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La vie de Marie Pigeonnier/22

La bibliothèque libre.
Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 115-117).

XXII

Déception.

Ce fut seulement cinq jours après son arrivée à Paris que Marie Pigeonnier trouva à la poste restante la lettre si attendue.

Hélas ! l’enveloppe ne renfermait qu’un simple billet ainsi conçu et signé d’un domestique belge qui la servait à Berlin.

Il lui annonçait que l’associée avait été arrêtée avant d’avoir eu le temps de mettre ordre à ses affaires, que la justice avait fait apposer les scellés pour la garantie des frais et pour celle du propriétaire et des créanciers s’il y avait lieu.

La maison fermée immédiatement, les domestiques renvoyés, comme l’expliquait fort bien le domestique, tout serait mangé ; et comme Marie Pigeonnier serait forcée, si elle voulait faire valoir ses revendications, de venir en personne à Berlin, l’on ne manquerait pas de la pincer d’abord, de lui faire subir de longs, mois de prison, des années peut-être, après quoi on la reconduirait à la frontière sans même écouter ses explications.

Quelle dégringolade !

La ruine demain !

La misère noire s’avançant à grands pas, avec son cortège hideux !

Ce n’était pas gai. Que faire ?

Recourir aux générosités de ses anciens amis, mendier la pièce de cent sous quotidienne.

Ah ! l’horrible déception après une si belle perspective !

La dèche l’épouvantait d’autant plus qu’elle se sentait perdue au théâtre et usée comme femme galante.

Secouée par la terreur d’un avenir pitoyable, elle ne désespéra pas de sortir de la panne.

Mais dans quelle… pommade elle se débattait !

Dehors elle faisait bonne contenance.

Elle avait le courage de paraître partout souriante ; on ne se serait jamais douté de ses angoisses, de sa rage intérieure, à la voir si alerte, si forte en blague.

La sagesse des nations n’a pas radoté — une fois n’est pas coutume — en déclarant qu’il valait mieux faire envie que pitié ; aussi la Pigeonnier savait donner le change à ceux qui feignaient de s’intéresser à ses affaires.

Ce qu’elle consommait de fiel, ce qu’elle dévorait de bave, il y avait de quoi la faire engraisser du double.

Ah ! quel beau jour que celui où elle pourrait cracher et sa bave et son fiel à la figure des arrivés, hommes et femmes, qui se moquaient d’elle.

Précisément, c’était là le chiendent.

En attendant ce beau jour, qui ne devait jamais arriver, elle se morfondait devant les portes où elle venait frapper et qui restaient obstinément fermées.