Lamothe Le Vayer/T5/P1/De la vertu de payens/Partie I

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Œuvres (1756)
Michel Groell (Tome 5, Partie 1p. 1-101).


DE LA VERTU


DES


PAYENS


PREMIERE PARTIE.


avant-propos



amais perſonne raiſonnable n'a douté que, la Vertu ne meritât d'être honorée. On revère le Ciel, d'où elle est sortie en la reſpectant. Et c'eſt uſer d'une espece de culte envers Dieu, dont elle eſt l'image, que de la rendre illuſtre, & glorieuſe. Platon a ſoutenu ſur cette conſidération[1], que l'eſtime qu'on fait ici bas des hommes vertueux, donne là haut à Jupiter le plus grand contentement qu'il y recoive ; comme il n'y a rien qui lui déplaise davantage, que s'il arrive qu'on défère aux vicieux un honneur qu’ils ne méritent pas. Mais l’importance eſt de reconnoître les premiers, de définir cette Vertu, & de la faire tellement remarquer, qu’on ne lui puiſſe plus refuſer ce qui lui eſt dû par de ſi fortes raiſons. Car nous ſavons, que ce qui eſt Vertu en un lieu, paſſe ailleurs aſſez ſouvent pour un vice. Il y en a qui ne la prennent que pour un pur terme de College, comme ſi elle n’avoit rien de ſolide que le ſeul divertiſſement, qu’elle y donne dans toutes ces conteſtations, dont elle fournit la matière.[2] Et les derniers propos de Brutus aux champs Philippiques furent ceux mêmes qu’Hercule avoit tenus autrefois, ſe repentant de l’avoir cultivée comme une chose réelle & véritablement ſubſiſtante, puiſqu’elle n’avoit rien qu’un nom vain, capable ſeulement de nous cauſer quelques illusions d’eſprit. On peut bien juger là deſſus, qu’il n’eſt pas plus facile de diſerner ceux, qui doivent être nommés vertueux. Et nos Ecoles Chrétiennes mêmes ne ſont pas ſi réglées ſur ce sujet, qu’il ſe ſoit trouvé des Docteurs, qui ont réfuté cette qualité à ceux qui ſembloient l’avoir acquiſe par le conſentement de pluſieurs ſiécles, & par les ſuffrages de toute l’antiquité. Grégoire de Rimini[3] eſt l’un des principaux Auteurs, qu’on allegue ſur cela, & il a été ſuivi de quelques autres qui maintiennent qu’aucun Infidele ne doit être appellé vertueux, parce que ſon infidelité l’empêche de pouvoir produire des actions moralement bonnes & vertueuses. Ainſi tant de grands hommes Grecs, Romains, & autres, qui ont été recommandés de Prudence, de Juſtice, de Force, ou de Temperance, n’ont jamais poſſedé les vertus qui leur ſont données. Et tous ces glorieux attributs, qu’on joint aux beaux noms de Caton, & de Socrate, de César, & d’Alexandre, n’ont été que de faux titres qu’ils ne pouvoient mériter, puisque, comme Païens & Infideles, il étoit impoſſible qu’ils fuſſent vertueux.

Je ne prétens pas m’engager dans tant de questions & de disputes la plupart inutiles, vû que chacune seroit capable de m’arrêter toute ſeule fort longtems. Il me suffira de remarquer à l'égard de la derniere, que comme Gregoire de Rimini confeſſe qu'il soûtenoit, il y a trois cens ans, une opinion contraire à la commune de l’Ecole[4], elle n’a pas aujourd’hui un plus grand nombre de sectateurs, & qu’apres St. Thomas, la meilleure partie des Docteurs n’exclud pas les Infideles de la pratique de beaucoup de vertus. La raiſon de cette doctrine eſt, que tout le bien de la nature ne ſe trouve pas corrompu par l’infidelité, ni la lumiere de l’entendement si abſolument offuſquée, qu’un Païen ne puiſſe encore reconnoître ce qui eſt vrai, & ſe porter au bien enſuite. C’eſt pourquoi comme les Fideles ne ſe laiſſent pas d’être aſſez ſouvent vicieux, il n’eſt pas impoſſible non plus, qu’un Infidele ne puiſſe exercer quelques vertus, quoiqu’elles ne ſoient pas accompagnées du mérite, que donne la grace qui vient de la Foi. Auſſi n’y a-t-il eu aucun des Peres de l’Eglise qui ait fait difficulté de parler, quand l’occaſion s’en eſt présentée, de la prudence d’Ulyſſe, de la force d’Achille, de la justice d’Aristide, ou de la temperance de Scipion. Que s’ils ont dit quelquefois, que hors le Christianiſme il n’y a point de véritables Vertus, & ſi Saint Auguſtin & Saint Thomas ont nommé celles des Païens de fauſſes Vertus[5], ça été eu égard à la félicité éternelle, où elles n’étoient pas capable de les conduire toutes ſeules. Les Peres ont encore ſouvent parlé ainſi, faiſant comparaison des vertus morales ou intellectuelles des Idôlâtres, aux vertus infuſes des Chrétiens, que Dieu inſpire avec la grace surnaturelle, & auprès deſquelles les premieres paroiſſent imparfaites & comme de mauvais aloi. Et néanmoins parce qu’il ſe trouve des perſonnes prévenues de cette penſée, que dans la doctrine de Saint Augustin, les vertus des infidèles ne ſont que des vices, & leur meilleures actions que de véritables péchés ; ce qui jette du ſcrupule dans leur conſcience, comme s’il y avoit du haſard à livrer l’opinion contraire ; je crois néceſſaire de rapporter ici quelques passages de ce grand Prélat, capables de déſabuſer ceux qui le font être de ce ſentiment. Nous tirerons avec facilité de ces paſſages l’explication qu’on doit donner à d’autres textes du même Auteur qui paroiſſent d’abord fort differens. Et il ſera aisé de faire voir enſuite par l’autorité de tous les Peres de l’Eglise, & de presque tous les Docteurs, qui ont précedé, ou qui ont été depuis St. Augustin, de quelle façon il doit être toujours interpreté, lorsqu’il traite de cette matiere.

Je ne ſaurois commencer par un plus notable endroit qu’est celui du cinquième livre de la Cité de Dieu, où nous liſons dans le quinziéme chapitre[6], que les Romains reçurent ce vaſte Empire, qui les a rendus ſi célébres dans le monde, en recompenſe des vertus excellentes qu’ils exerçoient pour y parvenir. Car comme argumente fort bien le Cardinal Bellarmin là-deſſus[7], s’il étoit vrai que les Vertus des Païens ne fuſſent que des vices dans la doctrine de Saint Auguſtin, il s’ensuivroit que ſelon cette doctrine, Dieu auroit recompenſé le vice, qui eſt une abſurdité tres impie. Certes, quiconque examinera encore le douzième chapitre du même livre ne doutera jamais, que les Vertus de Céſar, & ſurtout celles de Caton, n’y ſoient repréſentées, comme des vertus morales, & non pas comme des vices, encore qu’elles ſoient inférieures de beaucoup à nos vertus Chrétiennes, & que comparées les unes aux autres, il ſemble, comme nous venons de dire, qu’il n’y ait que les dernieres de véritables. C’eſt ce que Saint Auguſtin a voulu entendre par ce peu de mots : Sed cum illa memoria duo Romani essent Virtute magni, Cæſar, & Cato, longe virtus Catonis veritati videtur propinquior fuiſſe, quam Cæſaris. Il n’eût pas parlé de la ſorte du vice, qu’on ne conſidère jamais comme voiſin de cette vérité, parce que lui étant ſi contraire, il s’en trouve toujours plus éloigné que la terre ne l’eſt du Ciel. Mais d’autant qu’à le prendre moralement, & ſelon les termes de l’Ecole, la vertu, reçoit le plus & le moins ; il dit que celle de Caton approcha le plus pres de la vérité, ou qu’elle fut plus agréable à Dieu, qui eſt l’éternelle Vérité, que celle de Céſar. Voici d’autres paroles du même lieu fort conſidérables : Paucorum igitur virtus ad gloriam, honorem, imperium, vera via, id eſt ; virtute ipſa nitentium ; etiam a Catone laudata eſt. Remarquons y, qu’il n’eſt pas vrai, que tout deſir de gloire & d’honneur ſoit un vice, comme le prétendent ceux, qui ſont de l’avis, que nous refutons ; n’y aiant que l’ambition démesurée, qui ſoit condamnanble, & non pas le deſir reglé d’une honnête gloire. Obſervons y encore la fauſſeté de cette autre maxime qu’ils defendent, que c’eſt un crime de ſuivre la vertu, à cauſe d’elle-même. Sans doute qu’ils n’ont pas conſidéré, que dans Saint Auguſtin la vertu n’est rien autre choſe que l’amour de Dieu. D’où l’on peut conclure, que suivre la vertu pour l’amour d’elle même, c’eſt la ſuivre pour l’amour de Dieu ; & par conſéquent que leur maxime paroit un blaſpheme.

Au moins, il eſt sûr[8], qu’ils portent ici en Sophistes la doctrine de Saint Auguſtin à une telle extrémité, que Suarez, & beaucoup d’autres ont été contraints de dire, qu’ils la tenoient inviolable, priſe de la façon ; parce que de nommer la vertu recherchée pour l’amour d’elle-même, un vice, c’eſt former des paradoxes du tout contraires à l’intention de Saint Augustin, & ſans mentir plus étranges qu’on n’en a jamais attribué au Portique de Zenon. En effet, fort peu de Païens ont embraſſé cette belle vertu par une vaine gloire toute pure, mais presque toujours, croians que l’honnêteté s’y trouvoit conjointe, & que celle-ci étoit agréable à Dieu, qui devenoit par conſequent la derniere fin de leurs actions, encore qu’elles euſſent d’autres fins moiennes & subordonnées à celle-là. Mais nôtre deſſein ne nous obligeant pas à nous arrêter davantage ſur ce point, paſſons à d’autres textes de Saint Augustin, que nous ne trouverons pas moins formels que ces premiers.

Dans ſon livre de l’Eſprit & de la Lettre[9], il reconnoit que les Impies & les Infideles ont fait des œuvres, quoique rarement, qu’il ſeroit bien faché de blâmer, parce qu’elles méritent au contraire d’être louées. Qui eſt-ce, je vous prie, qui a jamais ouï parler de louer le vice ? & qui peut nier, que la rareté ne témoigne l’existence ? Il nomme ailleurs la continence de Polemon[10], que Xenocrate retira de la débauche, un don de Dieu. Il priſe en beaucoup de lieux les aumônes du Centurion Cornélius faites avant qu’il eût reçu la Foi. Son livre de la Patience nous apprend que celle même d'un Schiſmatique eſt digne de louange, lorſqu'il ſouffre la mort plutôt que de nier Jeſus Chriſt. Et ce qu'il dit de la bonté d'Aſſuerus[11] eſt encore fort précis, pour donner à connoïtre, que la penſée de ce grand Docteur n'a jamais été de priver de toute vertus les Ethniques, ni d'obliger à tenir leurs meilleures actions pour autant de pèchés. Joignons à cela ce que nous obſerverons plus particulierement ci-après en examinant la Philoſophie de Platon, d'Ariſtote, & de Seneque, ſavoir que le même St. Auguſtin a ſouvent exalté les mœurs exemplaires de celui-ci, nommé le ſecond un homme de bien, & crû au jugement de Toſtat, que le premier étoit ſauvé. En vérité, ce ſont des témoignages plus que ſuffiſans pour la preuve de ce que nous diſons, ſans qu'il ſoit beſoin de nous amuſer à une infinité d'autres paſſages ſemblables, que nous pourrions ajoûter à ceux-ci.

Il ne faut pas s'arrêter non plus à la reponſe ridicule, que quelques-uns y ont voulu faire, prétendant que Saint Auguſtin n'a rien écrit de la ſorte, que comme Saint-Pelagien qu'il étoit avant la promotion à l'Evêché d'Hipponne. Car outre que la plûpart des livres d'où ſont tirés tous ces textes, nommément ceux de la Cité de Dieu, ont été compoſés par lui depuis qu’il fût Evêque, ſi cette ſolution étoit bonne pour toutes les œuvres où il la faudroit néceſſairement appliquer, que reſteroit-il d’entier dans Saint Auguſtin ? Pour moi je ne crois pas, qu’on puiſſe rien prononcer de plus préjudiciable à l’honneur de ſa doctrine, que ce qu’avancent en cela des hommes qui font néanmoins profeſſion d’être fort partiaux pour elle, & qui n’ont point de honte de dire nettement, que Toſtat, Bellarmin, Tolet, Vaſquez, Cornelius à Lapide, Suarez, Leſſius, Molina, avec le reſte des Scholaſtiques, ne l’ont jamais bien entendu comme eux. Je ſuis fort trompé, s’ils en ſont crûs à leur ſimple parole.

Pour bien juger de ce différent, il n’y a point de plus sûre méthode à tenir, que d’avoir recours au ſentiment des Peres, qui ont été devant ou après S. Auguſtin, & qui nous feront voir celui de l’Eglise Universelle.

Saint Jérôme dit fort clairement ſur le premier chapitre de l’Epître aux Galates, que pluſieurs ont pû faire des actions pleine de ſageſſe, & de ſainteté, encore qu’ils n’euſſent pas la Foi, ni la connoiſſance de l’Evangile de Jeſus Chriſt. Ainſi l’on ne peut nier, qu’ils n’aient ſouvent donné l’aumône aux néceſſiteux, reſpecté leurs parens, ſecouru leurs amis, & obei aux Puiſſances Souveraines, qui ſont toutes bonnes œuvres. Et il prouve la même doctrine, lorſqu’il examine le vingt-neuvième chapitre d’Ezechiel, où le Roi Nabuchodonosor, quoiqu’infidele, reçoit des recompenses temporelles de Dieu, pour des choſes qu’il avoit juſtement exécutées, par la voies des armes contre la ville de Tyr ; ce qui montre aſſez, qu’on ne peut pas dire, que les Ethniques ne puiſſent jamais rien faire de bien.

Saint Chryſoſtome en divers lieux de ſes Homelies[12], Saint Ambroiſe, Origene, Saint aſile, & Saint Juſtin, ont tous été auparavant de ce même avis, ſans faire difficulté de reconnoître les Infideles pour juſtes, patiens ou liſericordieux, ſelon les vertus qui les rendoient recommandables, encore qu’elles n’operaſſent rien au ſalut de leur ame.

Quant aux Peres, qui ont écrit depuis Saint Auguſtin, l’on ſait que Saint Proſper, Saint Gregoire le Grand, & Saint Thomas ont été conformes aux précedens, outre que tout le reste de ceux, que nous verrons tantôt avoir bien penſé de la félicité éternelle de quelques Païens, ne les ont pas crûs par conſequent incapables de faire de bonnes actions. Enfin il ſemble, que l’Egliſe ait déterminé ce que nous devons penſer là deſſus, quand la Bulle des Papes Pie Cinq, & Gregoire, Treize a condanné de certaines propoſitions d’un Michel Baſe, comme erronées, & hérétiques, dont la trente cinquiéme portoit, que toutes les œuvres des Païens n’étoient que des pechés, & les vertus de ces anciens Philoſophes que des vices[13]. Auſſi contient-elle l’opinion expreſſe de Luther, de Calvin, & de la plûpart des autres Hérétiques de ce tems[14].

Il n’y a donc point d’apparence d’en rendre auteur Saint Auguſtin par de mauvaiſes interprétations. Et quand il ſeroit certain, qu’il auroit enſeigné une ſi rigoureuſe doctrine contre toute ſorte de Païens ce que nous avons montré n’être pas véritable, nous ne devrions pas pour cela abandonner celle de tant de Saints Docteurs pour ſuivre la ſienne. Son texte n’a pas le privilège d’être Canonique, il s’eſt bien rétracté lui-même de beaucoup de propoſitions ; & comme perſonne ne defère plus à ce qu’il a écrit des Antipodes dans la Cité de Dieu, où il les prend pour une fable, on ſe peut bien departir ailleurs de ces ſentimens[15]. Dans une Epitre à Voluſianus[16], il ſuppoſe ſuivant l’erreur commune, que Pherécydes étoit Aſſyrien ; Et parce qu’on veut, que ce Philoſophe aie le premier enſeigné l’ Immortalité de l’Ame, il ſe joue des mots d’une des Eclogues de Virgile.

Assyrium vulgo naſetur amontum[17], attribuant le ſuccès de cette Prophetie à ce que la doctrine de l’Immortalité de l’Ame s’eſt enfin étendue de Syrie par tout le monde. La pointe ſeroit gentille, & digne de l’eſprit de Saint Auguſtin, ſi ſon fondement étoit véritable. Mais il eſt très conſtant au contraire, que la patrie de Pherecyde fut l’Isle de Syros l’une des Cyclades de la mer Egée ; & qu’il n’y a eu que l’équivoque du nom qui l’ait fait paſſer pour Syrien à Clément Alexandrin, à Euſèbe, & après eux à Saint Auguſtin. Nous remarquerons ci-après qu’il a été perſuadé de la vérité des lettres qui ſe voient de S. paul à Senèque. On veut qu’il n’ait point admis d’actions moiennes dans la Morale, & qui ne fuſſent bonnes ou mauvaiſes, contre ce qu’enſeigne l’Ecole, qui en reconnoît d’indifférentes. Et il y a beaucoup d’autres points, où elle n’a pas accoutumé non plus de le ſuivre. Pourquoi ne ſeroit-il pas permis d’être encore d’un avis contraire au sien ſur la queſtion prpoſée ? Un très grand nombre de paſſages du Vieil & du Nouveau Teſtament nous obligent à cela. les deux Sages femmes d’Egypte Sephora & Phua reçoivent la benediction de Dieu dans l’Exode, pour n’avoir pas fait mourir les enfans mâles des Hébreux, ſelon le commandement de Pharaon[18]. Daniel exhorte Nabuchodonosor à rachéter ſes pèchés par des aumônes, & par d’autres œuvres de pieté. Et St. Paul nous témoigne[19] que les Gentils, à qui la Loi des Juifs n’avoit point été communiquée, n’ont pas laissé quelquefois de faire naturellement ce qu’elle commandoit, d’autant que la lumiere naturelle qu’ils avoient, aidée de la Grace, leur tenoit lieu de Loi. Dirons-nous que Dieu ait récompenſé de méchantes actions ? Que Daniel ait porté un Roi à commettre des crimes ? Et que Saint Paul ait parlé trop à l’avantage des Infideles ? Tenons-nous plutôt à la créance commune de l’Eglise, qui porte, que comme l’entendement des Païens a pû comprendre ſans la Foi, & ſans la grace extraordinaire beaucoup de vérités naturelles, leur volonté s’eſt pû porter de même à pluſieurs actions louables & vertueuſes, quoique toutes leurs connoissances, & toutes leurs bonnes œuvres ne fuſſent pas ſuffiſantes au ſalut.

C’eſt ce que j’ai été obligé de dire touchant l’opinion de Saint Auguſtin, pour montrer, qu’elle ne nous doit pas empêcher de conſidérer quelques Païens comme vertueux, & de laiſſer la vertu dans toute ſon étendue, que je voudrois quant à moi amplifier plûtôt que reſtreindre.

Sans perdre le tems enſuite à refuter l’opinion de ceux, qui recognoiſſent aucune vertu, comme n’étant pas dignes de nôtre attention, nous ſupposerons pour bonnes toutes les definitions qu’on en donne, parce qu’elles reviennent quaſi à un même ſens, ſi elles ſont bien entendues, & que la diverſité qui s’y peut trouver,’importe pas à la ſuite de notre diſcours. Saint Auguſtin dit au quatrième livre de la Cité de Dieu[20], que la plûpart des Anciens ne definiſſoient point autrement la Vertu, que l’art de bien vivre ; & c’eſt vraiſemblablement ſelon ce ſentiment que Socrate nommoit les vertus des ſciences. Le même Saint Auguſtin propoſe ailleurs une autre definition de la Vertu[21], qui eſt plus étendue, & dont Saint Thomas s’eſt voulu ſervir, la nommant une bonne qualité, qui fait bien vivre celui qui la poſſede, de laquelle perſonne ne peut mal uſer, & que nous tenons de la main de Dieu. Ariſtote la fait paſſer pour une habitude, qui agit avec jugement, & qui conſiſte dans une médiocrité raiſonnable. D’autres, comme Ciceron, l’ont bommée une conſtante diſpoſition à bien faire, & à ſuivre la raison[22]. Or toutes ces différentes façons de concevoir la Vertu, diſent à peu près une même choſe, & ſont bien plus faciles que de l’appeler tantôt un nombre & tantôt une harmonie, comme faiſoit Pythagore ; ou de ſoutenir, qu’il n’y en a pour, qui ne ſoit un véritable animal, ſelon l’extravagance penſée des Stoïciens.

Dessein de l’Auteur.

Mais je ne veux faire nulle réflexion ſur cela, non plus que ſur l’homonymie, qui le rencontre au mot de vertu, parce que le plan que je vais tracer de ce petit ouvrage, fera aſſez voir de quelle ſorte de vertu je prétens parler ; en traitant de celle des Païens ; & ce que j’ai dit jusqu’ici par forme d’Avant propos, ne Vera que trop ſuffiſant pour faire une ouverture commode au ſujet que je me ſuis propoſé. Mon deſſein eſt donc de la diviſser en deux parties, & de conſidérer en général dans la premiere ce que nous pouvons penſer Chrétiennement du ſalut des Païens qui ont été vertueux, & que nous tenons avoir moralement bien vécû. Dans la ſeconde nous examinerons en particulier la vie de quelques-uns de ceux qui ſemblent avoir le plus mérité du genre humain ; & nous y balancerons le reſpect, qui eſt peeut-être dû à la mémoire de quelques Infideles, & Idôlatres, qui ont acquis beaucoup de réputation parmi les Anciens.

Je ferai l’ouverture de cette premiere partie par une diſtinction ordinaire de tout le tems qui s’eſt paſſé depuis la création du monde, & qui coulera encore juſqu’à ſa fin, en trois époques & ſections différentes. La premiere eſt depuis Adam juſqu’à la circoncision d’Abraham portée au dix-septième chapitre de la Genèse, qui s’appelle le tems du droit de la Nature. La ſeconde comprend ce qui s’eſt écoulé d’années entre cette premiere circoncision, & l’Incarnation de Jeſus Chriſt, pendant lequel eſpace, la Loi Moſaïque, qui eſt la Loi écrite, a eu lieu, depuis que Dieu l’eût donnée en deux Tables ; aussi nomme-t-on tout cet intervalle, le tems de la Loi. Et la troiſiéme ſection ſe compte depuis la Nativité de Notre Seigneur jusqu’à la conſommation des ſiécles, qui eſt le tems de la Grace, pour tous ceux qui avec l’aſſiſtance d’en-haut ſe rendent dignes d’y participer. Ce ſont les trois États de la nature humaine, qui doivent être ſoigneuſement conſidérés en traitant la matiere que nous avons entreprise.

De l’etat du droit de Nature.

Or on ne peut pas douter que beaucoup de perſonnes ne vécuſſent fort vertueuſement dans le premier tems, & qu’obſervant ce qui étoit du droit de Nature, leurs bonnes œuvres ne fuſſent accompagnées de cette grace Divine, qui nous ouvre la porte du Paradis. A la vérité, on ne ſauroit non plus nier, qu’une infinité d’autres perſonnes ne priſſent un chemin tout contraire, puiſque nous liſons dans le Texte Sacré[23], que du tems de Noé la malice des hommes étoit arrivée à un tel point que Dieu ſe repentit d’en avoir mis ſur terre, & qu’il fut contraint même de l’inonder pour la purger de tant de crimes, qui s’y commettoient. Mais à l’égard de ceux, qui n’éteignirent point cette lumiere naturelle, dont tous ceux qui viennent en ce monde ſont éclairés, la raiſon autoriſée du contentement de tous les Peres nous oblige de croire, que Dieu les avoit mis par ſa bonté infinie dans la voie de ſalut, & qu’ils étoient dès lors capables d’acquérir, moïennant ſa grace, la félicité éternelle, comme la fin de leur création. Que ſi on l’on dit que le péché originel y apportoit de l’empèchement, Saint Thomas nous apprend, que cette tâche-là leur étoit effacée par la Foi, qui opere encore aujourd’hui de même en tous ceux que le malheur, & non pas le mépris, privé de l’uſage des Sacremens. Quant aux péchés actuels, dont on ne peut douter, qu’ils ne ſe rendiſſent ſouvent coupables, Dieu les leur pardonnoit par ſa miſericorde ſur leur repentance & contrition, aidée en cela d’une grace que l’Ecole nomme surnaturelle.

Car perſonne ne doit ſuivre l’opinion de quelques-uns[24] qui ont crû, qu’aucun ne ſe pouvoit ſauver dans la Loi de la Nature, s’il ne s’étoit tenu exempt de tout crime, & qu’il ne l’eût jamais violée ; ce qui ſemble être au deſſus des forces de nôtre humanité. J’avouë bien, que nous ne ſaurions remarquer aucune offenſe mortelle en ceux, que le vieil Teſtament nous reprèſente comme hommes juſtes & agréables à Dieu, tels qu’ont été Abel, Seth, Enoch, ou Noe. Et certes il eſt fort croiable, que ces premiers hommes, qui venoient preſque de ſortir des mains de leur Créateur, étoient tout autrement vertueux, que ceux, qui ont vécû depuis, & qui n’ont reçu cette premiere ſemence de probité qu’après beaucoup d’alteration. L’anneau, qui a été touché immédiatement de l’Aiman, & celui qui ſuit, ſe reſſentent bien plus de la force magnetique, que ceux, qui en ſont plus éloignés. Les Poètesont mis ſur cela le ſiécle d’or auſſitôt aprés la naiſſance du monde. Et Platon a dit fort pieuſement pour un Païen, parlant de la nature Divine, qu’il s’en faloit rapporter à ce qu’en avoient appris aux autres les premiers hommes, qui pour avoir été engendrés des Dieux, ſelon qu’on parloit pour lors en Grèce, devoient bien mieux connoître leurs parents, que ne pouvoient pas faire ceux, qui étoient venus long tems après. Comme ce Philoſophe a crû, que l’entendement humain étoit beaucoup plus illuiné au commencement des ſiècles qu’il n’a été depuis, on peut présupposer la même choſ de la volonté, qui ſe portoit vraiſemblablement avec plus d’ardeur au bien, & étoit touchée de plus d’averſion pour le vice, qu’elle n’eſt aujourd’hui. Mais ce n’eſt pas à dire pourtant, qu’il n’y ait eu dans la Loi de Nature que les premiers Patriarches & leurs ſemblables de ſauvés, ſi tant eſt qu’ils fuſſent exempts de toute faute. Et il eſt bien plus croiable, vû ce que dit l’Apôtre de nôtre inclination au mal, & Salomon de la chute ordinaire des plus juſtes, qu’infinies perſonnes depuis Adam juſqu’à Abraham violèrent le droit de Nature, qui ne laiſſerent pas d’être du nombre des Elus, aiant fait d’ailleurs quantité d’actions vertueuſes, & aiant obtenu par leur repentance & par la miséricorde de Dieu, la remiſſion de leurs pechés.

On ne ſauroit même nier qu’il n’y ait eu dans cet eſpace de tems où le ſeul droit naturel avoit lieu, des Gentils, qui s’étoient séparés du corps des Fideles, & qui ne ſervoient pas Dieu comme eux, y aiant déja un culte Divin établi, comme le ſacrifice d'Abel nous le témoigne. Les uns ſont nommés fils de Dieu, & les autres fils des hommes, dont les filles furent recherchées par les premiers, à cauſe de leur grande beauté ; pour le moins eſt-ce l'interprétation la plus probable de toutes celles qu'on donne à ce paſſage de la Geneſe. Et depuis le Deluge nous voyons que Melchiſedec étoit Chananéen[25], & d'extraction Gentile ou Païenne. C'eſt pourquoi Saint Deny l'Areopagite croit qu'il fut illuminé[26], par les Anges, qui le portèrent à la connoîſſance du vrai Dieu, non ſeulement pour ſon propre bien mais encore pour ſervir de guide aux Gentils, à cauſe de l'autorité qu'il avoit parmi eux comme leur Pontife. Je ſai bien qu'il y a beaucoup d'opinions différentes ſur ce ſujet, mais je ſuis la plus reçue, & qui eſt appuiée, outre le jugement de la plupart des Peres Grecs & Latins, ſur le témoignage de Joſephe, & de Philon, qui ſont les plus conſidérables de tous les Juifs. Abraham[27], qui a été nommé le pere des Croians, étoit pareillement Gentil de naiſſance, venu de Hur en Chaldée, & de Haren en Meſopotamie. Par où l'on peut juger[28] que ce n'eſt pas ſans raiſon que nous voions ſi ſouvent dans la Sainte Ecriture, que Dieu n’a point d’égard aux perſonnes, & ne fait aucune diſtinction entre elles, dont on ſe puiſſe plaindre, n’aiant jamais dénié ſa grace, ni ſon aſſiſtance ſpeciale aux vertueux de quelque condition qu’ils fuſſent, ni manqué de récompenſer, dès le tems, dont nous parlons, les bonnes actions des hommes de toutes nations & de toutes extractions, ſans en rejeter pas un, qui ait invoqué ſa bonté, & reconnu ſa puiſſance.

Voilà ce qui eſt preſque univerſellement reçu en Théologie, touchant le ſalut de tous ceux, qui ont vécu dans le premier état de nôtre nature, avant qu’aucune Loi particuliere les eût obmligés aux céremonies qui ont été depuis, & par conſequent qu’on leur pût imputer à crime ce qui l’a été après la circonciſion d’Abraham, & dans la Loi Mosaïque, parce que, comme dit l’Apôtre[29], où il n’y a point de Loi établie, ni de préceptes donnés, on ne ſauroit accuſer personne de transgreſſion.

De l’etat de la loi.

La difficulté eſt bien plus grande à l’égard de ceux qui ont vécû dans le Gentiliſme depuis qu’Abraham, qui avoit reçû de Dieu le commandement de ſe circonſcrire à l’âge de quatre vingt dix neuf ans, avec cette déclaration que c’étoit un pact ou traité, qu’l faiſoit avec lui & toute ſa poſterité[30], dont il ne reconnoitroit aucun pour être de son peuple, s’il ne portoit la marque de cette circonciſion qu’il lui enjoignoit. Et Moïſe[31] aiant eu enſuite de la main du même Dieu, les préceptes du Decalogue, avec le reſte des Loix, qu’il vouloit être obſervées par les Iſraelites, qui faiſoient l’Egliſe de ce tems-là ; pluſieurs Peres ont crû, que le ſurplus des hommes vivans dans les ténebres du Paganiſme, & hors l’obſervation de ces Divines conſtitutions, n’ont pû faire leur ſalut en ce monde, ni par conſequent éviter les peines préparées dans l’autre à ceux que l’Auteur de la Nature n’a pas prédeſtinés à la participation de la gloire.

Le fondement de cette opinion s’appuie ſur une maxime de nôtre Théologie Chrétienne, reçue de tous les Scholaſtiques après Saint Thomas[32], & qui a été inferée, depuis lui, dans le Concile de Trente, que perſonne n’a jamais été juſtifié ni ſauvé que par le moïen de la Foi. Or cette Foi étant ou expreſſe & developpée, qu’on nomme dans l’Ecole explicite, & par laquelle nous croions en Jeſus Chriſt l’unique médiateur de nôtre Redemption, ou obscure, couverte & enveloppée, ce que ſignifie le terme d’implicite, comme l’avoient les Hébreux, qui attendoient le Meſſie, & ſe promettoient la venue du Sauveur du Monde ; il s’enſuit que les Païens, Gentils & Idolâtres, qui n’ont jamais eu ni l’une, ni l’autre Foi, & qu’on nomme pour cela infideles, ne peuvent en aucune façon s’être rachetés de la peine du pèché originel, ni de celle de leurs fautes. Et ainſi nous ſerons obligés de conclure, qu’aucun de ce grand nombre de Païens, pour ſages & pour vertueux qu’ils aient été tenus, n’a dû croître le nombre des Ellûs, ni participer à la Beatitude éternelle.

Si eſt-ce que beaucoup des Saints Peres, & un très grand nombre de plus graves Docteurs tant anciens que modernes, ont eu une opinion toute contraire. Ils tombent bien d’accord de la premiere propoſition, comme étant conforme à ce que prononça ſi hardiment Saint Pierre dans Jeruſalem[33], qu’il n’y a point de nom ſous le Ciel, qui nous puiſſe racheter, & qui ſoit en effet le ſeul principe de nôtre ſalut, que celui de Jeſus Chriſt. Mais en expliquant la ſeconde, ils ſoutiennent, que ni tous les Païens, ni tous les Gentils des Latind, qui ſont les Ethniques des Grecs, n’ont pas été Infideles, de même qu’ils non pas été non plus tous Idolâtres, la plûpart au contraire aiant poſſedé une Foi tacite & envelopée, qui n’eſt pas toûjours uniforme, & qui peut être diverſe ſelon les tems, les lieux, & les perſonnes, comme l’explique fort bien Saint Thomas[34]. car encore que celle des Patriarches, & des principaux d’entre les Juifs, ait été illuminée juſqu’à ce point, qu’ils croioient certainement l’incarnation future du Fils de Dieu, & les plus eſſentiels myſteres de notre Redemption, ſi eſt-ce que les moindres d’entre eux, comme les nomment cdette plume Angelique, n’en avoient qu’une connoiſſance voilée, & une Foi obſcure ou envelopée. C’eſt pourquoi Sepulveda maintient[35], qu’on ne ſauroit reprocher le manquement de Foi à beaucoup de Gentils, & nôtamment à leur Philoſophes, qu’on ne le puiſſe imputer de même à la plûpart des Hébreux, que nous tenons néanmoins avoir cheminé dans la voie du ſalut. Or cela préſuppoſé, & cet obſtacle levé du defaut de la Foi, on rapporte une infinité d’autorités & de raisons, pour prouver, que rien ne doit nous empêcher de croire, que ceux d’entre les Païens, qui ont fait profeſſion de ſuivre la Vertu, & de déteſter l’Idolâtrie, auſſi bien que la multiplicité des Dieux, n’aient pû, aſſiſtés d’une grace ſpeciale de Dieu, parvenir à la félicité des Bienheureux. Il n’y a eu que l’Archevêque Seuſſel[36], qui a fait ouverture d’un ſentiment particulier, ſelon lequel il attribue après cette vie aux Païens qui ont moralement bien vécu, un troisiéme lieu entre l’Enfer & le Paradis. Mais parce que c’eſt une opinion nouvelle, & que je ne vois pas qu’elle ait été ſuivie, nous ne nous amuſerons pas à l’examiner davantage, nous contentans de dire, qu’il faut prendre garde en Théologie, auſſi bien qu’en Philoſophie, de ne pas multiplier les Etres ſans néceſſité.

Les autorités qui ſont pour la béatitude des Gentils, ſont fort puiſſantes, & les raiſons de très grand poids.

Pour commencer par Saint Denys (a)[37], pluſieurs alleguent ici ce qu’il écrit au neuviéme chapitre de ſa Celeſte Hiérarchie, que les autres nations, auſſi bien que la Juive, ont été aſſiſtées & illuminées par leurs Anges protecteurs, quoiqu’avec beaucoup moins de ſuccès pour elles.

Le Philoſophe Martyr Saint Juſtin (b)[38] a ſoutenu dans ſes Apologies pour nôtre religion, qu’il y avoit beaucoup plus de Chrétiens qu’on ne penſoit, puiſque Socrate & Heraclite pouvoient être nommés tels, & généralement tous ceux, qui s’étoient laiſſés conduire à cette raiſon éternelle, qui eſt ce λογοζ & ce Verbe Divin, que nous adorons en la perſonne de Jeſus Chriſt. Il appelle ſelon la même façon de parler άχείζουζ & Anti-Chrétiens tous ceux, qui laiſſent éteindre cette lumiere de raiſon, qui eſt naturelle à tous les hommes, & dont le defaut nous fait cheminer dans les ténebres du vice. Et il ajoûte qu’aſſez de perſonnes ont paſſé pour Athées parmi les Grecs, comme Socrate & Héraclite, qui ne l'étoient pas, non plus qu'Abraham, Ananias, Azarie, Miſael, & Elie, parmi les Barbares. Il n'y a pas lieu de douter après cela de ce que penſoit ce S. Martyr du ſalut des Païens, qu'il nomme Chrétiens au même ſens qu'Euſebe veut[39] que tous les homme l'aient été, qui ont vécu dans la Loi de Nature, en remontant depuis Abraham jusqu'à Adam. Et ſelon que Saint Iſidore de Péluſie appelle ſi ſouvent Logiciens & Chrétiens, la plûpart de ces vieux Philoſophes, qui ont cheminé dans les voies de la droite raiſon.

Saint Jean Chryſoſtome (c)[40] dit nettement ſur l'Epitre aux Romains, que ceux qui ont mépriſé les Idoles, avant la venuë de Jeſus Chriſt, qui ont adoré le Créateur de toutes choſes, & vécu moralement bien, ſe ſont sauvés, encore qu'ils n'euſſent pas la Foi ; où je crois que ce grand perſonnage a voulu parler de la Foi explicite. Il le repete dans une autre Homélie ſur les Pſeaumes, voulant que Dieu ait tiré des portes de la mort Socrate, Anaxarche, & quelques autres Philoſophes.

Saint Anſelme (d)[41] enseigne la même choſe dans ſon Commentaire ſur le même endroit de l’Apôtre. Saint Jean Damaſcene (e)[42]tient[43], que Jeſus Chriſt deſcendant aux Enfers, en tira tous ceux qui avoient mené une vie vertueuſe ou moralement bonne, encore qu’ils ne poſſedaſſent pas cette Foi divine & ſincere, pour uſer de ſes termes, qui nous vient d’en haut. Et Herma dans ſon livre du Paſteur (ſ)[44] veut qu’ils y aient été bâtiſés par les Apôtres. Je ſai bien, que c’eſt un Auteur apocryphe, & que le Bibliothécaire Anaſtaſe prétend, qu’il n’eſt pas cet Herma diſciple de St. Paul, dont il eſt parlé au dernier chapitre de l’epitre aux Romains, le faiſant paſſer pour un frère du Pape Pie Premier, qui portoit le même nom. Mais on ne ſauroit nier auſſi qu’il n’ai été cité par les plus anciens Peres, Origone, Termillien, Irenée, Clement d’Alexandrie, Euſebe, & aſſez d’autres, outre que St. Jerôme recommande ſon livre comme utile, dans celui qu’il a fait des Ecrivains Eccleſiaſtiques.

Clement Alexandrin[45] (g)[46] représente plus d’une de ſes Tapiſſeries, la Philoſophie, comme aiant été le Pédagogue des Grecs, qui les conduiſoit, de même que la Loi des Hébreux vers Jeſus Chriſt. Et il veut que comme Dieu ſauva ceux-ci en leur donnant des Prophetes, il ait envoié pour la même fin des Philoſophes aux premiers.

Il y en a qui ont tenu regitre[47] d’un grand nombre de paſſages de Saint Auguſtin (h)[48]

il montre clairement[49] que les Gentils ont pû arriver à la grace du Ciel par leur bonne vie, auſſi bien que les Juifs. Et quand il a jugé la Sibylle Erythrée digne d’être placée dans la Cité de Dieu, il ſemble s’être aſſez expliqué ſur ce ſujet[50], auſſi bien qu’Eusèbe, & les autres qui ont eu la même opinion de quelques Sibylles. Ce n’eſt pas que le même St. Auguſtin, & aſſez d’autres Pères n’aient ſouvent déclamé contre ceux, qui penſoient que les bonnes œuvres fuſſent ſuffiſantes toutes ſeules pour nous juſtifier devant Dieu. Mais ce n’a été que pour s’oppoſer à l’Hereſie Pelagienne, qui donnoit trop aux forces du franc-arbitre, ou aux mérites de nos actions ; & cette opinion du ſalut des Gentils moiennant l’aſſiſtance de la grace.

Saint Thomas (i)[51] interprétant le paſſage du dixième chapitre des Actes [52], où l’Ange dit au Centenier, Cornelius avant qu’il fût batiſé,
que ſes prieres & ſes aumônes avoient monté juſqu'au thrône du Tout-puiſſant, aſſure qu'encore que ce Capitaine fût Gentil, il n'étoit pas pourtant Infidele, parce qu'il avoit la Foi implicite, ſans laquelle ſes actions n'euſſent pas pû être agréables à Dieu.

Entre les Scholaſtiques les plus recens, ce grand Evêque d'Avila Alphonſe Toſtat (k) [53] a determinément reſolu, que tous les Gentils ſe pouvoient ſauver avant la publication de l’Evangile, en obſervant les ſeuls préceptes naturel [54], qui nous porter aimer Dieu plus que nous-même, & à n’offenſer jamais perſonne ; ce qui comprend tout le Decalogue ſelon le texte de l’Evangile. C’eſt dans ſon Commentaire ſur le ſecond chapitre de la Geneſe, où il ajoute, que pour cela Socrate, Platon, & quelques autres Philoſophes ont pu faire leur ſalut, encore qu’ils ne folemnifaſſent pas le jour du Sabath. Sur le chapitre trentième de l’Exode [55], il continue à dire, qu’ils n’ont pas été exclus de la felicité non plus, bien qu’aucun d’eux ne reconnut le Dieu des Hébreux pour le vrai Dieu, le mettant ſeulement au rang des autres Divinités du Paganiſme, parce qu’ils n’étoient pas obligés de croire les Ecritures des Juifs, ni de déférer aux Loix de Moïſe. Et il repete la même doctrine ſur le quatrième livre des Rois [56], prenant Saint Auguſtin à garant, qui n’a pas fermé le Paradis à beaucoup de Philosophes Gentils eu égard à leur bonne vie, & à ce qu’ils avoient toujours ſuivi la raiſon, comme un bon guide, ne faiſant rien contre ſes préſcriptions, ou, comme parlent les Ecoles contra dictamen rationis (l) [57]. Dominicus Soto[58] (m)[59]ne peut ſouffrir dans ſon traité de la nature & de la grace ceux de l’opinion contraire, qu’il nomme injurieux envers la Nature humaine, & maintient que le ſecours général de Dieu ſuffit au libre arbitre pour ſe porter au bien. Eraſme, ſi je le puis placer ici, combat pour le ſalut de l’ame de Ciceron dans une Préface ſur les Queſtions Tuſculanes, ſoûtenant, que s’il a ſacrifué aux Idoles, il ne l’a fait que par force, & pour obcïr aux Loix ; ce qu’il juge pouvoir ſervir d’excuſe valable valable à quelques uns de ce tems là.

Sepulveda (n) [60] écrit à Serranus une lettre [61] pour lui prouver qu’on peut avec raison bien penſer de la Béatitude des Philoſophes Ethniques, & particuliérement de celle d’Ariſtote. Le Père Gretzerus qui a voulu reprendre Sepulveda [62], comme aiant parlé trop affirmativement, incline néanmoins pour le ſa1ut d’Ariſtote, mais avec cette louable retenue, que Dieu ſeul a la connoiſſance certaine de ce qui en eſt. Par ou il montre bien, qu’il eût fait conſcience de prononcer un jugement de condamnation abſoluë, comme font pluſieurs, contre ce Philoſophe & ſes ſemblables. Le Pere Trigault ſuivant les mémoires du Pere Riccius, l’un des Apôtres de la Chine, ne doute point que beaucoup de vertueux Chinois n’aient pû ſe ſauver en obſervant la ſimple Loi de Nature, & avec le ſecours ſpecial du ſeul Dieu, qu’ils reconnaiſſoient pour auteur du Ciel & de la Terre. Enfin, pour ne pas faire un plus long denombrement des textes de tous les Scholaſtiques, qui ont jugé avec les précedens en faveur des Gentils, Pererius, Catharinus, Salmeron, Vignerius, Della Certa, Cajetan, & aſſez d’autres (o) [63] ont convenu en ce ſentiment que rien ne nous obligeoit à deſeſperer de la felicité éternelle des Païens, qui n’étant pas morts idolâtres, ont moralement bien vécu, avant l’Incarnation de nôtre Seigneur. Les raiſons de tous ces grands Docteurs ſont fondées principalement ſur la bonté de Dieu, qui veut, comme dit Saint Paul, que tous les hommes ſoient ſauvés, ne les aiant créés que pour les rendre participans de la félicité éternelle, qui eſt leur fin dernière. Il n’y a donc point d’apparence d’en exclure les Gentils, pour n’avoir pas obſervé la Loi Judaïque, vû que la plupart d’entre eux n’en eurent jamais aucune connoiſſance, & que d’ailleurs elle ne les obligeoit pas, comme nous avons dit, mais ſeulement le peuple Hébreu, à qui elle avoit été particulièrement donnée. Autrement il ſembleroit que Dieu les auroit aſtreins à l’impoſſible, & leur auroit propoſé une fin, où ils ne pouvoient pas arriver, ce qui ne peut-être dit ſans impieté & ſans blaſphëme.

D’ailleurs, le même Apôtre nous aſſure [64], qu’il n’y a point en Dieu d’acceptation de personnes, ni de cette προσωποληψια des Grecs, qui fait préferer les uns aux autres. Sentence qui nous eſt répétée une infinité de fois dans l’un & l’autre Teſtament (p) [65]. Pourquoi n’ auroit-elle pas lieu auſſi bien a l’égard des Païens, qui ont vécu pendant le tems de la Loi que de ceux, qui étoient auparavant, & en faveur de qui nous l’avons déjà alléguée ?
Facienti quod in ſe eſt, Deus non denegat gratiam.

C’eſt auſſi une maxime en Théologie, qui ne reçoit point de contradiction, que Dieu ne refuſe jamais ſa grace à ceux, qui ſont tout ce qu’ils peuvent pour s’en rendre dignes. Or les Païens, qui ont vécu vertueuſement ſuivant les lumieres du droit de Nature, & ſoumettant leur libre arbitre à la raiſon, ont fait tout ce qui étoit de leur pouvoir, puiſqu’ils ne connoiſſoient point d’autre Loi que la naturelle. On doit donc croire, que Dieu ne leur a pas dénié ſa graco, ni ſon aſſiſtance, & par conſequent, qu’ils meuvent être du nombre des Bien-heureux.

Celui-là doit encore être crû avoir fait tout ce qu’il a pu, qui a témoigné d’aimer Dieu de tout ſon cœur, & ſon prochain comme ſoi même, puiſque toute la Loi & les Prophètes dépendent de ces deux préceptes, par le paſſage de Saint Mathieu que nous avons déja cité[66]. Or nous ſavons, que beaucoup de Philoſophes Gentils ſont arrivés à la connoiſſance d’un Dieu ſouverainement bon, ce qui le rend aimable ſur toutes choſes : Et qu’ils ont enſuite conſidéré tous les hommes comme des enfans d’un ſi bon Pere, qui devoient par conſequent s’aimer comme frères, & ne faire jamais l’un à l’autre ce que chacun d’eux n’eût pas voulu qui lui eût été fait en particulier ; précepte fondamental de toute leur Morale. Ceux donc, qui ont ſi bien exécuté ce qui eſt de cette Loi gravée dans nos cœurs, qui comprend toute celle de Moïſe (encore qu’ils ne l’euſſent pas reçue comme les Juifs écrite ſur les tables de pierre) parce qu’ils ſe ſont laiſſés conduire à la lumière naturelle, aidée ſans doute de la grâce, & que comme parle l’Apôtre[67], ils ont été une Loi eux mêmes ; ceux là, dis-je, ne doivent pas être condamnés aux peines éternelles comme ſont les méchans, & il eſt bien plus croiable, qu’ils ont reçu la récompense promiſe aux juſtes.

En effet, outre que les Païens ont eu les vertus Morales & intellectuelles, comme nous l’avons expliqué dès le commencement de ce Diſcours, on peut dire qu’ils n’ont pas été entièrement dépourvus de celles que nous nommons Théologales, & qui nous viennent par infuſion Divine, pour une fin ſurnaturelle. Car nous avons déja vu que Saint Thomas leur accorde la Foi envelopée. On ne ſauroit douter, qu’en contemplant la bonté de Dieu, ils n’aient eu l’eſperance qu’il leur feroit miſericorde : Et ils n’ont pas été ſans charité, puiſqu’ils n’ont pû donner les attributs de toute bonté au ſouverain Etre, comme ils ont fait, ſans l’aimer ſur toutes choſes. Auſſi n’y auroit-il point d’apparence d’avoüer, qu’ils euſſent bien eu un amour parfait pour leur patrie & pour leurs amis, ce que leurs Hiſtoires nous forcent de croire, & de leur dénier celui de Dieu qui eft beaucoup plus naturel, & plus raifqnnable. Cornment peut-oil —*s’imagier âpres cela, due tant même qu’encore que nous ne fuivipns pas l’opinion de Scot, de Gabriel, & de GajetarJ, qui nous ont enfeigné, que cet amour c eDieu fur toutes choies donnoit une difpofui on à la gracc : Et bien que nous croions par Faute rite des Conciles, que toutes les^venus ennousconcilier cette gr ce, qui cil un p r <Joi i du Ciel ; Si eft-ce que nous ne pouvons rier & » • » &• me extraordinaire, à ceux qui de toutes la pratique par ces vertus. (^’eftec bis venqui a fait dire au’grand Saint Grégoire de zianze, qu’il croioit que lufage des fi. Morales où écoit fon père, l’avoit comme ! dem porté à la connoifTance de nôtre tféljeion, Se f™mi’que la Foi qu’il avoitrec, uô, enétoiteàquel cedemique façon la recompenfe. Cela le lit dans um vir’rOrailbn funèbre que la pieté du fils lui fit tmum préprononcer à l’honneur de fon pere fènee de St. Bafile. Ce qui n’empôcrje pas, que la grâce ne foit un préfent gratuit que Dieu nous fait, femblablés partages, des Peres devans être toûjours interpretés au ſens, que l’Egliſe leur donne & ſelon la doctrine des Conciles. Car de vouloir, comme quelques-uns ont fait, que les Païens ne reçûſſent que des recompenſes temporelles de toutes leurs bonnes œuvres, & que leur vertu fût aſſez reconnue par l’eſtime qu’on faiſoit d’eux, & par la gloire qui accompagnoit leur vie ; c’eſt à mon avis les traiter avec trop de rigueur, de leur donner un partage où les plus méchans ont aſſez ſouvent l’avantage ſur eux. N’a ton pas vu de tout tems le vice triompher dans une opulence pleine d’éclat & la vertu languir de néceſſité parmi le mépris ? La bonne fortune ne s’eſt-elle pas toujours déclaré auſſi ennemie des hommes vertueux, qu’elle a ſouvent favoriſé les plus abandonnés au mal ? Il ne ſemble pas d’ailleurs raiſonnable de reſtraindre, toute la félicité de ceux-là, quand ils en jouïroient en ce monde, au moment qu’ils ont à y être, ni de les priver en ce faiſant de leur fin principale, qui eſt la béatitude éternelle.

Ainſi l’on conclut en faveur des Gentils, qui ont moralement bien vécu, qu’ils ont pû ſe ſauver avec l’aſſiſtance Divine, dans la Loi de Nature depuis le tems même d’Abraham, auſſi bien que les Hébreux dans celle que Dieu leur donna, encore que les premiers n’obſervaſſent ni la Circonciſion, ni le jour du Sabbath, ni aſſez d’autres ceremonies qui regardoient ſeulement la nation Judaïque (q) [68]. Car pour ce qui eſt du pèché originel, l’Ecole nous apprend qu’il étoit effacé en la perne des enfans, par la Foi implicite de leurs parens & en celle des plus âgés, par la pre- premiere bonne action qu’ils adreſſoieni à Dieu ſi heureuſement, qu’il l’avoit agréable. Quant aux péchés mortels, la remiſſion leur en étoit faite par le moien de la Contrition, de la même façon que nous croions que les Chrétiens l’obtiennent aujourd’hui. Juſques-là que Toſtat ſoutient [69] que les Païens mêmes qui avoient adoré les Idoles toute leur Vie, & commis de trés énormes crimes, en recevoient pardo dès l’heure, qu’ils étoient touchés d’une parfaite repentance, ſe fondant ſur le paſſage d’Ezechiel [70], qui porte, qu’auſſitôt que l’impie a quité ſon impiété, pour ſuivre l’équité & le chemin de la Juſtice, ſon ame eſt vivifiée. Et toutefois on ne peut pas dire, qu’ils ſe ſauvaſſent ſans la Foi du Médiateur, parce qu leur repentance étoit accompagnée d’une confiance en la miſericorde de Dieu, qui leur faiſoit croire qu’il étoit le liberateur des hommes par les moiens dont il lui plaiſoit d’uſer, & ſelon qu ſa Providence en avoit ordonné ; en quoi dit Saint Thomas, conſiſtoit leur Foi implicite en Jeſus Chriſt [71] (r) [72]. De cette façon ils venoient à être bienheureux par la vertu du Sauveur à venir, comme nous espérons de l’être par la même vertu du Sauveur déjà venu. Que ſi [73] l’on oppoſe à cela que Saint Paul a prononcé de grandes maledictions contre les Gentils, dans ſon Epitre aux Romains; on répond qu’il n’a pas entendu parler des bons, ni des vertueux dont il eſt queſtion, mais ſeulement des méchans, et de ceux que Dieu avoit laiſſé tomber dans un eſprit de réprobation, ou qu’il avoit abandonnes à un ſens reprouvé, afin d’uſer de ſes propres termes. Enfin pour terminer ce qui ſe dit avantageuſement du ſalut des Païens avant l’incarnation, nous remarquerons que pluſieurs ont interprété d’eux ce paſſage de l’Apocalypſe, où Saint Jean parlant des Bienheureux[74], après avoir nommé ceux d’entre les Hébreux, qui étoient de ce nombre, dit qu’il en vit arriver une grande foule, que perſonne ne pouvoir compter, compoſée de toute ſorte de nations, de peuples, de tribus, & de langues différentes, qui adoroient l’Agneau immaculé ; par où l’on veut, qu’il ait entendu parler de tous ces gens de bien, répandus par le monde de tous côtés (le pais du peuple de Dieu n’en faiſant qu’une bien petite partie) qui n’ont ſuivi pendant le tems de la Loi Judaïque, que le ſeul droit de la Nature. Paſſons maintenant à la conſidération des mêmes Païens, qui ont vêcu depuis la Nativité de nôtre Seigneur, où commence le tems de la Grace.

De l’etat de la Grace.

Le grand Maitre de l’Ecole Chfétienne a prononcé deciſivement[75], que ſi l’on pouvoit ſe ſauver avec la Foi obſcure & enveloppée avant la venuë du Meſſie, il n’en étoit pas ainſi depuis qu’il a paru dans le monde, & que ſon Teſtament y a été publié par tout, parce qu’à compter de ce tems-là, nous ſommes tous obligés, grands & petits, comme il parle, d’avoir la Foi explicite de Jeſus Chriſt & des principaux myſteres de nôtre Redemtion. Toſtat rend raiſon de ce ſentiment[76], & le fonde ſur ce que la Loi de Moïſe n’engageoit à ſon obſervation que les Juifs ſeulement, & non pas les Gentils, comme nous venons de dire ; là où l’Evangile du Fils de Dieu étend ſa juridiction ſpirituelle ſur tous les hommes de la terre, depuis qu’elle l’a reçu en toutes ſes parties, & jufqu’aux extrémités les plus éloignées, comme les Actes des Apôtres nous l’apprennent des le premier chapitre[77]. Cette opinion néanmoins a beſoin d’être expliquée & ſi nous pouvons ajoûter qu’elle reçoit quelques exceptions. Car comme Dieu eſt un Agent très libre, du contentement de tous les Philoſophes & de la meilleure Théologie, il ne ſe lie jamais tellement les mains, qu’il n’agiſſe quelquefois extraordinairement, & qu’au ſujet dont il eſt queſtion, il ne puiſſe ſauver quand il lui plait ceux, qu’il favoriſe de ſes Grâces ſurnaturelles. Auſſi Saint Thomas même a reçu pour véritable l’Hiſtoire de la delivrance de Trajan[78], par les prieres de Saint Grégoire ſurnommé le Grand. Et quoique les ſavans Cardinaux Bellarmin & Baronius, avec aſſez d’autres bons Auteurs, n’aient pris cette relation que pour une Fable[79], ſi eſt-ce qu’on ne ſauroit nier que Saint Jean Damaſcene ne l’ait approuvée. Les révélations de Sainte Brigitte, que les Papes Boniface Neuf, & Martin Cinq, ont recommandées comme pleines de l’Eſprit de Dieu, la confirment[80]. Et l’on ſait que toute l’Egliſe Grecque (s)[81] a long tems fait des prieres publiques pour l’Ame de cet Empereur Païen. Or quand nous ne voudrions pas nous prévaloir de cette Hiſtoire, comme d’une preuve authentique, du moins nous peut-elle ſervir à faire voir, qu’on n’a jamais tenu pour article abſolument vrai ni néceſſaire, que depuis la publication de l’Evangile, aucun Gentil pût en nulle façon obtenir la remiſſion de ſes pèchés. On peut rapporteur à même fin ce qui s’eſt écrit du ſaIut de Falconille Idolâtre, qu’on veut avoir été rachetée des peines éternelles par l’interceſſion de Sainte Thecle première Martyre du Chriſtianiſme. Saint Jean Damaſcene n’a pas fait difficulté de le coucher ainſi dans l’un de ſes Sermons[82], & cette ſeconde autorité jointe aux précedentes montre aſſez quelle a été l’opinion de beaucoup des Anciens touchant nôtre queftion. Mais quand ces exemples ne pourroient pas être tirés en conſèquence, & qu’on devroit tenir pour certaine la damnation de tous les Païens idolâtres & ennemis de nôtre Loi, comme je penſe que c’eſt le plus ſûr, il reſte néanmoins deux très importantes difficultés à rcſoudre. L’une s’il en bien vrai que Jeſuss Chriſt ait été annoncé par toute la terre de telle ſorte, qu’on n’en puiſſe remarquer aucune partie, où pour le moins les principaux myſteres de nôtre Religion n’aient été connus. L’ature, au cas que cela ne ſoit pas, & qu’il ſe trouve des lieux qui n’aient jamais ouï parler de l’Evangile, ſi les Gentils de ces endroits là ſont aujourd’hui de pire condition, que ceux dont nous avons déja parlé, qui vivoient avant la venuë de nôtre Seigneur.

Quant à la première difficulté, c’eſt une choſe certaine que pluſieurs Pères, comme Saint Hilaire, Saint Anſelme, Saint Jean Chryſoſtome, & Saint Ambroiſe, ont crû, que la prédication univerſelle de nôtre Foi avoit été faite des le tems des Apôtres. Qn a interpreté ſelon ce ſentiment non ſeulement le paſſage du premier chapitre des AcTes, que nous avons cité ci-deſſus, mais encore celui de l’Epitre aux Romains[83], où St. Paul rapporte à la parole de Dieu, ce que David a dit métaphoriquement de celle des Cieux, qui a été entendue de toute la terre. C’eſt la même choſe de cet autre endroit de l’Epitre aux Coloſſiens[84], qui porte que l’Evangile qu’ils avoient reçu, s’étoit déja fait connoître par tout l’Univers. Il y a pourtant une opinion contraire, que ſuivent Saint Jérôme, Saint Grégoire, le Vénérable Beda, & Saint Auguſtin, par laquelle cette publication de la Loi de Grace n’a point d’autre tems limité, que celui de la fin du monde. Ils veulent que l’apôtre & les Evangeliſtes aient parlé prophétiquement, conſidérans l’avenir comme s’il étoit préſent ; ou avec figure, prenans la plus grande & la plus connue partie de la terre, pour le tout. Car c’eſt une façon dont on eſt obligé d’expliquer aſſez ſouvent beaucoup de paſſages du vieil & du nouveau Teſtament. Ainſi liſons-nous dans le premier livre des Machabées[85] qu’Alexandre le Grand pouſſa ſes conquêtes auſſi loin que la terre ſe peut étendre ; bien que perſonne n’ignore, qu’il ne les fit guéres que dans l’Aſie, n’aiant que fort peut penetré dans l’intérieur de l’Afrique, ni même celui de nôtre Europe, où les Romains ne s’apperçurent pas ſeulement de ſes victoires. Saint Luc écrit de même, que l’Empereur Auguſte fit un Edit portant commandement de procéder à la deſcription de tout le monde, c’eſt à dire au dénombrement de tous les habitans de la terre. Et néanmoins chacun ſait, que ſes Ordonnances n’alloient pas plus loin que le reſſort de ſon Empire, qui ne fut jamais de tout le monde, comme on ſeroit obligé de le croire, s’il faloit prendre les termes de cet Evangeliſte dans leur propre ſignification. Il ſemble que Saint Thomas ait été d’un avis moien entre ces deux, que nous venons de rapporter, & qui tient de l’un & de l’autre. C’eſt dans ſa Somme où il fait cette diſtinction[86], qu’à prendre la publication de l’Evangile pour un bruit épandu par tout de la venuë de Jeſus Chriſt, on peut soûtenir qu’il a été prèché par toute la terre dès le tems des Apôtres. Mais que ſi l’on veut parler d’une prédication avec effet, & telle qu’il n’y ait eu Nation, où les fondemens de l’Egliſe n’aient été reconnoiſſables, alors il tient avec St ? Auguſtin, que l’Evangile n’a pas été annoncé en tous lieux, & que cette publication univerſelle précedera peut-être de bien peu de tems la conſommation du monde. Or ce qui obligeoit ce grand Evêque d’Hippone à nier que dès le ſiécle des Apôtres la voix de l’Evangile eût été entendue par tous les ceins du monde, c’eſt que de ſon vivant encore comme il l’écrit à Heſychius, qui étoit d’un ſentiment contraire au ſien[87], il y avoit beaucoup de Nations dans l’Afrique qui n’en avoient pas ouï ſeulement proférer le nom, bien loin d’avoir été éclairées dela lumière. Les Auteurs de l’Hiſtoire Eccleſiaſtique ont fait la même obſervation, & ont remarqué chacun de leur tems des Païs, qui ne faiſoient que commencer d’en prendre quelque connoiſſance. Que pouvons-nous dire aujourd’hui après la découverte de l’une l’autre Inde, & la certitude que nous avons d’une terre Auſtrale juſqu’ici inconnue, & qui ne doit pas être moindre que toutes les trois parties de l’ancien Monde ?[88] En vérité ce qui force les plus irreſolus à ſuivre l’opinion de ceux, que nous avons cités avec Saint Auguſtin, qui eût été bien plus hardi à la maintenir s’il n’eût été dans l’incrédulité des Antipodes. Et c’eſt pourquoi nous voions tous les Scholaſtiques modernes, Maldonat, Bellarmin, Tolet, Suarez, Pererius, Lorinus, & Enriquez, qui n’ont point héſité ſur cela, ni fait difficulté de reconnoître qu’encore tous les jours les vérités de nôtre Religion ſont portées en des contrées où vraisemblablement l’on en avoit jamais ouï parler. Pour ce qui eſt du Levant, chacun fait comme le Bienheureux François Xavier a été nommé l’Apôtre du Japon. Et le Pere Turſellin rapporte au quatriéme livre de la vie de ce Saint[89], que les peuples de cette grande Isle ſe plaignoient ſouvent à lui, de ce que Dieu les avoit traités avec tant de deſavantage, qu’ils ne recevoient ſon Evangile qu’après tous les autres. L’Occident, qui nous a donné le Nouvel Monde, nous fourrit quand & quand des témoignages irreprochables de ce que nous diſions en faveur de cette derniere opinion. Car c’eſt tout ce qu’on peut faire de croire pieuſement, & parce que la Foi nous y oblige, que les hommes qu’on a trouvés dans cet autre Hemiſphere ſoient venus d’Adam, & n’aient eu qu’une même origine avec nous. Mais à l’égard de la Réligion Chrétienne, pas un de ceux, qui nous ont donné des relations de l’une & de l’autre Amerique Septentrionale & Meridionale, n’a remarqué, qu’il y eût le moindre ſujet de s’imaginer, qu’avant Chriſtophe Colomb aucun Chrétien y eût jamais mis le pied. C’eſt pouquoi Joseph Acotta interprète les paſſages de la Sainte Ecriture touchant la prédication univerſelle des Apôtres, du monde qui étoit alors connu[90]. Et il repréſente fort judicieuſement en un autre endroit, que comme Dieu avoit diſposé l’Europe, l’Aſie, & l’Afrique à recevoir avec facilité ſon Nouveau Teſtament, par le moien du grand Empire Romain, qui donnoit une commodité aux Apôtres qu’ils n’euſſent pas eue autrement, de faire ſans beaucoup de peine ce qui étoit de leur charge : le même Auteur de tout bien avoit permis de même que ſon Evangile fût porté aux Indes occidentales, lorfque tant de vaſtes Province, qu’elles contiennent étoient preſque toutes réunies ſous la domination de deux très puiſſans Monarques, celui de Cuſco ou du Pérou vers la mer Pacifique, & celui de Mexico du côté de deçà. Ainſi après tant de graves Docteurs, & de ſi fortes raiſpns, que n’avoient pas les Anciens, nous pouvons bien, ce me ſemble acquieſcer à ce ſentiment, que la Foi n’a pas été publiée par tout le monde dès les premiers tems du Chriſtianiſme, puisqu’il n’y a pas plus d’un ſiécle & demi que le voiages de long cours l’ont portée aux Indes & vû que vraiſemblablement tout ce qu’il y a de terres au-deſſous du détroit du Maire, & même du Cap Beach qui n’eſt guères éloigné de la ligne, en tirant vers le Pôle Antarctique, ſont encore préſentement dans les mêmes ténèbres du Paganiſme, où elles étoient avant la venue de Jeſus Chriſt ici bas.

Cela préſuppoſé de la ſorte, la ſeconde difficulté ne ſemble pas fort malaiſée a reſoudre, parce que de mêmes cauſes doivent raiſonnablement produire de mêmes effets, & par conſequent, puiſqu’il ſe trouve des Païens aujourd’hui, qui ſont dans une ignorance des choſes néceſſaires au ſalut, auſſi excuſable que pouvoit être celle des anciens, il n’y auroit point d’apparence de condamner les uns après avoir prononcé, comme nous avons fait, en faveur des autres. Auſſi n’eſt-il pas de la bonté de Dieu d’obliger jamais les hommes à l’impoſſible, & ce ſeroit une impieté de croire qu’il le voulût faire. Comment peut-on donc s’imaginer, qu’un pauvre Americain, qui n’avoit jamais ouï parler de la vraie Religion il y a deux cens ans, ne pût dès lors en nulle façon éviter les peines éternelles, encore qu’il reſſemblât aux bons Païens, dont nous avons parlé, qui ſe laiſſant guider par la lumière naturelle de nôtre raiſon, adoroient un ſeul Dieu Créateur de toutes choſes, & vivoient ſans idolâtrie. Car ſi la Nature ne manque jamais aux choſes néceſſaires, ſelon les principes de la Phyſique, croirons-nous dans la Théologie, que l’Auteur de la Nature puiſſe denier abſolument à un Gentil le moien de ſe ſauver, qui fait pour cela tout ce qui eſt en lui, & qui l’aimant de tout ſon cœur, ſans le connoître, ne fait rien à perſonne, que ce qu’il trouve bon qu’on lui faſſe ? L’Ecole met cette queſtion encore en plus forts termes, ſuppoſant un jeune Païen qui eſt mort un peu après avoir acquis l’uſage de la raiſon, & avant que d’avoir offenſé Dieu mortellement. Ajoutons, que dans ce peu de tems qu’il a vécu raiſonnablement, il a fait quelque action ſignalée de vertu, qui a été une offrande ſi agréable à Dieu qu’il s’eſt racheté par ſon moien du pèché originel, ſelon la doctrine que nous avons tantôt expliquée. On demande ſi ce jeune enfênt venant à mourir là deſſus, doit être heureux ou malheureux à perpétuité. Il y en a qui ne veulent pas, que le cas de cette hypothèſe puiſſe jamais arriver, la Providence Divine ne le permettant pas. D’autres ſoutiennent que Dieu ſuſciteroit plutôt un Ange pou faire connoître Jeſus Chriſt à cet Innocent, ou même pour le bâtiſer, que de ouffrir la perte de ſon ame, faute d’un Sacrement. Mais je ne vois perſonne, qui ait aſſez d’inhumanité pour le jetter dans les flammes de l’Enfer, & la meilleure partie de nos Scholaſtiques lui ouvrent le Paradis. Ie veux faire une autre ſuppoſition de ce qui arrive vraiſemblablement tous les jours, en ces lieux de la terre Auſtrale, & d’autres qui n’ont point encore été découverts. Car quoique la plûpart de ceux où nous avons mis le pied depuis cent cinquante ans, aient été trouvés remplis d’abomination & d’iolâtrie ; ſi eſt-ce qu’en quelques endroits les hommes y vivoient dans la nuë connoiſſance d’une Divinité, ſans ſervir apparemment aux Idoles ; & il y a grande apparence que ce doit être la même choſe parmi les autres Nations où nous n’avons pas encore pénétré. Mais quand le diable auroit établi ſon empire par tout où le vrai Dieu n’eſt pas adoré, cela ne nous empêcheroit pas de ſuppoſer, qu’il pût y avoir des hommes dans ce grand Continent, que nous marquent les Cartes vers le Sud, qui vivent reglément & vertueuſement dans la Loi de Nature. Imaginons-nous en un qui dans cette rectitude morale, ſe porte par la ſeule lumiere de ſa raiſon, comme l’ont fait autrefois ces Philoſophes de la Grece, & même de Scythie, à reconnoître un ſeul Auteur de toutes choſes. Je veux croire que les genoux en terre, & les bras croiſés vers le Ciel, il uſe de cette priere dans une extrême repentance de ce qu’il peut avoir F|it de mal. Mon Dieu, qui connoiſſés le plus ſecret de mon ame, j’implore vôtre miſericorde, & je vous ſupplie de me conduire à la fin pour laquelle vous m’avés créé. Si j’avois aſſez de lumière pour m’y porter de moi même, il n’y a rien que je ne vouluſſe faire pour y arriver, & pour me rendre agréable à vôtre divine Majeſté que je révère avec la plus profonde humilité que je puis. Excuſés mon ignorance, & me faites connoitre vos ſaintes volontés, afin que je les ſuive de toute la force, que vous m’avés donnée, déſirant plutôt mourir, que de faire jamais aucune action qui vous puiſſe déplaire. S’il arrive qu’immédiatement après cet acte de contrition, capable ſelon Tortat, d’effacer toute ſorte d’idolâtrie & de crimes, ce pauvre Gentil vienne à mourir, ſoit par quelque çauſe interne de maladie ſubite ou par un accident inopiné du dehors, comme de la chûte d’un arbre, ou d’une maiſon voiſine, le jugerons-nous danné ? Et pourrons-nous bien penſer, que Dieu n’ait pas eu agréable une ſi ſainte repentance ? Ce n’en pas l’opinion de beaucoup de Docteurs de la plus haute eſtime, qui nient que Dieu, le plus libre de tous les Agens, ſe ſoit tellement attaché aux Sacremens, pour uſer de leurs propres termes, qu’il ne puiſſe, quand il lui plaît, contre l’ordre ordinaire & par une aſſiſtance ſurnaturelle, ſauver des hommes tels que celui dont nous parlons, ſans les Sacremens. Et il eſt très probable que ſi Saint Thomas eût eu de ſon tems la connoiſſance, qui nous eſt venuë depuis d’un Monde nouveau, & de tantde païs Antipodes & autres, où jamais l’Evangile n’avoit pénétré, & où il eſt encore du tout inconnu, il n’eût pas fait difficulté d’accorder, que depuis même l’Incarnation de Ieſus Chriſt, la Foi obſcure & implicite pouvoit quelquefois, accompagnée d’une grace speciale, ſauver ceux, à qui il était impoſſible d’avoir la Foi explicite ou dévelopée. Cela ſe recueille manifeſtement de ce qu’ils croioit, comme nous avons vû, que l’Evangile eût été prêché par toute la terre dès le tems des Apôtres, ſi non pleinement, pour le moins en ce qui touche la perſonne du Médiateur ; ce que toutes les Hiſtoires des Indes nous aſſurent aujourd’hui n’être pas vrai.

Observations sur les états en général

Après avoir examiné ce qui ſe dit des Païens vertueux —dans l’Ecole, ſelon qu’ils ſe ſont trouvés dans l’un des trois Etats de la Nature humaine, il me reſte, avant que de terminer cette premiere Partie, de faire quelques obſervations générales, qui ſe doivent appliquer à tous ces trois tems, & qui donneront beaucoup d’éclairciſſement à nôtre ſujet.

Premièrement, il faut bien prendre garde que l’affection, que nous pouvons avoir pour quelques Gentils, à cauſe des vertus eminentes, qui nous les recommandent, ne nous faſſe tomber dans une erreur voiſine de celle des Gnoſtiques, que Saint Irenée taxe d’avoir mis en même rang la figure de nôtre Seigneur, & celles de Pythagore, de Platon & d’Ariſtote[91]. Saint Auguſtin dit[92], que cette Marcelline Carpocratienne encenſoit les images du fils de Dieu, & de Saint Paul, d’une pareille dévotion que celles d’Homère & de Pythagore. Et l’on a écrit de l’Empereur Alexandre Severe[93], qu’il avoit dans ſon Cabinet les ſtatuës d’Apollonius & d’Orphée, qu’il reveroit comme celles d’Abraham & de Ieſus Chriſt. Ceux, qui mettroient en parallèle les plus illuſtres d’entre les Ethniques avec nos grands Saints Confeſſeurs, Martyrs, & autre, dont l’Egliſe célèbre la mémoire, ne s’éloigneroient guères de cette impiété. Et je trouve qu’on n’a pas reproché à Zwingle ſans beaucoup de raiſon d’avoir confondu d’un ſtyle profane les vertus Chrétiennes avec les profane s comme ſi l’on n’y devoit mettre aucune différence. C’eſt dans ſon expoſition de la Foi adreſſée à Roi François Premier, où il lui promet, qu’il pourra voir en Paradis Hercule, Theſée, Antigone, Numa, Ariſtide, les Catons, & beaucoup d’autres ſemblables, mêlés avec les Patriarches, la Vierge, Sain Jean, & les Apôtres, parlant ainſi ſans reſpect de ce qu’il y a de plus ſacré dans le Ciel.

Il faut auſſi remarquer, qu’autrefois Pelagius aiant ſoutenu, que ſans la Foi du Médiateur, & ſans l’aide de la grace ſurnaturelle, les Païens vertueux avoient été ſanctifiés par les ſeules forces de leur franc-arbitre, qui s’étoit porté au bien ; il fût pour cela condanné d’héreſie par deux Conciles[94], l’un tenu dans la ville de Milevis en Afrique, l’autre dans celle d’Orange de nôtre Gaule Narbonnoiſe. La doctrine de l’Egliſe, dont il n’en pas permis dé ſe ſeparer, porte que ces forces de nôtre libre arbitre ne ſont pas celles, que nous puiſſions toûjours être abſolument vertueux, & accomplir de nous même ſans jamais faillir tous les Commandemens de Dieu, étant beſoin pour cela que nous ſoions aidés de ſa Grace, & que la foibleſſe de nôtre nature ſoit appuiée de ſon ſecours ; ce que le Concile de Trente a fort préciſément déterminé[95]. C’eſt pourquoi l’erreur de Zwingle, outre ſa profanation, n’a pas été d’avoir ſimplement ouvert le Paradis à ces Gentils qu’il eſtimoit fort vertueux ; mais elle a été d’avoir donné dans le Pelagianiſme, & d’avoir voulu les ſauver ſans la grace ſurnaturelle, & en vertu de l’obſervation ſimple de la Loi de Nature ; ce qui paroit contraire à la doctrine des Pères, & aux definitions de l’Egliſe.

Je ſerai bien aiſe encore qu’on conſidére, qu’à l’égard du thème que nous avons pris, il n’eſt pas entièrement néceſſaire de ſavoir, ſi les Païens ſe ſont ſauves avec le ſecours ordinaire ou extraordinaire de la Grâce. C’eſt une queſtion à part ſur laquelle on s’exerce tous les jours dans l’Ecole. Et il me ſuffit pour le préſent d’être aſſuré, qu’il n’eſt pas impoſſible, que quelques-uns d’entre eux, qui ont moralement bien vécu, aient eu place après leur mort parmi les Bienheureux. D’où il s’enſuit, qu’il y a de la témérité, auſſi bien que de l’inhumanité, à les vouloir condanner tous aux peines éternelles de l’autre vie, ſans miſericorde & ſans reſerve, comme pluſieurs ſont. Car il ſe rencontre des perſonnes ſi auſteres, qu’elles interdiſent l’entrée du Paradis non ſeulement à Samſon, & à Salomon, figures de nôtre Rédempteur, mais à nôtre premier Père même, formé de la propre main de Dieu ; l’Abbé Ruçert, & Tatian que refute Saint Irenée, avec Marcion & Saturnin, n’aiant pas fait conſcience de douter du ſalut d’Adam[96] ; ce que je ne crois pas qu’ils aient pû faire ſans une eſpece d’impiété. Ce n’eſt pas merveille, ſi des hommes de cette humeur prennent la hardieſſe de danner ſans diſtiction toute la Gentilité. Il y en a d’autres ſi facile au contraire, qu’ils ne ferment le Ciel à qui que ce ſoit[97]. Origene a crû que le Diable même ſeroit à la fin participant de la Beatitude que ſon orgueil lui a fait perdre. Et il s’eſt trouvé des faiſeurs d’Apologueie pour Judas, qui l’ont voulu mettre au nombre des Saints, comme celui qui n’avoit livré nôtre Seigneur à la mort, que par un grand zele, ſachant que de là dépendoit le ſalut de tout le genre humain. La voie moienne entre ces deux extrémités eſt celle qu’on doit ici ſuivre, de même qu’on fait quaſi par tout ailleurs. Et comme nous ne pouvons douter de la dannation de la plûpart des Païens, qui ſont morts dans l’ infidelité & l’idolâtrie ; auſſi ne devons-nous pas deſeſperer de la miſericorde de Dieu, à l’égard de ceux d’entre eux qui ont eu la raiſon pour guide de leurs actions, & par elle la Foi implicite de nôtre Sauveur, accompagnée peut-être (t)[98] d’une grace ſurnaturelle, au moien de laquelle ils ſe ſont rachetés du malheur des autres.

Mais bien qu’on ſe puiſſe promettre cela généralement parlant de la bonté de leur Créateur, ce n’eſt pas à dire pourtant qu’il y ait lieu de s’aſſurer de la felicité d’aucun d’eux en particulier, comme nous ne doutons point de celle de nos Saints que l’Eglise a canoniſés. C’eſt une comparaiſon qui ne doit jamais être faite. Et je crois que ce qu’il y a de plus certain, lorsqu’on descend jusqu’à examiner le ſalut ou la damnation des Individus, c’eſt de ſuspendre ſon jugement, & de reconnoitre qu’on n’y petit rien déterminer avec certitude. Je ſuis néanmoins pour avancer ici ce paradoxe, Que de tous les Anciens il n’y en a point dont on doive plûtôt préſumer le bonheur de l’autre vie, que de ceux qui avoient de leur vivant la réputation d’Athées, & de gens ſans religion ; ſi nous en exceptons quelques monſtres d’hommes, tels qu’ont été un Diagore Melien, un Evemere Tegeate, & un Théodore Cyrenien (v. d), qui ne vouloient pas même reconnoître une cauſe première : Encore ſemble-t-il que Clément Alexandrin ait eu une meilleure opinion d’eux que de tout le reſte des Païens Idolâtres[99]. Ma raiſon eſt qu’on nommoit communément Athée de ce tems-là, tous ceux qui s’appercevans de l’impertinence des fauſſes Réligions qui avoient cours, refuſoient d’adorer la multiplicité des Dieux du Paganiſme, n’en pouvant admettre plus d’un. Et c’eſt pourquoi nous avons vû, que Juſtin Martyr a nommé Socrate & Heraclite Chrétiens, encore, dit-il, qu’ils paſſaſſent pour Athées dans le ſiécle, où ils vivoient. Quoiqu’il en ſoit, nous ſommes obligés d’ vouër avec grande ſoumiſſion d’eſprit, que les voies dont Dieu ſe ſert pour ſauver les hommes, ne ſont pas ſouvent reconnoiſſables ; que ſes conſeils comme dit St. Paul, ſont des abymes impénetrables, & que ſes jugemens n’ont jamais été compris de perſonne (u)[100]. C’eſt par cette humble déference, & par ce néceſſaire abaiſſement d’eſprit, que nous finirons la premiere Partie de nôtre entrepriſe, pourvoir dans la ſeconde quelle opinion nous devons avoir de la vie de certains Païens qui ont été dans la plus haute eſtime parmi les Grecs ou les Romains ; & avec quel reſpect nous pouvons être obligés de parler de quelques uns d’entre eux, dont le ſalut eſt deſeſperé, & qui ſont morts notoirement dans l’Idolâtrie.

  1. In Minoë
  2. Virtutem verba putas, ut Lucum ligna
    Horat. l.I, ep. 6.
    Te colui virtus ut rem, aſt tu nomen inane es.
  3. Sec. ſent. dist. 16. &. ſequ. Roff. ar. 26.
  4. 1. 2. qu. 65 art. 2.
    2. 2. quaeſt. 10. art. 4.
    & 3. parte qu. 69. art. 4 & paſſim.
  5. l. 4. contra Iulianum c. 3. 1. 2. qu. 65 art. 2.
  6. Et ep. 5. ad Marcell.
  7. Lib. 5. de at. & lib. arbit. c. 9.
  8. Lib. 1. de grat. c. 7. n. 11.
  9. Cap. 27.
  10. Ep. 130. l. de præd. SS c. 7. & l. 1 de bapt. c. 7. c. 26.
  11. L. de gr. Ch. c. 24.
  12. Homél. de fide, & 7. ad pop. in Pſal. 2.
    Org. in c. 2. ep. ad Rom.
    Inflexam Homil. Apol. ad Anton.
    Adv. coll. c. 26.
    Hom. 17. in Ev.
  13. Art. 36. l.
  14. 2. Inſt. c. 3.
  15. Lib. 18. c.
  16. 'Epist. 3.
  17. Ecl. 4.
  18. Cap. 1.
  19. Cap. 4. Ad Rom. cap. 2.
  20. Cap. 21.
  21. Lib. 2. de lib. arb. c. 8. & 19. c. 2. qu. 88. art. 4.
  22. Sen. epiſt. 114. & Plutar. tr. de com. conc. contre les Stoïciens.
  23. Geneſ. cap. 4.
  24. Coſſianus Collas. 8. cap. 23.
  25. Cap. 4.
  26. Cæl. Hier. cap. 3.
  27. Cyrillus. 4. contra Iul. Ap. Iuſt. Mart.
  28. Deuteron. cap. 10. Act. Ap. c. 10.
  29. Ep. ad Rom. c. 4. art. 15.
  30. Gen. c. 17.
  31. Ex. c. 20.
  32. Seſſ. 8. cap. 7.
  33. Act. c. 4. art. 10.
  34. 2. 2. qu. 2. art. 7.
  35. Ep. 91. ad Serv. Th.
  36. Tract. 2. de div. Prov. art. 3.
  37. (a) Je fis réponſe dans la derniere demi-feuille de la premiere impreſſion de ce Livre à tout ce que j’avois pû apprendre qu’on reprenoit en mon Ouvrage même avant ſa publication. Le deſir de ſatiſfaire autant qu’il me ſera poſſible à ce que j’ai ſçû depuis qu’on y trouvoit encore à redire, m’oblige d’ajoûter quelque choſe. Et parce qu’il s’eſt trouvé des perſonnes aſſez mal affectionnées envers moi, pour m’imputer d’avoir mal cité quelques Peres de l’autorité de qui je me ſuis ſervi en faveur des PaïensVertueux & non Idolâtres : je commencerai par la refutation de
    cette calomnie, qui ne peut être rendue plus evidente, qu’en rapportant les propres textes de chacun de ces Peres. Il eſt vrai que pour ne groſſir par trop ce Volume, & pour m’accommoder par néceſſité à ce que veut l’Imprimeur, je donnerai ſouvent d’aſſez mauvais Latin pour de très bon Grec, que je ſupplie le Lecteur de vouloir conſidérer dans les livres de ceux que je prens à garant, où il eſt aiſé d’avoir recours.

    La premier ſelon le tems, de l’autorité de qui je me ſuis ſervi, a été Saint Denys. Il faudroit tranſcrire plus de la moitié du neuviéme chapitre de ſa Celeſte Hiérarchie, pour rapporter tout ce qu’il dit au ſujet que je l’ai allegué. Mais il enſeigne préciſément, Quod una quidem de omnibus Altiſſima providentia, omnes homines ſalutis cauſa Angelis ſuis ad deducendos diſtribueris. Encore, ajoûte-t-il, qu’il n’y ait guères eu que les Iſraelites qui en aient pris une parfaite connoiſſance.
  38. (b) Juſtin Martyr vient après qui remarque dans ſa premiere Apologie, Provorum Davionum inſtinctu & opera, bonos quidem veluti Socratem, & ejus ſimiles, opprimi atque in vinculis eſſe. Sardanapaluiſi autem & Epicuruni, & qui præterea ejusnicki ſunt, in copia rerum omnirin, & claritate beatus videri. Voici ce qu'il dit dans un autre endroit de cette Apologie à l'avantage de Socrate, après avoir obſervé, que ce Philoſophe avoit été perſecuté des mêmes calomnies dont on attaquoit les premiers Chrétiens. At ille Dæmones quidem inalos, & probrouus quæ Poetæ deſcrpterunt potratores, urbe exegit ; Homineſque, ut Homerum & Poetas alias citarent, docuit ; & ad ignoti eis Dei conſtitutionem, per Rationis & Verbi inquiſitio-
    nem cohortatus eſt, dicens, Patrem autem & opificem univerſerum neque invenire facile, neque niventam in vulgus promulgare tutum eſt. Il ajoûte un peu plus bas, que hriſtus aa Socrate ex parte eſt agnitus, ce qui paroit être la même chose, que s'il avoit dit ſelon les termes de Saint Thomas, que Socrate a eu la Foi implicite du Meſſie à venir.

    Incontinent après le commencement de ſa ſeconde Apologie, il uſe de ces termes : Poſteaquam Socrates morales a Dæmonibus abducere eſt anniſus, iſi ipſi Dæmones per homines practitate condentes eſſecerunt, ut quaſi Acteus nova inducent Dæmonia occideretur. Idipſam ibidem de nobis faciunt. Ie ne rapporterai plus qu'un autre grand pasſage de la même declamation, qui témoigne bien quelle opinion avoit Saint Iuſtin de Socrate. Ne qui vera præter rationent, ad eorum quæ vos edocti similis everſionens dicant, ante annos inanos aſſeverare Chriſtum ſub yrenio natum eſſe, docuiſſe autem quæ docuit poſterius ſub Pontio Pilato, & proinde noxa ſolutos atque inſonteseſſe per appellationem allegent, qui ante ea tempora extitere vurtales omnes : quæſtionem eam anticipantes ſolvenius. Chriſtum primogenitum Dei eſſe inſtituti ſumus, & Rationem atque Verbum eſſe, cujus univerſum hominum genus eſt particeps, antea oſtendimus Et quicunque cum Ratione ac Verbo vixere Chriſti_ani ſunt, quales inter Græcos fuere Socrates, Heraclitus, atque iis ſimiles : inter Barbarosæ autem Abraham & Ananias, & Atzarias, & Misaël, & Elias, & alii complures : quorum facta ſimul & nomino in præſentia recenſere, quia longum eſſe ſcimus, ſuperſedemus. Perinde atque ex veteribus qui itidem tempore Chriſtum præceſſere, & abſque Ratione ac Verbo atatem exegere, άχγυροζ, hoc eſt incommodi & inimici Chriſto fuerunt, corumque qui ſecundum Ratio-
    nem & Verbum vixerunt, atque etiam nunc vivunt, Chriſtiani, & extra metum atque perturbationem omnem sunt. Certes, encore qu’on puisse dètourner le ſens de toute ſorte d’Auteurs, quand on en a le deſſein, ſi eſt il impoſſible de douter là-deſſus que Iuſtin Mart(yr n’euſt tres-bonne opinion du ſalut de Socrate & de ſes ſsemblables. Se ſeroit-il diſpensé, s’il les eût tenus pour des damnés, de tirer des paralleles entre eux & Abraham, & Ananie, avec ces autres dont la memoire nous eſt en ſi grande veneration ? Et pourquoi nommer Chreſtiens des hommes qu’il eût eſtimé être dans les peines éternelles ? Quel avantage en revenoit-il au Chriſtianiſme ?
  39. Lib. 1. hiſt. Eccl. c. 4.
  40. (c) Voions quelques textes de Saint Jean Chryſoſtome, qui ne ſont pas moins à l'avantage des Gentils que les précédens. Celui qui ſe lit dans ſa troisiéme Homelie ſur la première Epitre aux Corinthiens, eſt tel : Nonne Deus legem tulit ſcriptam & naturalem ? Nonne filium miſit ? Nonne ſigna fecit ? Nonne cœli regnum polli itus eſt ? Nonne præcepta eius adeo levia ſunt, ut multi philoſophica tantum ratione exceſſerint ? Dans une autre Homeliequi eſt la vingt ſeptiéme ſur Saint Matthieu : parlant des hommes qui étoient morts devant la venuë de
    Jeſus Chriſt, il ajoûte : Paterant enim homines tunc, etiam ipſum Chriſtum non confeſſi, Salvari. Non enim Chriſti, qui nondum venerat, ab illis cultus petebatur, ſed ut idolorum cultu ſpreto, unum ſolum Deum conditorem omnium neſcerant. Et un peu aprés : Quod autem qui ante Chriſtum obierunt, ac ideo ipſum non agnoverunt, ſi ab Idolorum cultu receſſerunt, ac Deum ſoium adeverant, ſi prætera honeſte vitam perigerunt, æterna bona & beatitudinem adipiſcerentur, audi quid dicas Paulus, Gloria autem, & honor, & pax omni operanti bonum, Iudæo primum, & Gentili.''
  41. (d) J'ai cité Saint Anſelme ſur l'Epitre aux Romains. C'est l'Archevêque de Cantorbery, qui vivoit il y a prés de ſix cent ans, et que le Cardinal Bellarmin nomme Virum natione Italum, profeſſione Monachum, ingenio acerrimo, & ſanctitate admiranda. Expliquant ces mots du ſecond chapitre de cette Epitre, Gloria autem, & honor, & pax omni operanti bonum, Iudao primum & Græco, il dit : Iudes enim primo crediderunt, ac bonum operati ſunt, & poſtea Græci, per quos signantur Gentiles, ſed non utrique parem in regno beatudinis locum habent. Et un peu au-deſſous interpretant cet autre paſſage, Cum enim Gentes quæ legem non habent. &c.. il ajoûte, Sed cum Gentilis legem non habeat, & quaſi neſciat quid fit bonum, & quid fit malum, videretur neutrum ſibi debere imputari. Contra Apoſtolus, et ſi non habet legem ſcriptam, habet naturalem, qua intelligit, & ſibi conſucius eſt bene vel mala operari, & merito ſalvari vel
    damnari.
    Il montre ensuite que la Loi de Nature enſeigne à ne rien faire de ce que la Loi de Dieu a depuis defendu aux Juifs, comme de ne point commettre d'adultere, & cela par cette lumiere qui eſt née avec nous, & qui enſeigne de ne point faire à autrui, ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit.

    Saint Bruno Fondateur des Chartreux eſt formellement pour le ſalut des Païens vertueux, dans ſon Commentaire ſur le ſecond chapitre de la même Epitre aux Romains, où il forme & reſout cette objection contre le texte de l'Apôtre. Dicis quod quicunque factores legis fuerint, ſalvabuntur : ſed Gentiles ſalvari non debent, quia etiam ſi opus legis faciunt, indiffrenter hoc faciunt, non ducti ratione, ſed casu, ut illi, qui de nullis per ſcripturas infructis ſunt. Contra hoc Paulus. Vero Gentiles ſi fuerint factores legis, juſtifica buntur, & a contrario ſi malum operati ſunt, ira & indignatione damnabuntur. Ex merito debent ſalvari pro bono & puniri pro malo. Quia ipſi ſibi funt lex, id eſt naturalem legemin ſe habent : ipſi dico non habentes legem eiuſmodi, id eſt ſcriptam ficut Iudai, & vere ipſi ſibi ſunt lex, cum hoc ſit quod gentes que legem ſcriptam non habent, id eſt Gentiles, faciunt ea, quæ ſunt legis ſcripta, id eſt quæ fcripta lex præcipit naturaliter, id eſt naturalem legem ſequentes. Nec indifferenter ea quæ legis ſunt, faciunt quia qui oſtendunt per operationem ſcriptum eſſe in cordibus ſuit opus legis, deſerendo mala, adharendo bonis. Hoc enim eſt opus legis declinare a malo, & facere bonum. Quod ſi per legem naturalem non creditis Gentiles ſalvari ; nihil hoc ſalutem eorum impedit, quia in die cum judicabit Deus, apparebit opus legis ſcriptum fuiſſe in cordibus corum. Tunc in illo die conſcientià ipſorum, quæ tunc omnibus palavi fiet (ibi enim ſingulorum opera omnibus palam erunt) veddent ; illis teſtimonium de bonis ſeu malis quæ fecerunt. Et fur ce texte de l’onziéme chapitre de l’Epitre aux Hébreux, Sine fide impoſſibile eſt placere Deo, &c. il perſiſte encore plus expreſſément dans le même ſentiment par ces paroles. Si hoc ſolum crederent Gentiles, quod Creator unus eſſet, & ſingulis pro ipſorum actibus retribueret, ſatis eſſet illis. Denys Rikel autrement dit le Chartreux, ſinit, comme il doit, la doctrine de ſon Fondateur, dans l’explication des mêmes lieux de S. Paul.

    L’Epitre ſoixante dix ſeptiéme de S. Bernard,
    ad Magiſtrum Hugonem de ſancto Victore, eſt merveilleuſement conſiderable. Il luy mande qu’il ne peut croire que le Commandement de Dieu prononcé à Nicodeme, Niſi quis renatus fuerit ex aqua & Spiritu ſancta, non intrabit in Regnum Cælerum, puiſſe être entendu ſi preciſément, que cela ſe doive étendre juſques ſur ceux qui n’ont jamais eu connoiſſance de ce precepte. Car devant la venuë de Jeſus-Chriſt, les Juifs, dit-il, & les Nations mêmes, où les Payens fideles étoient purgez du peché originel, & ſe pouvoient ſauver. At vero quis neſcit, & alta præter Bartiſmum contra niſinale peccatum, remedia antiquis non de fuiſſe temporibus ? Abrahæ quidem & ſemini ejus Circumciſionis Sacrementum in hoc ipſunt traditum eſt. In Nationibus vero quotquot inventi Fideles ſunt ; adultos quidem fide & ſacrificiis credimus expiatos, parvulis autem etiam ſolam profuiſſa : uno & ſuffeciſſe parentum fidem. Et un peu aprés parlant du temps auquel ce precepte du Batême fut donné ; Sed ex eo tempore tantum cuique cœpit antigua, obſervatio non volere ; & non baptiſatus quiſque novi præcepis reus exiſtere, ex quo praceptum ipſam inexcufabiliter ad ejus potuit pervenire noticiam. Ce qui montre bien quelle eût été l’opinion de ce ſaint perſonnage touchant les habitant du nouveau Monde, s’il fût découvert s’il ſe fuſt découvert de ſon temps. Il ajoûte qu’il ne ſçait pas ſurquei ſe fondoit celui, qui vouloit apporter là deſſus une nouvelle doctrine, & tout-à-fait contraire à celle de S. Ambroiſe, & de S. Auguſtin : Librum certe Ambroſii de morte Valentiniani legat, ſi legit recolat, non diſſimilet ſi recolit, & advertet ſine duirit Sanctum homini non baptiſtata, & mortuo, ſidenter de ſola fide ſalutem præſumere, é tribu re indubitanter bonæ voluntati quod deſuit facultati. Qui eſt la même induction que nous avons tirée tantôt des textes de ce grand Prelat de Milan. S. Bernard rapporte enſuite les paſſages de S. Auguſtin, qui portent que pluſieurs perſonnes ont été ſauvées ſans les Sacremens viſibles, par des ſanctifications inyiſibles. Si la ſeule volonté ſuffit au mal, dit cette lumiere de nos Gaules, ſelon le texte formel, qui viderit mulierem ad concupiſcendum eam, jam mœchatus eſt tu corde ſuos, faut-il croire que cette même volonté ne ſoit pas auſſi puiſſante envers Dieu pour le bien, & que celuy qui deſire faire tout ce qui eſt neceſſaire au ſalut, ne le pouvant pas, ne ſoit point excuſé ? Il ſe plaint ſur tout de ceux qui racourciſſent tellement la main de Dieu, & limitent ſon pouvoir de ſorte qu’ils ne croient pas qu’autres ſe puſſent ſauver avant l’Incarnation du Verbe, que ceux qui avoient la Foi ex-
    explicite de tous les Myſteres de nôtre Redemption & du Meſſie à venir ; vû que S. Iean Baptiſte,
    quo non eſt natus major inter natos mulierum, ni le bien-aimé de Dieu qui portoit le même nom, n’ont pas été illuminés juſqu’à ce point.
  42. (e) Voions Saint Jean Damaſcene, celui que le Maître des Sentences & tous les Scholaſtiques depuis ont ſuivi en l’ordre de la Theologie ; & voions les paſſages de l’Oraiſon pour les Defunts que j’ai alleguée. Aprés y avoir parlé du ſalut de Falconille, qu’il nomme Gentil, Idolâtre, & ennemi de Ieſus-Chriſt, il dit qu’il ne faut pas croire que la deſcente de N. Seigneur aux Enfers ait été ſeulement pour en tirer les Prophetes, les Iuges, & les autres Peres Hébreux qui avaient attendu ſa venuë par une Foi qui demandoit cette recompenſe : Mais que ſa ſeule miſericorde lui fit étendre ſa Grace iuſques ſur les Gentils qui avoient moralement bien vécu. At vero cuncti illi, guidon finten. » tià illtus benignitate ac mifiricordiig Mute ? » itscreperunt qui etiandi alioquivita puritate exceb » lusfent., atque optiniis qusbufque affionibus IFi.fusffenti tenuitérque ac temperanter & cajli x1(/ut, troyen puram ar clivinon fidern baudquaquam perceperdint ut qui msla omnino eut ru4s fquanz waeerio eruditi excuitique fuiſſent. Il pourſuit à montrer comme, nonobſtant leur impiété, la Bonté de Dieu ne laiſſa pas de récompenser leurs bonnes œuvres de la Béatitude. Et un peu plus bas il rapporte l’hiſtoire de Trajan, tiré des peines éternelles par la priere de St. Grégoire, que les Grecs ſurnommoient le Dialogue aſſurant que de ſon tems, qui eſt celui de l’Empereur Léon, ou l’inconomaque, il y a plus de neuf cens ans, tout l’Orient & l’Occident tenoient cela très véritable.
  43. Serm. de defun.
  44. (ſ) Il eût fallu placer l’Auteur du livre du Pasteur devant Saint Denys, ſi nous ne le conſidérions pas comme poſtterieur de plus de cent ans à cet Herma, qui fut diſiple de Saint Paul, comme nous l’avons remarqué, faiſant bâtiſer après leur mort ceux, qui n’avoient pas crû au Fils de Dieu.
    bien qu’ils euſſent mené une vie pleine d’équité, il uſe de ces termes, dans ſon troiſiéme livre, chapitre ou ſimilitude neuvieme : Apoſtoli & Doctores qui prædicaverunt nnomen Frisi Dei, cumhabentes ſidem ejus & poteſtatens defundi eſſent, prædicaverunt his qui ante obierunt & ipſi dederunt eis illud ſignum. Deſcenderunt igitur in aquam cum illis, & iterum aſcenderunt, at illi qui ſuerunt ante defuncti, mortui quidem deſcenderunt, ſed vivi aſcenderunt : Per hos igitur vitam receperunt, & agnovernent Filium Dei : illeoque aſcenderunt cum eis, & convenerunt in ſtructuram turvis. Nec circumciſi, ſed integri œdificati ſunt, quoniam æquitate pleni, cum ſumma caſtitate deſuncti, cum ſumma caſtitate deſuncti ſunt, ſed tantummodo hos ſigillum defuerat eis.
  45. Lib. 1. & 7. ſtrom
  46. (g) Les divers lieux de Clement Alexandrin ſont ceux-ci : Premierement, Lib. 1. Strom. Iis qui a Philoſophia fuere iuſtificati, auxilium tanquam theſaurus reconditur, & ea conſenſia quæ ducit ad Dei cultum, & pietatem in Deum. Atque erat quidem ante Domini adventum Philoſophia Græcia neceſſaria ad iuſtitiam, nunc autem eſt utilis ad Dei cultum, & pietatem iis a qui fidem colligunt per demonſtrationem. Et un peu aprés : Omnium honorum Deus eſt cauſa ; ſed aliorum quidem principaliter, ut Teſtamenti veteris & novi : aliorum autem per conſequentiam, ſicut Philoſophia. Forte autem principaliter tunc etiam Græcis data fuit, priuſquam Dominus Græcos quoque vocaſſet. Nam ipſa quoque Græcos pædagogi more docebat & ducebat, ſicut lex Hebræos ad Chriſtum. Ce fut ſelon ce ſentiment qu'Eusebe écrivit depuis dans le ſexond chapitre du premier livre de son Hiſtoire Eccleſiaſtique, que la Loi des Hebreux, & les preceptes des Philoſophes, furent des preparatifs à la Loi de Grace, & à la venuë de Nô-
    tre Seigneur. Clement Alexandrin montre enſuite dans le même livre aprés diverſes allegories, par quelle voie la Philoſophie conduiſoit les Grecs à Ieſus Chriſt. Hinc ergo dicimus Philoſophiam nudam ratione habere inquiſitionem veritatis, & naturæ eorum quæ ſunt. Hæc antem eſt veritas, de qua ipſe dixit Dominus, Ego ſum veritas. Dans le ſixiéme livre il rapporte quelques paſſages des predications de Saint Pierre, d'où il conclut que ce n'étoit qu'un même Dieu qu'adoroient les Iuifsz, les Philoſophes Grecs, & les Chrétiens. Aperte oſtendet unum & ſolum Deum a Græcis quidem Ethnice ſeu Gentiliter, a Iudais autem Iudaïce, nove autem a nobis cognoſci & ſpiritualiter. Il ajoûte que comme Dieu pour ſauver les Iuifs leur donna des Prophetes, il ſuſcita auſſi des gens de bien & des Philoſophes parmi les Grecs à même fin. Et il croit ſelon le livre du Paſteur qu'il cite, que les Gentils vertueux reçurent l'Evangile aux Enfers, lorſque Jeſus Chriſt y deſcendit, ou bien par la predication des Apôtres, la Iuſtice Divine le requérant ainſi. Enfin ſe moquant de l'abſurdité de ceux, qui attribuoient au Diable l'invention de la Philoſophie, il uſe de ces termes : Porro ſi uſus Philoſophiae mon eſt maloram, ſèd datus eſt Græcorum optimis & præſtantiſſimis, hinc quoque clarum a quo data ſit, a providentia ſcilicet, quæ unicuique diſtribuit pro tueritis ea quæ conveniunt. Merito ergo Iudaeis quidem lex, Graecis autem data eſt Philoſophia uſque ad adventum. La même doctrine ſe voit dans ſa ſettiéme Tapiſſerie, où l'on peut lire ces mots : Quocirca proecepta dedit 5 priora 5 poſte ·riora, ex uno fonte hauriens D0 minus, mec eos qui erant ante le gem, ſine lege eſſe nihili pendens ; mec eos qui non audiebant barba zain Philoſophiam, ferri effraena tos permittens. Nam cum illis quidem proecepta, his vero pra - buiſſet Philoſophiam, incredulita tem concluſit in adventum, quo tempore eſt inexcuſabilis quiſuis mon crediderit. Il n'y a perſon ne qui puiſſe douter là-deſſus de l'opinion qu'avoit Clement Ale xandrin touchant le ſalut des Phi loſophes Paiens. Il en eſt de mê me des plus anciens Peres de l'E- · gliſe, comine de celui qui vivoit dutems de l'Empereur Severe, il y après de quinze cens ans. Origene expliquant dans ſon ſecond livre, chapitre auſſi ſe cond, ſur l'Epitre aux Romains, ce paſſage : Gloria 5 honor 5 pax omni operanti bonum, Iudaeo ', primum 5 Graeco, l'interprete des Infideles en ces termes : Quod, ut ego capere poſſum, de Iudaeis 5 Gentilibus dicit, utris que mondum credentibus. Et mon tre, qu'encore qu'ils ne puſſent ſans la Foi participer à la vie éternelle, ils ne laiſſent pas de la mériter par les bonnes oeuvres qu'ils font, & pour les vertus de Iuſtice, de Chaſteté, de Prudence, & autres qu'ils exercent ; tant s'en faut qu'il crût, que leurs meilleures actions fuſſent des crimes. Saint Baſile dit nettement dans l'Homelie neuviéme de l'Héxameron, que les vertus ſont naturelles à tous les hommes ; ce qui fait bien voir qu'il ne penſoit pas que la pratique en fût interdite à quelques-uns. Sunt apud nos Virtutes ſecun dum naturam, ad quas habendas affinitas amina non ex huinana doétrina, ſéd ex ipſa matura mo bis ineſſe videtur : Etemim ut nul la oratio, nulla doétrinac ullius forinula nos edocet norbun odiſſe : ſedex mobiſnetipſis nos ea, quaedo loren efficiunt, reprehendinus, averſamur, horremus : ſic 5 in anima quoedamn ineſt naturalis 5' citra doctrinam ullam evitatioma li. Atqui malitia omnnis aegritu do eſt animae ; contra Virtus ra tionen obtinet ſanitatis, &c.

    Saint Ambroiſe n'a fait nul le diſficulté d'ouvrir le Paradis à Valentinien le Ieune, nonobſtant le defaut du Batême. Et néanmoins cet Empereur avoit fort perſecuté les Catholiques en faveur de l’Imperatrice Iuſtine, qui étoit Arrienne : Et ſi pluſieurs crûrent à ſa mort, qu'il s'étoit lui-même attaché le licol, dont on le trouva étranglé, ſi nous en croions Rufin & Sozomene : St. Ambroiſe, au contraire Lib. 2. cap. 3l. Lib. 7. cap. 22. qui le connoiſſoit interieurement Chrétien, & qui ſavoit avec combien de zèle il avoit deſiré d'être batiſé, juge tout au trement de ſa fin, & ne doute point, que Dieu ne lui ait fait miſericorde. Ne nos quidem dubitemus, dit il dans l'Oraiſon Funebre de ce Prince ſur la fin, de meritis Valentiniani, ſed jam credamus vel teſtimoniis Angelo rum, quod deterſa labe peccati ablutus aſcendit, quem ſua Fides lavit, 5 petitio conſecravit. Et beaucoup de ceux, qui ont fait réflexion ſur ce qu'il dit de Socra te dans ſon livre du Bien de la mort, au chapitre onziéme qui a pour titre, Quaeſit animarum poſt hanc vitam futura laetitia, ſe ſont imaginés qu'il n'avoit as deſeſperé du ſalut de ce Philoſophe. Voici ſes termes : Es dras revelavit ſecundum collatam in ſe revelationem, juſtos cum Chri ſto futuros, & Sanctis. Hinc &' Socrates ille feſtinare ſè dicit ad illos ſemi-Deos, ad illos optimos viros.

    Non ſeulementSaint Ierôme a ſouvent propoſé la Vertu des Païens aux Chrétiens de ſon tems pour leur en faire honte, comme je l'ai remarqué aux Sections de Diogene & de Pytha-
    gore ; mais il l'a même établie expreſſément dans ſon Com mentaire ſur le vint deuxiéme chapitre de St. Matthieu. C'eſt où il explique ces termes de l'Evangile, Nuptioe quid.m paratae ſunt 5'c. parlant de cette ſorte : Gentilium populus non erat in viis, ſedin exitibus viarum. Quae ritur autem, quo modo in his qui foris erant inter malos dy boniali qui ſint reperti. Hunc locum ple mius traétat Apoſtolus ad Roma mos, quod gentes naturaliter fa cientes en quoe legis ſunt, condem ment ludoeos qui ſcriptam legemz mon fecerint. Inter ipſos quoque Ethnicos eſt diverſitas infinita : cum ſciamus alios eſſe proclives ad vitia 5 ruentes ad mala ; alios ob homeſtatem morum virtutibus deditos. Il enſeigne la même do ctrine dans ſon Commentaire ſur le premier chapitre de l'Eitre aux Galates, ſe fondant ur deux paſſages de l'Ecriture ; le premier, Medius in vobis ſtat, quem vos meſcitis : & l'autre, Erae lux vera, quae illumnimat omnem hominem venientem in hunc mun dum : d'où il tire cette conclu ſion ; Ex quo perſpicuum fit, ma tura omnibus Dei ineſſe moti tiain, mec quemquam ſine Chriſto maſci, 5 non habere ſemina in ſe ſapientiae, 5 inſtitiae, reliqua rumque virtutum. Unde multi abſque Fide d9 Evangelio Chriſti, vel ſapienter faciunt aliqua, vel ſančte, utparentibus obſequantur, ut inopi manum porrigant, 5'c. Et l'on peut voir encore comme il dit la même choſe ſur le vingt- neuvième chapitre d’Ezechiel, en ces mots : Cœterum ex eo quod Nabuchodonozor, mercedem cepit boni operis, intelligimus etiam Ethnicos, ſi quid boni ſecerint, non abſtus mare de Dei iudicio præteriri. Unde & per Haremiam Nabuchodonozor columba Dei appellatur, eo quod adverſum populum peccatorem Dei ſervierit voluntati. Et adducam, inquit, ſervum meum Nabuchodonozor. Ex quo perſpicuum eſt condemnari nos comparatione Gentilium, ſi illi lege faciant naturali, quæ nos etiam ſcripta negligimus.
  47. V. Ioan. Langum in Schol.
  48. (h) Entre les paſſages de Saint Auguſtin que je dis qu’on a cités comme favorables au ſalut des Paiens, qui ont été vertueux, je rapporterai celui de ſa quarante neuviéme Epitre adreſſée ad Deo-gratias Preſbyterum, où il lui dit dans la réponſe à la ſeconde queſtion, Ab exordio generis humani, quicumque in eum crediderunt, eumque utcumque intellexerunt, et secundum eius praecepta pie et iuste vixerunt, quandolibet et ubilibet fuerint, per eum procul dubio salvi facti sunt. . Et il montre après comme il y a eu ſans doute pluſieurs autres personnes outre les Iſraelites agréables à Dieu, & que de toute ſorte de Nations il s’en eſt pû ſauver auſſi bien que de celle des Hébreux. Ce qu’il dit dans le quarante septiéme chapitre
    du dix huitiéme livre de ſa Cité de Dieu au ſujet de Iob, eſt tout conforme à cela. Divinitus autem proviſum fuiſſe non dubito, ut ex hoc uno ſciremus etiam per alias gentes esse potuiſſe, qui ſecundum Deum vixerunt eique placuerunt, pertinentes ad ſpiritalem Hieruſalem. Encore qu’il ne doute point que ce n’ait été par le moien d’une révelation du Médiateur, & de la même Foi qui nous ſauve tous, laquelle nous ne pouvons pas préſuppoſer autre qu’implicite, puiſque comme dit Saint Thomas, la plupart même des Iuifs ne l’avoient pas explicite. Louis Vives eſt tellement pour le ſalut des Païens vertueux d’alors dans ſon Commentaire ſur ce chapitre, qu’il conclut même pour la félicité éternelle des Gentils du temps préſent, qui ſans avoir oui parler de l’Evangile de Jeſus Chriſt, ne laiſſent pas de vivre moralement bien. Obſervons ſes termes : Potuerunt qui ex Gentibus naturam ſequebantur ducem, illam non pravis judiciis opininibuſque inquinatam & corruptam, tam grati eſſe Deo, quam qui legem Moſaïcam ſervaverunt. Quod enim hiconſequenti ſunt per legem, illi eſſent conſequenti : & qui tales fière ſine lège, eodem quo Iudai pervenerunt, cum eodem contenderent. Nec inter eos aliud diſcrimen fuit. quam eſt ceu quis viator mandatam chartæ itineris ſui rationem gerat, ac veluti formam ; alter memoriæ fidat ac judicio. Idem etiam noſtro tempore continget ei, qui cum nihil de Chriſto in remotiſſimis Oceani partibus natus audierit, duo illa maxima ſervaverit mandata, in quibus Veritas ipſa legem totam Prophetaſque conſtitutos affirmavit, de Deo & proximo diligendis. Huic ſua conſcientia eſt lex, &c. Il faut ajoûter un autre endroit du même livre de Saint Auguſtin, chapitre vint troiſiéme, parce
    que je l’ai cotté au ſujet de la Sibylle Erythrée. Haec autem Sibylla ſive Erythraca, five, ut quidam credunt, Cumana, ita nihil habet in toto carmine ſuo, quod ad Deorum falſorum ſive fictorum cultum pertineat : quinimo ita etiam contra eos, & contra cultores eorum loquitur, ut in eorum numero deputanda videatur, qui pertinent ad civitatem Dei.
  49. ad Apol. 2. Inſt. Mart.
  50. Lib. 18. c. 23.
  51. (i) l’ai cité un trop grand nombre de paſſages de Saint Thomas ; pour les rapporter tous ici. Il me ſuffira de trois ou quatre ; dont le premier ſera de la premiere partie de ſa ſeconde, qu.98.art. 5. où il en ſeigne en termes exprès, qu'en obſervant la ſeule Loi naturelle, & ſans pratiquer celle de Moi ſe, les Gentils ſe pouvoient ſauver, quoique moins ſurement, & avec moins de perfection. Comme les ſeculiers, ajoûte-til, ne font pas ſi bien leur ſa lut que les Réligieux, encore que les premiers ne laiſſent pas de l'obtenir dans un genre de vie moins parfait. Gentiles perfectius & ſécurius ſalutem couſè quebantur ſub obſervantiis legis, quam ſub ſola lege Naturali, 5' ideo ad eas admittebantur. Sicut etiam nunc Laici tranſeunt ad Clericatum, 5 ſculares ad Reli giomem, quamvis abſque hoc pos ſint ſalvari. Il explique cela dans le même article encore plus au long. Le 2. paſſage ſera de la dixiéme queſtion de ſa deu xiéme ſeconde, où ſur le quatriéme arricle il donne cette con cluſion eſſentielle contre ceux, qui veulent que les meilleures actions des Infideles fuſſent des pèchés. Timetſi Infideles divina gratia careant, quia tamen ex In fidelitate mon corrumpitur totum Naturae bonum, poſſunt aliquid boni operari, quanquain id mon ſit meritorium vitae aetermae. Et un peu après : Sicut emim habems fidem poteſt aliquod peccatum coin 2nittere, in actu, quem non re fert ad fidei finem ; velvenialiter, vel etiam moraliter peccando : ita etiam Infidelis poteſt aliquem bo-
    num actum facere, in eo quod mon refert ad finem Infidelitatis. Le troiſiéme paſſage eſt de ſon Opuſcule 61, chap. 17. & porte ces mots, ſelon l'edition Ro maine, qui n'a pas jugé cet Opuſcule indigne de paſſer ſous ſon nom. Quando homo fa cit totuin quod poteft, 5 quod in ſe eſt, tuuc eſt neceſſitas ad habendain gratiam : non neceſſitas coactionis Deo debitumn imponens : ſed neceſſitas immuta bilitatis, qua neceſſe eſt Deum eſſe Deuin, 5 ideo bonum, 5' ideo effluentem, 5 ideo accipien ti dantemn ; imo mec hamtc ultiman diſpoſitionem 5 neceſſariam libera liſſimus dator expeétat, ſèd ali quo modo convertenti ſe, & diſpo menti, etſi mon ſecundum totunt quod in ſè eſt, multoties dat. Ia cobi I. Qui dat omnibus affluen ter. Sans faire l'application de ce texte, l'on voit manife ſtement ce qu'il conclut à l'égard de nôtre ſujet. Ie prendrai le quatriéme paſſage de ſon Com mentaire ſur ces mots du chapitre onziéme de l'Epitre aux Hébreux, Sine fide impoſſibile eſt placere Deo. .. Il enſeigne que la Foi du Médiateur, qui eſt toûjours néceſſaire, eſt auſſi différente, ſecundum diverſitatem temporum & ſtatuum. Et que comme les Chrétiens ſont tenus à beaucoup plus que les Iuifs ; & ceux d'entre eux, qui ont été depuis la Loi écrite, à plus encore que ceux, qui etoient avant ; Les Gentils auſſi n'étoient pas . obligés à une connoiſſance ſi parfaite que tous les autres, uſant de ces mots : Sed Genti les, qui fuerunt ſalvati, ſufficie bat eis quod crederent Deum eſſe remuneratorem, quae 7e771t171e7att0 mon fit miſi per Chriſtum. Unde implicite credebant in Mediato rem. Pour ce qui concerne le ſalut de Trajan, qu'il n'a pas moins crû que St. Damaſcene, on peut voir ce qu'il en dit 1. ſent. diſt. 43. qu. 2. art. 2. oû il affirme, que Deus ex liberalitate · bonitatis ſuae eis (Trajamo 5 ſi milibus) venium comtulit, quam vis oeternam poenam meruiſſent.

    Cette doctrine a été la com mune de l'Ecole, comme nous l'avons remarqué, depuis St. Thomas juſqu' au Concile de Trente, dont les principaux Pe res, qui ont écrit ſur cette ma tiere, tels que Dominicus So tus, Confeſſeur de l'Empereur Charles Quint, Andradius Lu fitanus, & Andreas Vega, ont crû que les Païens vertueux ſe pouvoient ſauver aſſiſtés "de la Grace Divine dans la Loide Na ture. Voici comme le dernier conclud, lib. 6. de praeparationue adultorum ad juſtificationem,cap. t ?. aprês avoir montré que ſe
    lon St. Thomas, St. Bonaventure, & autres, il peut y avoir une ignorance invincible de la Foi Chrétienne. Quicunquefue runt, aut etiam modo ſunt, ad quos non pervenerit Evangelium, cum mulla via humana comſèqu# potuerint Fidem Chriſtianam, tamr diu inculpabilem illius ignoran tiam habere, vel etiam habuiſſe ſunt exiſtimandi, quamdiu carue rint Doétoribus a quibus diſcere potuerint. Il propoſe là-deſſus les Indiens du nouveau Monde, & ajoûte : Manifeſta ratio ſua det, & eos, & quoſcumque alios ſimiles, ignorare Chriſti Fidem in culpabiliter. Non enim poteſt eſſe culpae obnoxium, quod eſt inevi tabile. Et hoc eſt quod de Iudaeis Chriſtus aiebat ; Ioan. 15. Si nom veniſſem, 5 loquutus iis mon fuis ſèm, peccatum mon haberent : munc autem mon habent de pecca to excuſationem.
  52. 2. 2. qu. 10. art. 4. & 3. p. qu. 69. art. 4.
  53. (k) (k) Pour ne pas m'engager dans un travail infini, je me ſuis ſervi, & à fort bon droit, ce me ſemble, de l'autorité d'un des plus grands Scholaſtiques que nous aions, l'Evêque d'Avila Toſtat, parce que dans une profonde connoiſſance qu'il avoit de tous les Peres, il s’eſt principalement prévalu de la doctrine de Saint Auguſtin. C’eſt celui que le Cardinal Bel larmin nomme virum ſanctitate º5 doétrina celeberrimum, qui vi voit du tems du Pape Eugene Quatriéme, il y a plus de deux cens ans, & qui pour n’en avoir vécu que quarante, n’a pas lais ſé de mériter ce merveilleux éloge dans l’Ecole.

    Hic ſtupor eſt mundi, qui ſcibile diſcutit omnne.

    Or on peut voir dans le cinquiéme chapitre de ſon Commentaire ſur le quatriéme livre des Rois, queſtion vint-uniéme, comme ſoûtenant, que les Gentils non Idolâtres ſe pouvoient ſauver du tems de la Loi de Moiſe, en obſervant celle de la Nature, il aſſure que cela eſt conforme aux ſentimens de Saint Auguſtin. Et ſic, dit-il, Auguſtinus vult Platomem ſalvuln eſſe, & multos alios de Philoſophis, qui ad umguem vitia corre aerunt ; & non erat veriſimile de eis ullo modo quod Idola colerent, ſed colebant verum Deuin. Il faut faire condanner l’Evêque d’Avila & beaucoup d’autres de calomnie envers Saint Auguſtin, auparavant qu’on me la puiſſe imputer, puiſque je n’ai cité le der nier en ceci que ſur la foi du premier, comme on peut voir dans la Section de Platon. Ie juge à propos de rapporter encore en ce lieu deux ou trois des textes de Toſtat, bien que ni lui, ni Louis Vives ne ſoient
    ici dans leur rang eu égard l’ordre du tems. Le premier texte ſera de ſon Commentaire ſur le ſecond chapitre de la Ge neſe, queſtion quatriême, où il prouve que l’obſervation du jour du Sabat n’étoit pas com mandée avant Moïſe, parce que ſi Dieu l’eût établie dès le com mencement du Monde, toutes les Nations y euſſent été obli gées. Cum ergo aliae Gentes mon ſervaſſent hoc praeceptuin, peccas ſent omnnes mortaliter. Sed fat ſum eſt, quia dicitur, quod omnnes antiqui Gentiles ante Evangeliumz promulgatum poterant ſalvari imz ſolis praeceptis juris Naturalis ſcilicet. Deum verum diligere ſupra ſe, 5 proximo mon nocere ; in quibus eſt totus Decalogus, ut patet Matth. 22. cap. Et ſic mul ti pomunt aliquos Philoſophos ſal vos, ut Socratemn, Platonem, 5’alios, qui tamen Sabbata mon cu ſtodierunt. Ie prendrai le ſc cond texte du chapitre trentié me, queſtion quatorziéme de ſon Commentaire ſur l’Exode, où il ſoutient que les Philoſo phes Ethniques n’étoient pas tenus de déferer aux Ecritures des Hébreux, ni de recevoir le vieil Teſtament. Et ſic dicem dum eſt generaliter, quod nullus de illis hominibus, qui tempore le gis Moſaica ſalvatus fuit in Gentilitate, cognovit Deum Hebraeo rum eſſe verum Deum. Sedputa bant eum eſſe ſicut unun de Diis aliarum Gentium. Nain cum illi boni eſſent, 5 veriſſime deſidera rent colere Deum veruin, & colerent, ſi ipſi cogmoviſſent Deum Hebracorum eſſe verum Deuin ; 2nullo modo credenduin eſt, quod non converſi fuiſſent ad illain legein, quam ipſè dediſſet, approbantes illam tanquain optimnain. Et ſic de Platone 5 Socrate dicenduin eſt 5 de caeteris, quod licet cogno verint quod verus Deus fit gliquir, à5 illum coluerint, ignoraverunt tamen an Deus Hebracoruin eſſet verus Deus : inno uon crediderunt eſſe verum Deum. Pour troi ſiéme texte on peut voir ce qu'il écrit dans le chapitre cent ſeptié me de ſon cinquiéme Paradoxe où traitant du premier âge, & de ceux qui vivoient dans la Loi de Nature, il ſoutient, que les Gentils qui l'obſervoient ſe pouvoient ſauver. Et après avoir montré que le paſſage de l'Apôtre, Omne quod mon eſt ex Fide, eſt peccatum, ad Rom. cap. 24. ne veut dire autre choſe ſi non que, quicquid eſt contra id, quod homo credit eſſe bonum, eſt peccatum, il uſe de ces termes : Nam ſicut nunc per contritionem cum propoſito confitendi & obe diem di Eccleſiae in ſatisfactione peccatorum, tolluntur realiat, ita
    & tunc 5 ab origine creati ſaecu li in quacunque gente hoc obtinuit, ut ſola contritione peccamina de lerentur. Unde etiamſi quis eo tempore tota vita Idola coluiſſet, aut aliis ſe facinoribus 5 flagi tiis immiſcuiſſet, mox ut de eis do leret, reiniſſa erant, dicente Eze chiele : Si impius egerit poeniten tiam ab omnibus peccatis ſuis, omnium iniquitatum ejus, quas operatus eſt, non memorabor, cap. 1$. AEqualem enim vigorem com tritio oinni tempore habet. Ilen ſeigne la même doctrine dans ſon Commentaire ſur le Livre de Ruth, & en a beaucoup d'autres lieux. Mais pour revenir à St. Auguſtin, quelque para phraſe qu'on puiſſe faire ſur une autre de ſes Epitres, qui eſt la nonante-neuviéme, & quelque interpretation qu'on lui donne, l'on ne ſauroit la lire ſans re connoitre manifeſtement deux choſes ; la premiere, qu'il attri buë beaucoup des Verrus aux Païens : la ſeconde, qu'il a ſou haité, ſans l'eſperer néanmoins, que ceux qui les avoient poſſe dées fuſſent exemts des peines de l'Enfer.
  54. Math. c. 7. art. 12. & c. 22. art. 40.
  55. Qu. 14.
  56. c. 5. qu. 21.
  57. (l) Les Peres, que j’ai cités avant St. Auguſtin, étans plus anciens que lui, il eſt tems de rapporter les textes de ceux, qui ont vécu depuis, & de l'autorité deſquels je me ſuis prévalu, tant pour me juſtifier, que pour faire voir la ſuite de la doctrine, que nous avons dit être la commune de l'Ecole. I'ajoûterai pour cela les ſentimens de quelques Auteurs recens dont la doctrine & la pieté ne peuvent être revoquées en doute.

    Commençons par Saint Theodoret Evèque de Cyr, dont voici l'explication ſur le ſecond chapitre de l'Epitre de Saint Paul aux Romains, verſet neu-
    viéme : Similiter autem, inquie St.Auguſtin, & Iudaeos & Gracos, & iuique agentes puniet, & pietatis ac ju ſtitiae curain agentes coromis digna bitur. Groecos autem nunc vocat, mon eos, qui ad divinam praedi cationem acceſſerunt, ſed eos, qui ante dicinam Incarnationem fue ruut. Non autem iis vitam aeternam pollicitus eſt, qui idola adora runt, ſèdiis, qui extra legem quidem Moſaicam vitam egerunt, pietatemi autemDeique cultum amplexiſunt, &9 juſtitiae curam geſſerunt.

    Les livres de la vocation des Gentils qu'on a voulu attribuer à Saint Ambroiſe, ne peuvent pas être de lui, puiſqu'il y dis- diſpute contre les Pélagiens, dont l’héréſie n’a paru qu’un peu de tems après le ſien. Ils ſont ſans doute de leur grand adverſaire Saint Proſper, diſciple de Saint Auguſtin, & l’un des plus determinés defenſeurs de ſa doctrine. Or, outre la maxime qu’il établit dès le premier chapitre du ſecond livre, & qu’il confirme dans le trentiéme, que Dieu veut, que tous les hommes ſoient ſauvés, ou ſelon les termes du vint cinquiéme chapitre : Deum ob generalem gratiam omni tempore velle ommes ſalvos fieri, at peculiari gratia uoſdam tantum : Il paſſe outre le dix-ſeptiéme du même livre, oû il parle ainſi : Quod ſi forte quemadmodum quaſiiam Gemtes, quod ante mon morunt, in conſortium Filiorum Dei novi mus adoptatas, ita etiam nunc in extremis Mundi partibus ſunt aliquoe Nationes, quibus mon dumgratia Salvatoris illuxit : mon ambigimus, etiam circa illas oc culto judicio Dei tempus vocatio mis eſſe diſpoſitum, quo Evan gelium, quod nomdum viderunt, audiant atque ſuſcipiant. Qui bus tamen illa menſura genera iis auxilii, quae deſuper omni bus ſemper hominibus eſt praebi ta, non negatur : quamvis rem acerbo matura humana vulnere ſauciata ſit, ut ad agnitionem Dei meminem contemplatio ſpon tamea plene valeat erudire, miſ, obunbrationem cordis vera lux diſcuſſerit, quam inſcrutabili iu dicio Deus juſtus 5 bonus, mon ita prateritis ſeculis quemadmo dum in moviſſimis diebus effudit. Voilà ſon ſentiment favorable aux Nations qui n’avoient pas encore été éclairées des lumié res de l’Evangile, annoncé de ſon ſiécle ſeulement aux Ecos ſois, comme il le témoigne ſur la fin de ſon livre contra Collato rem. Que n’eût-il point écrit en faveur d’un noveau Mon de, s’il ſe fût découvert de ſon tems ?
  58. Lib. 1. c. 31.
  59. (m) Dominicus Soto combattant l’opinion de Grégoire de Rimini, & de ſes ſuffragans, dans ſon remier livre de la Nature & de a Grace, chapitre vint uniême emploie ſes paroles ; Non por ſuin, fateor, mon oegreferre, quamº hoc artatis mataram humamanº monnulli proſtraverint, affirmantes nil prorſus boni in moribus libº rum arbitrium auxiliogenerali Dei poſſe, at quidquid ab homine º* turaliter procedat, peccatum eſ** Id quod ſemper abſurdiſſimum judicavi.
  60. (n) Ex Ioannis Geneſii Sepulvede Cordubenſis Epiſtolarum libru ſeptimo. I. Geneſius Sepulveda Petro Sertano, Doctori Theologo. S. P. D. Epiſtola XCI.

    Commentarium tuum in primum Ariſtotelis de moribus Librum, quod mihi cum Epiſtola miſiſti, ex parte legi, quidein li bemter; mam nt perlegeremn, me partim ipſius longitudo, partim meae magmae occupationes prohi buerunt. Caeterum ut ex ungue Phidias leonem aeſtimaſſe fertur, fic ego ex primo capite, in quo magnum ingenium, magnamque doctrinam profers, mec abhorres n moderato dicendi genere, 5 po litioribus Philoſophis conveniente charactere, de toto opere conjeétu ram feci, accurate id ſcriptum eſſe, &9 varia eruditione plenum, tibi. que de optima ſtudiorum indole gratulatus ſum, quae nihilaridum, mihil jejunum profert, ſed omnia copiofa, 5 exuberantia : ita ut multis etiam ſcitu dignis reſeçatis, &'in alium locum, aliudque ſcriptionis genus rejectis, juſta legitima enarratio relinqui poſſe vi
    deatur. Sed ut libere tecum pro jure noſtroe amicitiae, 5 quia ſic ipſe per Epiſtolam hortaris, agam, in eo tuam vel diligentiain, vel aequitatein nomnihil deſideravi, quod te mitnis ſeverum, 5 acer bum praebuiſſè viſus es in Philo ſophos etiam probatiſſima vitae, id eſt, in viros optimos 5 ſapientes in cauſa ipſoruin capitali, quam extra ordin m cognoſcendamn, 5' judicamdan amicorum rogatu, ut ſcribis, ſuſcepiſti. Sic enim ais, Priiuuin hoc indubitatum apud Catholicos ſupponitur, memnmen aſſerere poſſe, ſalutem eos Philo ſophos (Ethnicos ſcilicet 5 ſapien tes inundi) comſècutos fuiſſe, 5' cauſas deinde ſubjicis, & teſtes, auctoreſque producis. De quotuo dogmate ut mominatim memora rem, 5 in id ſummatin monnihil diſſereremn, ea maxine ratio me hortata eſt, quod ego in libro de juſtis belli cauſis a me mondum im preſſione edito, ſèd Regii conſilii juſſu multis deſcriptis exemplis, Complutumn , Sahmanticamque mhiſſis evulgato, eundem locumobi tercum tractarem, ſententiam a tna diverſam ſècutusfueram, quant nunc tuis rationibus victus damnare videri poteram, ſi tuum Commentarium, in qu0 mihi inul ta probantur, ſine ulla exceptione commendarem. Itaque faciendum putavi, ut earum, quas ſecutiis ſum ratiomum ſummam comple &terer, &5 tibi meum judicium in ſuniverſum exquirenti de hac parte proponeren, ut intelligas me non ſine magna cauſa in illain opinio men diſceſſiſſè. Quarum rationum caput eſt, mulluin fuiſſe genus hominuut, chi Deus Optimus Ma ximus ly iden Clementiſſimus, qui vult onmes homines ſalvos fieri, dy’ad veritatis agnitionein, ut Paulus ait, vemire (i. Timoth. 2.) vion aliquod juris, leguinque pra ſidium praeberet, quo ſilvi eſſe poſſènt Deum venerando, & juſſis ejus obſequendo. — Cujus praecepti Auétorem habemus Petrum Apo ſtoluin, ita diſſerentein in Artis Apoſtolorum (c. 1o.) Non eſt perſonarum acceptor Deus, ſed in omnigente, qui timet Deum, & operatur juſtitiam, acceptus eſt illi. Quam ſèntentiain expli cams Auguſtinus in Epiſtola, quae eſt ad Deogratias Presbyteruni, nu inero quadrageſima mona 1. in re ſponſione ad ſecundam qua ſtionein : Ab exordio, inquit, generishu mani quicunque in Deum cre diderunt, eumque utcunque in tellexerunt, & ſecundum ejus praccepta. pie & juſte vixerunt quandolibet & ubilibet fuerint, er eum proculdubio ſalvi facti ſunt. Conſtat autein aborbe com dito ad Chriſti adventuin duo dun taxat jura â Deo uiortalibus eſſe data : unum quod moribus conſta ret ad normam rectaerationis, quae imago eſt aeternae legis mentibus homimum maturaliter conſignata, directis, quod jus naturale dicitur, perpetuum, & immutabile, quo mortales ornmes uterentur. Alte rum ſcriptum, quod jus Moſaicum nominatur, propterea quod per Mo ſèn datum eſt, ad naturale jus caere moniis quibusdam, 5 praeceptis judiciariis &5 quaſi civilibus ad ditis, quo jure geus tantum Iudai ca, citi datum eſt, temeretur. Nam’ut eſt in Epiſtola ad Romanos c. 7. Quaecunque lex loquitur, iis, qui in lege ſunt, loquitur. Et in Pſalmo 147. Non fecitta liter omni nationi, & judicia ſua non manifeſtavit illis. In Deuteronomnio quoque ſcriptum eſt (c. 53.) Legem praecepit nobis Moiſes haereditatem multitudi nis Iacob. Itaque caterae gentes mec Moſtico, mec alio divino jure quam naturali tenebantur, ejuſgue praeceptis ſervandis ſalutem ani maaruin conſequebantur, ut Pau lus in eadem ad Romanos Epiſto la (cap. 2.) declarat his verbir : Non enim auditores Legis juſti ſunt apud Deum, ſed factores legis juſtificabuntur. Cum enim gentes, quae legem non habent, naturaliter ea, quae legis ſunt, faciunt, hi legem non habentes ipſi ſibi ſunt lex, qui oſtendunt opus legis ſcriptum in cordibus ſuis. Naturaliter en in dixit Pau lus, id éſt, ut Thomas exponit, ad praeſcriptum legis maturae, que petenda, fugienduque docet : in eumdemgue ſenſuin paulo poſt ait, Si igitur præputium juftitias le is cuftodiat, nonne præputium illius in Circumcifiohem repu tabitur ? & præputium ex natura legem confümmians judicabit te, qui per literam, & circumcifio nem prævaricator legis es ? Quain Pauli fèntentiam, & auétoritatem : Thomas idem fècutus (im fumma fecundi libri parte prima, quæft. yg. art. 5.) Gentiles ante Chrifti adveiituim fòla lege maturali obli gatos, & ejus præceptis faciemdis falvos fieri fòlitos fuiffè, comfirmat, quamvis auxilio legis Mofaicæ fa cilius fèrvaremtur : Idemgue te ftatur fècunda parte quta fiiome fè cumda art. 7. Alfonfus autein Toftatus moff.r au£tor graviffimus, im libro, quem de Paradoxis im fcripfit, mom folum imcum&famter probavit hanc fèntentiam, fed multis etiam verbis, multifjue ca pitibus rationtem explicavit (Pa radoxo quinto, art. 170. ad cap. 134.) qua Gentiles a Deo peccatorum veniam impetrarent. Cujus ora tiomis fùmma eft, Gentilibus vfjue ad Chriffi paffionem, & promul gatum Evangeliuin peccatum ori ginale deleri fòlitum ; in pueris quidem per fidem parentum, fi quis fideles parentes haberet, id eff, qui de Deo reéte fèmtiremt, quæ maturaliter fèntiri poffunt, û ido lorum immunditias caverent ; im adultis autem per primum a&tum bonum, quem in Deum dirige remt. Mortalia vero peccata per contritionem eiflem Gcntilibus, ut mumc Chriffinmis remitti. Atque hos quidem Auétores, ha* rationes fecutur, Ethmicorum Philofopho-
    rum qiii ex praeceptis legis naturae vixerunt, caufam defendi poffe exifìimavi. Nifi forte putamus caeteris Ethnicis hominibus per le gem naturae viam ad falutem pa tuiffè, eandem Philofophis fuiffè interclufam, qui im 1)eo ex rebus creatis inteHigendo cateris erant perfpicaciores, & im virtute : om fòliiiii voce, fèd vita etiam & fa &fis docemdii ætatem comfuiffè runt. Supereft ut ad ratioues, & t « ffiimoniia, quæ te in oppofitam perfuafionem iuduxerunt, paucis refpondeamus, & quam vim ha beant explicemus. Quarum ra tiomiiiii fìiììma, mifi fullor, tri plici capite continetur. Primum, quod fèrvandis naturalibus prae ceptis non faciebant quod erat in fè, ut a Deo de via fùltitis edoce rentur. Deinde, quod cum ejus maturaiit præcepta cognofcerent, ipfis tamiem nom parebant. Poffre 1no, quid Chrifti fidem, fime quat. nulla eft ad fàlutem vid, motu ha bebant. De primo igitur capite primum diffèramus.’Nom facie bant, imquis, quod erat in fé Phi lofophi, quo digni efTent, ut de via fülutis divinitus edocerentur, mec enim ad hoc fitis erat præce pta legis naturæ férvare. Quid opus fa&o fit, ut homo, quod erat in fé, feciffè intelligatur ad bomxm. aliquod impetrandum a Deo, non eft hujus loci difputare. Nam fi ve id pofitum eft in libero hominis arbitrio, five im auxilio Dei, five quod verius efè in utro.jue, & fine hoc comatu filvus fieri nemo poteft ; hunc iis omnibus affuiffè, qiiibws fòlùs contigit in lege tuatwr 2. rvr. var. cal. Luc. c. 13. — poteft dubitari, mifi forte memini comtigiffè putar, quod perfpicue Hiftoria fàcra comvincitur, ut do cet Auguffimus im ea, de qua di xi Epiftola (Epift. 49.) de his ipfis rebus edifferens, cujus verba im fra fcripta fiint. Cum enim nonnulli commemorantur in fan&tis Hebraicis libris jam ex tempore Abrahæ, nec de ftirpe carnis ejus, nec ex populo Ifraël, nec ex adventiria focietate in opulo Ifrael, qui tamen hujus àcramenti participes fuerunt : cur non credamus etiam in cæ teris hac atque illac gentibus alias alios fuiffè, quamvis eos commemoratos in eifdem aucto ritatibus non legamus ? Ita fà lus religionis hujus, per quam folam veram falus vera, veraci terque promittitur, nulli un quam defuit, qui dignus fuir, & cui defuit, dignus non fuit. Hæc Augtiffiiius. Adde quod ille comatus, qualifcumque eff, quo cumque jure divino homines uteren, tur, & quibufçunque fácramentis elTènt iititiati, etiam Evangeiicis, femper ab eo poffulatus eft, qui ex odio peccati a fè coiiiimiffi ad Dei gratiam filuti meceffàrium afpiraret. De hac enim præpa ratione ad gratiam, quæ latius patet, & fuit cinnibus omni tem pore neceffiria, différendum ma gis erat, quam de illit altera h0 1ninein dignum, fèu idoneum fa ciente, qui de Chrifti myfferiis di vinitus extri ordimeiii doceretur, quod pawcis fingulari Dei beneficio contigit. Nos enim, & ut arbi que
    tror ii, qui tuam femtentiam fcifci tabuntur, mom de privilegio, fèd de communi prifcarumgemtium con ditione laboramus. Quod fecun do loco Ethmicos, Philofophos, a Paulo im Epiftola ad Romanos (cap. 1.) damnator effe dicis, /tis eo loco Paulum de improbis, & vitiofis, idolorumque cultoribus memorare, qui cum Deum cogn0 viffemt, mom ficut Deum.glorifica verumt, quorum hominum condi tio in omni religione damnatur : nobis autem de viris fapientibus, & optimis fermo eft, qui unuin Deum agnofcebant, & venera bantur, ejufjue praeceptis ad ju ris multuralis præfcriptum obtein perabant. De quiùus Paulus idem mom ita multis verbis inter jeétis differens, mon quod audito res, fd quod fit&fores egis effemt, juffificatos effe teftatur, qüippe qui fine doéìrina Mofììcæ legis maturaliter, id eft maturali ratio me doéti, præcepta legis ejufiem ad iiiorcs fcilicet pertimemtta face venit. Haec enim eadem fitmt utriufjue legis veteris, & itcm Evangelicæ coiiimnuntia, & omnia divimut. _Quod oljicis poffr.mo de fide Chrifti, quo præjidio ad falutem ommi tempore mteceffirio veteres Philofòphos imftru&os fuis fé megas, fi ciaram & expreffùnt fidem im Philofòphis poftulis, idem argumentum valebit in Hebræor, Qnottis emim quifjue veterum lw dæorum : clarum hubuit Chrifti, ejufjue myfteriorum motitiam, qut • fidem ? Non igitur aperta, &, explicata Chriffi fides prifëis csl Hebraeis, vel Gentilibus meceffi ria erat ad fàlutem, fèd inteéta, & complicata fttis fuiffè præfidii, Theologi magno comfènfu decla rant, au&orem adhibemtes Pau lum, qui ad Hebraeos fcribems (c. 11.) Oportet, inquit, acceden rem ad Deum credere, quia eft, & inquirentibus fe renumera tor exiftit. Quem locum enarrans Thomas, Gentilibus, imquit, qui falvi fa&i funt, fufficiebat cre dere, Deum effe remunerato rem, quæ remuneratio non fit, nifi per Chriftum. — Quam eam dem femtentiam in fumma Theo logiæ repetit (2. 2. qu. 2. art.) præ fatur paulo ante (quæft. 1. art. 7.) illis Pauli verbis ommium articu lorum fidem implicitam contineri. Quae igitur objecifti, ea parum, aut nihil videntur obftare, quomimus Ethnici Philofophi, qui Deum effè, & curam gerere rerum humana rum, præmium & pænam pro cw jufque merito retribuentem, credem tes, reéte ex maturæ legibus vixe rumt, filvi fuiffè cenfèamtur, quo im mumero vel in primis fuiffe Ari ftotelem mom tam ex aliorum fer anome, quam ex ipfius fcriptis li cet exiftimare. Nam unum effè Deum Optimum Maximum, quam vis multis mominibus appellatur, ^multis in locis comfirmat, ut in lib. 12. de prima Philofòphia, & lib. de mundo ad Alex : itemque in lib. de motu animalium, im quo de i pfius immobilitate, & fumma p0 tentia Iovis momine memoravit. Eumdemque curam gerere rerum humamarum, & fàpientes maxi auediligere & remunerari, iEth.lib, 1’ome V. Part. 1.
    10. (cap. 9.) teftatur. Quod vero pertimet ad Ariftotelis mores, fcio ab ejus iniquis, & invidis Stoicis, Epicureifjue fimiftros quoflam de ipfo fèrmones fìtos fuiffe ad Ari ftotelicae do&rinae de moribus au &oritatem minuemdam, ut qui in gemio & rationibus pares effè mom poteramt, hunc memduciis, & ca lummiis oppugmaremt, vulgoque per fuaderemt, Ariftotelis vitam ab ora tione difcrepaffe, ab eodemque fua, dogmatu comtrariis faétis, quoruin eft majus quam orationis teftimo mium, fuiffe dammata. Ariftote les enim, qui omnem de moribus do&rinam ad commumem hommtimum fènfum, qui vim habet legis muatu ralis, & proborum hominum com fuetudinem prudentiffime accom modavit, fummum bonum, de quo eft ommis Philofophorum diffeiifio, in ufu virtutis mom impedite collo cavit. Hanc enim partim adver fit valetudine & calamitatibus, partim imopia earum rerum impe diri docuit, quæ res adjumenta funt ad ufus vitae, tum neceffarior, , stum etiain liberales. ftaque vir tutem in fummo bomo, quæ felici èas quoque momimatur, primcipem locum obtimere, bomm tamem cor poris, & extermi adeffe oportere, me virtus utilibus, aut etiam me ceffàriis adiminiculis, ύ quafi in frumentis deftituta, infirmior fit ad officia, & res præclaras geren das. Sed mec fime voluptate vi tam beatam comttingere fcripfit, non quavis, fèd ea, quæ ex ufu, & ingemerato habitu virtutis exiffìt, iramque & cupiditatem, & cæte rw affe&us, fi modum teneant, non eſſe a virtute & conditiomeſa. pientis alienos, cum in his moderandis virtus moralis fit occupata. Epicurei voluptatemn ſummum bo mum eſſe contendebant. Stoïci vero ſola virtute vitam beatam metie bantur, etiam ſi quis vir optimus extrema inopia 5 maximis cala mitatibus urgeatur, reclamante Paulo, qui ad calamitates, quibus Chriſtiani initio naſcentis Eccleſiae conflictabantur, intuems in hanc vocem proripuit : Si in hac vita tantum ſperantes ſumus in Chri ſto, miſerabiliores ſumus omni bus. Praeterea mec iram, nec cu piditatem in ſapientem, quales ſe videri volebant, cadere contende bant, ut tacita contemtus rerumn humanarum, 5 divina cujusdam, conſtantiae, 5 integritatis profes…ſione ſeſe vulgo, 5 ſuam diſcipli mam commemdarent. Ita cuin Ari ſtotelis doctrina, &9 ejus praece. ptis a natura duétis, ut Epicureo rum libido &9 diſſolutio, ſic Stoico rumineptioe, venditatio cum eorum exiſtimationis jactura a Peripate ticis convincerentur, factum eſt, ut multi ex his duabus diſciplinis, quae poſt mortem Ariſtotelis inva’leſcere coeperunt, aemuli 5 obtre ctatores ejus exiſterent. Quorum vanitaten 5 petulantium Suidas diligentiſſimus auétor, 5 idempru · dentiſſimus paucis verbis adnota vit in verbo, Ariſtoteles, qui cum de calumnmiis Timaei cujusdam in Ariſtotelem petulanter jaétis memoraſſet : Sed is, inquit, dum talia jactat, vix hominum nu-
    mero mihi habendus eſſe vide tur, circulator, petulans, & ra bula loquaciſſimus. Ariſtoteles enim notarius naturoe fuit, cui ſcilicet natura ipſa ſcribenda di ctabat, & qui calamo intelle ctum irrigabat, qui nihil for taſſe rebus utilibus indigebat : quanquam figmentum refellere majoris artificii eſt, & ſuperva caneum. Caeterumn invidemdica lumuiandique occaſio inde primum Graeculis quibusdam leviculis, d9’famelicis hoiuinibus data eſt, quod Ariſtoteles a Philippo Rege Macedo mia vocatus, Lyceo reliéto, in aulam veniſſet, ibique pro virtutis, d3º doétrinoe magnitudine indulgenter fuiſſet habitus, quaſi literarum ſtu dio, in quo ſolum acquieſcebat, 5’in quo dies ac moétes, ut res ipſa docet, ad extremum ſpiritum coit ſuiuens, extinctus eſt, contemto, inertioe ſeſe, atque deſidiae, 5’de ſidioſorum voluptatibus tradidiſſet. Quorum ommium levitas, 5 impu dentiſſima memdacia valido ſcri ptorun ejus argumento redargum tur : tot enim libros Ariſtotelem in omni doctrinarum genere ſapiem tiſſime, 3’cum magna 5 conſentien te hominum approbatione confe ciſſe conſtat, ut miremur eis elu cubrandis unius hominis aetatem — ſuffeciſſe. Quo declaratur Ariſto teles in ſtudio literarum, 5 opti maruin rerum contemplatiome, id eſt in optima virtute, à5 divinae felicitatis aemula omnem aetatemt conſumſiſſe, jucunditate ſcilicet laborein ininnente, qha, ut peri ti noverunt, & ipſe expertus teſta— deſtitutus. Quae virtus cauſa eſt tur Ethicorum libro decimo, ma— recte de principio, ut ipſé Ariſto ximta capitur, cum ex omni virtu— teles docet, exiſtimandi. Principium tis habitu, & uſu, tum maxime autem in rebus agendis eſt finis, , iittelleétive, ut nec corporeas, tur— ut ſuppoſitiones in Mathematicis. peſque voluptates deſideraret, mec Quo fit, ut vitioſus male judicet ocum, tempuſve relinqueret ad eas de fine qui mon ſolum voluptates fruendas, 5 more deſidioſorum corporeas infraenis conſectatur, ſèd conſeftandas. Namut eoden au— etiam maxime conſectandas eſſe thore ( Ethic.to. cap.4.) è5 uſu corrupta ratione judicat (Ethic.7. rerunt didicinus, ut res maxime cap. 8.) : quo morbo qui laborat, is placentſic ineas quisque, 5 in eis quomodo poteſt convenienter reétae operatur, voluptate opera perfi— rationi, a qua ipſius utraque ani ciente, tg abſoivente, 5 Philoſo— mae pars, appetitus, 5 ratio lon phta voluptates praebet tum puri— ge abhorret, philoſophari ? 5 de tate, tum firmitudine mirabiles. bonis maliſque rebus, quarun Cujus Philoſophia, quae 5 ſapien— norma virtus & vir probus eſt tia dicitur, amor in animos rebus (Ethic.io. c. 5. 5’6.) reéte conſtitue virtuti contrariis occupatos, 5 re, 5 preecepta dare ? praeſºrtim criminibus contaminatos nom ca— ſi quis, ut Ariſtoteles maxime fe dit : Quoniam in malevolam anicit non alienis veſtigiis inſiſtat, ſed mam non intrabit ſapientia, nec ſuo ingenio, 5 judicio mitatur, habitabit in corpore ſubdito pec— 5 alienos errores convimcat, cui catis. Quod mon ſolum de divina ex ſuo de coeterorum bonorum ſent illa ſapientia, quae virtutes omnes ſu, ad quem omnnia moralia praes imprimiſque theologales diétas comcepta accommodantur, judicanduin plectitur, & ſuggerit, ſèd etian eſt, èy ſtatuendum : quoe omnia de humanitus inventu Philoſophia cum Ariſtoteles ex omnibus morta & maxime morali veriſſime dici— libus, qui via 5 ratione matura tur. Morahs enim Philoſophia li philoſophati ſunt, rectiſſime 5’quae latiſſime patet, pertinetque prudentiſſime praeſtiterit, mon no adonnes vitoe partes 5 rerum pu— do non vitioſus, ſed vir optimus blicarum, leguiitque ferendarum 5 temperantiſſimus fuiſſe certiſſi rationem, 5’moralium dogmatum, ma ratione declaratur, auétore quae a reéta ratiome aeterne legis item Auguſtino, qui im libro de · imagine proficiſcuntur, cognitio 5 utilitate credendi, Honeſtiſſime, inuentio in vitioſum, & intempe— inquit, vir bonus fuiſle credi rantem hominein caderemon poteſt, tur, cujus literis generi huma cum fit inquinata ejus 5 mens, no, poſteritatique conſultum eſt. & conſcientia, ut Paulus ait, hoc Quod ſi Ariſtoteles affeétibus hu eſt corrupta ratio, • 5 intelleétus manis, ut hono erat, nomuum obcarcatus, ita ut mala pro bonis quam ceſſit, ut ſaepe ceſſiſſe cer judicet, 5 boma pro malir uirtute tuiu habeo, in multis eniiu delin quimus omnes, fèptiefque im die cadit juftus ; & optimus eft, qui minimis urgetur : iis tamen qui Iongo ufu virtutis habitum indue rumt, poft peccatum pænitentia .ftatum animum fubeumte, facilis eft ad imfitam virtutem receptus, & expeditior im gratiam cum Deo *edeundi conatus. Qua im caufâ fi quis validis argumentis mom com temtus, teftes etuam requirit, umum fcilicet, qui pro multis fit, produ camus Philippum Regem Mace domum, de quo fupra memtionem feci ; Primcipem, ut inter auétores «comftat graviffimum & prudentus fimum, cujus auétoritate, quæ fomnmi pondere gravior eft habenda qaam oinmia malevolorum teftimo mia, facile ipfùrum calumniæ con vincuntur. Extat ejus ad Arifto telem Epiftola, qua fè Alexandro filio aétum effè certiorem eum fu cit, fèque Diis immortalibus gra tias agere profitetur, mom tam quod fibi matus fit filius, quam <juod Ariftotelis tempore matus, a quo educitum eum, & doétum fe regnique fucceffione digmum evafu rum fperaret. Qua in re mom fò 1um ad ingemtem doéirimam, fèd multo etiam magis ad probatiffi mox Ariftotelis, & publica faina cominemdatos mores regem fùpiem tiffimum fpeétaffe, ipfè fuis verbis perfpicue declarat. Accedit Plu tarchi auétoris graviffimi teffimo ziihim, qui de hac re in ipfâ Alexam
    dri vita memorans fic ait : Philip pus cernens ingenium Alexan dri tale effe, quod cogi omni no nollet, facile autem ferino ne ad officium faciendum per traheretur, ipfe etiam fuadere potius quam mandare ei infti tuit : muficefque &encycliorum doctoribus haud fatis inftiturio nem ejus credens, quam rem majoris negotii futuram arbitra retur (ut eft apud Sophoclein) quod fræna multa, multaque ubernacula defideret, Ariftote É ; Philofophorum clariffimum & fapientiffimum accerfivit, ut filii fcilicet mores a turpitudine co hibemdo, ad virtutem & homefta tem incitamudo formaret. g ! a. 1magiftris non fòlum ratiome & ver bis, fèd multo magis vita, & exem plo reéte faétorum praeftatur : ver ba emim cum difcrepant a vita, ut idem Philofòphus ait Eth. 10. mont funt mifi verba, id eft inanis & infirma ad fidem faciendam oftem tatio. Qualis erat eorum, de qui bus Paulus ait, Confitentur fe noffe Deum, fa&is autem ne gant. Sed hæc haétemus, de qui bus libenter feci, ut paulo verbo fius loco nom aliemo memorarem, ut optimo & fipientiffimo viro, opti meque de mortalibus praefèrtim mo ftri ordinis inerito, apud te virum probum & doétum, ejufque Philo fòphi imprimis ftudiofum, jufto ad verfus invidorum & malevolorum
    obtrectationes patrocinio gratiam aliquam referam. Vale. Ex Mariano ſexto Idus Maïſ. 1554.
  61. Ep. 91. qu. 1. l. 7.
  62. Lib. de var. cal. Luc. c. 13.
  63. (o) L’Evêque Gaſpar Caſalius, Portugais, fit un livre De defendoient la leclur : L’Evèque Gaſpar Caſa lius, Portugais, fit un livre De quadripartita hoininis juſtitia, pen dant qu’il étoit au Concile de · Trente, dans lequel part. i. lib. 1. cap. i2. après avoir établi l’opinion favorable aux Païens, il maintient que l’Egliſe n’aiant rien determiné ſur ce ſujet, il eſt permis de ſuivre telle opi nion que l’on veut, pourvû u’on air toûjours recours à la oi du Médiateur implicite ou explicite. I’ai nommé ici beau coup de Scholaſtiques, qui ont été du même avis le plus a vantageux aux Gentils. On y peut ajoûter François Victoria, de l’Ordre des Freres Précheurs, c& Nicolas de Lyra de celui des Cordeliers, mais le dernier plus ancien que l’autre de deux cens ans ; avec Ioannes Arboreus, Durandus de Sancto-Porciano, Petrus Paludanus, Capreolus, Gabriel Vaſquez, Grégoire de Valence, Antonius Scaynus, Ph. Gamachaeus, Martinus Becca nus, Gerv. Bijonius, & tant d’aurres encore, que ce ne ſe roit jamais ſait ſil’on vouloitrap porter les textes de tous.

    Leonard Arerin, Secretaire
    de quatre Papes, & Chancelier, il y a plus de deux cens ans, du Senat de Florence, ſe moquant de quelques ſcrupuleux, qui defendoient la lecture des Poë tes, uſe de ces termes : At Plato &5 Ariſtoteles legebant, quibus ſite aut gravitate morum, aut intelli gentia rerum antepomas, nullomo do feram. Antute aliquid diſcerne re putas, quod illi non viderint ? Chriſtianus, inquis, ſum ; at il li forte ſuo more vixerunt. Quaſi vero honeſtas gravitaſque morum mon tunc eadem fuerit quae mune eſf, 5c. Il ne dit rien par là qui regarde le falut des païens ; mais il leur attribuë l’uſage des Vertus, que d’autres leur dénient ſi préciſément.

    Raphaël Maffei, comme le nomme Leandre Albert dans ſa deſcription de l’Italie, autre’ment dit Raphaël de Volterre, les a bien davantage favoriſés dans l’Avant-propos de ſon trei-’ſiéme livre Conumentariorum Ur, banorum. Il a donné ce titre à ſon ouvrage, à cauſe qu’il le compoſa dans la ville de Rome. Et bien que d’abord il l’eût de dié tout entier au Pape Iules Se cond, il n’a pas laiſſé de lui fai re encore une petite Préface au devant du treiziéme livre, où coinmence ſon Anthropologie, & oû il ne feint point de decla rer à ce Souverain Pontife la bonne opinion qu'il avoit de elques Gentils, tant à l'égard †vertus, que de leur ſalut Voici comme il s'en explique, & c'eſt ce qui m'a obligé § le citer quand je parlerai de Sene que. Cujus (Eccleſia quoe a pri zno Abelo juſto coepit) per omnes etates fucre participes 5 Philo ſophi multi, # alii moribus prae diti, Deum optimum maximum colentes, ac quod poſt futum ex eis reſtaret tutum ipſius fore pro videntia putantes. Atque ut alios jam receptos praetcream, quis ex Graecis Pythagoran, Socraten, Ariſtidein, Apollomium, ex Lati mis item Nuinam, Naſicam, Pau lum AEmilium, &'AFiitilianum fi lium, Catones duos, deinde Sene cam, Trajanum, Titum, quorum medeſtiae tam multa mobis exem · pla traduntur ; non exiſtimaverit curae Deo fuiſſe dum viverent, ut verum ſpientiae luinen, quodnun quam etiam ex ſèntentia Platonis in vita ſerum eſt, quandoque adi piſcerentur ; & cum poſtea defun éiis mitius actum extitiſſe ?

    Sixtus Senenſis, qui dédia ſa ſainte Bibliothéque au Pape Pie Cinq, après avoir oppoſé dans le ſixiéme livre annot : 51. des paſſages de St. Auguſtin, à ceux de St. Iean Chryſoſtome, de St. Iuſtin Martyr, & de St. Clement Alexandrin, ſur le ſu jet que nous traitons, conclud pour ces derniers, en ce qu'ils ont favoriſé le ſalut des Païens vertueux & non Idolâtres, &
    uſe de ces propres termes : Gen tilibus, ſi qui abſque Mediatorir notitia ſulutem ſunt conſecuti, ſà tis fuit implicitam habere fidem, in unius Dei crednhtate incluſam, . hoc eſt ut Deun eſſ crederent hu mani generis ſervatorem, juxta or dinem in ſua admirabili providem tia occultum, 5 aliquibus ipſo ruin Vatibus ac Sibyllis peculiari privilegio rcvelatum.

    Iacobus Faber Stapulenſis ſe fait lui-même cette propoſi-- tion ſur le ſecond chapitre de l'Epitre aux Romains. Putan duinne igitur eſt his etiam tempo rilus aliquos abſque tradita lege ſalvari poſſè ? Voici ſa réponſe. Etſi ſecreta Dei judicia ſoli Deo ſunt relinquenda, reſpondeat ta men forſitan quiſpiam : Si puta mus quaſdam ignoti orbis regtones, ad quas nomdum Evangelium per latum ſit, nomdum auditum : ubi habitatores maturali lege Deum di ligant ex operum magnificentia jama cognituin, 5 proximos ut ſitos com ſimiles ; parentes officioſe colant : injuſtitias, quas ſibi fieri molint, ad alios vitent ; 5 catera, quae lex divina (excepto ceremoniarum. ritu) mandat, faciant : quod ſi e ventu aliquo Natura ſancita trans grediantur, paeniteant, ſuſpirent que ad eum quem parentem orbis, &9 tanti ornatus ac providentiae credunt authorem, maturalique in ſtimétu veniam precentur : tales, inquam, credere ſalvandos fore, meque divina pietate (cujus miſe ſericordia plena eſt terra ) indi gnum, meque Apoſtolicoe ſententiae adverſum. Verum caeteris exiſten tibus paribus, gloriam falvamdo ruin qui legem acceperunt, & cir ca quos divini ritus rite pera&ti funt, longe fore enimeiitiorem, quemadmodum gloria Solis caeteris eminentior eft Affris. Cui fi di xeris, fine Fide impoffîbile eftpla cere Deo : * Refpondebit, eos fidem hibuiffe, ut qiii ex operibus agni tum Deum glorificaverunt. Si rur fìs affecèrir, fèriptum effè, Qui cre aiferit ; & baptizatus fúerit, fùl *jus :rit ; qui vero nom crediderit, coniâ : mmabitur ;*' Fatebitur, fèd etiam fcriptum effe, Eurites in mum dum univerfum prædicate Evan geliuiii omni creaturæ ; & conti juo fùbjunétum e(T quod addu atum eff. ' Ergo primo eumdum eft, prime prædicamdum eft Evange 7iiim, & tunc ubi atiditam eff, wbi praedicatum, procul dubio qui mom crediderit comdemmmabitur. Atqui in principio hujus quæftiomiis fup pofituiii erat, nondum ad eös quem quam iviffe, momdum quemquam prædicaffè. Verum & forfitam Addet ; Si etiam im orbe ignotoiam a multis fæculis Iudaica Sabbata, & antiqùas juftificationes quipiain obfèrvarent, neque Angelo, mcque Propheta, neque Apofto'o aliqu6 I)eus eis Meffiamm jam vemiffè fi gnificaffèt, ac veteris legis figuras èx veritatis praefèntia, ut & teme bras ex praefèntia lucis finem acce piffe, ipfòs adhuc judaizando pie £itis fiiae fruétu, non privandos. Quod fi adiicias ; Ergo Tartari jjfimi hoc tempore in lege Natu $æ fálvabuntuf ? Protinus infi
    cias ibit. Nam auditum Evan gelium, & vifà Evangelica figmæ, refpuerumt. Nom autem fic effe oportuerit de orbe haétemus inco gnito, fèd im dies id oraculum, In omnem terram exivit fùmmis eorum, adimpleri fècundum tempora vifi tatiomis, omnifîae divimæ difpen fitionis, quæ novit quod tempus. cuique idomeum. Hinc tempori bus his incognitas orbis plagas difèooperuiff :, ut Chrifttis Domi nus Rex omnium fæculorum ubi que annunciaretur. On peufbien juger que ce Profeffèur de 1'Univerfité de Paris ne penfoirpas, qu'il fùt impoffible auxGentils, qui ont prëcedé la venué de N. Seigneur, defefauver, puifqu'il, croit que depuis même fà Na- ' tivité, & encòre à préfent, ceux des pais où fon Evangile n'apas enc6re été publié, ne font pas indignes dé fa mifericorde^en obfervant le droit deNature. Et que les Iuifs même, ficette hy pothefe pouvoit être véritable, ce que je ne crois pas, y pour roient faire leur faiut, en obfer vant la Circoncifion, & les au tres préceptes de1'ancienne Loi, uifju'il féur auroit été impoffi le d'avoir connoiffance decelle du Batéme. Il faut obferver ici, qu'encore que Natalis Be da ait fortrigoureufement repris gertaines propofitions de Iaco-, bus Faber, avec quelques au tres d'Erafme, quj méritoient à fon jugement â'être cenfurées & qü'efi effetla Faculté dés Theò logiens de Paris ſemble avoir condannées, par l’approbation qu’elle donna aux corrections de Beda : L’on ne voit point pourtant, qu’il ait rien trouvé à redire au paſſage que nous venons de rapporter, ce qui tient lieu évidemment d’une formelle approbation.

    Pomponace dans ſon cinquiéme livre De Fato & libero ar bitrio chapitre ſeptiéme, s’ex plique là-deſſus en ces mots,
    quanquam Deus voiuerit abater no omnes homines eſſe beatos, in telligendum tainen eſt de beatitu dine que debetur homini ex puris maturalibus, ad quam per purº maturalia pervenire poſſunt : quant beatitudinem mnultos ex gentibus exiſtimo habuiſſe, qui vixerunt ſecundum regulam Natura.<ref>Ep. 1. ad Timoth. cap. 2.
  64. Ad Rom. c. 2. art. 11.
  65. (p) Le paſſſſage du quatrième chapitre de la premiere Epitre de St. Paul à Timothée, qui porte que Deus eſt Salvator omnium hominum maxime Fidellum, eſt interpreté par St. Ghryſoſtome, & par St. Ambroiſe, de la conſervation des Infideles durant leur vie ſeulement. Quelques uns l’entandent, de cé qúe Dieu jô : g££ de tous les hom mes par1es affiftances générales, qu’il leur donne,. l’étant des Fidéles d’une fagon particulie re ; •, ce. $ ? fuivi M. Godeau, Evêque de Grace, dans fa Pa raphrafe. * Cornelius aLapide a près ayoir, rapp9rté la.premié re$i ; lui préfère celle de 1’Archevêque Théophyla&te & d’autres en ces termies ? Se cundo & plamius Deus eft Salva—. tor omnium hominum, quantum eſt ex parte ſua, quia ommibus Chriftum Salvatorem, & media, quibus fìlvari poffimt,’exhibuit : maxime tmmem eft Salvator Fide lium, quia hiße fidem, fpem, gra tiain, maxima & proximnm fàlutis adjumenta aéîu contulit, hofjue prae aliis curat & amat. Ita Theophyl. σ’Anfelm. Le texte de Theophyla&e eft tel, Deus eft Jèrvator ommium hominum, ma xime Fide]ium, hoceft, omnes qui dem vult falvos fieri, & hic & illic : majorem autem curam hic circa Fideles offendit.

    Le Pere Campanella a dit depuis à peu près la même choſe dans ſon Livre de la Prédeſti
    nationc. 12. encestermes : Nam poft Chriffi mortem, per quain coufuminationem, & abolitionem acceperumt vetera Sacramentta, & firmitatem nova, fi quis ante pro 1nulgatum Baptifmum, (quod fa çtum eft iii Pentecofte Iudaeis, gem tibus vero, quando. Evangelium illis eft prædicatum ita fufficiemter ut convitici deberemt ; titude mul tis reftat adhuc prædicamdum, mec obligantur ad baptifmum, quomo do emim credemt ei, quem mom au dierunt ?) Si, inquam quis cir cuincidiffèt tunc ante promiuulga tum baptifmuiit infimtes fùos, fùl vati effemt, mom quidem ex Circum cifiome jam abolita, fèd ex fide te ftificata per illam, vel aliam ce remomiam fùltemm interiorem, ut omnes probant, praefèrtim Sotus lib. 2. de Iuftitia £ ; Iure qu. j. art. 4. Ie veux mettre encore ici ce que Campanella écrit un peu auparavant dans le même chapitre. Vide quam mirifice Patres, & mox Divus Thomas amplificant gratiam Dei, etiam ubi mou habent expreſſùm de hoc verbum Domimi, ratione illumimat ? ex ordine providemtid arguinemtam do, etiam in Gentilibus fuiſſè Jù lam fidem remedium efficax, etiam*—. ſi informis fuiſſet ; ac ceremonias exteriores, nobis vocatas Sacra menta, fuiſſè ex diétamine ratie mis, mom ex inſtituto Dei, miſi quas Hebræi & deinde Chriſtinui acceperumt, quæ tamen mec valemt, niſi ut fidei præſtationes ex divino inſtituto, & mom ſicut em- plaſtra Chirurgorum : 5 eadem jides operatur in mobis, 5 in omni Natione, quoe explicito 1 einedio, mobis revelato, caret. Quomiam Chriſtus, ut ait Sanctus Iuſtinus, eſt Dei Verbum, 5’Ratio, diétans in corde hominum rationaliuin, quid pro ſalute agendum eſt in omnibus Gentibus. Ergo ſſ mulli defuit remedium in ulla lege, ma tiome, è9 atate ; nullus vere repro batus eſt antecedenter ad culpam, d5 ad megleétum remedii. Ce Livre a reçû l’approbation Romaine, & celle de la Sorbonne de Paris.

    Voici les propres termes du Pere Pierre du Iarric Ieſuite, pris du quatriéme livre de ſon Hiſtoire des Indes Orientales cha’pitre dix huitiéme oû il parle des Chinois : Au reſte leur Hiſtoire célébre fournit aucuns de leurs Rois, qui ont été ſi gens de bien, que peut-être auront-ils été ſauvés en la Loi de Nature, vû les he roiques actes de vertu qu’ils ont fait, s’il faut croire à ce qu’on en trouve écrit en leurs livres. Car d’ailleurs on ne ſait point, qu’ils aient été adonnés à l’idolatrie : ains plûtôt qu’ils ont fait profeſſion de l’adoration d’un ſeul Dieu.

    Hieronymus Aleander fit imprimer à Rome, & dédia au CardinalFrançois Barberin l’ex plication ſymboli navis Eccleſiam referentis, où il parle ainſi : Ne que vero ambigendum eſt, quin 5’aliqui ex Ethnicis ante Chriſti ad ventum aeternam ſint adepti ſalu tem, quodprae caeterisoſtendit Di eus Proſper lib. 2. de vocatione
    Gentium cap. Il croit après luſtin, que Socrate & Heraclite ont été Chrétiens& ſauvés Que Dieu recompenſoit labonne vie & l’innocence des Ethniques d’une connoiſſance obſcure de Ieſus Chriſt, par laquelle ils ſe pouvoient ſauver. Et qu’Héraclite prit cette connoiſſance des Sibylles ; d’où vient que ce Philoſophe dit dans le premier livre des Tapiſſeries de Clement Alexandrin, qu’elles avoient paru au Monde par une voie non pas humaine, mais toute divines.

    Fortunius Licetus a écrit deux livres, De pietate Ariſtotelis er ga Deum 5 homines, qui n’ont été mis au jour qu’en mille ſix cent quarante cinq. Tout ſon ouvrage juſtifie la doctrine de ce Philoſophe, en ce qu’il ſem ble qu’elle ait de plus contraire au Chriſtianiſme. Mais le der nier chapitre du premier livre, Unde ſalus animae Ariſtotelis ve re colligi poſſe videatur, eſt ex près pour ſa beatitude éternelle,. la fondant principalement ſur cette contrition, qu’on lui attri buë dans le dernier moinent de ſa vie, & ſur la bonté infinie de celui, cujus proprium eſt miſere ri ſemper 5 parcere, ſi l’Egliſe ne nous trompe point dans ſes prieres journalieres. Deux In quiſiteurs Généraux ont approu vé ces livres, que l’Auteur a dédiés au Pape Innocent Dix ſéant pour lors dans la Chaire de Saint Pierre.

    Ie veux finir ces Preuves qui pourroient aller à ſ’infini, par les ſentimens de deux perſonna †l’erudition & la pieté ivent être de très grande con ſidération. Le premierſera l’Ayeul de Monſieur le Chancelier, † a eu ſoin que l’ouvrage d’un î digne prédeceſſeur fût mis en nôtre langue par l’une des Plu mes que nous aions la plus ca pable de s’acquiter de cette char # Voici donc ce que je tran cris du quatriéme chapitre des Elemens de la connoiſſance de Dieu & de ſoi même, compo ſés ar Meſſire Pierre Seguier, Préſident en la Cour de Parle ment de Paris… Il y en a quel ques-uns, leſquels conſidérans les bonnes actions que ces Philoſophes ont exercées durant leiir vie, ne déſeſperent point de leur ſalut, 5’excuſent en quelque ſorte leur Ido lâtrie, puiſqu’elle me procedoit point de leur jugement, mais qu’elle étoit un effet de la coutume publique, è3’qu’ils la voioient autoriséè par les anciennes Loix du pais, 5 confir mée par les Ordonances du Prin ce Quant à nous, ſi l’on mous preſſè de dire nôtre ſèntiment ſur cette matiere, nous eſperons, ſi cela ſe peut legitimement eſpèrer, que ces anciens Philoſophes, qui ont ex ercé des actes de luſtice, 5 de pie té, qui ont mené une vie ſans tâ che & ſans reproche, 5 qui ont recommu 5’adoré un ſeul Dieu, trou veront grace auprès de Dieu mé me ; que ſa miſèricorde infinie com ſamuera leurs defauts, & leur par donnera l’ignorance où ils ont été des Myſteres de Ieſus Chriſt.

    Le ſecond eft le Bien-heureux
    Evêque de Géneve St. François de Sales, lequel dans ſon Traité de l’Amour de Dieu, livre onziéme, chapitre ſecond re connoit, que les Vertus peuvent être pratiquées par les Infideles, bien qu’elles me ſoient pas recom pensées d’un loier étermel. Si vous voulés, dit-il, rendre ſainte la Vertu humaine 5 morale d’Epi étete, de Socrate, ou de Demnade, faites-la ſeulement pratiquer par une ame vraiement Chrétienne. Et notés, ajoûte-t’il, que toute œuvre vertueuſe doit être eſtimée œuvre du Seigneur ; voire inéme quand elle ſroit pratiqué pur un Infidele. Ce qu’il prouve par la guerre de Nabuchodonoſor con tre les Tyriens, qui fûtjuſte & agréable à Dieu.

    En vérité, il y a dequoi s’étonner, que toutes ces autori tés tant anciennes que moder nes, ne puiſſent rien ſur l’eſprit de ceux, qui veulent faire rece voir leurs ſentimens particuliers au préjudice de ce que toutes les Ecoles Catholiques ont en ſeigné publiquement juſqu’ici. I’ai répondu déja aux textes de St.Auguſtin, qui ſemblent favo riſer la doctrine de ces gens-là. Et ajoûte qu’il a donné lui-mê me la regle de ce qu’il faut ob ſerver en de ſemblables rencon tres, contre des perſonnes ſiat tachées à leurs opinions † lieres. C’eſt dans ſon Epitre dix neuviéme, qu’il écrit à St. Ierô me qui ſe vonloit ſervir contre lui de l’autorité d’Origene, & de St. Chryſoſtome. St. Auguſtin répond à cela ; qu'il n'y a que les ſeules Ecritures Canoniques que nous ſoions obligés de ſui vre ; & qu'il faut tirer ſes con victions des textes ſacrés, ſil'on veut établir quelque choſe avec certitude. Pourquoi cette maxi me n'auroit-elle pas lieu à ſon égard ? Il a été trop juſte pour vouloir établir un droit ſur les autres, dont il ſe prétendit être exemt. Auſſi ai-je remarqué aſſez de points de doctrine, où l'on n'eſt pas accoutumé d'ac quieſer à ſes opinions. Celle qu'il a eûé touchant les enfans morts ſans Batême, n'eſt pas reçûé. On ne le ſuit pas non plus en beaucoup de choſes qui touchent la§č& le pèché Originel. Il a douté ſi les, Cieux ne ſeroient point un jour de la ſocieté des Bienheureux. Et chacun ſait, qu'encore qu'il ait tenu avec quelques Peres, que les Anges étoient corporels, l'Ecole a préferé ce que St. Denys, St. Chryſoſtome, & St. Cyrille ont enſeigné au contraire. En tout cas, puiſqu'il a écrit diver ſement ſur le ſujet que nous trai tons, c'eſt ſans doute qu'il ne nous a obligés à rien ; & que comme le Docteur Angelique dit dans ſon Opuſcule ſoixante & douziéme, qu'aiant mis dans
    ſes livres des choſes différentes, il laiſſe à ſon Lecteur l'élection libre de celle qui le contente ront le plus.St.Auguſtin ne nous a pas oté la même liberté. Et par conſequent nous ne ſaurions mieux faire, que de l'interpre ter comme le même Saint Tho mas, & tout ce que nous avons cité de Docteurs l'ont fait. Qui conque ſe ſera donné le loiſir de les voir, ne fera pas difficulté de dire, que c'eſt une maxime dangereuſe, dogmaque impieta tis plemiſſimum, de ſoutenir qu'au cun Paien, pour vertueux qu'il ait été, & quoiqu'il fût exemt d'idolâtrie, ne reconnoiſſant qu' un ſeul Dieu tout Bon, & tout Puiſſant, n'ait pû en quelque façon que ce ſoit, ni même par une grace extraordinaire du Ciel, obtenir lâ remiſſion de ſes pè chés. Comme c'eſt une erreur évidente, foedaque in Patres ca lumnia (pour uſer encore des termes dont on s'eſt voulu ſer vir là deſſus) d'écrire, que jamais Saint Iuſtin, Saint Chryſoſtome, Saint Ambroiſe, Saint Auguſtin, ni aucun des Peres n'ont crû, que Socrate, ou quelqu'autre tel Philoſophe Gentil, pût en au cune façon, ni même par la Bon té infinie de Dieu, participer à ſa miſericorde. ".
  66. Cap. 22. art. 40.
  67. Ep. ad Rom. 2. c.
  68. (q)) Je crois qu’il eſt arrivé dans cette controverſe la même choſe dont il y a longtems qu’on s’eſt plaint en d’autres diſputes, où l’on alloit à de grandes extre mités faute de s’entendre. Cice ron & Seneque ont fait cette re marque au ſujet des conteſta tions, qu’avoient de leur tems les Stoïciens contre d’autres Phi loſophes, qui combattoient ſou vent enſemble pour des mots, uoiqu’ils euſſent rous le même §des choſes. Cela n’ar rive que trop encore tous les jours parmi nous, où l’on voit plus de ces όνοματομάχουζ, comme les nomme Critolaüs Phaſelite dans Clement Alexandrin, Lib. 2.Strom. que d’hom mes qui jugent ſolidement des matieres, ſans s’amuſer aux ter mes dont on les embrouille. Et certainement ſi nous n’enten dons autre choſe par le mot de Vertu Morale qu’une habitude del’ame, par laquelle nous ſom mes portés à faire des actions raiſonnables, je ne vois pas bien, comme on la peut dénier ſi abſo lument qu’on fait aux Paiens. Qn la definit encore dans l’Eco 1e, une habitude élective, ou de la volonté, qui confiſte dans une médiocrité raiſonnable. Et l’cir en donne aſſez d’autres de # que je me ſouviens avoir conſiderées au commen cement de ce Traité, faiſant voir
    comme elles ſe rapportent toutes à une même penſée. Cela pré ſuppoſé de la ſorte, comment peut-on ſoutenir que les Païens n’aient jamais eu de véritables VertusMorales ; ſil’on ne prouve au même tems qu’ils n’ont ja mais fait d’actions raiſonnables, † fuſſent conformes à la Raiſon ? Or de le prétendre ainſi c’eſt à peu près la même choſe, que ſi l’on vouloit maintenir qu’ils ont été tous fous & cou rans les rués ; qui eſt une pro poſition ſi extravagante, que je ne penſe pas que perſonne # voulût defendre. Ie ſai bien que les Stoïciens ne reconnoiſſoient autrefois pour vertueux que leur Sage, qui étoit un oiſeau bien rare ; ou ſelon Macrobe, Lib.2. in Somn. Scip. que les Philoſo phes ſeuls. Mais qui peutigno 1er auſſi le jugement qu’on a toûjours fait de leurs paradoxes ? Et qui ne voit que l’abſurdité de l’opinion que nous combartons eſt beaucoup plus grande que la leur, puiſqu’elle veut faire pas ſer tous les Païens qui ont été, our des inſenſés, ou des gens ans raiſon, s’ils n’ont eujamais aucune Vertu morale, qui n’eſt qu’une habitude aux actions rai ſonnables., Cette conſequence eſt ſi apparente, qu’une dès plus éloquentes plumes de ce ſiécle, qui a voulu défendre la plus rigoureuſe interprétation des pas paſſages ſages de St. Auguſtin ſur ce ſu jet, n’a pû s’empêcher d’accor der dans le Liv. de la corrup. de la Nature par le pèché, aux Gen tils les Vertus Morales, ſe con tentant de les exclure des Chré tiennes, que perſonne à mon avis ne leur voudroit attribuer. Il eſt vrai qu’à cauſe que cet Au teur a cru p. 259.29y. 297. que St. Auguſtin ne reconnoiſſoit point de Vertu qui ne fût Chrétienne, il ajoûte, que dans la doctrine de ce Perel’on eſt obligé decon danner celle des Païens comme fauſſe, & comme étant plûtôt un pêché déguiſé qu’une vraie Vertu. C’eſt une étrange con tradiction de nommerVertuMo rale en un lieu, ce qu’on pré tend ailleurs être un vice. Et nous aurons bien mal emploié le tems & l’argent dans les Col leges, ſi toutes les definitions qui s’y enſeignent duVice & de la Vertu ſont trompeuſes de la façon. Nous avons dit que les Vertus des Gentils comparées aux Chrétiennes leur ſont telle ment inferieures, qu’elles paroiſſent imparfaites, parce que ne pouvant rien produire pour le Ciel comme celles-ci qui ſont accompagnées d’une grace ſur naturelle, les prelimieres ne ſont preſque pas conſidérables dans i deſavantageuſe oppoſition. Ajoûtés à cela que les Chrétiennes étant plus divines qu’humai nes, &, comme l’obſerve ce lui dont nous venons de parler, toutes dans l’excès auſſi bien que les Héroïques ; ce n’eſt pas mer
    veille que les autres qui conſiſtent dans une médiocrité mora le, ne paroiſſent quaſi point au près des premieres. Mais ces comparaiſons ne détruiſent pas la nature des choſes, & cela n’empêche nullement, que la Vertu Morale des Paiens toute inhabile qu’elle eſt ence quitou che le ſalut éternel, ne ſoit une véritable Vertu. Parler autre ment, c’eſt apporter un jargon nouveau dans l’Ecole, qui me ſemble ſi peu intelligible, que j’oſe prendre à témoin la con ſcience de ceux qui s’en ſervent s’ils s’entendent bien eux mê mes là deſſus.

    Et puiſque nous avons été contraints de leur repliquer ce peu que nous venons de dire, qui n’empèche pas, que nous ne reſpections d’ailleurs le zèle & leur ſcience très conſidérables, ils me permettront, s’illeur plair, que je refute en fort peu de pa roles une préſuppoſition qui ſert de baſe à toute leur doctrine tou chant la Vertu des Paiens., Ils poſent pour un article conſtant, qu’elle n’étoit fondée que ſur la vanité & ſur l’amour propre ; d’où ils concluent qu’elle êtoit vicieuſe, & par conſequent in digne de porter le nom de Ver tu. Nous tombons d’accord, que ceux d’entre les Gentils, qui ne l’ont jamais ſuivie que par de ſi mauvais motifs, ne méritent pas le noin de vertueux ; & nous croions même, que le nombre de ceux-ci étoit ſans comparai ſon le plus grand, puiſqu’il n’y a que trop de perſonnes encore aujourd’hui parmi nous, qui ne ſe portent aux actions, qui pa roiſſent recommandahles, que par de ſemblables principes. Maisnous nions abſolument, que tous les Ethniques euſſent ſans exception le mêine defaut ; & la raiſonjointe à la Charité, nous obligé d’avoir meilleure opinion de quelques uns d’entreeux, te nant pour vraiſemblâble qu’il y en avoit qui n’embraſſoient la Vertu & ne la cultivoient, que pour être agréables à Dieu, & parce qu’ils étoient perſuadés qu’il fe plaiſoit à leur voir faire de bonnes & loüables actions. le nevoudroispour lebien prou ver que les belles Paraphraſes qu’on a fait fur ces textes de Se neque, où il reconnoitque nous ne pouvons entrer en alliance avec Dieu que par le moien de la Vertu : Qu’elle eſt l’unique diſpoſition qu’il demande pour nousàpprocher de lui, qui avoue pour ſes enfans ceux qui la re connoiſſent pour Mere : Et que le Ciel eſt l’héritage de ceux qu’elle veut adopter. Eſt-il pos ſible qu’après avoir fait tenir de tels diſcours à un Infidele, qui parle en effet en mille lieux de ſes œuvres avec la méme pie té, l’on ſe † imaginer que lui & ſes femblables ne fiflent jalnais aucune action de celles qu’ils nommoient vertueuſes, que par une pure vanité ; & ja niais ponr plaire au Cie, ou pour obeir à la volcnté de celui qui ne voioit rien de plus à ſon grè ici
    bas qu’un homme vertueux ? Non video quid habeat in terrir Iupi terpulehrius, ſi convertere animum velit, quam ut ſpectet Catonem, dit Seneque au même livre de la Providence qu’on cite. Qu’on faſſe réflexion ſur tout ce qu’ont écrit là deſſus les Pythagoriciens auſſi bien que ceux de la Secte de Zenon, & on ſera contraint de reconnoitre, que comme ils tenoient les hommes vicieux pour les ennemis capitaux de Dieu, ils croioient auſſi que le même Dieu aimoit les gens de bien, & ceux qui ſuivoient la Vertu ; d’oû l’on ne ſauroits’em pêcher de conclure, que ceux qui avoient de telles ôpinions, ne fuſſent pour faire quelque fois de bonnes actions plûtôt pour ſarisfaire aux Loix Divines, & par la conſidération d’enhaur, que portés de pure vanité, ou de cette ſorte d’amour propre, qui eſt un crime. Cargénéralement parlant, il n’eſt pas toûjours condannable comme l’on vetrt établir ; & quand Dieu nous a commandé † nôtre pro chain d l’égal de nous-mêmes, il a bien montré que nous pou vions avoir de l’amour pour nôtre propre perſonne, ſans of. fenſer ſa Majeſté Divine.St.Tho 1ll4S †’qu’il n’y a que ce lui qui eſt deſordonné, & qui pafſe juſqu’au mépris de nôtre Créateur, qui nous faſſe pêcher. Pluſieurs ont fait diſtinction pour cela entre l’amour propre, & l’amour de ſoi-même. Et Pla ton a dit au cinquiéme livre dé ſes Loix, que la trop grande af fection qu’on ſe porte, eſt la ſource de tous nos pèchés ; qui eſt une ſentence tout à fait E vangelique. Mais il n’y a point d’apparence de condannerindif féremment en qui que ce ſoit toute ſorte d’amour propre. Il n’eſt pas vrai non plus, §l’ai déja obſèrvé dans ce Livre, qu’à parler abſolument ce ſoit un vi ce, comme on le veut faire pas ſer d’aſpirer à la gloire. Il y a une ambition honnête, & un juſte deſir d’honneur, que le Chriſtianiſme ne blâme pas, non plus que le Gentiliſme. Autre ment St. Thomas auroit eu tort de dire qu’on doit élever un jeu ne Prince dans le deſir de la gloi re, pour lui donner le goût des Vertus. Et la doctrine de Chas ſanée conforme à celle des Iu riſconſultes, ſeroit fauſſe, que ce qui ne ſe peut faire ſans la erte de l’honneur, ne ſe peut † tout point faire, à cauſe qu’en ce ſens-là ce qui eſt honteux eſt reputé impoſſible. Que le plus auſtere de l’opinion contraire mette la main à la conſcience, & me diſe fidélement s’il eſten tierement exemt de ce deſir d’être en eſtime, que je ſoutiens n’être pas illicite. Si eſt-ce que les Païens dont on ne peut ſouffrir la moindre ambition, ont été ſi moderés en cela, qu’ils mettoient ſouvent le plus haut point de la gloire à la mépriſer, gloriam qui ſpreverit, veram ha bebit, dit celui-là dans Tite Live Dec. 3.l.a. On n’a qu’à re
    marquer ce beau paſſage pris de la fin d’une des Lettres de Seneque. Qu’un homme veritablement vertueux doit faire littiere de ſa reputation, & fouler aux pieds le point d’honneur, où il eſt queſtion de conſerver fon innocence, Iuſtus eſſe debet cum infamia, & tunc fi ſapit, ma la opinio bene parta deleétat. Ce lui-là ſacrifie à la vaine gloire, & non pas à la Vertu, qui ne fait des actions vertueuſes que pour en tirer de la gloire, quf virtutem ſuam publicari vult, mon virtnti laborat, ſed gloriae. Qu’on me diſe après cela, ſurquoi l’on ſe fonde pour maintenir con tre le ſentiment de tous les Hi ſtoriens, que l’action de conti nence dont uſaScipion àl’égard de cette belle Captive, ne pro cedoit que d’une grande ambi tion, & d’une pure vanité qui le poſſedoit ? Pourquoi n’ima gine t-on pas plûtôt, vû nos conjectures précedentes, que ſon intention étoit de faire unecho ſe qu’il croioit être agréable à l’Auteur de la Nature, parce u’elle étoit vertueuſe ? En ef et, outre qu’il n’y a que Dieu, ui ſoit ſcrutateur des cœurs, qui pénetre juſques dans le plus interieur de nôtre ame, la raiſon, ni les commandemens Divins ne ſouffrent pas que nous uſions d’une pire interpretation ſur ce que font les autres, que celle que nous ſerions bien-aiſe qu’on donnât à nos propres actions. C’eſt la même choſe de toutes celles des Gentils, qu’on prend auſſi en mauvaiſe part contre la fidélité des Hiſtoires, & en donnant le démenti à tous les Auteurs, tant ſaints que profanes, qui les ont pro poſées à imiter ; les premiers aiant ſouvent fait honte aux Fi deles, comme nous l’avons mon tré, de ce que les leurs n’arri voient pas à un ſi haut degré de perfection. N’eſt ce pas déni er d’une plaiſante maniere §de Pithias & de Damon, de dire qu’elle pouvoit proce der de vanité plûtôt que d’affe &tion, & d’ambition que de fi délité ?, Choiſiſſés la plus ver tueuſe action des Chrétiens, & voiés ſi elle ne peut pas être dif famée par ceux qui voudront prendre la licence de la regar derd’un auſſi mauvais côté ? Car d’écrire ſimplement que St.Au ſtin en a quelquefois uſé de †nous avons répondu à cela ſuffiſamment, & i°it voir comment ſon zèle devoit être in terpreté. Il a néanmoins parlé ſouvent d’une toute autre façon ſur le même ſujet, & notam ment dans ſa Cité de Dieu, qu’il nomme lui-même ſon grand œuvre dans ſes Retractations.Et en tout cas tant de Peres de l’Egliſe qui l’ont précedé ou ſuivi, & dont nous venons de rappor ter les textes, ne nous permet tent pas de nous attacher ſi étroi tement à un avis ſingulier dont il s’eſt départi un ſi grand nom bre de fois. Qu’on ſe ſouvien ne de ce que nous liſons dans la Chronique de Proſper Aqui
    tanus, que ſous l’Empire d’Ar cadius & Honorius, un peu avant le commencement de celui de Pharamond dans nos Gaules, & par conſequent du ſiécle mê me de Saint Auguſtin, l’héréſie des Prédeſtinés ſe fit ſentir, qui vint de la mauvaiſe interpréta tion qu’on donnoit aux Ouvra ges de ce grand perſonnage, quae ab §libris male intelle étis accepiſſe dicitur imitium. Ce ſont les propres termes de Pro ſper, que nous conſidéronstan tôt pour avoir été auſſi attaché à la doctrine de St. Auguſtin, que contraire à celle des Pélagiens.

    Mais c’eſt paſſer de beaucou les bornes que je me ſuis pré ſcrites. Ce peu ſuffit pour ré pondre à ceux qui ne veulent pas que jamais aucun Paien ait fait une ſeule action vertueuſe par un bon mouvement, rappor tant les meilleurs œuvres de tous les Ethniques à l’amour propre & à la vanité. Certes il y a trop d’aigreur, pour ne pas dire d’in juſtice, dans un telle propoſi tion. Les plus gens de bien d’entre eux ſe portoient ſans dou te aux bonnes actions, comme je l’ai remarqué, pour ſatisfaire à leur conſcience, qui les obli geoit à ſuivre la Loi Naturelle écrite dans leurs cœurs, & qui n’eſt pas nioins une Loi Divine que celles qui ſont venuês de puis. Dabo legem meam in vi ſteribus eorum, 5 in corde eorum ſcribam eam, dit le Tout-puis ſant dans Ieremie. Tous les que hommes reçoivent en naiſſant un raion de la ſupréme Raiſon, ou du Verbe Eternel qui les con vie à l’obſervation de cette Loi. Ie ſai bien que ſans la Grace ils n’avançoient rien en ce qui con cerne le ſalut éternel. Mais il n’eſt pas vrai, comme on l’avou lu dire, que cette Grace n’ait point été donnée aux homines avant la venué du Fils de Dieu. St. Epiphane a refuté les Mani chéens, qui ne vouloient pas que perſonne eût été ſauve avant la 15. année de l’Empire de Ti bere. Et nous apprenons du Pape Leon, que la Grace a été dès le commencement du mon de en vertu du Verbe Divin. Tout le bien que l’homme a fait depuis ce tems-là, a été par une Grace qu’il a reçûë de Dieu, comme Auteur de la Nature, ſi · le bien n’étoit que naturel ; ou du même Dieu comme Auteur d’une plus haute Grace, ſi le bien étoit ſurnaturel. Tant y a que je n’ai jamais penſé à ſau ver determinément pas un Gen · · til, pour vertueux qu’il ait été, quoique j’aie dit qu’à l’égard de Socrate ou de ſes ſemblables dont St. Iuſtin & aſſez d’autres Peres ont eu très bonne opinion, il y avoit peut être de la temé rité à ſoutenir leur dannarion, & à dénier que Dieu par une Grace extraordinaire ne pût leur avoir fait miſericorde. Or ſans parler d’aucune des queſtions de la Grace, oû je n’entre point, je repete ſeulement, qu’encore que les Vertus Morales des Paiens fuſ
    ſent ſteriles pour le Ciel, ce n’eſt pas à dire pourtant qu’elles ne fuſſent pas Vertus, & beau coup moins qu’elles fuſſent des vices dans leur principe qui n’ait été que vanité. Ils les ont conſidérées & ſuivies pour l’amour du Ciel, dont ils ont crû qu’el les tiroient leur origine. Pindare Ode 6. Iſthm. les nomme ſur cela, δεοδμάτήζ άγετάζ, à Deo inſi tas virtutes vel collatas. Et dans l’Ode… Pyth. il reconnoit que toutes les vertus, ſoit du corps, ſoit del’eſprit, viennent de Dieu. Mais quandles meilleures actions des Gentils n’auroient pas eu cet te intention formelle & expreſſe de plaire à Dieu, il ne s’enſuit pas néanmoins qu’elles fuſſent vicieuſes ; puiſque la Morale même Chrétienne nous apprend, qu’il ſuffit pour en faire de vertueuſes, qu’elles ſe rappôrtent finon actuellement, pour le moins tiftuellement à Dieu ; ce qui arrive quand nous faiſons avec affection une œuvre à cau ſe qu’elle eſt bonne, parce que c’eſt aimer par là tacitement cet te éternelle Bonté, dont ellé par ticipe, & cette infinie Sageſſe qui eſt la premiere & ſouverais ne Loi de tout ce qui eſt Bien. Saint Thomas 2.2.qq. 2 ;. art. 7, in concl. nous apprend d’ailleurs, qu’une Vertu, pour être inipax faite, ne laiſſe pas d’être quel quefois une véritable Vertu, erie quidem vera Virtus, ſèd imperfe étu, mifi referatur adfinale ès’per fectum bonum : ce qui peut ſervir de fondement & de reſolution à toute cette queſtion.

    Si les Paiens n’avoient point eu de vertus, ni fait jamais au cunes bonnes œuvres, parce qu’elles étoient inutiles à leur ſa lut, ne s’enſuivroit-il pas qu’au cun Héretique n’auroît la moin — dre vertu, vû que par cetre do ctrine ſes meilleures actions ſe roient des crimes, puiſqu’il n’y a point de ſalut hors de l’Egli ſe ? Il ne faudroit donc jamais demander juſtice à un Iuge au tre que Catholique, ni a un Prince Infidele, parce que c’eſt les exhorter à faire du mal, vû qu’ils ſont incapables de tout bien, & qu’il n’y a point ſelon le ſentiment contraire d’actions indifférentes. Et il reſulte enco re, il me ſemble, cette conſequen ce du précepte général que Dieu a donné à tout le genre humain, de travailler, qu’il a commandé le pèchéen commandantl’action, eû égard à ceux qui n’en peu vent faire aucune qui ne ſoit vicieuſe… Pour le moins ne ſau roit-on nier qu’il ne les eût obli gés à l’impoſſible ; ce qui eſt di rectement contre la determina tion du Concile de Trente, Deus impoſſibilia mon jub t. Outre que par la doctrine même de Saint Auguſtin, lib. 5. de lib. arbitr. c. 18. il n’y a point de pêché en ce qui ne peut être évité, quis pec cat in eo, quod cavere mullo muo de poteſt ? En vérité, il y a de quoi s’étonner, que des gens qui avancent de ſi étranges maxi mes, oſent ſe moquer des Pa
    radoxes du Portique, étant cer tain qu’ils en debitent qui ont beſoin d’autant de faveur pour être ſoufferts, que tous ceux des Stoïciens vid. Iamſ de la reform. del’homme int. Ne voions-nous pas dans des livres imprimés de puis peu, qu’il n’eſt pas permis de prendre plaiſir à l’harmonie des ſons & des voix ? Que ces perſonnes font un crime de la curioſité de connoitre les cho ſes, ce qu’ils appellent concu piſcence des yeux, & vain de ſir de ſavoir, pallié du nom de ſcience : Qu’ils nomment mala dies de l’ame la recherche des ſecrets de la Nature : Qu’ils ne penſent pas qu’on puiſſe regar der ſans pècher, une araignée, qui prend des mouches dans ſes toiles : Et qu’ils condannent cet te autre curioſité d’apprendre non ſeulement ce qui ſe fait en Aſie, mais même ce qui ſe pas ſe au dedans de nôtre pais, ſur la terre ou ſur la mer, ce ſont leurs termes. Ie n’ignore pas que toutes ces penſées ſe peu vent expliquer pieuſement, & †ont été écrites dans des entimens de grande devotion : Mais je les rapporte pour faire voir, que, comme elles ne doi vent pas être priſes à la lettre, ni à la rigueur ; ce qu’ils difent de la Vertu des Paiens a beſoin de même d’une favorable inter prétation. Elle n’eſt pointVer tu, & paroit un vice comparée à celle des Chrétiens, qui eſt ac compagnée, d’une grace ſpé ciale, nous en demeurons d’ accord. Mais qu’on ne lui puiſſe donner abſolument le nom de Vertu Morale, priſe our une conſtante diſpoſition àbien faire & à ſuivre la raiſon, ſelon la definition dont l’on a convenu de tout tems dans l’Ecole, c’eſt ce qui eſt entierement parado xique, & à quoi il n’eſt pas poſſi ble de donner les mains, vû le ſentiment contraire de tous les Docteurs de l’Egliſe, qui n’ont pas moins reſpecté St.Auguſtin, † ceux qui le veulent prendre garent d’une telle doctrine. De même que ce ſeroit une mo querie de ſoutenir que les Gen tils n’avoient nulle ſorte de ſa voir, qui eſt une vertu intelle ctuelle, ſur ce prétexte qu’ils ne poſſedoient pas la ſcience qui eſt dans les Livres ſaints. Il n’eſt’pas plus ſelon la raiſon de prétendre qu’ils n’aient eû au cune Vertu Morale, pour n’avoir pas été gratifiés de celle qui vient du Ciel par une grace ſur naturelle. Dirons-nous ſans être ridicules, qu’Ariſtote, Eucli de, & ces autres grands Mai tres des ſciences, n’étoient que des ignorans ? C’eſt la même choſe de ſoutenir que Socrate, Ariſtide, & leur ſemblables, ſi nous leur en pouvons donner, n’eûrent jamais de Vertu, & ne commirent en toute leurvie que des crimes. Voiés en quels ter mes la Philoſophie parle de So crate, d’Anaxagore, & de Se neque, en conſolant Boêce, Lib. z. de conſol. Philoſ proſ 3. & vous jugerés facilement, que les Chré
    tiens de ſon tems étoient bien éloignés de ces opinions ſi ex trèmes & ſi inhumaines. L’idolâtrie même de quelques Eth niques ne corrompoit pas de telle ſorte tout le bien de leur nature, qu’ils ne puſſent faire aucune bonne action. Tant s’en faut, comme on aſſure qu’il ne croit nulle part de plus beau gazons, ni d’herbe qui ſoirplus. verte, qu’au ſommet d’Etna, & de ces autres Montagnes qui vomiſſent des feux preſque con tinuels : on rémarque de même que les plus beaux exemples de Morale ſe trouvent dans les ſié cles les plus corrompus ; la Ver tu s’y fortifie contre le vice : & l’oppoſition des contraires fait qu’ils éclatent au double de part & d’autre. Il faut chan ger tous les principes de la do ctrine des mœurs, ou reconnoi tre que les vertus & les vices, ſont ſi peu incompatibles, qu’ils logent preſque toujours en mê me lieu. Car quoique Virgile pour nommer Buſiris le plus méchant des hommes, l’appelle Illaudatum, comme celui qui n’aiant nulle bonne qualité, ne méritoit par conſequent nulle loüange, ce qui le rendoit le plus déteſtable qu’on ſe puiſſe imaginer vid. Macrob. 6. Satur. c. 7. Si eſt-ce qu’il faut prendre cela Poétiquement, Buſiris n’aiant pas laiſſé d’avoir quelques parties recommandables, & quel ques vertus enſevelies dans la multitude & l’extremité de ſes vices. En effet, nous aprenons de Quintilien Lib. 2. Inſtit.c. 17. que ces derniers n’empêchèrent pas qu’un Policrate ne devint ſon Encomiaſte, & n’écrivit ſon E loge auſſi bien que celui de Cly temneſtere, pour tenir compa gnie à l’accuſation de Socrate. loſephe Lib. 20.Antiq. Iud. c. 7. n’a fait nulle difficulté de nom mer cette indigne compagne de Neron, cette célébre Poppée, une femme pieuſe, parce qu’el le avoit favoriſé la demande des Iuifs. C’eſt au même ſens que Lactance Lib. j. de Iuſtitia c. 15. attribué aux anciens Romains la Foi, la Temperance, la Probi té, l’Innocence, & l’Integrité, quoiqu’ils ne poſſèdaſſent pas cette exacte§ qui dans la connoiſſance du vrai Dieu, fait que nous lui rendons le culte que tous les hommes lui doivent. Et nous avons rapporté le pas ſage de Saint Grégoire de Na zianze, Orat. 19. où il dit, que les vertus de ſon pere Infidele avoient été recompenſées du don de la Foi, & que ſes mœurs’l’avoient rendu Chrétien devant qu’il en fit profeſſion. Car il faut rémarquer qu’il étoit alors de la Réligion des Hypſiſtariens, compoſée du Gentiliſme & du Iudaïsme. L’on s’y moquoit des Idoles, mais le Feu y étoit honoré & les Lampes reſpectées, quoi qu’on n’y adorât qu’un ſeul Dieu : La Circonciſion n’y étoit pas reçûé : Le Sabbat néanmoins s’y fêtoit & l’on y obſervoit l’abſtinence de certaines viandes comme parmi les Hébreux. Ces impure-

    tés n’ont pas empêché Saint Gré goire de parler aux termes que nous avons dit, de celui qui é toit encore Iuif & Gentil. Et certes, je ne ſaurois aſſez m’étonner de ceux, qui ſous le prétexte d’embraſſer fort étroitement la doctrine de Saint Auguſtin, s’éloignent ſi formellement de cel le de tous les Peres Grecs & La tins, dont l’Egliſe a les Ouvrages en ſi grande recommandation.

    Cet endroit me fait ſouve, nir de repartir un mot à l’objection de quelques-uns, qui ſe ſont imaginé, à ce que j’apprens, qu’après avoir convaincu Ariſto te d’Idolâtrie par ſon Teſtament, je ne laiſſois pas de le ſauver. Ie répons qu’il n’eſt pas vrai que je l’aie fait. Mais que la faus ſeté des Teſtamens n’étant pas fort extraordinaire dans la vie civile, & conſidérant que ceux qui ont mis ce Philoſophe entre les Bienheureux, avoient pû voir auſſi bien que moi ce qu’on é crit de ſa derniere volonté, je n’ai pas voulu le condanner dé terminément aux peines éternel les. Auſſi que Coelius Rhodi ginus lui donne une répentan ce à l’article de la mort, que Collius ſoutient avoir pû mettre Anaxagore dans le Paradis. Cer tes, les voies de Dieu auſſi bien que ſes jugemens ſont impéne trables. Et l’Egliſe n’aiant rien prononcé § c’eût été une témerité à moi d’y rien défi nir ; encore ue j’aie aſſez témoi— — gné que ſi ! Idolâtrie d’Ariſtote qui paroit dans ſon Teſtament, eſt la véritable, je ne doutois point de ſa dannation. Melius eſt du bitare de occultis, quam litigare de incertis. C’eſt une regle de Saint Auguſtin, Lib. $. de Gen. ad lit. cap. 5. dont je m’étonne que ceux qui ſe diſent tant ſes Sectateurs ne font mieux leur profit.
  69. Parad. 5. cap. 107.
  70. Cap. 18.
  71. 2. 2. qu. 2. art. 7.
  72. (r) Je n’ai pas écrit touchant la Foi implicite des Paiens, qu’elle n’étoit rien autre choſe que la connoiſſance naturelle de Dieu. Je n’ai jamais parlé de la Foi, ni de la Grace, que com me de dons du Ciel, & de pré ſens gratuits, que Dieu fait aux hommes. Ie dis après St. Tho mas, que cette Foi implicite des Paiens conſiſtoit en la confian ce qu’ils prenoient ſur la miſericorde de Dieu, laquelle leur faiſoit croire qu’il étoit le Liberateur des hommes par les moiens
    dont il lui plaiſoit d’uſer, & ſe lon que ſa Providence en avoit ordonné. C’eſt être bien inju ſte de m’imputeraprès cela, que je fais dépendre la Foi implici te d’une nuë connoiſſance de quelque Divinité. Ie maintiens ſeulement, qu’il eſt fort vrai ſemblable, que ceux d’entre les Gentils non idolâtres, qui pos ſedoient un ſi parfait uſage de raifon & de lumiere naturelle, que St. Juſtin les a pour cela nommés Chrétiens, ont été quelquefois favoriſés de la Gra ce extraordinaire, & ont eu cet te Foi implicite que le Docteur Angelique & toute l’Ecole leur attribué., Mais il eſt aiſé de re connoitre que ce qui choque le plus ici ceux de qui nous nous plaignons, c’eſt la différence qu’on met, ordinairement, & dont nous n’avons pas fait difficulté de nous ſervir, entre la Foi obſcure ou envelopée, & celle qui eſt nette ou expliquée, ce que ſignifient les mênies mots ſimplicite & d’explicite. Certainement il y a lieu d’admirer leur hardieſſe, pour ne pas emploier un plus rude not, à ſe moquer d’une diſtinction ſi néceſſaire, comme ſi c’étoit une impieté que d’en uſer, ſous ce prétexte qu’on ne la voit point †† † qu’on fairientendre par là fort clairement, & au ſens qui ne leur plait pas, ce qui peut être douteux dans beaucoup de lieux de la Sainte Ecriture, & de St. Auguſtin même, ſur la matiere que nous venons de traiter ; ils ne font pas de moindres inve &tives contre cette ſolution, qu’ils pourroient faire ſi nous la te nions de quelque dangereux Hé réſiarque, vid. Iamſ de ſtatu mat. lapſ c. 4.16. 5 fere ubique. A la vérité, ils ſuppriment autant qu’ils peuvent le nom de St.Tho mas, qui nous l’a tranſmiſe a près l’avoir reçûë de ſes maitres : jugeant bien que de mal parler d’un ſi grand perſonnage, c’eſt autant envers pluſieurs perſon nes que de ſe condanner ſoi-inê 1ne. Mais n’eſt-ce pas à peu près la même choſe, d’accuſer, com me ils font, ſa doctrine d’héréfie, & de nommer tantôt Sua rez, & tantôt un autre, Pélagiens ou du moins Semi-Pelagiens, parce qu’ils la ſuivent. Quiconque prendra garde de quelle façon tous les Hérétiques
    ſe moquent de la même diſtin étion dans leurs Livres, s’étonnera que des Catholiques oſent entrer dans une ſi grande liaiſon de ſentimens avec eux.

    Ie ne parle pas ainſi pourbles ſer en rien le zèle de ceux, qui condannent l’opinion que j’ai ſoutenué dans ce Livre. Rien ne m’empêchera de reſpecter le ſavoir & la pieté de beaucoup d’entre cux de qui je tiendrois à honneur d’être inſtruit aux choſes où je me puis être mé pris, n’étant pas ſujet à m’opiniâtrer, par la grace de Dieu, comme je le ſuis à faillir. Et je proteſte avec vérité que le res ſentiment contre des particu liers, qui ſe ſont efforcés de dé crier mon travail, n’eſt pas ce qui m’a fait ajoûter ces remar ques à la premiere impreſſion. Il y a longtems que je ſai qu’on ne doit jamais entreprendre d’écrire ſi l’on n’eſt reſolu de mé priſer cette ſorte de Critiques, & toutes leurs perſecutions. Les œuvres mêmes du Tout puiflant ont trouvé des Controleurs. Et je ſuis aſſez averti qu’il ne ſort point de Livre en publie ſans ces petites traverſes, comme s’il étoit des productions ſpirituel les de même que des véritables accouchemens, qui ne ſe paſſent jainais, quelque favorables qu’ils ſoient, qu’on n’y ſouffre des trenchées C’eſt pourquoi l’on ne ſauroit peut-être ſe propoſer rien de plus vain, ni de moins reüſſible, que de recevoir l’ap probation d’un chacun. Auſſi n'ai-je jamais aſpiré à choſe ſemblable, ſelon que je me ſouviens de l’avoir déjà déclare dans d’autres Ouvrages que celui-ci. Et bien loin d'avoir de ſi creuſes penſées, j'ai fait de tout tems mon profit de ce que diſoit un Philoſophe nommé Bion, il me ſemble, qu'à moins que d'être converti en quelque friand gâteau, ou en vin de Thaſo, le plus eſtimé de ſon ſiécle, il étoit impoſſible de plaire à tout le monde. Mais encore faloit-il faire voir la calomnie de ceux qui m'imputoient d'avoir cité à faux les auteurs que j'avois pris à garent. En effet, je n'ai rien avancé au ſujet de la vertu des Païens, que ce que les Peres de l'Egliſe, & les plus grands Scholaſtiques nous ont enſeigné. Le Bibliothéquaire Eugubinus, Evêque de Kifame, a compoſé dix livres de perenni Philoſophia, qu'il dédie au Pape Paul III, & où il prouve, mais principalement dans le dernier, que tous ces renommés Philoſophes des Gentils :nommément Platon & Ariſtote, ont eu une Philoſophie trés conforme à nôtre Théologie Chrétienne. Il ne ſe trouvera point que j'aie parlé d'eux ſi avantageuſement dans tout
    mon Livre, ni que j'aie fait plus d'état des Vies de ces Philoſophes anciens, compoſées par Diogene Laërce, que de celles de nos Saints ; quoique Melchior Camus Lib. 1. de locis c. 6. ſe ſoit diſpenſé d'écrire, que les premiéres avoient été dreſſées beaucoup plus séverement, & plus judicieuſement que toutes nos Legendes ; leur préferant encore ce que Plutarque nous a laiſſé des Hommes Illuſtres, & Suetone des douze premiers Ceſars. C'eſt ce que je soumets au jugement d'un équitable Lecteur, aiant appris de Clement Alexandrin Lib. 1. Strom. à ne me ſoucier guères d'être repris, pourvû que je ne le puiſſe pas être avec raiſon. ses paroles ſont très conſidérables pour tous ceux qui ſe mêlent de mettre la main à la plume ἒκ οῗμαι εγάζ τινα ετουζ έυτυχή γραφην εγείσθαι, ή μηδεειζ άντεζει άλλέκει την έυλογον νομιζιον, ή μηδείζ έυλογονυζ άντεζεί, &c. Nullam enim exiſtimo ſcripturum aliquam ea fortunatam procedere, cui nullus omnino contradicat : ſed illam exiſtimandum eſt eſſe rationi conſentameam, cui nemo jure contradicit.
  73. Cap. 1.
  74. Cap. 7.
  75. 2. 2. qu. 2 art. 7.
  76. Parad. 5. cap. 115.
  77. Vers. 3.
  78. 1. ſent. diſt. 93. & alibi.
  79. Serm. pro fid. deſ.
  80. L. 4. c. 13. In Enchologio, cap. 96. de mortuis.
  81. (s) La prière qu’on lit dons l’Euchologie eſt conçuë en ces termes : Ut voluntate tua Theclam primam Martyrem exaudiſti pro matre Vua Idoleram cultrice orantem, nec ipſius preces contemſiſti, verum ut ſunane bonus acreconciliata facilis, veniam
    Ipſi conceſſiſti : ac vurſum admodum Trajadum per tant ſervi tui Gregorii Dialo torceſſionem flagro Volviſti, et etiam nor teorantes, non pillorni cultrice, ſed pro fideli tuo, qui te proſper imbecili ad inacundiam provocavit.
  82. Cui tirulus, quod qui in fides, &c.
  83. Cap. 10. v. 18.
  84. C. 1. v. 6.
  85. Cap. 1.
  86. 2. 2. qu. 206. art. 4. ad 4.
  87. Ep. 78. & 80.
  88. Socrat. 1. Hiſt. c. 15. & 16. Theod. 1. Hiſt. c. 23. Rufinus, 1. Hiſt. c. 19.
  89. Cap. 8.
  90. Lib. 1. hiſt. c. 3. & l. 7. cap. tilt.
  91. Ale. hæc. lib. c. 24.
  92. Lib. de Hæreſ.
  93. Alius Lampridius in civa cita.
  94. Can. 4 & 5. Can. 6-7. Cant. A rauſ. II.
  95. 2. primus Can.
  96. Lib. 3. de Trin. c. 31. l. 3 c. 35. & ſuequ. Enſ. Hiſt. Eccl. l. 4. cap. 27.
  97. Gaiani hæretici
  98. (t) Si l’on veut conſidérer ce que j’ai préſuppoſé ici, on ne m’accuſera pas d’avoir ajoûté à mauvaiſe intention un peut étre & l’on n’a aucune raiſon de mal interpreter ce mot. En effet, je poſe dans tout mon Livre pour asſuré, qu’aucun Paiem, pour vertueux qu’il ait été, n’a pû ſe ſauver ſans la Grace furnaturelle. Et le peut être, dont on fe plaint, ne regarde que ceux, qui me l’ont pas euë, du defaut de quoi nous deſeſperons à bon droit de leur ſalut. Car nous me tenons pas que les Chrétiens mêmes qui ont la Foi explicite, puiſſent arriver à la felicité éternelle ſans la Grace. Si j’avois dit que les Païens vertueux étoient peut étre ſauvés ſans la
    Grace, je ſerois condamnable. Mais c’eſt tout le contraire, & j’écris ſeulement, qu’ils ont reçu peut être une Grace ſurnaturelle, au moien de laquelle ils ſe ſont ſauvés, & par conſequent ſans laquelle il n’y a point eu de ſalut pour eux. Au cas néanmoins qu’on trouve que ce peut être ait quelque ambiguité qui porte un ſens contraire au mien, je conſens de bon cœur qu’il Joit raſé.

    Pour les autres erreurs que je puis avoir cômmiſes, & qui ne ſont pas venuës à ma connoiſſance, je ſouffrirai toûjours d’autant plus patiemment d’en étre repris, que je me ſai rien qui ſoit plus humain que de faillir & de ſe méprendre.
  99. Aduſ. ad Gentes. 15.
  100. (u) Nous ne pouvons pas mieux finir cette premiere partie que d’inſerer ici l’Extrait du troiſiéme Tome de la Philoſophie Françoiſe compoſée par Monſieur de Cerizieres, Au monier de Monſeigneur le Duc d’Orleans ſur la diſpute de la Vertu des Païens.

    Mon deſſein n’eſt pas de me rendre arbitre de l’importante querelle, qui s’eſt aujourd’hui réveillée entre les Diſciples de Ianſenius & ceux qui les combattent : j’ai trop de connoiſſance de moi-même pour ne pas avoüer qu’il y a de plus habiles gens que moi dans l’un & l’autre parti. Ie les revere tous ſi parfaitement, que je ſuppoſe qu’ils ont les uns & les autres quelque raiſon. Et partant ſans me mêler de leur différend, pour conclure cette petite Morale, je veux bien dire mon ſentiment sur l’eſtime de la vertu des Infideles ; & ſans lui donner tout le prix que quelques-uns ne lui refuſent pas, lui accorder ce que perſonne ne lui doit diſputer. Ie ſai qu’il y a des perſonnes fi zèlées pour la Grace, ou ſi ennemies de la Nature, qu’elles ne veulent pas qu’un Païen ait
    jamais fait une bonne action ; au contraire leur opinion eſt que le principe de leurs actions étant infecté du Pèché Originel, & privé des ſecours de la Grace, il faut conclure qu’elles ne pouvoient être que mauvaiſes. On ſait St. Auguſtin Auteur de cette rigoureuſe doctrine ; mais pour ne point faillir dans un ſujet de cette confidération, je prétens faire l’Apologie de ce grand homme, puis de montrer le ſentiment des Peres, & en dernier lieu de marquer ce que chacun en peut croire ſans erreur.

    Pour le premier, j’eſtime que cet incomparable Prélat n’a pû ſe contredire, & partant qu’il n’a pû condanner les vertus des Infideles, puisqu’il les a tant de fois loüées. N’a-t-il pas dit que la vertu de Caton a été plus parfaite & plus voiſine des vertus de l’Evangile, que celle de Céſar ? Y a-t-il apparence qu’il comparât la conſtance, la juſtice & le courage de ce Romain aux vertus du Chriſtianiſme, s’il n’avoit eu que des vices ? Mais pour ne pas s’arrêter à un ſeul paſſage, ne nomme-t-il pas en un endroit la continence de Poismon un don de Dieu ? en un autre il louë les aumônes que le Centurion Cornelius faiſoit a vant que d’être bâtiſé ; il parle avec eſtime de la bonté d’Asverus ; il fait des éloges des rares exemples de Seneque ; il appelle Ariſtote homme de bien, & croit que Platon eſt ſauvé. Et pour produire une preuve invincible de ſon ſentiment, n’avance-t-il pas dans le cinquiéme livre de ſa Cité, que les Romains reçûrent l’Empire de l’Univers, en vûë de leur vertu : d’où il faut conclure, que ce grand homme a jugé, que leurs actions Morales étoient bonnes, ou que Dieu recompenſoit le vice. Ie ſai bien que cet invincible Protecteur de la Grace a ſouvent parlé en ſa faveur, & que pour détourner les Pélagiens de leur erreur, il rend les actions du franc-Arbitre fort ſuſpectes. Ie n’ignore pas, qu’il prononce en beaucoup d’endroits de ſes Ecrits, que les vertus des Idolâtres n’étoient pas de véritables vertus. Mais qui ne voit qu’on dit qu’un Diamant de Veniſe n’eſt pas un véritable Diamant, ſans dire qu’il ne vaut rien ; & que St. Auguſtin a pû aſſurer, que les vertus des Païens étoient fauſſes à l’égard de la gloire éternelle, qu’elles ne peuvent mériter ; ou qu’elles n’étoient pas véritables, ſi on les comparoit aux vertus infuſes des Chrétiens ? Vouloir que cet Atlas de la Foi ait été Semipélagien, quand il a favorablement parlé
    des bonnes actions des Infideles, c’eſt lui faire outrage pour lui rendre de l’honneur, & ignorer volontairement qu’il n’a écrit la plûpart des choſes que j’ai rapportées, que dans ſon extreme vieilleſſe ; & que ſes Retractations, qui ont des cenſures pour des ſentimens plus innocens que ceux qui approcheroient de l’héréſie, ne diſent, rien contre ceux-ci.

    On ne peut douter que tous les Peres n’aient tenu les Vertus des Païens pour de véritables vertus, & qu’ils ne les aient loüées. Juſtin le Martyr, Origene, Saint Baſile, Saint Ambroiſe, & Saint Chryſoſtome ne font point de difficulté de nommer quelques Infideles patiens, miſericordieux, ſages, juſtes & temperans. Saint Jerôme plus expreſſément que pas un d’eux, ſoutient ſûr l’Epitre aux Galates, que les Païens ont fait des actions pleines de ſainteté & de ſageſſe ; & ſur Ezechiel il aſſure que Nabuchodonoſor reçût des recompenſes temporelles de Dieu : parce qu’il avoit juſtement chatié la ville de Tyr. Qu’on examine ceux, qui ont écrit depuis ces célébres Docteurs juſqu’à Saint Thomas, on les trouvera tous conformes dans ce même ſentiment.

    Et à n’en point mentir, il ſemble qu’ils ne peuvent en avoir d’autre ſans choquer l’Ecriture & la raiſon. Le vieux Teſtament publie cette vérité en beaucoup d’endroits, & témoigne que les action purement morale des Infideles avoient quelque ſorte de mérite. Ainſi dans l’Exode les deux Sage-femmes Phua & Sephora reçoivent la bénediction de Dieu, pour avoir épargné les Enfans Hébreux, contre le cruel commandement de les faire mourir. Ainſi Daniel exhorte Nabuchodonoſor de racheter ſes pêchés par les aumônes : & pour ne point oublier la Loi de Grace, n’y avons-nous pas le témoignage que le Saint Eſprit rend à l’Eunuque de la Reine de Candace, qui par le bon uſage des foibles lumieres qu’il avoit, invita la bonté de Dieu de lui communiquer les ſurnaturelles ? Ie dis qu’il l’invita, non point qu’il les meritât ; parce que je ſai bien que la volonté de l’homme ne peut rien pour ſon ſalut, ſi elle n’eſt ſecouruë de la Grace ſurnaturelle de Jeſus Chriſt. Cela ainſi ſuppoſé, ne ſommes nous pas contraints d’avoüer, que Dieu a recompenſé de méchantes actions, ou que celles de ces deux femmes Infideles ont été moralement bonnes ; & que Daniel exhortoit Nabuchodonoſor à des crimes, le portant aux œuvres de pieté, s’il eſt vrai qu’on ne puiſſe rien faire d’agréable à Dieu ſans un ſecours ſurnaturel ? Voici la raiſon. Pourquoi la volonté de l’homme conſidérée dans la pure Nature, ne ſe pouroit-elle pas élever à quelques actions loüables & vertueuſes ſans la Gracé, de la même façon, que
    ſon Entendement peut connoitre beaucoup de vérités naturelles ſans l’aſſiſtance de la Foi ? N’eſt-il pas ridicule de dire, que parmi les Païens un enfant qui ſaluë ſon pere, & qui par une pieté naturelle lui rend ſes devoirs pèche ? Qu’un homme qui s’expoſe pour le ſalut de ſa patrie, qui ſoulage la miſere de ſon prochain, ou qui ſe fait violence pour ne pas tomber dans quelque impureté, quoi qu’il ſe porte à ces actions par le ſeul motif de l’honnêteté qu’il y a dans ces actions, ſe ſoüille de crimes ? Certes, les Saints Peres n’auroient pas tant loüé l’action de ce Spurina, qui pour ne point donner de ſales mouvemens aux femmes, ſe défigura volontairement, ſi ſa généroſité étoit indifférente ou vicieuſe.

    On exclame ici que cette doctrine va inſenſiblement dans l’indifférence des Réligions, qu’elle ruine la Grace du Sauveur, établiſſant un autre principe du mérite que ſon Sang. A n’en point mentir, ſi elle étoit ſi outrageuſe à ſa bonté, que de renverſer ſa Croix : j’eſtime qu’il n’y auroit pas aſſez de ſupplices dans l’Enfer même pour punir ceux qui oſeroient la publier. Mais il y a grande différence entre faire des actions, qui ſoient moralement bonnes, & en faire qui le ſoient Chrétiennement ; celles-là étans inſuffiſantes, celles ci abſolument néceſſaires au ſalut. Il y a grande différence entre ce qui n’eſt pas digne de la gloire éternelle, & ce qui ne mérite que les ſupplices de l’enfer. On peut dire que les actions moralement bonnes des Païens ont été déſagréables à Dieu, en tant qu’il ne les a pas acceptés pour leur ſalut, mais on ne ſauroit dire ſans offenſer ſa bonté & la juſtice, qu’il les trouve indignes de quelque petite recompenſe temporelle, bien moins qu’elles méritent poſitivement ſon indignation
    A ce que l’on oppoſe avec tant de chaleur, que cette doctrine met des fondements à l’indifférence des Religions, je voudrois bien qu’on me le fit voir. Je n’ai jamais ouï que pas un de ceux qui recognoiſſent les actions morales des Païens pour bonnes, eût aſſez de témérité pour aſſurer qu’elles ſoient ſuffiſantes au bonheur de la vie éternelle. Il n’y a que le ſang du fils de Dieu qui montre juſques là. Tout ce qui fait l’homme hors du ſecours de ſa Grace, ne ſont que de foibles élans qui ne l’élèvent pas de la Terre. Si la Vertu Morale ſeparée de cette aſſiſtance le peut ſauver, pourquoi veut-on qu’elle le danne ?

    Mais quoi ; s’il ſe trouvoit un homme qui vécut moralement bien au milieu de la Gentilité, ſeroit-il ſauvé en vûe de ſes actions vertueuſes ? Il n’y a perſonne aſſez impie pour le
    ſoutenir ; je dis au contraire, quelque pieté naturelle qu’il eût, que toute ſa vertu lui ſervirroit à rien que pour flèchir la miſericorde de Dieu à quelque ſecours ſecret de la Grace ſurnaturelle, qui le tireroit de ſon impuiſſance : Parce que je ne me ſaurois perſuader que la Providence manque à ceux qui font tout ce qui eſt en leur pouvoir, & qui ne laiſſe aucun bien qu’ils connoiſſent. J’avouë qu’il eſt preſque impoſſible de ſe conſerver dans cette innocence naturelle ; mais ſuppoſé que par une conduite extraordinaire quelqu’un ſe garantit du pèché, & qu’il s’xerçât dans tout le bien que ſa raiſon lui dicteroit, j’eſtime qu’il y auroit du blaſpheme de dire que la bonté de Dieu l’abandonnât dans cet état ; & je tiens avec beaucoup de ſavans Théologiens, qu’il ſeroit plûtôt un miracle, que de laiſſer perir par le defaut d’un ſecours, qui ne lui peut venir de lui. Et en cela je n’avance rien qui ſoit injurieux à la Grace de Jeſus Chriſt, puiſque j’avouë qu’un Païen ne peut rien faire de méritoire pour la gloire, ſans elle ; mais je maintiens ſeulement, que comme elle a remonté avant la NaiVVance du Meſſie à ceux qui parmi les Païens vivoient moralement bien ; de même qu’elle s’écouleroit à ceux, qui ſous les Poles de l’Amerique ſe tiendroient exactement à la pratique de cette juftice, que la raifon naturelle leur inſpire. Le ſang du Sauveur eſt un fleuve de miſericorde & de bonté, qui eſt dans le Monde pour le rendre fécond en. bonnes œuvres ; s’il arroſe tout ouvertement l’Egliſe, & qu’il ſe précipite à gros bouillons à ceux qui ont le bonheur d’y vivre, ne ſoions pas ſi cruels que d’en envier certains petits filets, qui s’échappent par des conduits ſecrets & caches à la prudence humaine, & qui vont chercher au fond de la Barbarie ces pauvrets âmes, à qui la droite raiſon a ſervi de Loi au defaut de l’Evangile. Elles ne ſont pas directement dans l’heureuſe Catégorie de l’Egliſe, je l’avouë, mais elles y font indirectement par l’ardent deſir d’y être ſi Dieu leur avoit entierement manifesté ſes volon-
    tés. En voilà aſſez ſur ce ſujet, ceux qui veulent plus d’éclairci peuvent avoir recours aux Théologiens, ou ſans ſe donner la peine de les conſulter, lire cet excellent ouvrage de la Vertu des Païens dont le titre a fait peur à beaucoup de perſonnes, qui pour n’avoir pas eu la connoiſſance de ce qu’il traitoit, ſe ſont ſoulevés avec trop de zèle contre le deſſein de ſon Auteur, qui eſt plutôt d’honorer la grace du Meſſie, que de trop accorder au franc Arbitre. Beniſſons Dieu de ce qu’il nous communique ſes faveurs avec plénitude au milieu des Sacremens & ne croyons pas qu’il en refuſe quelque légère participation à ceux qui par le bon uſage de leur liberté ſollicitent ſa bonté de leur faire la même grace.