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La plus belle chose du monde/17

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XVII


De l’hiver, on passe si lentement au printemps ; mais l’été remplace tout de suite le printemps, et l’automne, l’été…


Plus élégante, la démarche posée, moins impulsive qu’autrefois, Lucette vient de descendre d’un tramway, chemin Sainte-Catherine, et s’en va réfléchissant.

— Voilà bientôt cinq ans que Monique est mariée. Je me demande si elle est toujours heureuse. Il me semble que oui. Elle a son mari, — quand on le connaît, il est intelligent, gentil, — elle a son ravissant petit garçon, et sa petite fille, qui promet tant de ressembler à sa mère. Monique ne souffre d’aucune inquiétude du côté financier. Elle est assez libre ; elle doit se réserver du temps pour lire. En un mot, elle possède un foyer. Tandis que moi, j’ai l’impression de vivre dans la rue. — « Mais tu gagnes de la galette, me dit Monique, et cette galette t’appartient à toi seule. »

C’est pourtant vrai que je gagne de l’argent.

Lucette calcule rapidement qu’avec quelques centaines de dollars de plus elle possédera bientôt, à la Banque, deux mille piastres. Elle destine ce montant à un voyage en France, qu’elle entreprendra, elle ne sait quand, au cours de son existence solitaire.

Jean est toujours malade. Finalement, il n’a pu apprendre à se servir de béquilles. Chaque fois qu’il voulait s’y mettre, quelque malheureuse complication survenait. Son genou ne guérirait jamais.

— Pauvre Jean !

Lucette l’aime. Elle ne peut pas ne pas l’aimer. Il est doué de toutes les qualités : intelligence, bonté, délicatesse de cœur. Quelle reconnaissance elle lui doit. Il l’a habituée à réfléchir ; il a formé son esprit. Elle était si jeune quand elle est devenue son disciple ! Sans lui, que serait sa culture ? Quand elle est libre, elle assiste bien encore aux cours de littérature de l’Université ; mais c’est Jean qui lui a révélé la musique des vers de Racine, c’est Jean qui lui a enseigné à choisir, dans les livres du passé et du présent, ceux qui contiennent la perfection littéraire, c’est Jean qui a formé son goût, affiné sa sensibilité, son intelligence.

Comme Jean s’était moqué lorsqu’elle était revenue du théâtre emballée pour Ruy Blas ! Surpris de voir qu’elle trouvait ce drame si beau, il avait ouvert le volume et, lisant quelques passages, il signalait l’enflure, l’invraisemblance, l’emphase… « Du ver de terre amoureux de l’étoile ». La magie des décors, des voix, avait empêché Lucette de bien juger. Puis Jean lui lisait ce qu’il appelait du bon Victor Hugo. Elle rougissait un peu en écoutant les vers de Sara la baigneuse ; mais le tableau, chaste comme la Source d’Ingres, demeurait gravé dans sa mémoire, après la lecture.

D’ailleurs Jean pourrait lui lire sans la troubler les poèmes les plus passionnés. Son amour n’est pas un amour physique ; il ne s’y mêle rien de sensuel. Comment pourrait-il en être autrement ? Elle convoitait comme le plus doux rêve, à dix-huit ans, de s’appuyer un jour à une épaule plus forte, de nicher son visage près d’un cœur vigoureux, protecteur. Jean est malingre comme un enfant ; il ne l’attire pas ainsi. C’est elle qui à l’occasion le protégerait, avec sa belle santé, et cette tendresse maternelle sans tentation qu’elle éprouve pour lui. Des livres l’ont vaguement instruite des réalités de l’amour. Mais Lucette ne désire aucunement se mieux renseigner ; puisqu’elle doit rester célibataire, rien ne presse, se dit-elle. Sa curiosité ne l’a jamais tourmentée à ce sujet. Autrefois, lorsque Monique et elle lisaient les mêmes livres, Monique remarquait toujours des phrases qui n’attiraient pas sa propre attention.

Peut-être pourrait-elle constater, plus tard, qu’elle ne multipliait pas en vain ses prières. Dieu lui épargnait le supplice d’aimer le malade autrement. Malgré elle, elle plaignait avec un peu de hauteur et de dédain les gens qui laissaient passer les droits de la sensualité avant les lois de la morale qu’elle pratiquait. Elle ne les comprenait pas, et restait pure, sans mérite, auraient affirmé les uns, par ignorance, auraient décrété les autres.

Mais si l’ignorance constituait une protection, mieux valait alors ignorance que connaissance et curiosité morbide.

En somme, ces cinq années n’ont pas beaucoup changé Lucette ; elle se croit seulement plus sage, parce qu’elle atteindra bientôt vingt-six ans. De loin, elle considère maintenant ses souvenirs avec complaisance et un peu d’émotion, de regret. Mais sa vie s’est remplie. Lucette a tissé autour d’elle tout un réseau de nouveaux liens.

Devenue accompagnatrice chez un professeur de chant réputé, elle prend part à une multitude de soirées, au programme musical de maintes conférences. Pour les répétitions, elle court la ville du matin au soir ; on la voit, réservée, d’une élégance sobre, un livre à la main, descendre du tramway. Elle ajoute à son travail un peu de vie mondaine. Souvent son nom, sa photographie paraissent dans les journaux. Sa marraine ne sait plus si elle doit la blâmer d’avoir engagé son sentiment dans une route ne débouchant nulle part. L’heureuse Lucette semble rester malgré tout l’heureuse Lucette ; elle promène son entrain de la musique à la lecture, toujours gaie, simple, enthousiaste ; elle se réjouit des moindres choses : un chapeau neuf, un cadeau, une rencontre imprévue, un beau coucher de soleil, une perspective proche ou lointaine de voyage.

Lucette a fait part à sa marraine étonnée, du respectable chiffre de ses économies, et de son projet de séjour en Europe.

Aline de Villemure admire l’ordre, le bon sens de sa filleule. Mais ni l’une ni l’autre ne prononce jamais le nom de Jean Sylvestre. La marraine n’ignore cependant pas que, malgré le tumulte de ses journées si remplies, Lucette se réserve chaque semaine le temps nécessaire à deux ou trois visites au malade.

Jean ne conseille plus à Lucette de songer à son avenir. Il l’admire d’édifier brillamment sa carrière. Sans l’entretenir de sa propre existence à jamais mutilée, il accepte son dévouement comme une compensation. Peut-être se complaît-il dans la certitude que la vie de Lucette est meilleure, plus riche, plus agréable, que n’importe quelle vie conjugale.

Ils ne s’écrivent plus que très rarement. Les aveux en mots brûlants ont cessé. Jean regarde toujours avec la même tendresse contenue la jeunesse florissante de Lucette, mais sa timidité d’infirme l’empêche d’exprimer ce sentiment d’une violence tout intérieure. Lucette lui dit parfois : « Je vous aime bien ». Mais jamais plus, elle ne dit : « Je vous aime », tout court. Ce mot de plus indique une nuance, elle le sait. Qu’importe ? Elle a résolu, il y a cinq ans, d’aimer Jean et d’être la joie de sa longue souffrance. Elle continuera ce rôle. Qu’importe, se dit-elle encore, quand elle jette courageusement en elle la sonde, qu’importe si je ne ressens plus l’émotion des premiers mois ? Qu’importe, s’il faut à présent que j’arrive avec une provision de faits à lui raconter, si nos silences n’ont plus cette qualité du commencement délicieux de notre amour ? Dans la vie, n’est-ce pas toujours ainsi ? L’habitude, que disaient-ils sur l’habitude, les vers de Sully Prud’homme ? Autrefois, j’ai cru qu’ils mentiraient à mon sujet. Aujourd’hui, je le reconnais, l’habitude ne m’épargne pas plus qu’elle n’épargne les autres. Monique même ne dit plus de son mari : Mon admirable Maurice ! Monique ne pleure plus quand Maurice part pour voyage. Elle me téléphone et me dit gaiement :

— Viens souper et coucher chez nous ce soir ? Maurice est absent. Tu me désennuieras.

En ce moment, Lucette accourt ainsi pour distraire Monique. Elle éprouve toujours plus de plaisir à se rendre chez Monique quand Maurice n’est pas là. Il ne l’intimide plus, pourtant, elle peut causer avec lui, échanger des idées, lui tenir tête à l’occasion. Mais la maison de Monique sans sa présence lui semble plus accueillante. Monique seule, c’est le passé retrouvé, c’est leur jeunesse, bien qu’il faille de la circonspection et recommander à certains moments :

— Malheureuse Monique, ne répète pas ces niaiseries à ton mari.


La bonne n’a pas le temps d’introduire Lucette au salon que Monique appelle du fond de l’appartement :

— C’est toi, Lucette ? Enlève ton manteau et viens voir ma fille.

Rose, joufflue, les yeux bleus dans un visage rond, encore flou, la petite Josette piétine pendant que Monique l’habille de frais.

— Elle est belle, n’est-ce pas ?

— Elle te ressemble.

— Elle ne me ressemble pas. Je ne veux pas qu’elle soit affligée de mon nez. Je veux qu’elle conserve ce tout petit nez de chat…

Elle tient le bébé dans ses bras, frotte sa propre joue sur le doux pétale de la joue enfantine :

— Je veux qu’elle soit belle, heureuse, intelligente, parfaite. Mais viens. Je la cède à la bonne pour le reste de la journée.

Passons vite au salon. Parle-moi du monde, de ses pompes ! Je ne suis plus qu’une maman popote. Je ne lis plus assez. J’abandonne ma personnalité. Je le reproche tous les jours à Maurice. Je lui dis : Une femme ne sait pas ce qu’elle sacrifie quand elle devient madame. Madame Longpré. C’est vieux, bonne femme, incolore. Ça ne dit rien. Ça ne représente rien. Tandis que Monique Chênevert, c’était quelqu’un, je te prie de le croire, c’était moi ! Je ne suis plus moi.

— Tu es toujours toi. La preuve ? Mais ta volubilité, ma chère. Pendant des heures, je le sais, je ne pourrai placer un mot. Comme autrefois.

— Tu l’as placé, ton mot, ne te plains pas. Laisse-moi continuer. J’ai téléphoné à Nicole. Je voulais qu’elle vienne aussi. Mais mystérieuse Nicole, plus mystérieuse que jamais, elle m’a dit : « Je ne peux pas, non, Monique, je ne peux pas ». Sans plus d’explication. Mais elle nous invite ensemble pour demain soir. Reviens souper. Maurice ne rentre qu’après-demain. Je serai libre. Nicole a ajouté : « J’ai une immense surprise à vous faire, une belle surprise ». Je me demande ce que c’est ?

— Moi aussi. Je ne m’en doute pas le moins du monde. Je ne l’ai pas vue depuis six semaines. Dire qu’il fut un temps où nous nous voyions tous les jours !

— Et moi, je ne l’ai pas vue depuis deux mois.

— Je l’ai trouvée plus ténébreuse que jamais la dernière fois. J’enrageais tout simplement. Mais quelle gaieté ! Plus franchement gaie que d’habitude depuis la mort de sa mère. Elle ne nous a rien confié au sujet d’Alain. Crois-tu qu’elle l’ait aimé ?

— Oh ! oui. Lui je l’ai rencontré un jour, chez une tante de mon mari, et il m’a parlé d’elle à un moment. J’avais bien cru distinguer la grande passion. Mais je venais d’épouser Maurice ; je voyais du roman partout, tu comprends. Pendant deux ans, elle a couru avec lui les concerts, les conférences, et sans jamais nous parler de rien, même quand nous tentions d’obtenir des confidences. Puis il est parti pour Paris. Claire le voit parfois. Claire, quand je pense que cette eau dormante de Claire connaît Paris avant nous ! Claire prétend qu’Alain est très intelligent. Elle m’a aussi écrit qu’il s’était informé de Nicole. Donc, plus de correspondance.

— Avec Nicole, pourquoi chercher ? Nous ne saurons rien. Tu la connais comme moi ; discrète, secrète plutôt, seule, distante ; bavarde uniquement si elle parle de religion ou de sport. Quel contraste. Elle ne continue pas à lire autant que nous. Elle se spécialise. Elle lit les Goyau, Élisabeth Leseur. Sais-tu ce que je dévore, en ce moment, moi ? Dickens. Je trouve ses livres merveilleux, Monique. En tramway, je viens aussi de terminer T « Atlantide ». Un conte pour grande personne !

— Un conte qui contient tout de même une vérité : l’immortel désir des hommes pour les choses hors d’atteinte. Ce n’est pas non plus le genre de livre que j’aime. J’aime mieux les romans qui ressemblent à la réalité. Même s’ils sont tristes.

Te souviens-tu du temps où nous discutions du bonheur ? Existait-il, n’existait-il pas ? La grande question !

— Moi, dit Lucette, je soutenais et je soutiens encore, qu’il ne fait que passer. Impossible de le stabiliser ! Avais-je raison ?

Elle semblait sous-entendre « Toi qui es mariée, tu le sais ». Mais Monique, distraite un moment par une pensée, — peut-être ce bilan du bonheur qu’elle essaie d’établir, — demeure silencieuse. Alors Lucette continue :

— Le bonheur, il est en soi, paraît-il. On le fait soi-même. Je n’ai jamais oublié ce jour que nous avions passé au couvent Villa Maria, avec Mère Sainte-Marie. Il faisait un temps merveilleux. Nous nous étions promenées longtemps dans la belle avenue, sous les beaux arbres, et sous un ciel clair. Mère avait dit tout à coup : « Mes petites filles, on fait soi-même son bonheur ». Elle l’avait répété deux fois, sans explication. J’avais cru qu’elle allait nous faire un sermon. Aujourd’hui, je réentends sa phrase, et je l’interprète comme une simple constatation qu’elle nous servait en exemple, sans intention de prêcher, sous l’impulsion du doux moment. Elle devait soudain se sentir heureuse et contente de son choix.

— Elle avait raison pour elle peut-être, mais pas pour moi, dit Monique ; non, je ne fais pas moi-même mon bonheur, je le défais. J’aime Maurice. J’aime mes enfants. Mais ce n’est pas tout le temps le bonheur. Il y a toujours des montagnes d’inquiétudes, de soucis, de désirs non réalisés, obsédants. En ce moment, je ne trouve pas la vie embêtante, mais au fond, mon petit, elle l’est toujours. Mon intelligence me force pourtant à constater que ma vie d’aujourd’hui est la félicité la plus pure à côté de mes dix-huit ans pauvres, sous des robes tant de fois refaites. Pourtant quelle gaieté ! Que nous étions drôles ! Je me regarde de haut, quand je me revois à cet âge, mais avec une espèce d’admiration. Que d’idées nous avions. Aujourd’hui mes idées s’arrêtent au niveau du dîner, des soins aux mioches, des commandes à l’épicier et au boucher ; des lainages des enfants à laver moi-même pour qu’ils ne rétrécissent pas, et du régime de ces pauvres chéris. Je n’ai pas un instant pour me cultiver l’esprit. Et encore, je ne suis redevenue moi-même que depuis la naissance de Josette. M’avez-vous trouvée bien sotte, ma chère Lucette, les premières années de mon mariage ? Monique Chênevert n’existait plus. Il y avait à sa place une petite madame Longpré bébête et insignifiante, qui abdiquait toute personnalité, n’entreprenait plus rien de sa propre initiative, dans son désir de plaire à son Seigneur et Maître ! J’adoptais ses opinions sans les discuter, je n’avais plus de volonté, femme soumise, incolore, presque tremblante, mais d’amour ! Oh ! la ! la ! Ensuite s’est jointe à cette jeune madame Longpré épouse, madame Longpré maman ! Penchée nerveusement sur Jacques, nouée à Jacques, prisonnière aux heures de biberon, anxieuse et éperdue pour un petit retard intestinal, désespérée pour un soupçon de fièvre, pour la moindre maladie. Je serais tombée malade, si la bonne l’avait touché, ce précieux Jacques. C’était splendide, admirable, mais idiot. Seulement, je t’assure que je n’avais pas conscience d’être malheureuse. Et sur ce chapitre, Maurice était aussi ridicule que moi. Quand je pense au jour où pour la première fois nous avons glorieusement promené dans la voiture neuve un petit Jacques de huit semaines enfoui sous une énorme fourrure blanche, quelle comédie ! Nous poussions chacun notre tour. Aux coins des rues, nous nous mettions à deux pour descendre monsieur sans secousse. Quand nous rencontrions des amis, nous avions pour les saluer un sourire de fierté. Nous avions réellement l’impression d’être les premiers père et mère de la création ! Les seuls à posséder un pareil trésor, une pareille merveille, une telle gloire. Quand j’y pense. Au coin d’une rue, à la fin comme nous attendions pour traverser, une petite fille est venue se pencher sur la voiture et s’en est allée vers ses compagnes en déclarant d’un ton déçu :

— Ah ! Il n’y a rien dans le carrosse !

Nous avons vite regardé. C’était vrai ; on ne voyait absolument rien de l’enfant : la fourrure blanche dissimulait tout le pauvre petit paquet de chair endormie. Alors, nous avons ri. Mais nous rions bien plus aujourd’hui, quand nous en reparlons !

Lucette écoutait. Mais le bonheur, c’était cela le bonheur. Du bonheur qu’elle ne connaîtrait pas. « Nous avons ri, nous rions, » ces mots sous-entendaient une telle communauté de biens, à laquelle elle avait renoncé. Ses perspectives de voyage en France, son existence agitée, n’était-ce pas une route anormale à suivre, pour une femme ? Elle se sentait subitement pauvre en se comparant à Monique. Le petit Jacques entrait au salon, une grande bavette au cou ; il s’était enfui pendant son souper pour dire un secret à tante Lucette. La bonne vint le reprendre, mais Monique l’avait serré bien fort contre elle :

— Qu’il est rusé !

Mais tout de suite, elle s’arrêta :

— Non, je ne parlerai pas de mes enfants. Les mamans m’ont assez embêtée avec les prouesses des leurs. Je te fais grâce. Et toi, raconte quelque chose. Je ne sors pas, tu sais.

Lucette raconta. Des livres, des concerts, elle passait aux gens. Les deux enfants, beaux à croquer dans leurs pyjamas roses et bleus, vinrent dire bonsoir.

— Et maintenant, nous ne les entendrons plus jusqu’à demain matin. Raconte, raconte encore. Elles étaient heureuses ensemble. Le jour n’entrait plus par les fenêtres, mais elles n’avaient allumé qu’une toute petite lampe, et dans la pénombre, les pieds remontés sur les fauteuils, à l’aise, elles causaient à bâtons rompus.

Monique dit soudain :

— Remarques-tu, en vieillissant, comme les gens à qui l’on dit « tu » deviennent précieux ? Depuis cinq ans, j’ai changé de milieu, j’ai de nouvelles amies. Je les trouve agréables, je les aime bien, mais ce ne sera jamais la même chose. On se lie plus difficilement, plus superficiellement à notre âge. Tandis qu’entre nous, c’est le grand charme, la sincérité, la confiance, et cette conviction que vivrions-nous cent ans, nous nous retrouverions toujours avec la même joie. J’espère que je ne me trompe pas, que je ne m’illusionne pas ?

— Tu ne te trompes pas. Et cependant, j’ai craint qu’une fois mariée, tu ne fusses différente, lointaine…

— Dans un sens, tu avais raison. Moi, tu sais, je préférerais que tu te maries aussi, que ton mari et Maurice s’entendent bien ; et tout serait ensuite pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Lucette rougit sans répondre. Heureusement, la bonne sonnait le gong : madame était servie.