La traduction française du Manuel d’Épictète/03

La bibliothèque libre.



PREMIÈRE PARTIE

LES TRADUCTIONS LATINES
DU
“MANUEL”
AU XVe ET AU XVIe SIÈCLE




LES TRADUCTIONS LATINES


La première traduction latine nous est donnée par un certain Nicolo Perotto[1], attaché à la personne du cardinal Bessarion. Bessarion était originaire de la Grèce. Né à Trébizonde, il avait passé quelques années à Constantinople, comme étudiant. Lorsqu’il vint en Italie et qu’il entra définitivement dans l’Église romaine, il voulut faire connaître les trésors de son ancienne patrie, et se montra très ardent à rechercher les manuscrits, à grouper autour de lui des hommes de valeur, des humanistes distingués. C’est ainsi qu’il s’attacha Perotto, et que Perotto, auprès d’un tel protecteur, se trouva tout naturellement porté à traduire Épictète, à l’aide du Commentaire de Simplicius. Ce fait a son importance, car la morale d’Épictète prenait valeur et force, en s’appuyant sur les dogmes platoniciens qu’avait tout particulièrement défendus Simplicius : une conscience de chrétien pouvait dès lors l’admettre sans scrupule. Simplicius donne en effet à la doctrine vigoureuse, mais un peu trop succincte, d’Épictète les principes de la métaphysique platonicienne. Cette liberté qui fait la dignité de l’homme, et que dégage si bien le Manuel, lorsqu’il indique par quels moyens nous la pouvons conquérir, en nous détachant de tout ce qui ne dépend pas de nous, Simplicius la fonde en raison, en montrant qu’elle est l’essence de l’âme, essence absolument distincte et séparée du corps et de ses passions, essence qui existe encore après la mort. Le corps n’est qu’un instrument dont l’âme se sert dans la mesure où il est possible de le faire, tout en développant son activité raisonnable. Avec Simplicius, le Manuel prend place, en quelque sorte, dans la philosophie platonicienne à titre de morale pratique. C’est l’impression très nette qui se dégage de la préface du Commentaire de Simplicius, que reproduira dans ses parties essentielles Politien, l’illustre traducteur du Manuel. Grâce au Commentaire de Simplicius, qu’un courant de philosophie favorable au platonisme avait mis en honneur en Italie, on pourra dire qu’Épictète apparut tout d’abord sous couleur platonicienne : un fait positif le prouve.

Ce qu’on appellera dans les éditions critiques l’édition « princeps de Venise » désignera une édition entremêlée du texte d’Épictète et du Commentaire de Simplicius. Un exemplaire de ce genre se trouve à la Bibliothèque Nationale et a dû appartenir au janséniste Ant. Feydeau. Le texte est complété et corrigé par des notes écrites à la main[2]. Cette édition remonte à 1528. Venetiis per Joan. Antonium et Fratres de Sabio, trouvons-nous à la fin du volume. Les sections ou chapitres ne sont distingués par aucune note de chiffre, ni aucune lettre. Depuis le commencement jusqu’au milieu du livre, chaque verset d’Épictète se trouve en quelque sorte encadré par le Commentaire, et le texte est mis en entier. Puis, à partir du chapitre correspondant au chapitre XXV de nos éditions modernes, le texte est incomplet, des paragraphes entiers sont parfois supprimés. Or, il ressort des remarques faites par Schweighäuser dans son édition critique, qu’il dut y avoir nombre de manuscrits du Commentaire avec texte incomplet du Manuel ; ces manuscrits forment donc comme un groupe d’une même famille et furent le point de départ des premières traductions. Ce seront les Simpliciani Codices.

Ces remarques faites, nous pouvons donc aborder la première traduction latine qui vraiment marque une date dans cette histoire de la traduction du Manuel, à la Renaissance : nous voulons dire la version latine de Politien.


CHAPITRE I.

LA VERSION LATINE DE POLITIEN.
LE STOÏCISME DE POLITIEN.

Une première édition de cette traduction aurait paru avant 1498[3]. Ce serait sans doute Florence et la célèbre bibliothèque des Médicis qui aurait fourni à Politien le texte manuscrit sur lequel il fit sa version. Politien fut le protégé des Médicis, de Laurent tout particulièrement qui le traita magnifiquement en lui accordant, non seulement dans son palais à Florence, mais encore dans une délicieuse retraite à Fiesole, une vie de bien-être et des loisirs qui permirent à ce poète bibliophile, enthousiaste des auteurs grecs, de découvrir les trésors de l’antiquité. C’est au cours de ses laborieuses recherches qu’il tomba sans doute quelque jour sur un de ces manuscrits, où le Manuel d’Épictète se trouvait mêlé au Commentaire. Élève de Marsile Ficin, passionné comme lui pour cette Grèce qui revivait dans le milieu enchanteur de la Florence des Médicis, il se laissa prendre à la logique des idées, comme il se laissait prendre à l’harmonie de la forme, et le Manuel d’Épictète le séduisit, si sévère fût-il.

Épictète avait trouvé le secret d’équilibrer, d’unifier les forces de la nature que les hommes de la Renaissance, et Politien comme les autres, sentaient se combattre avec tant de passion en eux.

Il suffira, du reste, de relire la lettre que Politien adresse à Laurent de Médicis, en lui dédiant sa traduction, pour comprendre que ce n’est point l’humaniste seul qui fut entraîné vers Épictète, mais l’artiste moraliste, disciple de Platon, soucieux de l’harmonie des forces de l’âme ; le lettré reconnaissant, soucieux de rendre en bien moral à un maître généreux le fruit d’un travail qu’il devait à ses largesses.

Il a découvert ce manuscrit en fouillant la riche bibliothèque de Laurent de Médicis ; ce petit opuscule, unique en son genre, il l’a cueilli comme on cueille une fleur rare par sa délicatesse, dans un jardin, et il l’offre à son maître[4].

Ce livre lui semble convenir à merveille à Laurent de Médicis, si naturellement porté à accomplir de grandes choses, des tâches difficiles dans un temps très dur.

D’ailleurs, il trouve qu’il se dégage de cette parole d’Épictète, si pleine d’énergie, une force admirable pour l’action, et pour l’action morale, car celui qui reconnaît ses propres passions doit, en le lisant, sentir l’aiguillon qui le pousse à les corriger[5]. Impossible donc, suivant Politien, de se dérober à l’influence morale d’un philosophe qui sait disposer tous ses préceptes dans un ordre admirable.

Les chapitres qui forment le Manuel tendent tous vers un centre unique le développement de l’âme raisonnable, et Politien exprime ainsi pour sa part le besoin d’ordre et d’harmonie cher à tout artiste véritable, en vantant l’efficacité de cet admirable Manuel qu’il importe, comme son nom d’Enchiridium, ou petit poignard, l’indique, d’avoir toujours comme une arme à la main.

Et si l’on veut avoir plus nette encore cette appréciation de Politien sur le Manuel, il faut reprendre la lettre qu’il écrivit au sujet d’Épictète à l’un de ses contemporains et rival, Bartolommeo Scala[6]. Ce dernier était, comme Politien, protégé de Cosme et de Laurent de Médicis ; chancelier de Florence, il était même compté au nombre des ennemis personnels de Politien. Le ton d’urbanité sur lequel lui répond le grand humaniste ne le laisse pas voir, mais n’exclut point cependant une certaine vigueur. Politien se croyait quitte envers ses contemporains, après leur avoir laissé cette traduction d’Épictète, qu’il estimait à bon droit comme très efficace et très salutaire. Or, il se trouve que Scala non seulement ne partage point son admiration, mais encore s’en prend directement aux enseignements d’Épictète qu’il trouve obscurs, surhumains et faux. Politien répond dans cette lettre, fort intéressante d’ailleurs, à ces trois arguments, et comme il y répond en se servant le plus souvent des développements platoniciens qu’il a trouvés dans la préface du Commentaire de Simplicius, nous aurons là une indication très précise sur sa manière d’interpréter le stoïcisme.

C’est en somme la thèse fondamentale du Manuel qu’il défend en l’appuyant, comme le fit Simplicius, sur la métaphysique platonicienne. Le Manuel apprend à vivre, mais à qui ? Non point à ceux qui, dégagés de leur corps, vivent déjà d’une vie contemplative, ni à ceux qui, déjà maîtres de leurs passions, sont des âmes purifiées et n’ont plus besoin de règles pratiques de vie, mais à ceux qui sont en passe de se purifier, car ils ont compris ce qu’est véritablement l’homme. Et ici Politien reprend, comme Simplicius dans sa préface, la thèse de l’Alcibiade de Platon. Il ne s’en cache point[7], car, pour lui, ce qui fait la force et la valeur du Manuel d’Épictète, c’est qu’il est l’application de cette vérité fondamentale, que toute l’essence de l’homme réside dans son âme raisonnable. En effet, écrit-il à Scala, il faut ou bien que l’homme soit corps, ou bien qu’il soit âme, ou encore les deux ensemble. Or, il est un fait évident, c’est que l’âme est-ce qui meut le corps[8], et le corps vis-à-vis de l’âme joue donc le rôle d’instrument ; par conséquent, l’homme véritable est celui qui se livre à sa tâche d’homme et qui cultive son âme raisonnable[9], et ce qui seul dépend de son âme. À la lumière de cette vérité, s’éclaire merveilleusement la division d’Épictète entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas. Tout ce que prescrit Épictète est bien en notre pouvoir, puisqu’il nous apprend à nous détacher de tout ce qui n’est point l’âme raisonnable.

Sur cette base solide, il est facile à Politien de bâtir la réfutation des arguments de Scala. Épictète n’est point obscur ni faux, puisque toute sa doctrine se justifie par ces vérités fondamentales de la distinction de l’âme et du corps et de la valeur en soi de l’âme raisonnable ; tout au plus pourrait-on lui reprocher la concision de ses préceptes. Mais c’est un code de lois qu’il prétend donner dans ce petit Manuel, il n’a point l’intention de combattre par des plaidoyers[10]. Il remplit donc fidèlement son rôle ; et de même que les mathématiciens ne cherchent point à démontrer les principes sur lesquels ils s’appuient, de même Épictète ordonne son livre de telle sorte qu’il considère comme accepté ce qui a été démontré par Platon, et que de là il tire toute la série de ses préceptes[11]. Du reste, rien de plus net, de plus substantiel que ces règles de vie, rien de plus lucide, et il n’est nul besoin, pour y voir clair, des yeux de lynx d’un Scala, il suffirait de ceux d’un simple[12].

Le programme d’Épictète n’est point non plus au-dessus des forces humaines ; sur ce point, Politien est peut-être moins heureux. Ce ne sont que des exemples qu’il peut alléguer en réponse aux accusations de Scala, exemples qu’il va chercher dans le Manuel lui-même. Qu’y a-t-il d’irréalisable pour les forces humaines de penser à la mort, à l’exil, à la perte d’êtres chers, et de nous y préparer en y pensant ?… De penser, en somme, à ce qui va nous arriver. Tout ce qui arrivera au delà de notre espoir ne sera-t-il pas un gain ? Quoi d’inhumain encore à aimer comme des êtres mortels, femme, fils, époux, pour ne pas être troublé par leur mort ? Sans doute, la nature nous commande les larmes et il est difficile de nous en abstenir, mais puisque nous trouvons des exemples de sages impassibles, Solon, Caton, etc., pourquoi n’y en aurait-il pas d’autres ? Et voilà comment Politien défend Épictète en acceptant sans hésiter et dans toute sa rigueur la doctrine, ou plutôt la discipline de ce maître incomparable, de cet ascète qui sut prêcher le renoncement, la résignation, la piété et le vrai bonheur en termes si simples et si clairs.

LA TRADUCTION DU « MANUEL » PAR POLITIEN.

Mais revenons au texte du Manuel. Quel put être celui dont se servit Politien ? Lui-même nous répondra dans la lettre qu’il écrivit à Laurent de Médicis, lettre qui fut presque toujours dans la suite publiée avec la traduction.

Il avait, dit-il, entre les mains deux exemplaires entièrement incorrects et en plusieurs endroits incomplets. Lorsqu’il eut entendu qu’il en existait encore d’autres du même genre, il prit la liberté de compléter et de corriger son texte à l’aide du Commentaire de Simplicius[13].

Il y a, en effet, des ressemblances assez probantes entre la traduction de Politien et celle du Commentaire. Au chapitre XXIX des éditions modernes, nous lisons ce texte (parag. 4) : « Aussi certaines gens, parce qu’ils ont vu un philosophe, ou parce qu’ils en ont entendu un qui parlait comme parle Euphrate… veulent philosopher, eux aussi… »

Politien avait traduit (cap. XXXIV) « Sic nonnulli cum philosophum intuentur, aut cum a quopiam audiunt, bene Socrates dicit…, volunt et ipsi statim philosophari. » Or, il se trouve que dans le Commentaire le nom de Socrate figure également à la place d’Euphrate.

D’autres exemples de ces rapprochements de la version de Politien avec le Commentaire de Simplicius sont encore plus significatifs. Au chapitre XL des traductions modernes, nous trouvons « Les filles ont à peine atteint l’âge de quatorze ans, que les hommes leur donnent le nom de dames ; elles commencent à se parer, et mettent toutes leurs espérances dans leurs ornements. Mais il leur faut faire comprendre qu’elles ne peuvent plaire et se faire respecter que par leur sagesse, leur pudeur et leur modestie. »

Comparons le texte latin correspondant de Politien (cap. LV), et nous verrons la différence « Mulieres statim a decimo quarto anno dominæ vocantur. His enim viri ob concubitum blandiuntur. Virorum ergo culpa sibi deinceps nimis placent. Monendæ igitur sunt fore apud nos in honore nihil ob aliud nisi si modestæ sint et virum revereantur. »

C’est à peu près la traduction fidèle de ce passage du Manuel du Commentaire : « Mulieres statim ab anno decimo quarto a viris dominæ vocantur. Proinde cum vident, se nihil aliud habere muneris, nisi ut cum viris concumbant comere se incipiunt, atque in ornatu spem collocant omnem. Quare operæ precium est, dare operam ut sentiant, sibi non ob aliud honorem haberi, nisi quod et modestas se præbeant et verecundas ac temperantes. »

D’autres fois, c’est au Commentaire même que Politien fait des emprunts quand le texte du Manuel est par trop mutilé.

Au chapitre LVI, il écrit : « Degeneris signum est, insistere iis, quæ corporis sunt ut : plurimo exercitio, plurimo corporis cultui. Sed et consensus cujusdam supervacanei signum est. Quibus enim gaudemus, cum iisdem consentimus. Oportet igitur nimiam corporis curam, velut ab re esse arbitrari. Maxime vero curam ejus habere, quod ipso utitur corpore. »

Il est évident que ce chapitre fait plus d’un emprunt au passage suivant du Commentaire : « Neque vero obtusi tantum ingenii signum est, occupari circa corpus, sed immodici, etiam ejus amoris. Quibus enim rebus gaudemus atque adficimur, iis immoramur. Est igitur, inquit, occupatio corporis, accessio quaedam judicanda, præcipua vero cura ei impendenda, quod corpore utitur[14]. »

Dans les deux passages qu’il emprunte directement au Commentaire, Politien se laisse guider par des préoccupations de philosophe. On dirait qu’il tient à dégager l’idée dominante du néoplatonicien Simplicius sur les rapports de l’âme et du corps, le corps étant toujours considéré comme l’instrument de l’âme et n’ayant dans la vie morale qu’un rôle tout à fait secondaire.

Si par ses emprunts au Commentaire de Simplicius, et par les deux lettres célèbres qu’il adressa, l’une à Laurent de Médicis, l’autre à Bartolommeo Scala, Politien a montré dans quel esprit il entreprit la traduction du Manuel, il nous reste encore à étudier comment il y réussit. C’est dans la traduction même du Manuel, par la division qu’il fait des chapitres, par les titres fort significatifs qu’il y ajoute, que Politien a essayé de marquer en quelque sorte l’ordre logique qui relie entre elles toutes les parties de ce petit traité et d’en dégager l’esprit à sa manière.

Lorsque Politien avait écrit dans sa lettre à Laurent de Médicis que les préceptes d’Épictète étaient disposés dans un ordre admirable et qu’ils tendaient tous vers un centre unique, ce n’était point un jugement superficiel qu’il formulait, mais il exprimait le résultat pratique de ses propres expériences. En effet, par la manière dont il coupe certains passages, ou dont, au contraire, il en groupe certains autres, on sent qu’il est surtout attentif à l’enchaînement des idées[15].

Le Manuel apparaît à travers sa traduction divisé en trois parties[16]. Dans la première, il serait question de la grande division entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas, et des caractères essentiels de ces deux catégories de choses. La deuxième s’adresserait tout particulièrement à cette classe d’hommes qui est en progrès ; à ceux qui veulent être philosophes, commencent à l’être, mais timidement. Les préceptes énoncés dans la première partie leur conviennent, mais il faut cependant que de nouvelles règles s’y ajoutent. Enfin, une troisième partie comprendrait une classification générale et pratique de nos devoirs devoirs envers les autres, envers les dieux, envers nous-mêmes.

Le plan du Manuel se dégage ainsi très net ; il se précise encore par la division des chapitres, qui permettent au traducteur de faire en quelque sorte l’analyse des idées principales.

Au chapitre premier, nous trouvons, en effet, la grande division des choses qui sont nôtres et de celles qui nous sont étrangères, mais aussi ce qui caractérise ces deux ordres de choses. Ce qu’il peut nous advenir de la connaissance ou de l’ignorance de cette distinction, tel est l’objet du chapitre II, tandis que les chapitres III et IV nous énumèrent des préceptes de conduite.

Il faut renoncer à ce qui nous est étranger, nous occuper seulement de ce qui est vraiment nôtre, car nous ne pouvons suivre deux ordres de choses aussi différents. Devant toute image pénible, il faut évoquer le mot d’ordre : « Tu n’es qu’imagination… »

Voilà nettement analysé ce que nous trouvons groupé en un seul chapitre dans les traductions qui suivirent et que l’on se contentera d’intituler « Distinction de ce qui dépend de nous et de ce qui n’en dépend pas ». Politien avait mieux fait, lorsqu’il avait subdivisé cette première matière si importante du Manuel[17].

Cette première distinction, avec ses préliminaires, nous apprend, en effet, à nous conduire dans la vie[18] quant à la grande ligne qu’il faut y suivre. Il reste alors à se préparer à l’action, afin qu’elle soit exempte de trouble, et pour Politien, l’on s’y prépare par la méditation[19]. Ce mot, à première vue, nous étonne ; il n’est point d’un stoïcien, mais n’oublions pas qu’il y avait eu une paraphrase chrétienne du Manuel, qui suivit de très près le Commentaire de Simplicius et que, par conséquent, Politien dut la connaître[20].

Or, en quoi consiste cette méditation ? Le titre même du chapitre nous l’indique : à considérer la nature des choses qui nous troublent, en un mot à redresser l’opinion. Il y a, en effet, trois classes d’hommes : ceux qui accusent les autres de leurs maux, ce sont les ignorants ; ceux qui s’accusent eux-mêmes, ce sont ceux qui commencent à s’instruire ; et enfin, ceux qui n’accusent ni les autres, ni eux-mêmes, ce sont ceux qui véritablement sont instruits[21]. Mais comme il se peut que des biens extérieurs nous soient accordés, il importe que nous sachions en user[22]. Ces préceptes posés, la nature nous a donné des forces pour les suivre. Le Manuel nous les énumère[23]. Nous apprendrons à demeurer impassibles en perdant des biens, lorsque nous saurons que nous ne faisons que les rendre[24]. Nous ne serons pas atteints par les revers[25], nous ne nous préoccuperons point des jugements du vulgaire, de la vaine gloire, nous ne désirerons rien de ce que nous ne devons pas désirer. Nous serons libres[26]. Puis, lorsqu’il s’agira de déterminer le choix des choses présentes, passées et futures, le précepte se précise dans la pittoresque comparaison du banquet. Ainsi nous modérerons notre imagination au sujet des choses qu’il faut faire, nous comprendrons le rôle qu’il nous faut jouer dans la vie sans nous laisser accabler par la crainte des maux[27]. Et nous aurons enfin l’assurance du succès dans l’action, en prenant pour précepte de ne rien entreprendre qui soit au-dessus de nos forces[28]. Tel est le chemin qui conduit à la liberté[29]. et pour s’y maintenir et éloigner les obstacles qui arrêtent notre marche, nous n’avons qu’à nous souvenir que les maux ne sont qu’opinions et avoir sans cesse présente à nos yeux l’image de la mort[30].

Cette première étape franchie, Politien passe à la deuxième partie du Manuel, qu’il désigne textuellement par le mot « secunda pars »[31]. Il s’agit maintenant non plus seulement des préceptes qui conviennent à un homme du commun, mais à un homme qui vise à la sagesse. Des dangers guettent impitoyablement ceux qui commencent à philosopher, et ils sont déchus de leur dignité de philosophe dès qu’ils se tournent vers les biens extérieurs. Il convient donc qu’ils apprennent de quelles pensées ils doivent se défendre, s’ils veulent rester philosophes[32], quelles sont celles, au contraire, auxquelles il convient de s’arrêter.

Enfin, dans une troisième partie, que Politien indique moins nettement, cette fois, que la deuxième, mais qui se dégage par les titres mêmes qu’il donne aux chapitres, nous ayons tout un traité des devoirs, divisés avec beaucoup de clarté en devoirs envers les autres hommes[33], devoirs envers les dieux[34], avec leurs corollaires, devoirs envers les oracles[35] et, par conséquent, corrélation possible entre les devoirs envers les dieux et les devoirs envers nous-mêmes[36]. Ces derniers devoirs sont ensuite admirablement analysés. Politien ne craint point de les diviser et de les subdiviser pour bien mettre en relief tous ces conseils particuliers dont abonde le Manuel, sur l’usage de la parole, le silence, le serment, notre attitude à table, en compagnie, sur l’usage des biens du corps, sur les spectacles, les réunions publiques, etc.

Et, jusqu’aux derniers chapitres, Politien continue à détailler ces préceptes, avec une précision remarquable, achevant ainsi son œuvre d’analyse[37].

Cette énumération quelque peu fastidieuse des chapitres était nécessaire pour faire comprendre comment Politien avait su saisir dans l’ensemble cette doctrine si simple et si forte, et comment il l’avait pénétrée dans le détail. Il n’avait point voulu là faire seulement œuvre de philologue, mais bien œuvre de philosophe, en mettant ainsi en relief tout ce qu’il avait senti dans ce petit traité de merveilleusement efficace pour ses contemporains et pour lui-même. Il a vraiment montré comment ces chapitres, qui apparaissent sans lien, convergent tous pourtant vers un centre unique, la distinction entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas, distinction intimement liée à celle que les Platoniciens mettent à la base de leur philosophie entre le corps et l’âme.

Mais s’il est possible de reprendre ainsi toute l’analyse du Manuel par la simple révision des titres, cela tient encore à cette perspicacité du traducteur, qui sait toujours dans un paragraphe distinguer le mot essentiel pour l’encadrer dans un titre. Soit le chapitre IV par exemple, qui roule tout entier sur l’imagination, et l’imagination pénible, il l’intitule « Quo nos pacto in aspera quavis imaginatione gerere oporteat. » Au chapitre VIII, il est parlé du trouble que l’homme ressent de l’opinion qu’il se fait des choses. C’est encore sur ce mot trouble qu’appuie le traducteur « De perturbatione declinanda, etc. » Au chapitre XXV, il faut aller tout à la fin pour trouver le mot de liberté, sur lequel porte cependant tout ce développement. Politien le comprend et l’exprime ainsi « Quae via ad libertatem expeditissima sit. »

Mais, en même temps que traducteur intelligent, Politien se montre traducteur fidèle. Fidèle, en ce sens qu’il sait observer ces nuances subtiles entre les termes que la philosophie stoïcienne tient si proches les uns des autres. Ce n’est pas indifféremment qu’il use de synonymes, se servant tantôt du mot « imaginatio », tantôt du mot « opinio »[38], par exemple. L’imagination représente bien pour lui l’image passive que forme en nous la représentation de l’objet extérieur, et l’opinion est cette image acceptée par le jugement. Du reste, jamais Politien ne semble céder au goût de son temps, au plaisir d’arrondir ses phrases, de faire de l’éloquence. C’est le plus souvent mot à mot qu’il traduit le texte grec, et c’est peut-être cela surtout qui fait la valeur de sa traduction. Il suffit de parcourir le premier chapitre et de le comparer au texte grec définitif, nous serons aisément convaincus que Politien le suit mot à mot.

D’autre part, s’il est nécessaire pour la clarté du sens de répéter le même mot, Politien ne s’en fait point scrupule et ne se soucie nullement de sacrifier l’exactitude à la variété du vocabulaire. Relisons le chapitre XII, et nous pourrons noter facilement combien de fois il reprend le même terme[39] ; mais sans que cette répétition nuise d’aucune sorte à sa traduction, elle ne fait qu’y gagner en vigueur.

Puis les jolies et pittoresques métaphores d’Épictète, lorsqu’il compare la vie à un banquet, à une comédie ou à un voyage ; l’homme qui la vit au convive qui laisse avec indifférence passer les plats, sans les retenir, en les touchant à peine, à l’acteur qui joue son rôle, ou au passager. qui ne quitte pas des yeux le pilote, pour ne point manquer à son appel ; comme le traducteur fait revivre le charme et la vigueur de ces symboles, et cela tout simplement, en les rendant avec la plus scrupuleuse exactitude[40] !

Politien semble, du reste, goûter tous ces mots qui font image, il ne manque point une occasion de s’en saisir, soit qu’il les trouve directement dans Épictète, soit qu’il puisse les glisser dans sa traduction sans fausser le sens. C’est le corbeau qui fait un croassement de mauvais augure (si corvus adversum crocitabit)[41], l’imagination qui vous saisit (ab imaginatione videlicet correptus)[42], le poste que Dieu nous a confié et où il faut que nous restions (tanquam sis a Deo in hac acie collocatus) (3), mais où, si nous faiblissons (si vero iis terga dederis) (4), nous serons doublement exposés à des quolibets (duplici irrisione afficieris) (5). C’est aussi le philosophe de fraîche date, que l’on accuse d’apparaître tout à coup (repente… philosophus emersit) (6), et qui est déchu de son rang dès qu’il se tourne vers les choses extérieures (scito te de statu decidisse) (7). Et l’on pourrait reprendre encore tout ce chapitre où Politien parle des jeux olympiques et où il suit pas à pas Épictète, dans tous les détails concrets qui expliquent ce qu’il est nécessaire de faire pour être vainqueur[43]. « Bene sese instituere, necessariis vesci, abstinere condimentis, exerceri ad necessitatem, ad praescriptam horam, in sestu, in frigore, frigidam non bibere, non vinum, etc. »

Mais résumons ces remarques ce qui fait surtout le mérite de cette traduction, c’est, semble-t-il, que l’auteur y a fait revivre Épictète lui-même, car il rend à merveille ce tour vif qui devait être celui de sa parole, cette langue imagée qui lui permettait de vulgariser Sa doctrine, et aussi cette phrase courte, hachée parfois, qui donnait au précepte la force d’une loi, d’un véritable commandement.



(3) Ibid., cap. XXVII.

(4) Ibid., cap. XXVII.

(5) Ibid., cap. XXVII.

(6) Ibid., cap. XXVII.

(7) Ibid., cap. XXVIII.

(8)

Voilà, certes, des raisons suffisantes pour expliquer le succès de la version de Politien pendant presque tout un siècle ; et si nous songeons, de plus, à cette habitude qu’avaient alors tous les auteurs de se copier les uns les autres, nous ne nous étonnerons plus qu’elle ait été reprise si souvent, même après la publication d’un texte complet et correct.


CHAPITRE II.
LES DESTINÉES DE LA VERSION DE POLITIEN.

La version de Politien semble occuper, en effet, toute la première partie du xvie siècle. Aucun effort de traduction sérieux n’apparaît pendant plus de cinquante ans. Cependant Épictète n’était point délaissé. Des éditions nouvelles se succèdent même avec une rapidité qui nous étonne. Il importe de les signaler, puisqu’elles n’eurent pas même le privilège, tout en publiant un texte exact et complet, d’entamer le crédit que l’on accordait alors à la version de Politien. Nous avons déjà noté l’édition de 1528, qui peut être considérée comme l’édition type des Simpliciani Codices. Elle était datée de Venise. Nous en trouvons une seconde toute proche, en 1535, qui contient à la fois le Manuel et les Entretiens en grec. Son auteur, Trincavelli, est un helléniste et médecin distingué. Originaire de la Toscane, d’une famille noble et riche, il commença ses études à Padoue, les acheva à Bologne, et témoigna durant ce temps d’une rare aptitude à la fois pour la médecine et la littérature grecque. Dans la suite, il dut s’appliquer tout particulièrement à la philosophie, puisqu’il occupa, dit-on, une chaire de philosophie et publia des éditions grecques fort estimées, et parmi celles-ci les Commentaires d’Arrien et l’Enchiridion d’Épictète[44], et d’autres ouvrages.

Dans la préface qu’il écrit[45] à Georges de Selve, évêque de Lavaur, ambassadeur de France à Venise, ce médecin philosophe nous montre qu’il comprend Épictète de la même manière que le délicat humaniste Politien : même préoccupation de part et d’autre. Ce qui décide l’auteur à entreprendre ce travail fort important par ailleurs, c’est moins le goût d’un lettré qui veut établir un texte, que le désir de répandre dans le public un ouvrage d’une utilité morale incontestable.

Frappé de l’étrange contraste entre la grandeur et la faiblesse de l’homme, de la facilité avec laquelle il s’élève très haut ou retombe très bas, enfin de cet éternel combat que se livrent en nous les sens et l’esprit, et où les biens du corps, ceux de la fortune, les mauvaises habitudes, les conversations malsaines, les livres dissolus amènent infailliblement la défaite de l’esprit, Trincavelli ne voit contre ce mal qu’un seul remède le bon exemple des hommes et des livres. Dès longtemps, ayant constaté à son époque une grande pénurie de bons exemples et de bons livres (1), il avait rêvé de mettre au jour quelque bon auteur, lorsqu’il lui en tomberait un entre les mains (2). L’occasion se présente admirable avec ces doctes et substantiels Entretiens qu’il vient de découvrir dans la bibliothèque de Georges de Selve. Aussi n’aura-t-il ni cesse ni repos qu’il n’ait l’ouvrage en sa possession pour le vulgariser, à la grande utilité des gens d’étude.

Il avait été, en effet, frappé de la beauté, de l’élégance de cet opuscule ; hormis les livres sacrés, il ne connaît rien de si haute valeur (3). Voilà les raisons qui ont poussé Trincavelli

(1) Cf. préf. cit. « His vero auxiliis si prioribus unquam sœculis indiguerunt homines, his ipsis temporibus maxime videntur egere, quibus adeo humanx vitas ratio contorta et depravata est, ut apud plerosque, virtus ipsa tanquam vanum et inane nomen habeatur. »

(2) ibid. « ... si quæ mihi offerentur optimorum authorum, monumenta, quæ diutius in tenebris latuissent. statim curare, ut in lucem prodirent, et a mendis quam maxime fieri posset expurgata, et pulcherrimis formulis excussa ut hac etiam ratione homines ad sui lectionem allicere possint. »

(3) ibid. « Cum igitur, vir clarissime, superioribus forte diebus ad manus meas pervenisset libellus quidam ex doctissima et copiosissima tua bibliotheca depromptus, ejus pulchritudine ac elegantia allectus, non potui me ab illius lectione continere, à entreprendre cette édition; elles sont d’ordre moral et donnent bien à Épictète, dans cette restitution du passé glorieux de l’antique Grèce, une place tout à part. Pour la première fois avec Trincavelli, les Entretiens sont répandus dans le public. Quelle est, au juste, la valeur de son texte ? Il ne nous appartient pas ici de l’établir; ce qui nous intéresse, c’est le Manuel qui l’accompagne et qui bénéficie d’un texte plus correct et plus complet que celui de Politien (1). Une nouvelle édition avait paru à Nuremberg en 1529, et à Bâle en 1531, dont il faut tenir compte, bien qu’elle soit encore accompagnée de la traduction de Politien et de sa lettre à Laurent de Médicis. Nous avons eu entre les mains et reliées en un seul volume ces deux éditions ; l’une, portant la date de 1529 et publiée à Nuremberg par Haloander ; l’autre, celle de 1531, et publiée à Bâle par Cratander (2). Ces deux éditions sont identiques et le texte du Manuel, très proche de notre texte définitif, est divisé en 62 chapitres. Si nous voulons nous rendre compte du progrès de la morale d’Épictète et des raisons de son succès croissant, il faut lire la préface latine qu’Haloander adresse à D. Julio Pflugk viro clarissimo...

Si Haloander a choisi ce texte comme sujet de ses études, c’est qu’il est fatigué des luttes d’école et qu’il sent le besoin d’une philosophie pratique, capable de lui apprendre non plus à discuter sur de vaines questions, mais à conquérir le calme de l’âme. Rien de semblable dans Platon, ni dans Aristote (3). Puis, pour fonder logiquement ce qu’il avance, l’auteur esquisse


(1) Cf. Schweighauser, ouvr. cit.

(2) Cf. (B. N., Réserv. R 2750-2751) ces deux éditions reliées en un seul volume.

(3) Cf. préf. cit. « Cum de integro novas litterarum formas grœcosque characteres instituisset Joan. Petreius, homo singularis industrie et qui in provehendis bonis litteris neque laborem fugit, neque sumptui parcit magnum me oper» precium facturum arbitratus sum, si in gratiam studiosorum de bibliotheca mea libellum, qui breves quasdam ex numerosis Epicteti Stoici voluminibus comme un plan du Manuel (1). Il reprend sous une forme plus succincte ce qu’avait fait Politien en développant les titres de ses chapitres. Politien n’est donc point oublié, et ce qui le prouve, c’est qu’Haloander et Cratander reprennent tous deux sa traduction et la lettre à Laurent de Médicis (2) !

Les successeurs d’Haloander vont néanmoins bénéficier des améliorations qui viennent d’être apportées au texte du Manuel ; nous l’avons vu avec Trincavelli, nous allons le constater à nouveau avec la traduction latine du Commentaire de Simplicius, que Caninius publia à Venise en 1546.

Savant grammairien, assez érudit en langues grecque et orientales, Caninius occupa tour à tour les chaires de Padoue, Bologne, Rome. Suivant quelques-uns, il vint même comme professeur


(1) Cf. préf. cit. « Et quoniam prius, quam eo perveniamus, quibusdam veluti gradibus indigemus recte inibi atque ordine prœcipitur, ut et res extra nos positas nihil pendamus, nimirum ex quibus neque boni, neque mali reddamur et quas intra nos sunt, ita ad virtutem, accommodemus, ne vel latum (quod aiunt) digitum a pulchro illo ac honesto discedamus.Tum quid de Deo sentiendum, in cujus voluntatem ac providentiam referenda sint omnia. Post modum quo animo erga opus, erga opes, erga honores; quo erga uxores, liberos, patriam quo erga nosmet ipsos esse debeamus, sive in publico, sive soli sumus. etc.. »

(2) Ibid. « Curavi, ut in finem adjiceretur ab Angelo Politiam latinus factus quomagis et hi qui, grœca nesciunt, de opere gustum aliquem atque specimen haberent ; non quod per omnia mihi satisfaciat (multa enim perperam admissa sunt sine incuria interpretis sine vicio exemplaris, qua; veniam vix merentur) sed quod a gravioribus occupationibus tantum ocii ac vacui temporis impetrare non potuerim, ut hanc illi operam darem. » au collège de Cambrai, après avoir passé en Auvergne chez l’évêque Guillaume Duprat, dans l’intention de lui demander des lettres de recommandation pour Paris (1). Épictète, avec lui, pénétrait ainsi directement en France par le Commentaire de Simplicius, et la version de Politien s’améliorait aux passages altérés ou incomplets, tout en ne perdant rien de son crédit.

Caninius en avertit du reste fort nettement le lecteur dans la préface qu’il adresse à Jean Casa, archevêque de Bénévent et légat du Souverain Pontife à Venise. Il suit le sillon tracé par tous ces éditeurs ou traducteurs d’Épictète. Il témoigne des mêmes soucis, de ce même désir de se préoccuper des règles pratiques de vie; il rend les mêmes hommages à Épictète, qui lui paraît, à lui aussi, avoir approché comme nul autre philosophe de la vérité chrétienne. Quant à Politien (i), il rappelle comment cet homme érudit avait autrefois traduit Épictète en latin, bien qu’il n’ait eu entre les mains qu’un manuscrit infidèle et qu’il ait été obligé d’ajouter et de retrancher au texte de sa propre autorité.

Caninius a essayé d’y remédier. Il veut restituer les parties qui ont été laissées de côté par Politien, supprimer au contraire celles qui ont été ajoutées ou prises du Commentaire. Nous retrouvons alors dans le texte du Manuel qui précède par sections le Commentaire, la version de Politien à peu près exacte,

(1) Cf. Simplicii... Commentarius in Enchiridion Epicteti latine Angelo Caninio interprete (Venise, apud Hieronymum Scotum 1546, in-fol.), Préfacé. « Verum haud scio an ullus unquam aptius ac felicius uno Epicteto qui hanc partem optimè executus est, necverbis modo, quod plerique omnes faciunt, sed vita quoque; sua, nobis bene vivendi, id est ut Natura parens prasstantissima jubet, viam ostendit ac patefecit. Tam recte enim et commode de humanis, tam vere ac pie de divinis locutus est, ut neminem ad christianae religionis certissimam veritatem magis credam accessisse. Hujus viri Enchiridion (sic enim inscribitur) Angelus Politianus, homo eruditissimus olim iu latinam linguam converterat, quanquam fidelis codicis copia, ut ipse quoque testatur destitutus. Multajtaque partim sua, partini de Simplicii commentario sumpta adjecerat, pleraque reliquerat. Nos itaque mensibus superioribus Simplicium, qui doctissime Epictetum interpretatus est, in .latinum vertimus loca qux a Politiano prastermissa fuerunt reposuimus; quae adjecerat detraximus et quas de Simplicio mutuatus fuerat, suis locis restituimus idque, emendati exemplaris fide adjuti efficimus. » avec la même division de chapitres, les mêmes titres, mais des corrections aux passages qui avaient été altérés; et Politien restait ainsi encore le maître de la traduction latine du Manuel. Ce qu’il y a de plus curieux, ’c’est que les érudits français qui vont reprendre le texte de Bâle après 1531, et qui par conséquent jouiront d’un texte à peu près exact, ne craindront pas de joindre encore à leurs éditions la traduction de Politien et,.cette fois, sans même en avertir le public par une préface quelconque.

Nous trouvons, en effet, édités à Paris en 1540 (1) par un certain Neobarius, deux petits opuscules, l’un contenant le texte grec du Manuel, d’après l’édition de Bâle, l’autre ce même texte grec mais joint à la traduction latine de Politien et à la lettre à Laurent de Médicis.

Puis, en 1552, une deuxième édition du même genre est publiée par un professeur de grec Tusanus ou Toussaint, disciple de Budé, ami d’Érasme, maître de Turnèbe et d’Henri Estienne, auquel François Ier avait confié une chaire de grec, sans doute vers 1530. Cette première édition ne fait que reproduire le texte grec de Neobarius, puis, en 1567, l’auteur la reprend en y joignant la version de Politien (2).

En Allemagne, le fait nous apparaît bien plus frappant encore. La version de Politien est encore publiée par l’humaniste Jacobus Scheggius (3), si toutefois l’on peut appeler humaniste ce médecin philosophe qui, au lieu d’exercer la médecine, s’essaya à redonner quelque vogue à la dialectique

(1) Cf. ’EYXstpîStov ’Emx-riÎTou mille in locis castigatum. (Parisiis per Conrad. Neobarium, 1540, in-40.) B. N., R. 5890.

Epicteti Stoici Enchiridion e grseco interpretatum ab Angelo Politiano. (Parisiis per Conradum Neobarium, in-40, 1540.) B. N., R. 5891.

(2) ’Ey^eipéSiov ’E?ctxT7)Tou multis in locis a Jacobo Tusano. (Parisiis 1552, in-4o.)

Enchiridion Epicteton multis in locis castigatum (a Tusano) cum lat. vers. Politiani. (Parisiis 1567.)

(3) « Arriani Nicomediensis de Epicteti philosophi, prxceptoris sui, dissertationibus libri IV, saluberrimis, ac philosophica gravitate egregie conditis, praeceptis atque sententiis referti, nunc quam primum in lucem editi [Jacobo Scheggio medico physico Tubingensi, interprete]. »

« Accessit Epicteti Enchiridion, Angelo Politiano interprete, grœca etiam latinis d’Aristote. Il lutta contre Ramus qui travaillait à une réforme toute contraire, mais il perdit son temps. Aristote ne revint point en faveur, tout au moins sous la forme qui avait fait son succès au moyen âge. Comment Scheggius arriva-t-il d’Aristote à Épictète? C’est la question intéressante qui se pose. D’après la dédicace que son éditeur Sebastianus Schlusslberg adressa au second fils du Mécène allemand, Jean-Jacques Fugger, qui fut comme son père ami des lettrés et possesseur d’une magnifique bibliothèque, Schlusslberg avait demandé directement à Jacobus Scheggius de bien vouloir doter la cité d’un ouvrage inspiré des œuvres de Platon et qui aurait eu, de plus, le mérite de donner des règles pratiques de vie. Les Entretiens d’Arrien n’avaient point encore été édités en Allemagne, et cette publication répondait à un besoin réel, surtout si l’on y joignait une traduction latine (i). Il n’y avait certes point dans cette dédicace d’indication qui aurait pu justifier, une interprétation aristotélicienne d’Épictète, et c’est cependant ce que fit le traducteur. Si bien que la critique philosophique a pu noter dans la suite (2) que si Scheggius fut un helléniste distingué, il ne fut point (1) Cf. édition citée, dédicace latine de Schlusslberg : « Constat enim omnibus atque etiam mediocriter etuditis exploratissimum est, Epictetum philosophum veram ac purissimam Platonis philosophiam assectatum, ea duntaxat prodidisse quse ad cultum morum vitamque recte ac sancte instituendam pertinerent quas certe philosophie pars, humanae vitœ in primis utilis ac necessaria omnium judicio existimatur. Rogavi itaque optimum et doctissimum virum Jacobum Sehekium ut hunc libellum latina civitate donaret qui hoc ipsum sano erudite et bona fide absolvit atque etiam loca difficiliora suis aud contemnendis commentariis illustravit. Qu«e omnia mihi studiosorum ac communis utilitatis causa, in lucem efferre visum fuit. Sicuti in praesentia Arrianus noster grxcus hactenus (quod ego quidem sciam) in Germania nunquam editus, una cum versione latina et adjectis scholiis, typis excusus prodit. » (2) Cf. Brucker, Histoire de la philosophie, t. IV, p. 295. « Et tentavit quidem stoica quoque, et Arriàni dissertationes Epicteteas in Latinum sermonem transtulit: parum fovente Minerva vero hunc eum laborem suscepisse, passim viris doctis observatum est (Casaubonus, ep. 597) cujus pnecipua causa esse videtur, quod satis quidem feliciter grsecam linguam teneret, verum a stoicae philosophise cognitione esse destitutus sine qua talis labor inutiliter suscipitur. » philosophe et surtout point stoïcien ; mais, rendons-lui cette justice, il ne prétendit point l’être. Il nous avoue lui-même dans une préface au lecteur, comment il se mit à l’œuvre et comment il s’en acquitta. Un savant du nom de D. Jo. Alexander Brassicanus l’avait précédé dans cette voie. Certes, ce dernier, avec son bagage de livres variés, sa grande érudition, aurait pu mener avec honneur et à bonne fin une tâche aussi difficile, si le destin ne l’avait point arraché au cours de ses travaux. Scheggius voulut donc terminer cette tâche commencée il espéra, quelque temps la bien achever, mais il ne tarda point à s’apercevoir qu’il avait trop présumé de ses forces. Le temps, de plus, lui manqua et il se tira d’affaire en simplifiant ses Notes (1). Ces éclaircissements, que réclame un texte parfois obscur et délicat, il les réduisit le plus possible, il supprima surtout ceux qui avaient un caractère vraiment philosophique. Et de fait, si nous parcourons ses annotations, nous serons frappés de la pauvreté du commentaire philosophique, qui se borne à quelques rapprochements avec Aristote, tandis qu’au contraire, les indications purement historiques sont assez nombreuses quoique d’un intérêt purement bibliographique. (1) Cf. Édition citée, préface au lecteur « Verborum atque ofationis Arriani sensum, quoad potui sum interpretatus hac versione. » Puis parlant des notes : « Quod ego in prassentia tamen magis coner quam prasstem, brevitate temporis impeditus. Plenissime id quidem doctissimus D. Jo. Alexander Brassicanus olim varia et librorum supellectile et summa eruditionis ingeniique copia fretus, prastare potuisset ac prœstitisset etiam, nisi e medio cursu fati necessitas ipsum abripuisset cujus ego propositum et voluritatem sequi me etsi fateor, exsequi tamen, aut assequi si me sperem, plane ineptus sim, et hac ipsa confidentia, nimis arrogans et protervus. Itaque sic habetote, çandidi lectores, me maluisse vestra causa parum lucis, quam omnino nihil, ad intelligenda Arriani scriptorum quxdam loca afferre in medium, non tam ut studium quam voluntatem meam vobis probarem quod vel hac qualicunque et mediocri quadam industria me consecuturum. Sum arbitratus, in qua magis conatus meus quam facultas juvandi communia studia appareat. Sed ad rem ipsam accingor, omissis excusationum deprecationumque ambagibus. Si quœ singulorum librorum in capitibus singulis difficiliora inesse, quam ut a quolibet intelligantur visa fuerint, annotatiunculis planiora faciam, nec explicabo, ut dicitur, ad amussim, sed attingam duntaxat loca, e quibus non nullarum disputationum explicatio sit requirenda, præsertim si prolixa sit et philosophica, quæ paucis tractari nequit. » Pour le Manuel, dont le texte se conforme à celui de Trincavelli[46], les annotations sont encore plus pauvres. Celles que nous trouvons en marge sont inspirées soit de l’édition première de Venise, soit de celle de Bâle ; parfois ce sont des conjectures du traducteur lui-même. Puis, pour couronner ce travail, contrairement à ce que nous pouvions attendre après ces améliorations de texte apportées de toutes parts, l’humaniste publie une fois encore la traduction latine de Politien. Sans doute, il a droit d’alléguer qu’il manqua de temps pour s’acquitter comme il aurait fallu de cette tâche d’écrire une nouvelle traduction. Mais ne pourrait-on pas aussi lui répondre que la version du Manuel était bien peu de chose auprès de celle des Entretiens, et que s’il s’acquitta tout à son honneur de cette première traduction, il aurait pu et dû terminer sa tâche ? Il faut chercher ailleurs la vraie raison de cette abstention. Elle est dans ce fait que Politien avait malgré tout obtenu le respect qui accompagne toujours celui qui a joui de près d’un demi-siècle de crédit. Scheggius subit le prestige de la renommée ; comme les autres, il copia une fois de plus son illustre prédécesseur, et c’est ainsi que la traduction de Politien se trouvait encore seule en vogue lorsque parut, en 1554, à Strasbourg, une traduction nouvelle suivie de Commentaires.

CHAPITRE III.
TRADUCTION LATINE DE NAOGEORGIUS.

L’auteur de cette traduction[47] est un certain Thomas Naogeorgius, de son vrai nom : Thomas Kirchmaier ; il fut, en même temps que lettré, pasteur protestant. Ce fait a son importance, car il explique la note toute religieuse des Commentaires l’auteur avait ainsi à sa disposition non seulement les textes profanes de l’antiquité, si chers aux humanistes de son temps, mais les textes complets des Livres saints, de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Né en Bavière en 1511, il rythma de bonne heure des vers latins, mais se signala par ailleurs par son esprit d’hostilité contre les catholiques. Dans un poème qu’il dédia à Philippe, landgrave de Hesse, et qu’il intitula Bellum papistinum, il fit une satire violente des abus des catholiques romains. D’autre part, bon humaniste, il entendait assez bien le grec et c’est ce qui explique que la version qu’il fit du Manuel mérite d’attirer l’attention des lettrés.

Si nous comparons, en effet, la traduction de Naogeorgius à celle de Politien, nous reconnaîtrons qu’elle est faite sur un texte plus correct, puisque l’auteur réussit à éviter les erreurs des derniers chapitres, mais nous y trouverons peut-être moins de vivacité, moins d’exactitude; le traducteur suit le grec de moins près, il a aussi le. précepte moins incisif, l’impératif moins catégorique. Quand au chapitre VI Politien écrit « Si ollam diligis, dic ollam diligo », Naogeorgius traduit (chap. IV) la même phrase par une proposition indirecte, ce qui, certes, ralentit le mouvement « Quod ollam diligas. » D’autres fois, le traducteur emprunte aux Latins, à Cicéron par exemple, ses termes philosophiques. Il traduit par visum le mot (pavxairîa des Grecs, que Politien avait rendu par imaginatiô par decreta le mot grec Sov|xara que Politien traduit par opiniones. Mais il sait, d’autre part, reconnaître les mots pittoresques trouvés par Politien et les garde. Au chapitre XVIII, il écrit aussi « Quando corvus adversum crocitaverit. » Politien avait écrit « crocitabit », « ne te «pavram’a, id est visio corripiat », très proche de la traduction de Politien : « Ne te imaginatio corripiat. » Parfois pourtant on sent plus de recherche dans le choix des mots chez Naogeorgius. Tandis que Politien traduit au chapitre XXIX « Haec te cogitationes ne crucient », Naogeorgius fait ce changement « Hæ te ratiocinationes ne macerent » ; ou bien encore la phrase s’arrondit, vise à plus d’élégance « Degeneris signum est, insistere iis quae corporis sunt. », dira Politien. « Vecordiae signum est, iis immorari quae ad corporis curam pertinent », reprendra Naogeorgius au chapitre LII.

Comme nous venons de le dire, pour les derniers chapitres il aura néanmoins le mérite incontestable de les avoir le premier traduits d’un texte complet et à peu près correct, celui de l’édition de Bâle[48].


VERSION de POLITIEN
Caput LXIV.

Cum quis ideo gloriatur, quod Chrysippi sententias interpretetur, dicat ipsi secum. Nisi aperte Chrysippus scripsisset nequaquam haberem, unde gloriarer. Sed scripsit Chrysippus non ut qui enim interpretaretur, sed ut secundum se operaretur. Si ergo scriptis utar, tum eorum bonum fuero consecutus. Si autem interpretantem admirer, aut etiam ipse interpretari possim grammaticum non philosophum admirer aut agam. Quid autem prodest, medicamenta qucedam invenisse descripta, eaque intelligere atque aliis tradere ipsum me jegrotantem minime eis uti.
VERSION de NAOGEORGIUS
Caput LIX.

Cum quis ideo, quod Chry;ippi libres intelligere ac exponere ;ciat gravitatem prœ se fert,. dic pse tecum. Nisi Chrysippus scripsisset obscure, nihil haberet :11e, unde gravitatem indueret. Ego vero quid volo ? Perdiscere naturam eamque sequi. Qu£ero igitur quisnam exponere hanc mihi queat et audio Chrysippum posse, accedo eum at quse scripsit non intelligo, quaero igitur qui ea mihi exponat, et hactenus nihil adhuc magnificum. Invento autem expositore, reliquum est, ut praceptis utar. Hoc ipsum solum magnificum est. Si autem ipsam exponendi facultatem admiror, quid aliud quam grammaticus effectus sum, prov philosopho ? Nisi quod pro Homero Chrysippum enarro.
VERSION de POLITIEN





Caput LXVI.

Quo te usque differs, ut jam te aliquando dignum his, quas optima sunt, putes, neque usquam transgredi hxc statuas. Quod si diem de die termino adjicias, non proficis, sed deficis. Jam nunc igitur adsuesce, ut tanquam perfectus vivas, omnibusque, quae accidant, recte utaris. Et quacunque in re arbitrare propositum tibi certamen, neque illum diem negligas. Quo enim die non proficis, deficis. Hoc igitur pacto Socrates virorum omnium sapientissimus evasit. Quod si ipse nondum es Socrates, at vivere debes ut qui Socrates velis esse.
VERSION de NAOGEORGIUS


Magis proinde cum quis mihi dicit lege Chrysippum, erubesco, quum non possim paria et consona sermonibus illius facta ostendere.


Caput LXI.

At quod usque tempus differes ut temet dignum iis putes quae sunt optima, nullaque in re (statuas) transgredi rationem. Accepisti theoremata quibus oportebat te congredi et congressus es. Qualem ergo adhuc doctorem expectas, ut in ejus adventum comperendines tui ipsius correctionem. Non adhuc adolescentulus es sed jam virileni plene attigisti setatem. Si nunc negligens et socors fueris et dilationem sumpseris in diesque alios ex aliis terminum statueris, post quos tibi attendas, non proficies, sed indoctus vivens, moriensque permanebis. Jam nunc igitur dignum te existimato ut vivas ceu perfectus et proficiens. Et omne quod optimum tibi visum est, lex tibi esto, quam transgredi nefas sit, -etiam si difficile quidpiam et suave, aut gloriosum aut inglorium adferatur. Et memento,
VERSION de POLITIEN











Caput LXVII.

Primus ac maxime necessarius locus est in philosophia qui ad usum speculationum pertinet, velut est non mentiri. Secundus qui ad demonstrationes velut est, cum mentiri non oporteat. Tertius qui adeas confirmandas et prospiciendas spectat. Hoc est quo pacto, et unde demonstrare id possimus, verum esse aut falsum. Igitur tertius quidem locus necessarius est ob secundum. Secundus vero ob primum. Maxime omnium necessarius, et in quo quiescere oporteat primus est. Nos vero contra facimus. Tertio enim loco immoramur, inque eo
VERSION de NAOGEORGIUS


modo instare certamen aut adesse Olympia nec quicquam ultra differendum, et in una adhuc victoria obtenta vel perdita sit t an profectus aliqua spes sit an nulla. Hoc modo Socrates in absolutum evasit virum, circa omnia semet ipsum incitans, nullum alterum attendens quam rationem. Tu vero, etiamsi nondum Socrates es, sic vivere tamen debes ut qui Socrates esse velis.


Caput LXII.

Primus ac maxime necessarius in philosophia locus est de usu dogmatum, velut ille, non mentiri. Secundus de demonstrationibus velut, ille unde probetur cur non oporteat mentiri. Tertius, qui hase confirmat et coaptat, velut ille unde scias, hoc esse demonstrationem. Quid enim sit demonstratio, quid consequentia, quid pugna, quid verum, quid falsum (docet). Proinde tertius locus necessarius est propter secundum, secundus autem propter primum. Maximè autem necessarius et ubi requiescere oportet primus est. Nos vero contrarium facimus. In tertio
VERSION de POLITIEN


omne nostrum studium conterimus.





Caput LXVIII.

Semper hxc in promptum habent. Primum, si renitar, malus ero, gemensque ac plorans sequar. Secundum necessitas omnia sursum versus ad divinam causam ducit volentia et invita. Eam qui laetus sequitur, is vero est sapiens. Sed et tertium. 0 Criton, si ita diis placet, ita fiat. Me vero Anytus et Melitus interimere quidem possunt, kedere

autem non possunt.
VERSION de NAOGEORGIUS


enim loco immoramur, inque illo omne nostrum studium est, primum vero plane negligimus. Quapropter mentimur quidem, quomodo autem demonstrare oporteat non esse mentiendum, in promptu habemus.

Caput LXIII.

In omni re oblata, hsec suntjsrecanda. Duc, age me, o Jupiter, tuque ’fatum, quo a vobis sum ordinatus. Sequar enim impiger. Nam etsi nolim, malus effectus nihilominus sequar. Quicunque autem bene concessit necessitàti sapiens apud nos (habetur) et divina^dôctus; (sic enim Socrates dicebat) Verum, o Crito, si sic dits placet, sic fiat. Me vero Anytus et Melitus occidere quidem possunt, lasdere vero non possunt.


Ces citations un peu longues ont leur importance. D’une part, elles font mieux ressortir le crédit accordé à la version de Politien puisqu’on n’a pas hésité à la mettre en regard d’un texte tout différent, celui de Bâle, que traduit Naogeorgius; de l’autre, elles permettent d’établir une comparaison immédiate entre les deux traductions, comparaison qui ne fera qu’appuyer les remarques que nous avons déjà faites.

CHAPITRE IV.
LE STOÏCISME CHRÉTIEN DE NAOGEORGIUS.

La traduction de Naogeorgius n’eut point dans la suite, malgré sa réelle valeur, le succès auquel on aurait pu s’attendre. Pourquoi? Nous trouvons à cela deux raisons. Tout d’abord, elle paraissait en 1554, c’est-à-dire l’année même où l’humaniste Scheggius publiait, en même temps que les Entretiens, une nouvelle édition de la Version de Politien, puis elle disparaissait quelque peu, noyée dans des commentaires plus religieux que littéraires. Naogeorgius fait, en effet, œuvre d’apologiste plus que d’humaniste, il faut l’étudier à ce point de vue, car Rivaudeau le suivra dans cette voie lorsqu’il écrira ses Observations sur le Manuel d’Épictète.

Dès les premières lignes de sa préface, il pose le problème du Souverain Bien. Les stoïciens ont cru à l’identité des deux termes vertu et bonheur, ils ont reconnu avec raison (1) que la vie heureuse réside dans le calme d’une bonne conscience, dans la Vertu, mais ils ont eu tort de croire qu’il appartenait à l’homme, avec ses seules ressources, d’atteindre à la vraie félicité. Les efforts des stoïciens ont été vains, parce qu’ils ont manqué de la connaissance de la vraie religion (2).

Naogeorgius se plaît alors à développer cette idée qu’il est impossible pour nous, dans les conditions d’existence où nous sommes, de réaliser la tranquillité d’âme. Nous ne pouvons échapper à l’angoisse de la mort, à l’angoisse des peines et des récompenses qui nous attendent après cette vie. Ceux-là seuls qui ont foi dans le Christ peuvent éprouver le sentiment de sécurité et de confiance qui fait le calme de l’âme : Cicéron a beau

(1) Cf. Naogeorgius, op. cit. Praefatio « Virtus enim perfecra bonam parat, conservatque conscientiam., perducitque ad animi tranquillitatem qua nihil beatius homini obtingere potest. »

(2) Ibid. « Nihilque his videtur defuisse, nisi verœ religionis et peccati cognitio simul et remissio quibus ad veram solidamque prcesentis atque future vit» voluptatem, tranquillitatemque potuissent pervenire. » recommander, dans son livre « de la Vieillesse » (1), le mépris de la mort, il ne donne point de raisons suffisantes pour la mépriser (2).

Et la preuve évidente d’ailleurs que la philosophie, qui promet le calme de l’âme, ne peut le donner à cause de l’incertitude de l’au-delà, c’est Socrate lui-même (3). Aux yeux de tous, il a paru quitter la vie avec le plus grand calme, mais il n’en fut rien, car il était incertain du monde vers lequel il allait. Or, nul ne peut être heureux dans l’incertitude de l’avenir (4). Les arguments de la raison sont donc infirmes s’ils ne s’ajoutent à ceux de la foi (5).

Si le problème du Souverain Bien avait été soluble avec les seules ressources humaines, les stoïciens (6) y seraient parvenus, nous dit Naogeorgius, Épictète entre autres, car ce philosophe ne se contenta point seulement de suivre leur morale, en la développant théoriquement, mais il la vécut. Il n’en dira point

(1) Op. cit. « Tullius in libello de Senectute inquit Hoc meditatum ab adolescentia esse debet, mortem ut negligamus sine qua meditatione tranquillo esse animo nemo potest. Confitetur aperte tranquillo animo posse neminem ob mortis timorem, sed quam adfert meditationem ut eam negligamus ? Neque enim statim quum volo, etiam possum. Et majorem oportet esse causam, qu» aliam tollat opprimatque, urgentem ,~ut majorem necesse est adferri causam mortis negligendoe quam reformidandas. »

(2) Ibid. « Sed quid facit aeternitas ad mortis timorem adimendùm ? Quid si «terni sumus futuri in sumniis cruciatibus et tormeiïtis idve est appetendum et non mors potius ut çopsptÔTaiov, quseque nos in sempiternas trahat miserias, reformidanda? »

(3) Ibid. « Visus est Socrates prœ omnibus tranquillissime vita excessisse, sed falso. »

(4) Ibid. « Nemo maximis de rebus dubitans hilari et lseto animo esse potest. »

(5) Ibid. « Quare hujus vix rationes infirmée sunt per se et manc», nec ad beatitudinem animique tranquillitatem perducunt quemquam. Si vero accesserint fidei tanquam adminicula, permultum adjuvant promoventque. Et fides non repellit, nec abjicit prorsus rationem sed facile patitur pedisequam esse atque tranquillum animum comparandum adjutricem. »

(6) Ibid. « Huc Stoici nervos omnes omniaque studia contulerunt, et si quid humanis potuisset institutionibus solis confici, illi utique confecissent quorum ex familia noster etiam Epictetus fuit qui non disputandi ut complures, sed vivendi gratia secutus eorum dogmata videtur, et si quisquam, hic certe tranquillum in hac vita animum consecutus est. » autant des péripatéticiens, dont il flétrit la morale. Qu’enseignent-ils donc suivant lui ? Une doctrine qui vante la médiocrité, qui accorde dans la vie une valeur trop grande aux biens de la fortune, à ceux qui ne dépendent point de nous ; une doctrine qui veut nous apprendre à garder le juste milieu en tout, qui proclame que l’on ne peut pas vivre heureux si quelque plaisir ne se mêle point à la vie. Naogeorgius trouve ce programme irréalisable. On n’atteint pour lui à la médiocrité que lorsqu’on vise au delà et l’on ne tient le juste milieu qu’après avoir été attiré par les contraires (i). Les péripatéticiens étaient donc mal placés pour attaquer les paradoxes stoïciens comme contraires à la raison, et l’apathie stoïcienne comme impossible et absurde. Sans doute, l’idéal stoïcien est si haut que bien peu y arrivent, mais il fait un appel à d’héroïques énergies (2). Le Christ n’a-t-il point donné les mêmes préceptes? Lui non plus, dans l’Évangile, ne prescrit point de se mettre modérément en colère (3), mais au contraire, de s’abstenir de toute colère, et il prescrit mille autres choses plus difficiles encore que les

1. Op. cit. : « Sunt qui Stoicis Peripateticos ipsumque praesertim, Aristotelem proférant eo quod Stoicorum dogmata Uapà8o£.â et parum humana rationiquecontraria et àîcifteiav illam quam docent, plane impossibilem et absurdam arbitrentur, Aristotelem contra vero humaniora tradere et mediocria quibusque ratio facile assentiatur. At nemo Aristotelem admiretur eoque, summum existimet philosophum, solumque lectu ac cognitu dignum, quod ad perturbationum animi mediocritatem hortetur, eamque doceat inque bonis ducat corporis et fortunée accidentia. Deinde homines ad mediocritatem tantum vocat, atque ita infra mediocritatem eos relinquit. Is vero qui ultra mediocritatem vocat, facilius ad mediocritatem perducit. »

(2) Ibid. « Talis ponendus erat scopus, qui non a csecis inertibus negligentibusque facile, sed qui vix a maxime intentis et solicitis feriretur. In arduo sita est virtus adeoque beatitudo ipsa,-Hesiodo teste, at quam summo si quis studio conatur ascendere, ob virium autem imbecillitatem impeditur; prope tamen accedat, nëcesse est. »

(3) Ibid. Christus quoque Seryator noster eodem docet modo. Non enim mediocriter irascéndum, sed penitus non irascendum tradit. Ita etiam omnino non jurandum. Praeterea jubet diligere inimicos, benefacere osoribus, orare pro persequentibus et jubet nos nihil solicitos esse quid edamus, aut bibamus, aut quibus tegamur. Quis non videt eum in his et similibus longe supra mediocritatem homines atque àmcfleiav vocare prseceptis, ut in hoc mundo beati sint et animo in omnibus tranquillo ? » paradoxes stoïciens d’aimer ses ennemis, de faire du bien à ceux qui nous haïssent, de prier pour ceux qui nous persécutent, de ne jamais nous préoccuper ni de ce que nous mangerons, ni de ce que nous boirons, ni du toit sous lequel nous reposerons notre tête. Par de tels préceptes, n’a-t-il point appelé les hommes au delà de la médiocrité et même de l’apathie ?

Voilà pourquoi l’apôtre Paul peut nous ordonner de nous réjouir dans les maladies, dans les tourments, les injustices, les afflictions, les angoisses. Or, quel autre pourrait se réjouir dans de telles circonstances, sinon un chrétien (1)? La thèse de Naogeorgius est donc posée, le christianisme complète et couronne le stoïcisme; l’idéal que le stoïcisme avait conçu, mais sans compter avec la faiblesse humaine, le christianisme le réalise. Le Commentaire va donc s’efforcer de montrer dans quelle mesure les préceptes d’Épictète concordent avec ceux de Jésus.

Cette préface nous suffit pour nous mettre sur la voie de ce que seront les Commentaires. La question de texte n’a, pour Naogeorgius, aucune importance. Il ne parle même point des manuscrits dont il s’est servi. Il est à présumer qu’il eut entre les mains ceux qui étaient alors les plus connus, ou peut-être tout simplement l’édition de Bâle de 1531, ou celle de Venise de 1535.

Heyne eut donc raison d’écrire, en parlant des notes de Naogeorgius « Nihil enim prœter excursus ethicos continent. »

Mais peu importe cette remarque, ce qui nous intéresse dans cette période de. résurrection du stoïcisme, c’est précisément la tendance qui se fait de plus en plus accentuée d’utiliser cette doctrine comme moyen d’apologie du christianisme et de faire du Manuel un commentaire religieux.

(1) Op. cit. : « Ita et D. Paulus nos semper gaudere jubet, et nihil esse solicitos. Quomodo autem in morbis, tormentis, injuriis, damnis, afflictionibus et angustiis quispiam gaudere potest, nisi eam indolentiam sectetur ?. Quid quod Christus nos exultare jubet, si nobis male dicatur, si excludamur ab hominum consortio, si nostrum nomen sit odiosum et immerito est falso. Nemo horum quicquam facturus est, nisi subducta per fidem ratione. »

Le commentateur procède quelque peu à la manière de Simplicius. Des notes suivent chaque, chapitre. Il donne, ou bien une idée d’ensemble, ou bien il insiste sur ce qui lui paraît l’idée capitale, ou bien encore il prend une expression, un précepte qui l’a frappé et qui éveille immédiatement en lui des préceptes de l’Évangile ou des Livres saints, ou parfois même une citation profane. Au chapitre premier, il annote le texte « neminem culpabis »; il lui revient aussitôt à l’esprit que le Christ ordonna de tendre l’autre joue à celui qui en frappait une. « inimicum non habebis ». Il rappelle que c’est une question de foi d’attribuer à Dieu seul tout ce qui arrive (1).

Au chapitre II, c’est encore le commentaire chrétien du passage « si vero et haec volueris et principatum gerere et locuples fieris forsan quidem neque haec ipsa consequeris » ; il est impossible de servir deux maîtres, Dieu et Mammon ; ou bien les mots mêmes de saint Paul « Ceux qui veulent être riches tombent en tentation et dans les pièges du démon (2). »

Au chapitre III, à propos des maux qu’il ne faut point craindre, il rappelle que le Christ requiert de ses disciples qu’ils se renoncent, qu’ils soient prêts à toute heure à offrir leur corps à la mort, à souffrir l’ignominie pour la vérité et la justice. Il reprend les vertus stoïciennes, sous forme chrétienne, et donne par cela même quelque raideur aux vertus chrétiennes. Ainsi, au chapitre III, Épictète nous recommande, si nous aimons un pot de terre, de nous dire « J’aime un pot de terre », si nous embrassons.nos enfants, notre femme, « que c’est un être humain » que nous embrassons, et ainsi, nous ne serons point troublés de leur mort. Naogeorgius pense de mêmei Il n’est

(1) Op. cit. : « Quod autem ad fidem attinet, scias omnia tua esse in manu Dei. quicquid igitur tibi acciderit, non hominum potestate, aut vi vel casu, vel consilio, sed Dei jussu, concilioque, pariter sua erga te benevolentia sit. »

(2) Ibid. « Quemadmodum Christus Dominus noster dicit Neminem posse duobus servire dofninis, nec quemque Deo posse servire Deo et Mammons, ita Epictetus negat interna simûl et externa pari coli posse et appeti studio. » Et plus loin : « Quoque Paulus ad Timotheum (prima 6) Qui volunt (inquit) divites fieri, incidunt in tentationem et in laqueum diaboli (p. 19). » point troublé de ce mélange d’êtres humains et de choses, il renforce au contraire l’idée, et dans son énumération, où voisinent enfants, époux, amis, compagnons, bouffons, bêtes exotiques, petits oiseaux chanteurs, petits chiens de Melita, pierres précieuses, lambris dorés, il montre que tout cela nous procure du plaisir et ne mérite point de nous attacher (1). Cependant, il y a une compassion permise aux chrétiens. Oui, reprend-il, mais une compassion qui n’est point vaine. Or, pleurer devant l’irréparable est inutile. Pleurer un mort n’est point le fait d’un chrétien. Le vrai sage et le vrai chrétien ne veulent point de ces larmes (2). Le Christ conduit à la mort défendit que l’on pleurât sur lui (3), mais il permit aux filles de Jérusalem de pleurer sur elles, car il n’y a qu’un seul mal qui soit vraiment déplorable : le mal moral. Et sur ce point capital, les rapprochements entre les deux doctrines sont faciles ; le commentateur s’y arrête. La douleur et les larmes, dit-il, sont permises devant ce vrai et seul mal le mal moral, et c’est dans ce sens que le Christ a pu dire « Bienheureux ceux qui pleurent » que Pierre a pu verser des larmes amères après avoir renié le Sauveur. Et bien que ces textes paraissent, de prime abord, contredire les premiers et qu’ils soient du ressort de la théologie plus que de la philosophie (4), Naogeorgius tient cependant à expliquer le pourquoi. C’est pour nos péchés et pour ceux des autres qu’il nous est permis de pleurer. C’est pourquoi le Christ pleura lui-même sur les ruines de Jérusalem,

(1) Op. cit. « Res partim nobis serviunt ad delectationem, ut liberi, uxor, amici, sodales, moriones, bestke peregrina, avicole canorse, catelli melitei, lapides preciosi (pp. 35-36).

(2) Ibid. « Nemo sapiens et verus christianus volet se lachrymis et luctu honorari » (p. 39).

(3) Ibid. : « Christus ad mortem ductus vetuit se defleri » (p. 41)

(4) Ibid. : « Quanquam hxc excutere et explanare ad theologiam pertinet, brevibus tamen hic ostendam cur flendum sit, aut non sit. Propter peccata nostra et aliorum simulque Dei propter ea commotam adversum nos indignationem flendum est, jussitque Dominus lugere, imo et ipse flevit super civitatem Hierusalem, Sic post negationem flevit Petrus. Et qui sic lugent atque flent beati sunt soli, non qui ob res amissas, aut hominum mortes, aliosque plorant casus. Nulla alia Christianis flendi causa est, tam propter se.quam propter alios» (pp. 41-42). si saint Pierre sur lui-même après sa faute. Ceux qui pleurent ainsi sont seuls bienheureux et non point ceux qui pleurent à cause de ce qu’ils ont perdu, biens ou êtres humains.

Quelques exemples profanes se glissent bien encore, il est vrai, dans le Commentaire ; il ne pouvait en être autrement pour un humaniste, mais cependant, ils tiennent fort peu de place à côté des autres. D’autres fois, c’est l’apologiste qui se révèle, lorsque Naogeorgius pénètre jusqu’au fond du dogme chrétien, montrant comment ce dogme couronne le stoïcisme, ou plutôt comment il explique Épictète lui-même (1). Épictète vient de rappeler qu’avant d’entreprendre quoi que ce soit, il faut penser à ce que l’on va faire, et dès le principe, se dire « Je veux maintenir ma volonté en conformité avec ma nature. » Le Commentaire cherche à pénétrer ce qu’est cette nature à laquelle nous devons nous conformer. Or, d’après le dogme chrétien, cette nature n’est point celle qui est nôtre en ce moment, mais celle que Dieu nous avait donnée avant la chute il nous avait faits vertueux et bons. Revenir à notre nature, c’est donc revenir à notre première nature, à celle que peut nous rendre la grâce, lorsque nous « revêtirons par la foi l’homme nouveau », comme dit l’apôtre Paul. Dans certains passages, le traducteur semble se souvenir de la paraphrase du Manuel. Épictète nous parle-t-il de l’appel de Dieu et du grand voyage (2), c’est pour Naogeorgius non seulement l’appel final, mais celui de notre vocation; que ce soit celle de magistrat ou de prêtre, il nous faut toujours entendre l’appel, car Jésus dit, en effet « Qui aime sa mère, ses biens plus que moi, n’est pas digne de moi. »

Enfin, ce Manuel, si fécond en développements chrétiens, a parfois même l’avantage de servir le protestant sectaire.

(1) Op. cit. : « Deus fecit hominem rectum (inquit Salomon in Ecclesiaste, 7), non viciosum. Haud dubie tum rectus homo etiam beatus erat. Quocirca nos si cupimus esse beati, ad naturae rectitudinem redeundum est, quod D. Paulus vocat induere novum hominem qui secundum Deum creatus est. Reditur autem per fidem et virtutis studium » (p. 52).

(2) Ibid. « Non solum autem de vocatione ad mortem hoc intelligendum sed potest etiam de aliis intelligi vocationibus » (p. 76).

Au chapitre XVIII (1), lorsqu’il a parlé des présages, les expliquant par les coutumes anciennes et les blâmant comme des superstitions, il s’étonne qu’il en soit resté quelque chose chez des chrétiens. Il visait là, certes, quelques cérémonies du culte catholique...

Puis au chapitre XXIII (2), il constate que le chrétien comme le philosophe stoïcien, doit s’attendre à être raillé, tourné en ridicule ; au chapitre LIX (3), qu’il doit non point se contenter seulement de science, mais réaliser des actes vertueux, car il ne suffit, pas d’interpréter Chrysippe pour être stoïcien ; et il lance ce mot ironique « Il y a cependant des théologiens qui enseignent et connaissent bien les Livres saints, mais qui ne croient point; ils sont corrompus dans leur vie et leurs mœurs. »

Naogeorgius indiquait ainsi de manière caractéristique ce que pouvait devenir l’interprétation du Manuel faite par un protestant sectaire. Rivaudeau, quelques années plus tard, suivra la même voie dans ses Observations. Le rationaliste protestant qu’il fut cherchera encore dans le Manuel les mêmes arguments- chrétiens, usera des mêmes remarques, des mêmes rapprochements que le pasteur protestant il sera plus sobre dans ses citations, car l’artiste, chez lui, y mettra la mesure, mais le fond ne sera point changé. Avant d’examiner cette traduction française, il nous reste encore une étape à franchir. Une nouvelle traduction latine est donnée peu de temps après celle de Naogeorgius. Elle n’eut, pas plus que cette dernière, d’influence directe

(1) Op. cit. « Quare, mirum est apud Christianos, multa superesse adhuc in eisque callidi, a magnatibus regibusque coli eximie. Tanta vero est divini interdicti cura, tantumque religionis ac pietatis studium scilicet » (p. 141).).

(2) Ibid. « Quare et Jesus Christus suis predixit quod odio essent habendi, cum propter se, tum propter diversam a mundo doctrinam, cultum novum, studium atque vitam incorruptam » (p. 163). « Insanus, impostor, transgressor legis, dæmoniacus, comedo vinosus, malus, seductor, seditiosus denique, ipse Christus appellatus est. Nihil ergo novi, si cui idem contingat » (p. 165).

(3) Au passage du Manuel : « Cum quis ideo, quod Chrysippi libros intelligere ac exponere sciat, gravitatem prœ se fert, die ipse tecum » (p. 440), il oppose une citation de saint Jean « Non diligamus vefbo neque lingua, sed opere ac veritate. » Sunt tamen theologi, qui tametsi recte doceant, norintque sacros enarrare libros, ipsi tamen non creduntetvita moribusque sunt corruptissimi. » Ep. Gal., 5 (p. 443). sur le traducteur français qui va nous occuper tout particulièrement mais faite par un protestant, accompagnée de Commentaires, elle témoigne des mêmes préoccupations et nous permettra de situer plus nettement encore la traduction de Rivaudeau dans le courant d’idées qui ne put manquer de réagir sur elle, tout au moins indirectement.


CHAPITRE V.
LA TRADUCTION LATINE DE WOLF.

Né dans la principauté d’Œttingen, en Souabe, en 1516, Hieronymus Wolfius, érudit allemand et protestant, était de famille noble et ancienne. De très bonne heure, il témoigna d’heureuses dispositions pour les langues anciennes et faisait prévoir le savant humaniste qu’il devint en effet. Son intention avait été de publier bien avant Scheggius et Naogeorgius une traduction complète d’Épictète, traduction qui aurait compris non seulement les Entretiens et le Manuel, mais encore les ouvrages apocryphes, c’est-à-dire l’Altercation entre l’Empereur Adrian et Epictète, et ce qui nous étonne encore plus, des Lettres d’Épictète, qu’il espérait trouver dans la bibliothèque florentine. Il n’eut point le temps de mettre son projet à exécution et fut devancé, comme nous l’avons vu, par les deux autres érudits. Une vie très mouvementée en fut cause, autant peut-être que l’humeur capricieuse et difficile de l’humaniste. Il changea si souvent d’emploi qu’il lui fut presque impossible de donner à cet important travail le temps et la suite d’efforts qui eussent été nécessaires pour le mener à bien. Il fut d’abord au service du chancelier, comte d’Œttingen, mais n’y resta point longtemps. A la mort de son père, libre de suivre ses goûts, il fut attiré à Wittemberg par la réputation de Mélanchthon, puis suivit les leçons de Luther, d’Amerbach, fut chargé de diriger une école protestante, d’abord à Mulhausen, puis à Nuremberg. Il s’en lassa. Recueilli par des amis à Tubingue, puis à Strasbourg, il fut libre de consacrer tout son temps à des ouvrages grecs et latins, qui lui valurent quelque réputation. Il ne se sentait pas encore prêt à entreprendre Épictète. On lui confia alors l’éducation de quelques jeunes gens d’Augsbourg, avec lesquels il se rendit à Bâle et à Paris. C’est à Paris qu’il se trouve mêlé au groupe des humanistes alors célèbres Vascosan, Ramus, Turnèbe. Mais là, une traduction de Démosthène qu’il avait essayée n’ayant pas eu le succès qu’il en attendait, il se découragea et revint à- Bâle, où ses amis le reçurent assez mal. Il eut alors la chance d’être chargé par Antoine Fugger, à Augsbourg, des soins de sa bibliothèque et de sa correspondance intime. Ce poste ne lé satisfait, pas encore, il n’y trouve pas les loisirs dont il aurait besoin. En 1557, il est nommé directeur du collège et de la bibliothèque d’Augsbourg; c’est la situation définitive qu’il garda jusqu’à sa mort et qui lui permit d’achever l’édition importante d’Épictète qu’il avait médité de publier à Paris déjà. Sa première préface, adressée à Joanni Baptistas Hainzelio, est datée de 1560 (1) ; elle témoigne, comme toutes les préfaces de ce temps, des préoccupations morales du traducteur. Lui aussi, il a cherché dans Épictète courage et consolation. Il a senti qu’à son contact disparaissaient tous les soucis de la vie. Il a compris tout ce qu’il y avait de vrai, d’utile, de pieux dans Épictète, et pour bien montrer que ce n’est point une admiration de mode qu’il a pour cette pure doctrine, à laquelle il ne trouve rien de supérieur, hormis les livres sacrés, il la résume dans ses grandes lignes « Obéir à Dieu et à la nature; faire du bien à tous ; ne nuire à aucun ; supporter les injures et tout ce qui nous arrive d’une

(1) Cf. Wolf, Epicteti Enchiridion ... una cum Cebetis Thebani tabula, qua vitx humante prudenter instituendac ratio continetur grœee et latine. Quibus nunc demum accesserunt e graeco translata, Simplicii. scholia, Arriani commentariorum de Epicteti dissertationibus libri IV, item alia ejusdem argumenti. Hieronymo Wolfio interprète una cum annotationibus ejusdem. Trois tomes in-8° en un seul volume (Basilex, per Joannem Oporinum, 1563).

Cf. Prœfatio: « Quibus rebus factum est, ut horum opusculorum.editio, in hunc usque annum prorogata, dum ego vel cesso, vel aliis negociis distineor, et novitatis gratiam magna ex parte amitteret, et doctissimorum virôrum, Jacobi Scheggii, quae præceptaris loco veneror ac Thomae Naogeorgii, qui copioso commentario Epictetum declaravit, conversionibus editis supervacanea videri posset. » âme égale et bonne ; se servir des biens qui sont donnés pour les nécessités de la vie comme si l’on ne s’en servait pas ; les rendre à Dieu ou-à la fortune aussitôt qu’on nous les redemande ; mettre toute sa félicité dans l’âme et dans le repos d’une bonne conscience ; acquiescer au gouvernement de la Providence divine comme un gouvernement très juste, très sage et salutaire bien qu’il nous paraisse parfois très rude (1). » Voilà l’essentiel de la doctrine d’Épictète. Les paradoxes stoïciens choquent quelque peu la raison,. il le reconnaît, mais ne sont-ils pas, malgré tout, préférables aux préceptes si lâches de la morale d’Aristote (2). Wolf a donc trouvé dans Épictète ce qu’il faut pour fortifier l’âme et pour satisfaire à ses goûts d’humaniste. Traduire et commenter le Manuel et les Entretiens, quelle écrasante besogne et l’on comprend qu’il ait reculé si longtemps devant cette tâche, faute de loisirs. Il l’accomplit cependant tout à son honneur. (1) Cf. Préface citée : « Sed hoc mihi accidere scio, pro varietate lectionis animum quoque meum varie affici neque me unquam vel mei minus pœnitere, vel asquiore animo casus humanos ferre, quam cum ea scripta lego, quar animum a sollicitudine corporis et externarum rerum, ad curationem mentis avocant et traducunt. In quo genere, cum a sacris litteris discessum est, nihil unquam efficacius legisse mihi videor iis scriptis, Si quis igitur, inquam, animo vacuo, tranquillo, et in unam rem qua de agitur intento hsec considerarit inveniet, opinor, nihil verius, nihil utilius, nihil magis pium posse prsecipi quam quas horum libellorum summa est, Deo et naturae parendum de omnibus, quoad possis, bene merendum nocendum nemini aliorum injurias tolerandas quicquid sine culpa nostra acciderit, aequi bonique faciendum utendum esse his rebus quse ad vit» necessitatem dantur, quasi non utare easdemque repetenti Deo, seu fortunée (ut vulgo loquimur) alacriter restituendas felicitatem in animo sibi bene conscio, tranquilloque reponendam in divina denique rerum humanarum administratione, ut et aequissima et sapientissima et nobis salutari, quamvis peracerba ssepe videatur, acquiescendum. » (2) Ibid. « Scio Paradoxa Stoicorum improbari multis, quorum ei Ludovicus Carinus fuit doctissimus et humanissimus senex. Qui cum ei conversionem meam corrigendam pro amicitia nostra exhibuissem magis sibi probari dixit, verioremque videri doctrinam Aristotelis qui virtuti et sapientise principatum sic deferret, ut tamen commodis etiam corporis et fortunée muneribus felicitatem augeri atque exornari non negaret, ac discrimen aliquod inter hominem et Deum constitueret et affectus a Natura datos non amputaret, sed putaret, non tolleret sed moderaretur; eumque virum bonum et sapientem statueret, non qui optari facilius quam s’perari posset, sed qui in natura rerum inveniretur. » Sa traduction aura quelque chose de plus que celle de ses prédécesseurs, il saura pénétrer avec finesse la pensée d’Épictète, en saisir les nuances, et pourtant, il exprimera cette concision parfois un peu rude sous une forme qui ne manque point d’élégance.


LA TRADUCTION LATINE DU “MANUEL”.

Dès le premier chapitre, le traducteur se signale par son souci de la forme, il veut varier le vocabulaire. Épictète avait répété tant de fois et avec tant de simplicité les mêmes formules ! Politien l’avait fidèlement interprété ; mais Naogeorgius, déjà, avait recherché la variété dans l’expression. Wolf ira plus loin encore. S’agit-il de la fameuse distinction entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas. Ce sont tantôt pour les premières, chapitre Ier : « Res quædam in potestate nostra sunt », ou, chapitre II : « ea… quæ nobis parent », et pour les autres, chapitre Ier : « nostri arbitrii non sunt », et chapitre II : « in quæ autem ipsi jus nullum habemus. »

Veut-il parler de ce précepte fondamental du stoïcisme, qu’il faut garder sa volonté en conformité avec la nature dans un même chapitre, le chapitre IX, il traduira deux fois différemment cette expression « … meum institutum naturæ congruens conservabo », et « … et institutum meum naturæ consentaneum tueri volui » ; au chapitre XVIII, il la modifie encore « Scito, enim facile non esse, institutum, tuum in eo statu, qui sit naturæ consentaneus, conservare », dit-il.

Mais ce n’est point toujours par souci de la beauté et de l’élégance de la forme qu’il recherche ainsi la variété dans l’expression, c’est parce qu’il a saisi une nuance qu’il veut indiquer. Lorsqu’Épictète expose le programme du philosophe qui veut avancer dans la voie de la sagesse, il commence deux chapitres par : Εἰ προϰόψαι θέλεις. Wolf y saisit une nuance, car il voit avant la volonté, le désir et l’effort dont elle n’est que le couronnement aussi, traduit-il, au chapitre XVI : « si quid proficere studes », et au chapitre XVIII : « si quid proficere vis ». Par moments, on regrette qu’il n’ait point garde quelques répétitions si fortes d’Êpictète « visorum impetum secutus », dit-il au chapitre XXVI, et « ne visa tibi assensum extorqueant » au chapitre XXVII, pour traduire : ὑπὸ τῆς φαντασίας μὴ συναρπασθῆναι. D’autres fois, il nous donne l’impression d’une certaine recherche qui ne sied vraiment pas à Épictète. Lorsque ce dernier rappelle que la mort, l’exil et tous les maux doivent être sans cesse devant nos yeux, le verbe le plus simple, c’est-à-dire le verbe être, semble le mieux convenir. Il n’en est point ainsi avec Wolf ; il traduit, chapitre XXVIII : « Mors et exilium, et omnia quæ in malis habentur, ob oculos tibi quotidie versentur. », et au chapitre XXIX : « Sapientias studium suscipere cupis ? Statim te para, quasi futurum sit ut deridearis ut multi te subsannent, ut dicant, te subito philosophum extitisse : ut rogent, unde supercilium istud ? » Il semble que la pensée d’Épictète pouvait s’exprimer là sous une forme plus concise.

Il ne faut point, cependant, exagérer la critique. Wolf a su garder lui aussi des répétitions heureuses ; il a compris combien il importait parfois d’insister sur un mot pour mieux faire pénétrer l’idée qu’il exprime : « Te enim alius non lædet nisi ipse velis. Tum autem læsus eris, cum te lædi existimaris », dira-t-il au chapitre XXXVII. Il garde, d’ailleurs, le mouvement de la phrase d’Épictète, si pressant lorsqu’il s’agit de capter l’attention de ce disciple, quand il lui montre à quel prix s’achètent les honneurs et les faveurs du monde ; par exemple : « Nam qui valebit tantum is qui fores non frequentat, atque is qui frequentat ? Qui non assectatur, atque is qui assectatur ? Qui non laudat atque is qui laudat ?… Non invitatus es ad convivium alicujus ? Nec dedisti quanti vendit convivium vendit autem id convivato laudatione, vendit obsequio… » (Chapitre XXXII.) Comme il rend bien et presque mot à mot cette belle éloquence concise et forte du chapitre LXXV : « Quousque tandem differres præstantissima quæque tibi vendicare… ? Accepisti præcepta quæ amplectenda tibi fuerunt, eaque amplexus es. Qualem igitur adhuc doctorem expectas, cujus in adventum tui correctionem differas ? Non jam adolescens es, sed matura ætate vir… »

Mais c’est dans ses Notes que Wolf nous intéresse tout particulièrement, car on y découvre un philologue très avisé. Wolf inaugure vraiment une critique sérieuse du texte. Il a plusieurs éditions entre les mains, les deux éditions de Venise, celle de 1528[49] et celle de 1535[50] ; les deux éditions de Bâle[51], celle de 1531 et celle de 1554[52], et enfin l’édition de Strasbourg[53], dont nul ne se préoccupera plus dans la suite.

Il les compare, et lorsqu’il choisit entre les différentes variantes, ce n’est certes pas à la légère. Il fait appel non seulement à sa science d’humaniste, mais à son bon sens. Au chapitre Ier déjà, nous pouvons nous rendre compte de sa manière d’annoter un texte. Il s’agit de traduire le mot grec ὁρμὴ. Or, Cicéron l’a rendu tantôt par appetitionem animi, tantôt par motum animi. Politien, qu’il n’a garde de négliger, se sert du terme conatum ; après discussion, il opte pour appetitio, qui lui semble le mieux traduire la pensée d’Épictète. De même, pour traduire ἔργον, il choisit actio. Actio, pour lui, implique quelque chose de notre âme, que nous réalisons au dehors soit en bien, soit en mal, à l’aide de notre corps. Et ce qui prouve qu’il l’entend bien ainsi, c’est que nous retrouverons le verbe agere pris dans le même sens dans ce même chapitre Ier : « Ad summa ea quæ ipsi non agimus », dit-il, en parlant des choses qui ne dépendent pas de nous. Il a donc choisi de son plein gré le mot propre sans se préoccuper de ses devanciers. Il ne les dédaigne point pourtant, et, contrairement à Rivaudeau, qui, quelques années plus tard, se montrera si sévère à l’égard de Politien, il reconnaîtra tout ce que la vulgarisation du Manuel doit à cet illustre humaniste. Au chapitre IV, quand il s’agit dé traduire que ce n’est point avec mollesse qu’il faut entreprendre les grandes choses que requiert la sagesse, il choisit de préférence à tout autre le texte de Simplicius, que Politien a lui-même suivi (1); d’autres fois, c’est Simplicius lui-même, qu’avaient laissé de côté et Politien et Naogeorgius, qui arrête immédiatement son choix. C’est au chapitre VII, il lui faut traduire ce mot d’Épictète j;.s9’ ûxs?2ipéaî<oç. Politien l’avait, rendu par cum supputatione; Naogeorgius par cum exçeptione; il lui semble à bon droit traduire plus exactement en prenant le texte de Simplicius cum imminutione.

Il reconnaît cependant avec beaucoup de justesse les passages qui ont été faussés par Politien. Ainsi, au chapitre XII, où il est question du fameux navire que nous ne devons point quitter des yeux’lorsque nous descendons à terre, de peur que le maître ne nous appelle, Politien, avait ajouté ces mots « Inque id vinctus jzonjiciaris. » Wolf les rejette, non seulement parce qu’il ne les trouve pas dans tous les manuscrits, mais parce qu’ils faussent le sens. Les forces dont il est parlé ici, dit le commentateur, ne sont point extérieures ce serait donc une erreur de les entendre ainsi (2).

D’autres fois, il explique Épictète avec assez d’originalité, et ne craint point d’y ajouter la note critique. Épictète, en effet, au chapitre, XXXVI, explique amplement qu’il ne faut point s’exposer à changer sans cesse de situation, en entreprenant une besogne au-dessus de ses forces. Wolf s’applique immédiatement et avec assez de verve ce précepte à lui-même. Il a fait de tout dans sa carrière mouvementée, tour à tour scribe, pédagogue, courtisan, bibliothécaire, directeur d’école. Or, n’aurait-il pas mieux valu qu’il se livrât dès son âge le plus tendre à. l’étude de la philosophie ? Peut-être aurait-il alors quelque peu progressé (3). Il rejette au contraire l’apathie stoïcienne quand

(1) Cf. les notes du chapitre iv « Rectius Simplicii Commentarius. », et il cite le passage « Quam lectioriem et Politianus est sequutus. »

(2) Notes du chapitre xn « Politianus attexit... in que id vinctus conjiciaris... quæ appendix nec in excusis codicibus habetur, et est supervacanea. Loquitur enim non de externa vi, sed de imbecillitate virium, quœ quo major sit ingravescente setate, eo paucioribus rebus animum esse occupandum quod et iis vacare, et parere philosophie sit difficillirftum. ».

(3) Notes du chapitre xxxvi : « Fui modo scholasticus, modo scriba, modo aulicus, modo paedagogus, modo bibliotheoe prsefectus, modo scholas gubernator, elle s’applique à nos propres souffrances; elle est facile à pratiquer quand il s’agit des souffrances des autres. Il nous est facile lorsque nous nous portons bien de donner de bons conseils aux malades (1).

Il ne peut admettre non plus que la sagesse, bien qu’elle soit celle -d’un stoïcien, puisse nous faire l’égal des dieux. Un si grand intervalle sépare l’homme le plus sage de l’ombre même d’un dieu (2). Enfin, et c’est là la dernière remarque que nous ferons sur un commentaire qui mériterait cependant d’attirer plus longuement l’attention des érudits, Wolf fait en somme peu de place au commentaire religieux. A-t-il été frappé des développements un peu prolixes de Naogeorgius, et n’a-t-il point voulu tomber dans le même défaut? ou peut-être, a-t-il trouvé que tout était dit sur cette matière et qu’il était, par conséquent, inutile d’insister davantage? Ces deux raisons peuvent également être admises, mais ce qui nous intéresse tout particulièrement ici, avant d’étudier les traductions françaises, c’est que Wolf, dans le groupe des traducteurs et commentateurs latins, a nettement fixé la voie où peut désormais s’engager un traducteur du Manuel. Ce dernier n’a plus le droit désormais de se désintéresser de la critique du texte, et comme la pensée d’Épictète s’est dégagée maintenant concise et forte, il ne peut plus se dérober à la traduction exacte et presque littérale. Comment nos traducteurs français vont-ils réaliser ce programme ? comment vont-ils donner droit de cité, dans notre langue imagée et pittoresque du XVIe siècle à ce Manuel si concis et si bref ? C’est ce que nous permettra de dégager l’étude qui va suivre.


(1) Notes du chapitre xxn « Facile omnes, cum valemus, recta consilia œgrotis damus. Tu si hic sis, aliter sentias. Alterius vulnera et csedern spectare sine dolore corporis possumus, sed ipsi non sine acerbissima doloris sensu vulneramur et cœdimur. »

(2) Note du chapitre xxi « Quam enim infinito intervallo vel prœstantissimus homo ab extrema umbra divinitatis abest. »

    idque eo usque, ut nunc quid sim, pêne ipse ignorem. Mirabiliter distrahit varietas et crebras mutationes, ingenium. Quod si mihi in imo philosophiae studio ab ineunte œtate elaborare licuisset, cui me fuisse natum arbitrer fortasse profecissemus aliquid. »

    qua cum mirifice delectatus essem, mihi prae caeteris omnibus liber ille (sacros semper excipio) proposito negotio non modo utilissimus, verum etiam imprimis necessarius visus est... a te petere et efflagitare non destiti, donec in communem studiosorum utilitatem in vulgandum mihi tradidisti. »

    adjunximus, ut commodius ab utriusque linguas studiosis conferri possint. » — (Basileæ, per Joannem Oporinum, 1554.)

    ab Arriano in unum congestas sententiolas continet, primus in lucem proferrem qua re et mea opera Petreius suse erga recta studia voluntatis documentum daret, et ad studiosos minime vulgaris utilitas perveniret. Ejusmodi enim libellus est, ut non solum ob prseceptionum brevitatem (unde et ad instar militaris pugiunculi Enchiridii nomen meruit) diu noctuque in manibus versari debeat sed etiam propter eruditionis copiam et sententiarum gravitatem ab omnibus memorias commendatus sit. Atque adeo, ut libere et ex animo dicam quod sentio non video causam, quamobrem non vel prolixis,Platonis, vel acutis Aristotelis disputationibus anteferendus sit. quid obsecro tam admirabile vel in Platone, vel Aristotele, si ex illo dicendi copiam et Socratis personam (qui tamen nihil certi decernit, in multis sibi ipsi non constat) ex hoc acrimoniam in disputando adimas ?. In hoc non solum omnia ad virtutem esse referenda disputatur (quod tamen illi usque quaque et perpetuO non faciunt) sed etiam quid facto opus sit, t, quomagis habitum quemdam (ut vocant) in animo adsequamur, et quasi in possessionem virtutis constituamur, clare ostenditur. »

  1. Cf. Giornale storico della litteratura italiana, t. L, p. 52 et seq. (1907).

    Cette traduction fut probablement composée à Bologne vers 1453, car elle est dédiée à Nicolas V et on y voit que Nicolas Perotto accompagnait le cardinal Bessarion et portait le titre de poète lauréat. Or Nicolas V mourut en 1455 ; en 1452 le titre de poète lauréat fut établi à Bologne et cette même année le cardinal Bessarion était dans cette ville.

    Le Cod. Ambros. marqué L 27, et qui est tout entier occupé par deux traductions de Perotto : l’Enchiridion d’Épictète et le De fortuna Romanorum de Plutarque, mentionne pour ce premier ouvrage :

    1. Nicolai Perotti in Epicteti philosophi Enchiridium præfatio incipit feliciter ad Nicolaum quintum pontificem maximum.

    4. Nicolai Perotti poetæ laureati in Epicteti philosophi Enchiridium a se e græco in latinum translatum præfatio finit.

    4 . Simplitii philosophi in expositionum Enchiridii præfatio incipit felicissimè.

    F° 10. Nicolai Perotti de græco translatio prœmii finit feliciter. Epicteti philosophi Enchiridium incipit feliciter.

    34 . Nicolai Perotti poetæ laureati præfatio finit. Incipit De fortuna Romanorum feliciter.

    Et le manuscrit se termine par deux distiques sur Épictète en vers latins, 59  :

    « Divus Epictetus animos et pectora format
    Hic animo liber, cætera servus erat
    Corpore mancus erat sed diis gratissimus idem
    Nunc refrigeriam gaudet habere domum.
     »

  2. Cf. Schweighäuser, Epicteti Manuale et Cebetis Tabula græce et latine, pp. xvii et xviii (Lipsiæ 1798). Il a plusieurs exemplaires entre les mains : un de la bibliothèque de Bâle, deux de la bibliothèque Joannea Hamburgensis dont l’un est annoté à la main et porte le nom de N. Le Fèvre en tête du volume ; l’autre, également annoté, mais avec quelques différences de notes, témoignerait d’une autre source de manuscrit ; puis il y en aurait quatre à Paris, parmi lesquels celui que nous avons entre les mains, signé Ant. Feydeau. Schweighäuser en conclut, ce qui paraît fort juste : « Fuisse videtur olim, nescio quo loco Italiæ, veluti officina quædam, e qua exibant Enchiridii cum Simplicii Commentario exempla Venetæ editionis cum Codicibus Msstis collata. »
  3. Cf. Hoffmann. Lexicon bibliographicum (Lipsiæ 1833) ; Joannis Alberti Fabricii, Bibliotheca græca, t. V (éd. Harles, Lipsiæ, MDCCLXXIX).

    Cf. Politianus, Omnia opera (Venetiis 1498, in-fol.). Cette date pourrait être fixée approximativement par ce fait qu’une lettre significative datée du 1er août 1479 à Fiesole fut écrite par Politien à Scala, pour réfuter les objections de ce dernier contre Épictète, et que cette lettre fut jointe à l’édition de 1498.

  4. Cf. Politien, Opera omnia (Venise 1498). Lettre à Laurent de Médicis « Nam quum universam tuæ pulcherrimæ bibliothecæ suppellectilem, quam tute nobis utendam concessisti, nuperrime scrutarer ; hoc unum merito opusculum, quasi ex horto flosculum, quod tibi afferrem, delibavi. Hic enim unus est liber (nisi me opinio fallit), qui et naturæ isti tuæ ad magna quædam semper atque ardua excitatæ, et his tam duris temporibus, quibus te undique fortuna exercendum accepit maxime omnium conveniat. »
  5. Cf. Op. cit. « Sermo autem in eo omnino efficax est, atque energiæ plenus, et in quo mira sit ad permovendum vis. Suos enim quivis effectus meo agnoscit, atque eos emendandos, ceu quodam aculeo excitatur. »
  6. Cf. dans opera cit. cette lettre datée de Fiesole 1er août 1479 : « Putabam equidem factum a me satis quod Epictetum essem de græco interpretatus. » Cela prouverait donc clairement qu’une édition du Manuel avait été publiée antérieurement à cette date.
  7. Cf. lettre citée : « Is igitur Plato in eo libro, qui de hominis natura inscribitur Socratem cum Alcibiade illo, cui pulchro cognomen fuerit, disputantem inducit, quo in libro nihil esse aliud hominem quem dicimus probat nisi rationis participem animum. »
  8. Ibid. : « Necesse est hominem aut animum esse, aut corpus, aut utrumque simul… animus vero is est, qui moveat. »
  9. Ibid. : « Ipse igitur homo est, quique hominis curas studet, animum curet. »
  10. Cf. Lettre citée « Præcepta enim hoc libello tradit et quasi leges promulgat, non contentionibus pugnat, suus cuique… »
  11. Ibid. « Vides ut Mathematici demonstrationum suarum principia non probent sed earum patrocinium ei, quem primum philosophum dicimus commendent. Ergo et Epictetus hunc ita libellum orditur, ut quod a Platone probatum sit, pro concesso accipiat, que eo omnem præceptorum seriem intertexat. »
  12. Ibid. « Obscurus igitur, aut perplexus noster Epictetus quo neque planius quicquam neque enucleatim, neque etiam lucidius ne optare quidem ausis. Ut in eum ne dum tui isti lyncei oculi, sed vel hebetissimi quique inspicere possint. »
  13. Cf. Lettre à Laurent de Médicis (édition citée) « Hoc ego opus cum latinum facere aggrederer ut indulti a te nobis tam suavis ocii rationem aliquam redderem ; in duo omnino mendosissima exemplaria incidi, pluribusque locis magna ex parte mutilata. Quapropter quum et cætera quæcunque usquam exemplaria exstarent, non dissimula his esse audirem permisi mihi, ut, sicubi aliqua capita, aut deessent aut dimidiata superforent, ea ego de Simplicii verbis, qui id opus interpretatus est, maxima (quantum in me esset) fide supplerem. Quod si non verba ad unguem (id nullo modo fieri poterat), at sensum certe ipsum purum sincerumque latinum a nobis redditum arbitror. »
  14. Cf. Édition Wolf (Bâle 1563).
  15. Le chapitre I du texte définitif est divisé par Politien en quatre chapitres, le chapitre V en deux, également le chapitre XIII, etc. ; au contraire le chapitre XXXIII de Politien comprend le chapitre XXVIII et une partie du chapitre XXIX du texte définitif, etc.
  16. La traduction de Politien comprend soixante-huit chapitres la première partie irait jusqu’au chapitre XXVII, la deuxième jusqu’au chapitre XXXV, et la dernière, la plus importante, jusqu’à la fin du Manuel.
  17. Chap. I. « Quæ in nobis sint, quaæve non : qualia ve quæque sint. »

    Chap. II. « Quid ex eorum, quæ nostra, quæque aliena sint, ignoratione, notitiaque eveniat. »

    Chap. III. « Quod aliena omittenda, nostra curanda, quodque utraque adsequi non est. »

    Chap. IV. « Quo nos pacto in aspera quavis imaginatione gerere oporteat. »

  18. Chap. v. « Quomodo tractanda sunt quæ in Nobis sunt. »

    Chap. vi. « Quomodo tractanda, quæ in Nobis non sunt. »

  19. Chap. vii. « Quomodo præparari in actionibus oporteat, ut perturbatione vacemus, ac primo per meditationem. »
  20. Cf. mon ouvrage sur la Renaissance du stoïcisme au XVIe siècle (chap. ii, 2e partie).
  21. Chap. viii. « De perturbatione declinanda, per eorum naturæ considerationem, quæ nos perturbant. »

    Chap. ix. « Ratio superioris præcepti, triplicisque hominum gradus adsignatio. »

  22. Chap. x. « Quomodo tractanda, quæ de externis videntur eligenda. »

    Chap. xi. « Quæ nobis ex externis concedantur, quoque iis pacto sit utendum ; per similitudinem. »

    Chap. xii. « Quo pacto sine perturbatione, et noxia externis acquiescere possimus. »

  23. Chap. xiii. « Quod impossibilia non sunt, quæ præcipiuntur, quando vires animo adversus omnia insunt. »
  24. Chap. xiv. « Quales præbere nos oporteat, cum externa amittimus. »
  25. Chap. XV. « Responsio ad objecta, quæ de superiori præcepto emergunt ac regula, qua talia eligere ab ærumnis non exerceamur. »
  26. Chap. XVI. « Contra vulgi de nobis existimationem. »

    Chap. XVII. « Adversus inanem gloriam. »

    Chap. XVIII. « Quibus studendum sit, quibus non sit. »

    Chap. XIX. « Quæ nos servos faciant, quæve liberos. »

  27. Chap. XX. « Regula electionis præsentium, præteritorum et futurorum per similitudinem. »

    Chap. XXI. « Quo pacto imaginationi moderandum circa ea, quæ fugienda videntur. »

    Chap. XXII. « Quid ad nos attineat, quidve supra nos sit ; aptissima similitudine. »

    Chap. XXIII. « Quo pacto et in diversorum expectatione imaginationi moderandum sit. »

  28. Chap. XXIV. « Causa superioris sensus et quasi conclusio. »
  29. Chap. XXV. « Quæ via ad libertatem expeditissima sit. »
  30. Chap. XXVI. « Solutio eorum, quæ superioribus obstare videntur. »
  31. Chap. XXVII. « Secunda pars qua eum, qui jam profecerit, instituit. Eaque primo dissolvit, quæ philosophari incipientibus occurrunt. »
  32. Chap. XXVIII. « Quod a seipso ad externa conversio, philosophi statum destruit. »

    Chap. XXIX. « Solutio emergentium in ejus animo cogitationum, qui philosophiam aggrediatur. »

    Chap. XXX. « Continuatio eorum solutionis, quæ philosophari incipientem impediunt. »

    Chap. XXXI. « Quæ sunt communia etiam ex naturæ voluntate. »

    Chap. XXXII. « Mali naturam in mundo non esse. »

    Chap. XXXIII. « Quam putanda sit animi perturbatio, quidve agendum, ne in eam incidamus. »

    Chap. XXXIV. « Efficax considerandi exemplum, quid quaque inre, quam simus aggressuri, accidere possit. »

  33. Chap. XXXV. « Quod officia a natura ducuntur, quodque ut sese quisque adversus quempiam habeat considerantur. Tum de officiis erga homines. »
  34. Chap. XXXVI. « Officia adversus deos. »
  35. Chap. XXXVII. « Qualem se ad diviuationem adhibere, de quibus vatem consulere, quomodo divinationibus uti oporteat in quo simul et officium erga deos et erga nos ipsos existit. »
  36. Chap. XXXVIII. « Officia erga nos ipsos, ac de iis primo, quæ ad morum constantiam faciunt, quæve ea impediunt et de sermone in primis ac silentio. »

    Chap. XXXIX. « De risu. »

    Chap. XL. « De jurejurando. »

    Chap. XLI. « Adversus cupiditatem ac primo de conviviis. »

    Chap. XLII. « De eorum, quæ ad corpus pertineant, usu. »

    Chap. XLIII. « De re venerea. » Chap. XLIV. « Adversus iracundiam, et quales nos erga detractores præbeamus. »

    Chap. XLV. « De spectaculorum cupiditate. »

    Chap. XLVI. « De auscultationum cupiditate. »

    Chap. XLVII. « De congressu cum potentioribus. »

    Chap. XLVIII. « Quomodo præparare nos debeamus, potentiorem adituri. »

    Chap. XLIX. « De congressibus cum plurimis. »

    Chap. L. « Quomodo resistendum voluptati. »

    Chap. LI. « Agendum bonum propter seipsum, reliquis neglectis, ac primo de justitia. »

    Chap. LII. « Quod non bonum simpliciter, sed quod nobis faciat, eligendum. »

    Chap. LIII. « Quomodo animum vel ab irrationalibus affectibus, vel a suo perverso judicio servemus. »

    Chap. LIV. « De eorum, quæ ad corpus pertineant, possessione. »

  37. Chap. LV. « De officio et cura erga uxorem. »

    Chap. LVI. « Degeneris signum, deque nimio corporis cultu. »

    Chap. LVII. « Præceptum ad patientiam ac mansuetudinem. »

    Chap. LVIII. « Quod res omnes partim alterse alteris consentiunt, partim dissident. »

    Chap. LIX. « De sermonum congruentia. »

    Chap. LX. « De judicio rerum exacto. »

    Chap. LXI. « Adversus gloriam atque ostentationem et primo circa scientiam. »

    Chap. LXII. « Adversus sobrietatis, tolerantiæque ostentationem. »

    Chap. LXIII. « Descriptio triplicis habitus, ineruditi, philosophi et proficientis. »

    Chap. LXIV. « Quod verba propter opera. »

    Chap. LXV. « Quod in his perseverandum. »

    Chap. LXVI. « Quod supersedendum, non est, sed quam primum ad hæC incumbendum. »

    Chap. LXVII. « Tres loci in philosophia, eorumque inter se ordo. »

    Chap. LXVIII. « Tres antiquorum sententiæ in promptu habendæ quarum prima Cleantis, Euripidis secunda, tertia Platonis, est. »

  38. Cf. version cit., cap. 1. « Eorum quae sunt, partim in nobis est, partim non est. In nobis est opinio, conatus, appetitus, declinatio et (ut uno dicam verbo) quaecunque nostra sunt opera. Non sunt in nobis, corpus, possessio, gloria, principatus, et uno verbo, quascunque nostra opera non sunt. Quæ igitur in nobis sunt, natura sunt libera nec quœ prohiberi impedirive possint. Quae in nobis non sunt, ea imbecilla, serva, et quæ prohiberi possint, atquæ aliena. »

    Cf. ibid., cap. iv. « Continuo igitur in quavis aspera imaginatione disce considerare, imaginationem esse illam… »

    Cf. paragraphes 1 et 5 du chapitre 1er des éditions modernes.

  39. Version cit., cap. XII. « Ne velis, quæ fiunt, fie ri ut velis sed velis, quæ fiunt ut fiunt, et prosper eris. Morbus corporis est impedimentum ; propositi vero minime, nisi ipsum velit claudicatio, cruris impedimentum est, propositi vero minima. Atque hoc in quocunque incidentium considera inveniesque id alterius esse impedimentum, non tuum. »
  40. Ibid., cap. XX. « Memento oportere te in convivio versari. In quo si fercula ad te perveniunt, extenta manu modeste carpe ; si transit, qui fert, neeum detine ; si nondum pervenit, ne procul appetitum extende, sed expecta dum ad te veniat. »

    Cap. XXII. « Memento, actorem te esse fabulas, quamcunque is velit qui docet. Si brevem, brevis : si longam, longas. Si mendicum agere te velit, et tunc ingeniose age. Si claudum, si principem, si privatum, ad te enim pertinet, datam tibi personam bene agere eligere ad alium. »

    Cap. XXI. « Quemadmodum in navigatione, ubi in portum est ventum, si exeas aquatum, incidit, ut cochleas in itinere, aut bulbulos colligas, animum tamen ad naviginem intentium habere convenit, et sæpe respicere, an gubernator vocet ; et, si vocet, omnia illa objicere, ne vinctus eo conjiciaris instar pecudum, etc. »

  41. Version cit., cap. xxiii.
  42. Ibid., cap. xxv.
  43. Ibid., cap. xxxiv.
  44. Victor Trincavelli, Arriani Epictetus (Venise 1535, in-8).
  45. « Georgio a Selva Vaurensi episcopo, ac christianissimi Gallorum regis ad Senatum venetum, oratori amplissimo, Victor Trincavellus felicitatem. »
  46. Cf. Schweighäuser, op. cit. « Est quidem in hac editione græcus contextus Enchiridii pariter atque Dissertationum ex Veneta secunda (c’est-à-dire édition de Trincavelli) {{lang|la|ita ad verbum expressus ut ab illa nonnisi perraro et minutis in rebus, correcto aliquo manifestiore sphalmate aut novo errore admisso discedat » (p. xxx).
  47. « Moralis philosophiæ medulla, docens quo pacto ad animi tranquillitatem, beatitudinemque prsesentis vitx perveniri possit. Nempe Epicteti Enchiridion græce ac latine cum explanatione Thomas Naogeorgii. Argentorati excudebat Vuendelinus Rihelius, anno MDLIIII (63 chapitres). »
  48. Il nous semble utile d’en donner ici quelques exemples.
  49. Cf. plus haut, p. 14.
  50. Ibid., p. 31.
  51. Ibid., p. 33.
  52. Ibid., p. 36.
  53. Ibid., p. 39.