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La traduction française du Manuel d’Épictète/02

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INTRODUCTION


Le mouvement de la Renaissance du stoïcisme se marqua tout particulièrement au xvie siècle par la traduction d’Épictète. Dès 1544, Antoine Du Moulin, valet de chambre de la reine Marguerite, « translata le Manuel en français ; c’était une preuve évidente que cette œuvre se vulgarisait. En 1567, un franc Réformé, André Rivaudeau, publiait une nouvelle traduction française. Comme tous ceux de la Réforme, il avait été frappé de cette merveilleuse coïncidence entre deux belles et grandes doctrines sur les deux points les plus importants de la morale et il avait ajouté des commentaires à sa traduction. En 1591, peut-être même déjà en 1585, un magistrat, qui plus tard devint évêque, Guillaume Du Vair, reprenait le même travail ; cette fois, il s’abstenait de commenter directement le Manuel, car il allait développer de façon plus ample la doctrine des stoïques que nous avons étudiée ailleurs[1]. Le traducteur n’est plus protestant, mais catholique convaincu, à l’esprit large, plus préoccupé pourtant de morale que de dogme ; c’est un des plus illustres représentants de cette lignée de stoïciens chrétiens, que nous avons appelés les néo-stoïciens.

Il nous a donc paru utile de détacher de ce groupe de traductions françaises celle qui pourrait le mieux mettre en relief les traits caractéristiques de cette transplantation d’Épictète dans notre littérature française. Celle de Rivaudeau est intéressante, en effet, à ce double point de vue qu’elle est à la fois au terme et à l’arrivée de deux courants assez nettement définis et bien distincts. Rivaudeau se sépare du groupe des traducteurs latins en critiquant avec assez de vigueur et même de sévérité la version de Politien et celle de tous les traducteurs qui, en dépit des améliorations apportées au texte grec, persistent encore à suivre ce modèle. Il n’abandonne point par ailleurs le souci d’utiliser chrétiennement le Manuel et se montre par là le descendant des commentateurs latins qui tous, ou presque tous, avaient comme lui abordé Épictète avec des préoccupations morales et religieuses. D’autre part, son souci de traduire un texte exact, son désir de revêtir le plus clairement, disons plutôt le plus pittoresquement possible, de notre belle et savoureuse langue du XVIe siècle la pensée d’Épictète, le place au premier rang des traducteurs français.

Mais il y a plus aujourd’hui que le texte du Manuel, intégralement établi, a permis aux éditions classiques de se multiplier, il est intéressant de suivre dans le passé l’histoire de ces premiers essais de la traduction française du Manuel et de pouvoir ainsi les retrouver même chez des auteurs tout modernes. Reprenons donc brièvement l’histoire des prédécesseurs de Rivaudeau, de ceux dont les traductions ont préparé et rendu possible son œuvre.

Ce sont les traductions latines qui ont donné le premier élan à la vulgarisation du Manuel. Ce mouvement commença en Italie. Au XVe siècle déjà, un essai fut tenté, celui de Perotto, imparfait sans doute, et par cela même infructueux ; mais toutefois il indiquait la direction. Peu de temps après paraissait, en effet, la Version de Politien, dont l’importance fut si grande que non seulement elle fut reproduite par tous les contemporains, mais encore par ceux qui vinrent ensuite, alors même qu’elle ne correspondait plus au texte correct mis en cours. C’est que, d’autre part, des efforts persévérants pour améliorer un texte reconnu défectueux par Politien lui-même, avaient été tentés par des humanistes distingués : les Trincavelli, Caninius, Cratander, Haloander, Scheggius, etc. Tout ce mouvement aboutit à de nouvelles traductions latines, celles de Naogeorgius (1554), de Wolf (1563), traductions intéressantes en ce qu’elles précisent une certaine tendance à faire du Manuel un code de morale chrétienne et qu’elles témoignent une fois de plus de la vitalité de cette renaissance du stoïcisme et de ses caractères fondamentaux.

C’est dans un tel milieu, entraîné par ce courant très net d’idées morales et religieuses, que Rivaudeau va traduire de façon fort originale le Manuel d’Épictète et lui donner droit de cité dans notre littérature du xvie siècle.




  1. Cf. mon ouvrage : La Renaissance du stoïcisme au xvie siècle.