La photographie/03

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Henri Desmarest 
Éditions Larousse Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 20-30).

CHAPITRE III

le laboratoire

Installation générale.


Pour les manipulations photographiques, il est indispensable d’avoir une chambre spéciale, pièce servant de laboratoire et éclairée par la lumière rouge rubis.

Nous connaissons bien des amateurs qui ont tourné la difficulté que présente l’installation d’une semblable pièce — surtout dans les grandes villes comme Paris — en n’opérant leurs manipulations et le chargement des châssis négatifs que la nuit.

Cette façon de procéder est très pratique ; seulement, elle a pour inconvénient de limiter beaucoup le champ des expériences, en ne permettant pas de vérifier la bonne venue d’une image immédiatement après la pose, ce qui, dans plus d’un cas, peut être très ennuyeux.

On construit aujourd’hui beaucoup de petits meubles, peu encombrants, et qui réunissent tous les appareils nécessaires aux manipulations chimiques de la photographie ; nous trouvons que ces meubles, sortes de compendium, ont l’inconvénient d’être de dimensions trop restreintes pour laisser une liberté complète aux mouvements de l’opérateur, et, à leur emploi, nous préférons de beaucoup une installation quelconque de laboratoire fixe dans une pièce réservée.

Un simple cabinet, avec une fenêtre pour l’aérer, ou même un cabinet noir dans lequel on place une lanterne à verres rouges, peut très bien suffire ; quelques planches, une table ou deux en bois blanc recouvertes d’une toile cirée formeront l’ameublement nécessaire, qui sera complété par une chaise. Si ce cabinet a un robinet et un évier permettant une circulation d’eau pour laver les épreuves, il sera excellent comme laboratoire, mais à défaut de cette installation parfaite, un simple seau d’eau suffira dans la plupart des cas.

Nous parlerons plus loin de l’importante question de l’éclairage du laboratoire.


Les instruments.


Il est bon de simplifier son outillage et de ne pas encombrer son laboratoire d’appareils parfois ingénieux mais le plus souvent inutiles.

Réduit à sa plus simple expression, le matériel d’un laboratoire photographique d’amateur peut se résumer ainsi pour la partie concernant les épreuves négatives :

3 cuvettes de dimensions variables selon les plaques employées :
5 flacons bouchés à l’émeri d’une capacité d’un litre environ ;
1 égouttoir ;
1 cuve ou grande cuvette pour le lavage des épreuves ;
1 lanterne à verres rouge rubis ;
1 éprouvette graduée ;
2 entonnoirs ;
1 blaireau pour épousseter les plaques ;
1 balance pour peser les produits ;
1 palette en buis pour soulever les plaques et les ôter des cuvettes ;

Il est nécessaire d’entretenir les cuvettes et les entonnoirs dans la plus stricte propreté et d’avoir une étiquette ou un numéro sur chaque cuvette, qui toujours devra servir à la même opération : la confusion des cuvettes pouvant amener la perte des clichés par suite des combinaisons chimiques que peuvent faire naître les mélanges des divers produits.

Les cuvettes en porcelaine sont très bonnes mais elles sont lourdes et fragiles ; celles de carton, légères et incassables — plus pratiques par conséquent — doivent être bien entretenues et lavées à l’eau chaude dès qu’on s’en est servi. Aujourd’hui on fait des cuvettes de toute forme et de toute dimension avec des substances légères telles que le celluloïd, qui donnent de bons résultats. Mais celles de verre et de porcelaine ont l’avantage de se laver plus facilement.

Nos trois cuvettes doivent servir aux manipulations suivantes :

Développement,
Fixage,
Alunage.

Et nos cinq flacons doivent porter les étiquettes ci-dessous :

Révélateur neuf,
Révélateur vieux,
si on emploie d’hydroquinone
Hyposulfite.
Alun.
Alcool.

Si l’on développe au fer, on modifiera ces étiquettes ainsi : Au lieu de Révélateur neuf et Révélateur vieux, on mettra Oxalate de potasse et Sulfate de fer.

Il est indispensable de fermer hermétiquement les flacons et de les soustraire à l’action directe de la lumière. — Si l’on veut éviter l’achat de flacons bouchés à l’émeri, il est très possible d’employer des litres ordinaires ou des bouteilles dites de Saint-Galmier ; ces litres ou ces bouteilles devront être hermétiquement fermés avec des bouchons neufs.

Pour les lavages, une grande quantité d’eau étant nécessaire, après un premier et très abondant lavage dans le laboratoire, on fera bien de porter les plaques sous le robinet d’une cuisine, afin de terminer ainsi les clichés par un lavage à l’eau courante avant de les immerger dans l’alcool, qui à pour but de les durcir et de les sécher beaucoup plus rapidement.

Nous parlerons plus loin, au chapitre des épreuves positives, des instruments nécessaires au fixage des images

LE LABORATOIRE
sur papier ; et nous résumerons plus loin dans un tableau tous les instruments indispensables pour l’exécution des négatifs et des positifs.

Les produits.


Les produits nécessaires aux manipulations des négatifs doivent être aussi peu nombreux que possible et il est bon de ne pas en avoir une trop grande quantité en réserve, car, à la longue, ils peuvent s’altérer.

En parlant du cliché, nous verrons plus loin que les manipulations diverses concernant les négatifs se réduisent à quatre opérations bien distinctes :

Développement,
Fixage,
Alunage,
Lavage.

Et ensuite, pour affermir la couche de gélatine et obtenir ainsi un séchage beaucoup plus rapide, immersion du cliché dans l’alcool.

Pour le développement, il sera bon d’employer un des nombreux révélateurs répandus dans le commerce. Plusieurs sont excellents, et leur emploi simplifie les opérations et évite les erreurs de dosage qui arrivent souvent avec le révélateur ferreux — oxalate de potasse et sulfate de fer.

Nous supposons donc que notre premier produit sera un révélateur tout préparé. Ce produit devra être soigneusement dissous dans le flacon bien bouché et portant l’étiquette Révélateur neuf.

L’autre flacon, portant la marque Révélateur vieux, ne servira que lorsque nous aurons déjà développé plusieurs clichés, et que le bain développateur sera affaibli ; dans certains cas, pour atténuer la force, parfois trop grande du révélateur neuf, il est bon de le mélanger avec un vieux bain.

Pour le fixage, nous aurons de l’hyposulfite de soude en cristaux.

On devra faire fondre l’hyposulfite dans une quantité d’eau déterminée (voir plus loin, chap. V), filtrer la solution et la mettre dans le flacon portant l’étiquette Hyposulfite.

Pour l’alunage, nous aurons de l’alun pulvérisé que nous ferons dissoudre dans de l’eau tiède et qui sera ensuite versée en filtrant dans le flacon portant l’étiquette Alun.

Pour l’alcool, nous aurons un flacon spécial.

L’alcool employé devra être très blanc et très pur.

Généralement, on recommande l’emploi de l’eau distillée pour toutes les manipulations photographiques. À défaut d’eau distillée, l’eau de pluie est excellente.

Comme on n’a pas toujours de l’eau de pluie ou de l’eau distillée à sa disposition, on est bien obligé d’employer l’eau ordinaire. L’emploi de l’eau douce ordinaire n’est pas un obstacle à la réussite des opérations photographiques.

Depuis des années nous n’employons que l’eau de source ordinaire de la ville de Paris, et les résultats que nous obtenons sont tout aussi parfaits que ceux obtenus avec des produits préparés à l’eau distillée.

Les produits chimiques solides, tels que l’hyposulfite et l’alun pourront être gardés en provision dans des bocaux fermés avec un bouchon de liège ou une capsule métallique.

La température des produits liquides employés ne devra pas dépasser 18° centigrades.


Les plaques.


On fabrique actuellement une telle quantité de plaques au gélatino-bromure d’argent, et il existe tant de fabriques qui en livrent d’excellentes, qu’on n’a vraiment que l’embarras du choix.

Une bonne plaque photographique ne doit être ni trop épaisse ni trop mince : trop épaisse, elle abime les châssis et donne de mauvais positifs ; trop mince, elle devient fragile à manier.

Il est indispensable que la couche de gélatine n’ait aucune rayure, loupe, strie ou bulle d’air ; en un mot elle doit être unie et sans aucun défaut.

Les plaques rodées, c’est-à-dire dont le bord a été émoussé à la meule, sont préférables, car il n’est pas rare de se couper les doigt avec les bords tranchants du verre.

Tout paquet de plaques ne doit être ouvert qu’à la lumière rouge rubis.

Les plaques doivent être tenues dans un endroit sec, pas trop chaud, et surtout à l’abri de toute lumière. Ainsi conservées, elles peuvent se garder indéfiniment.


L’éclairage du laboratoire.


L’éclairage du laboratoire joue un grand rôle dans les opérations photographiques, car un éclairage défectueux peut faire manquer tous les clichés.

Si le cabinet, transformé en laboratoire, a une fenêtre, nous pourrons couvrir les carreaux avec du papier rouge très épais, et obtenir une lumière rouge ; mais comme la lumière ainsi obtenue est sujette à des variations d’intensité, nous trouvons bien préférable l’emploi d’une lumière artificielle.

Dans ce cas, il suffit d’obturer la fenêtre, soit par un rideau épais, ne laissant filtrer aucun rayon lumineux, soit à l’aide d’un écran opaque fixé devant l’ouverture, si elle est de faible dimension.

Un très bon moyen pour obtenir une fermeture complète, consiste à coller du papier rouge sur les vitres et à adapter ensuite devant la fenêtre un rideau épais. Par le fait du papier rouge collé sur les vitres, les rayons lumineux qui peuvent traverser le rideau, ou passer aux endroits mal joints, ne sont pas à craindre puisqu’ils sont rouges, c’est-à-dire sans pouvoir photogénique.



Fig. 8. – Lampe électrique à incandescence pour laboratoire photographique.

Comme éclairage de laboratoire, une lampe ordinaire à verre circulaire conique est bien suffisante. L’emploi d’une petite lampe à pétrole ou à essence est préférable à l’emploi de la bougie qui fume souvent et dont la hauteur varie dans le verre circulaire, verre dont la couleur doit être d’un beau rouge rubis, Le nec plus ultra pour l’éclairage d’un laboratoire est certainement l’emploi d’une lampe électrique à incandescence à verres rouges, (fig. 8), mais on ne dispose pas toujours d’une source électrique prête à fonctionner.

C’est à la lumière rouge que doit se faire le chargement des châssis négatifs, le changement de plaques et toutes les opérations du développement, jusqu’au fixage.

Quand la plaque est restée quelques minutes dans le bain d’hyposulfite, elle peut voir impunément la lumière blanche.


En voyage.


Aujourd’hui, la photographie étant un art universel, et une immense majorité de touristes étant devenus amateurs photographes, plusieurs hôtels ont eu la bonne idée d’offrir à leurs clients un laboratoire convenablement installé et éclairé, mais cette commodité ne peut guère se rencontrer que dans les établissements de premier ordre, c’est-à-dire ceux dans lesquels les prix de séjour sont très élevés, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses ; et de plus, dans bien des cas, le touriste amateur visite des sites pittoresques où il a bien de la peine à trouver une auberge à moitié confortable : ce n’est certes pas là qu’il faut songer à disposer d’un laboratoire photographique.

Emporter avec soi un de ces appareils bizarres, une de ces sortes de tentes, dans lesquelles on a la tête et les mains emprisonnées dans un voile rouge, comme plusieurs inventeurs en ont créé à maintes reprises, n’est pas facile et ne rend souvent aucun service.

En voyage, il est préférable de n’emporter que son appareil, des châssis aussi nombreux que possible, et une petite lanterne de laboratoire.

La multiplicité des châssis permet d’avoir des plaques toujours prêtes à être employées, et de cette façon on n’a besoin d’opérer le changement des plaques qu’une fois par jour, c’est-à-dire le soir, à la nuit, dans sa chambre d’hôtel, éclairée par la lumière rouge de la lanterne, qu’on a eu soin d’emporter.

L’opération du changement de plaques terminée, on devra soigneusement renfermer dans leur boîte les plaques impressionnées, et, par surcroît de précaution, envelopper la boîte de papier rouge, pour empêcher toute introduction de lumière blanche à l’intérieur, ce qui aurait pour résultat de perdre irrémédiablement les plaques sensibles.

Nous disions plus haut qu’il est bon de ne changer ses plaques qu’une fois par jour. En effet, dans bien des cas, il est impossible de le faire en plein jour, car, comment trouver une pièce vraiment obscure dans un hôtel ?

Que de fois nous avons regretté de ne pas avoir une provision suffisante de plaques sous châssis pour éviter les ennuis d’un chargement dans la journée !

Dans bien des circonstances, il fallut nous contenter d’un cellier, d’un cabinet — non inodore ! — ou de quelque autre endroit peu éclairé et, par conséquent, assez facile à obscurcir complètement.

Château de Pierrefonds – Vue posée par un temps clair et sec de janvier

Et que de peines pour changer les plaques dans ces conditions, ayant une vieille caisse pour table et pas d’espace pour remuer !

Mieux vaut donc emporter avec soi une série de châssis suffisants pour toute une journée et ne changer ces plaques qu’à la nuit, dans sa chambre.

Nous nous souvenons qu’un jour, dans une localité cependant assez bien servie sous le rapport d’hôtelleries, nous fûmes contraint, à changer quatre fois en un jour les plaques de notre unique châssis. Et cela dans une sorte de soupente d’escalier, dans un endroit sans air où il fallait nous tenir courbé pendant toute la durée de l’opération et en ayant notre lanterne et nos plaques sur une chaise branlante…

Pour comble de mésaventure, la porte du réduit, fendue en plusieurs endroits, laissait filtrer des rayons très nets de lumière blanche dont il fallait préserver les plaques… Ajoutez à cela l’encombrement du réduit par des balais, des plumeaux, etc…

Avis donc aux touristes : Emportez des châssis en nombre suffisant. De plus, ce système aura peut-être l’avantage, dans bien des circonstances, d’éviter l’emploi de la lanterne de voyage, le nombre des plaques sous châssis pouvant suffire à plusieurs jours d’excursion.

Il va de soi que toutes les opérations de développement ne doivent s’opérer qu’au retour, dans le laboratoire et avec tout le soin que nécessite ce genre de travail. (Voir chap. V.)

Si l’on serre bien ses plaques, elles peuvent se conserver des années avant d’être développées ; cette facilité de conserver les plaques au gélatino-bromure d’argent est très utile à la plupart des explorateurs qui ne pourraient guère s’embarrasser d’un laboratoire portatif dans leurs expéditions lointaines.

Nous connaissons bien quelques amateurs intrépides qui développent leurs clichés en voyage, mais nous ne saurions conseiller de les imiter.