce qu’il faut le plus éviter dans un châssis, ce sont les fentes, si infiniment petites soient-elles. On les évite plus facilement dans les châssis métalliques, s’ils sont bien construits, que dans les châssis d’ébénisterie.

Aujourd’hui, jusqu’aux dimensions 18 × 24 et plus, tous les châssis sont doubles et peuvent contenir deux plaques.



Fig. 3. – Châssis à rouleaux pour pellicules.

Avant de se servir d’un châssis, il est bon de vérifier avec beaucoup de soin la fermeture exacte du rideau. Les châssis qu’on livre avec les chambres sont généralement bien construits et exempts de fissures, mais à la longue, sous l’influence de la température et de l’humidité, les diverses parties se disjoignent un peu, et il est bon de vérifier ses châssis de temps à autre, pour s’assurer de leur étanchéité absolue à la lumière.

Les châssis à magasin (fig. 2) — parmi lesquels on peut citer les châssis Hanau-Richard, — inventés depuis quelques années, permettent d’emporter une douzaine de plaques et plus, toujours prêtes à être employées sans recharger l’appareil, le chargement des plaques se faisant automatiquement en tirant un tiroir ; en voyage, c’est un système très commode et très pratique.

Pour les pellicules sensibles, l’emploi des châssis à rouleaux (fig. 3) est indispensable.

Ce genre de châssis contient deux bobines, sur lesquelles s’enroule une longue bande de pellicules sensibles pour cinquante, cent poses et même plus.


Les appareils détectives.


Sous cette rubrique, on peut comprendre tous les appareils à main, très faciles à emporter en voyage, et permettant même, dans plus d’un cas, de prendre des vues instantanées, et cela d’une façon presque invisible.



Fig. 4.
Photo-Éclair Feters.

Le Photo-Éclair Feters (fig. 4). peut être considéré comme un instrument totalement invisible, car l’objectif passe, si on le désire, dans l’ouverture d’une boutonnière, et l’appareil métallique est très bien dissimulé sous un vêtement.

Son chargement content cinq plaques 4 × 4, qui peuvent donner des épreuves agrandies très fines, jusqu’à la dimension 13 × 18.

La Photo-Jumelle Carpentier (fig. 5), que tout le monde connaît aujourd’hui, donne des épreuves de dimensions variables, selon la grandeur de l’appareil, depuis 4 ½ × 6 jusqu’à 9 × 12. L’avantage de cet instrument est dans sa forme, qui permet de viser directement l’objet, et d’obtenir ainsi une vue ayant la perspective prise à la hauteur de l’œil.

La Jumelle photographique de M. Mackenstein, à mise au point facultative, à magasin indépendant, permet d’ exécuter successivement dix-huit plaques, et même un nombre illimité si l’on est pourvu de magasins supplémentaires.



Fig. 5. — Photo-Jumelle.
Pour opérer, on ouvre l’obturateur, on vise le sujet en braquant la jumelle, les objectifs du côté du sujet, et en appliquant l’œil contre le verre rouge du viseur (comme si l’on regardait dans une lorgnette par le gros bout) ; on appuie sur le bouton qui déclanche l’obturateur : la vue est faite. On redresse la jumelle, les objectifs vers le ciel, on tire à fond le gros bouton qui est sur le côté, la glace qui vient d’être impressionnée est changée, on repousse le bouton à fond et on est prêt pour la plaque suivante. — B bouton de tirage du châssis-magasin ; P châssis-magasin.

En adaptant à cette jumelle un appareil agrandisseur ad hoc, on obtient des épreuves 9 × 12, 13 × 18, 18 × 24, etc. d’une très grande finesse.

Les Kodaks, (fig. 6), de fabrication américaine, appareils spécialement construits pour l’emploi des pellicules sensibles, sont assez commodes, surtout pour les amateurs qui désirent simplement prendre des vues, et ensuite faire exécuter les manipulations du développement des négatifs, du tirage, des positifs, etc., par un photographe de profession. Ces appareils se chargent pour cent poses et plus. Ils offrent une grande analogie avec les chambres à magasin, (fig. 7).

Les Folding-camaras, chambres pliantes, à soufflet, tiennent très peu de place, lorsqu’elles sont une fois fermées.

Le Photosphère, appareil métallique 6 × 9, — 9 × 12 et 13 × 18, permet de faire la pose et l’instantané.

La Chambre-Portefeuille, pliante, à soufflet, peut également faire la pose et l’instantané, etc.

Si nous voulions décrire tous les appareils ingénieux que l’on fabrique à présent, il nous faudrait plusieurs centaines de pages pour le texte et les dessins, aussi devons-nous nous borner à signaler seulement les plus connus parmi les plus perfectionnés.



Fig. 6. – Kodak.

En résumé, pour la photographie d’amateur, il est préférable d’avoir un bon instrument de voyage, pouvant au besoin servir dans l’atelier. Ces conditions sont très bien remplies par la plupart des appareils à main — surtout s’ils sont munis d’un soufflet ou de tout autre mécanisme, permettant le changement de mise au point — et ayant une dimension de 9 × 12 ou 13 × 18. Ils sont beaucoup plus pratiques que la chambre classique à chariot, à mécanisme compliqué, et qui n’est guère utile que pour les vues posées, les portraits d’atelier, et, encore, lorsque les épreuves doivent excéder la dimension 13 × 18.



Fig. 7. – Chambre à magasin pouvant contenir douze plaques.

Du reste, la plupart des appareils à main peuvent s’adapter sur un pied ordinaire ou sur un simple pied-canne, permettant ainsi la pose, même en campagne.