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La vie de Marie Pigeonnier/3

La bibliothèque libre.
Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 17-20).

III

Premier pigeon.

Laissons pour l’instant la femme de théâtre, nous la retrouverons plus tard, et soulevons le rideau de batiste qui cache si mal sa vie privée.

Femme intrigante au delà de toute expression, elle a vu défiler dans sa chambre à coucher les célébrités les plus variées appartenant à la finance, aux lettres, au théâtre, aux beaux-arts, à la politique et à la diplomatie.

Elle a donné l’hospitalité à quelques chevaliers d’industrie, à des espions étrangers, et même à des gens honnêtes.

Lâche, et de cette manière dont l’est une femme quand elle veut l’être, elle a presque toujours frappé dans l’ombre avec des armes empruntées au favori du jour ; c’est ce que nous aurons plus loin l’occasion d’expliquer et de prouver.

Si la pudeur lui faisait défaut, en revanche elle ne manquait ni d’aplomb, ni d’effronterie.

Adroite en affaires, elle a, commercialement parlant, fort bien exploité ses dons de jeunesse.

Un homme ayant une belle situation dans le monde, à la tête d’une assez grande fortune, avait eu la faiblesse de correspondre par la poste avec elle ; d’une plume trop irréfléchie, il lui écrivit un jour qu’il n’oublierait jamais qu’elle lui avait tout sacrifié et que son amour serait éternel.

Marie Pigeonnier avait su persuader au malheureux garçon qu’il était sa… première faute, et qu’elle lui restait fidèle dans l’attente d’une réparation dont elle était certainement digne.

Les événements poussèrent cet amoureux dans les hautes régions, si bien que sa liaison menaçait d’être une entrave à sa carrière.

Un beau mariage se présentait pour lui.

Il crut pouvoir négliger la fraction de son passé qui se nommait Pigeonnier.

Quand la pauvre délaissée reçut dans l’estomac la nouvelle de ce mariage, elle eut une crise nerveuse, en pleine représentation ; cela fit événement, et toute la presse parla d’elle ; ce fut le point de départ de sa réputation.

Elle laissa publier dans un petit journal la narration de sa lamentable aventure.

Le coupable, le séducteur fut désigné par des initiales tellement transparentes que son nom vint sur toutes les lèvres.

Et puis, elle lui avait fait savoir qu’elle se tuerait aux pieds de l’autel où se consacrerait cette union qui la désespérait.

Il y avait de quoi inquiéter le jeune homme, et il se demandait de quelle façon il se tirerait de ce mauvais pas, lorsque, par hasard, oh ! absolument par hasard, il fit la rencontre d’une vieille femme qui s’intéressa à lui, et lui offrit ses bons conseils et au besoin ses services.

La vieille femme fit pendant quelques jours la navette entre Marie et son amant, et conduisit si bien les négociations que trois semaines plus tard, le mariage se célébrait et que le soir même l’actrice arriva pour la première fois au théâtre dans une voiture à elle et parut en scène avec une superbe parure de diamants qu’elle porta depuis plusieurs fois au Mont-de-Piété, car elle eut comme toutes ses pareilles ses hauts et ses bas.

Les mauvais jours toutefois sont passés depuis longtemps, et elle jouit à présent d’une aisance laborieusement acquise.

Après ce bel exploit, elle n’eut plus qu’un but, faire fortune, et, pour cela, tous les moyens lui furent bons.