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La vie de Marie Pigeonnier/2

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Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 13-15).

II

Beaux débuts.

Marie Pigeonnier, fille d’un ramier et d’une colombe, est née, à ce qu’elle prétend, non loin des Batignolles, assez près de Montmartre ; la vérité, c’est qu’elle est Belge : de la contrebande alors.

Arrivée à l’âge où l’esprit vient aux filles, elle étudia ses aptitudes, ses charmes, et pesa ses chances de succès dans la carrière de la galanterie.

Une camarade lui indiqua comme moyen rapide et pratique les planches d’un théâtre.

Assurément, elle montrait quelques dispositions.

Marie ne pouvait manquer de faire son chemin au théâtre, du moins on le lui assura.

Et puis, la scène relève toujours une femme, c’est pour un grand nombre un trottoir en bois où la cote est plus sérieuse qu’au coin de la rue.

Marie débuta donc.

On la vit cabotiner pendant quelques années, n’ayant aucune prétention artistique et ne se préoccupant que du monsieur inconnu qui devait l’attendre à la sortie.

Mais, de même que l’appétit vient en mangeant, l’ambition vient en cabotinant.

La jeune Pigeonnier, grisée par un petit succès qu’elle obtint dans une scène de revue de fin d’année, ne se contenta plus de quelques répliques qui lui permettaient de montrer ses dents, et d’une courte apparition qui lui laissait juste le temps de lancer des œillades aux fauteuils d’orchestre ; elle se crut de l’herbe dont on fait les étoiles, et dès lors se posa en comédienne de grand avenir.

À partir de ce moment, son caractère se modifia, ou plutôt s’accentua.

Le démon de l’envie la mordit aux entrailles.

Elle se montra féroce pour quiconque réussissait auprès d’elle, et toute camarade osant avoir l’ombre de talent devenait pour elle une ennemie, qu’elle poursuivait partout de sa haine.