Lamothe Le Vayer/T5/P1/De la vertu de payens/Partie II

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Œuvres (1756)
Michel Groell (Tome 5, Partie 1p. 102-389).

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DE LA VERTU


DES


PAYENS.


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SECONDE PARTIE.


Sen. lib. 4. de benef. c. 26. & l. 5, 6, 15.
L a Morale des Stoïciens a été repriſe par tout le reſte des Philoſophes, d’avoir rendu les Vertus ſi inſéparables les unes des autres, qu’il étoit impoſſible à leur dire, d’en poſſeder une ſans les avoir toutes. Par le même raiſonement il ne ſe pouvoit faire qu’un homme vertueux eût le moindre vice, parce que celui qui ſe rendoit coupable d’un ſeul, le devenoit de toute sorte de crimes. Et lab. 4. comme Hérodote écrit qu’une petite fontaine de Scythie infecte de ſon amertume tout le fleuve Hypanis qu’il met entre es plus grands ; l’opinion de ceux de cette ſecte étoit, qu’un ſeul défaut dans les mœurs rendoit un homme tout à fait vicieux, nonobstant toutes les bonnes habitudes qu’il avoit acquiſes auparavant. A la vérité, ſi cette doctrine fût paſſée pour véritable, il n’y auroit pas lieu de mettre aujourd’hui en queſtion, ſi les Pa ïens dont nous voulons parler, méritent, que nous deferions quelque honneur à leur mémoire. Car outre que l’infidelité & l’idolâtrie peuvent être reprochées à pluſieurs, on ne ſauroit nier, que les plus accomplis d’entre eux n’aient eu beaucoup d’autres vices, qui ne nous permettroient pas de mettre en conſidération quelques qualités vertueuſes, puiſque le mal auroit néceſſairement anéanti le bien par les maximes d’une ſi étrange Philoſophie, de même qu’un peu de levain aigrit & corrompt toute la maſſe, qui le reçoit.

Mais il y a long tems que l’Ecole a condanné tous ces paradoxes, & que Saint Auguſtin a fait voir[1], qu’on ſe tromperoit dans l’Ethique, oû le bien & le mal ſont ſouvent mêlésº enſemble, ſi l’on y vouloit recevoir la regle — des Dialecticiens, qui porte, que deux contraires ne ſe peuvent jamais rencontrer en un même ſujet. En effet, le vice & la vertu ſe brouillent quelquefois de telle ſorte, qu’on voit des hommes fort vicieux faire de très bonnes actions ; & d’autres au contraire qui en commettent de très méchantes, bienqu’ils ſoient d’ailleurs dans l’exercice de beaucoup de vertus. Ainſi Théophraſte remarque, qu’avec des pierres fort noires on peut tirer des lignes blanches ; & Pline, que la couleur de l’argent ne l’empêche pas de faire des mars ques obſcures ſur le papier. C’eſt la même choſe de certaines perſonnes, dont les ope rations ſont ſi différentes de leur naturel, qu’il ſemble qu’elles démentent leur principe. Or ce qui eſt encore fort notable dans ce mêlan ge moral, c’eſt qu’on y obſerve l’union de deux contraires, ſans qu’il ſe forme un tem perament particulier des deux, comme il ark rive toûjours ailleurs. Un même homme ſera avare & prodigue, ſans jamais être libes ral ; temeraire & poltron, ſans pouvoir être vaillant. Cela montre bien que la ſcience des mœurs ne reçoit pas toutes les maximes des autres, & qu’elle a ſes regles différentes de celles de la Phyſique, auſſi bien que de la Logique. Tant y a qu’on ne ſauroit nier, que la vertu & le vice ne ſe rencontrent ſouvent en même lieu ; ni ſoutenir avec raiſon, que ces deux contraires ſoient abſolument incompatibles. Ils ne l’étoient pas en la perſonne du Roi Philippe de Macedoine, de qui l’on a dit[2], que jamais autre que lui n’avoit apporté à la Roiauté tant de vertus & tant de vices tout à la fois. Et Polybe le fait encore voir en parlant d’Aratus[3], qu’il aſſure avoix été hardi & timide tout enſemble. Il n’y avoit rien de plus vaillant que lui dans ſon païs, ni de plus craintif au dehors, & quand il ſe trouvoit ſur les terres des ennemis. Le même Hiſtorien obferve là deſſus comme grand Philoſophe qu'il étoit, qu'on voit aſſez d'eſprits de cette trempe ; & que tel eſt courageux dans les perils d'une chaſſe très dangereuſe, qui ne fait paroitre nulle valeur au métier de la guerre. Celui-là paſſera pour invincible dans les duels, qu'on prendra pour un poltron au milieu d'une bataille rangée. Ceux de Candie qui étoient les nompareils aux asſauts de nuit, & en toute ſorte d'exploits de ſurprise, ne valoient rien aux combats réglés, ni où il étoit queſtion d'executer par la force quelque grande entrepriſe à découvert ; tout au rebours des Macedoniens, & de ceux d'Achaïe, qui avoient les qualités diametralement oppoſées à celle-là. Enfin, c'eſt une choſe ſi conſtante & ſi ordinaire que cette varieté d'eſprits, & cette inconſtance de mœurs, dont un chacun de nous peut être bon témoin à ſoi-même, qu'à le bien prendre, la plus rafinée perfection a toujours quelque trait d'imperfection, comme il n'y a point de vin, qui n'ait ſa lie, & comme la plus belle grénade, ſelon le dire de Crates le Thebain, n'eſt jamais ſans le defaut de quelque grain pourri. Ainſi nous pouvons bien établir cette maxime, que les plus vertueux de ce monde ſont ſimplement ceux, qui ont le moins de vices ; & que quant à cette pureté exemte de tout mêlange, ne ſe trouvant pas ici bas, nous ne la devons chercher que dans le Ciel.

Il n’eſt pas raiſonnable néanmoins de con fondre cependant le vice avec la vertu ; pour être logés en même endroit, ils ne laiſſent pas d’être reconnoiſſables l’une d’avec l’autre ; & cela étant ainſi, nous ſommes obligés de diſtribuer à une même perſonne le blâme & la loüange, à proportion du bien & du mal qui ſe trouvent dans ſes actions. C’eſt ſuivant cette regle que je me ſuis propoſé d’examiner la vie de quelques Gentils des plus renommés de l’Antiquité à cauſe de leur mérite. Et parce qu’il n’y en a point qui le ſoient davantage, que ces grands Philofophes, dont le ſeul nom a ſouvent le pouvoir de nous inſpirer un ſecret amour de la Vertu, nous les choiſirons entre tous, comme les plus propres à nôtre deſſein. Il eſt vrai, que le nombre en étant fort étendu, je fais état de ne m’attacher guères qu’à ceux d’entre eux, qui ont été fondateurs de quelqu’une des ſectes de l’ancienne Philoſophie, parce que ce ſont ſans doute les plus conſidérables ; comme l’on peut dire dans le Chriſtianiſme, que les Chefs de ces illuſtres familles Réligieuſes ſont les premieres perſonnes de leur Ordre en pieté & en ſuffiſance, auſſi bien qu’en la ſuite du tems. Voions donc, ſi ces Sages du Paganiſme nous donneront plus de ſujet de les eſtimer, que de les blâmer ; & tâchons de reconnoitre s’il y en a eu quelques uns, qui aient poſſedé aſſez de lumiere naturelle, pour traverſer, moiennant la grace du Ciel, des ſiécles de ténebres & d’infidelité, comme ont été les leurs, ſans ſe perdre dans l’Idolâtrie, où ils étoient nourris. S’ils l’ont pû faire, le cours de leur vie n’eſt pas moins admirable que celui d’Alphée, ou de ces autres fleuves qui conſervent la douceur de leurs eaux parmi l’amertume de celles de la mer. Et nous les pouvons comparer encore à ces ſources d’eau pure & très bonne à boire, qui ſortent du milieu des collines de ſel, qu’Herodote dit[4], qui ſe trouvent dans les deſerts de Libye.

Il faut commencer cette recherche par le pere commun de tous les Philoſophes qui eſt Socrate ; Car puiſqu’il n’y en a preſque point eu, qui n’aient fait gloire de tirer leur ſavoir, & s’il faut ainſi dire, leur extraction ſpirituelle de ce grand homme, nous lui ferions tort, & à l’ordre que nous devons tenir, ſi nous ne lui donnions le premier lieu. Ce n’eſt pas que je ne ſache bien, qu’on en peut nommer ! beaucoup qui ont vécu avant lui. Thales, Bias, Solon, & le reſte des ſept Sages de Grece l’ont précedé. Anacharſis, Pherecydes, Pythagore, Anaximandre, Anaxagore, & quelques autres, avoient déja paru dans le monde quand il y eſt venu. Mais parce que nous ne les voulons pas tous conſidérer, & que ce n’eſt pas nôtre opinion qu’on doive donner ici la priorité du merite, ſelon celle du tems, comme parmi les Jurisconſultes ; nous attribuerons volontiers l’avantage du rang à celui, qu’on a dit avoir le premier. de tous fait deſcendre la Philoſophie du Ciel en terre.


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DE SOCRATE.



C’est à cauſe de la Morale que les Anciens ont honoré Socrate de ce bel éloge. Ceux que nous venons de nommer qui avoient philoſophé devant lui, s’étoient contentés de contempler le Ciel, ou de rechercher les cauſes principales de ce qui ſe fait dans la Nature. Mais pour ce qui touchoit les mœurs, fort peu d’entre eux s’étoient ſouciés de cultiver cette partie, qui eſt ſans doute la plus importante dé toute la Philoſophie. A la vérité, les ſept Sages, dont nous venons de parier nous ont laiſſé de fort beaux préceptes moraux, & des ſentences de grand uſage dans la vie civile. Ils n’ont rien eu pourtant de comparable à Socrate, leur vie n’aiant pas été exemplaire comme la ſienne. Et je me ſouviens bien qu’Appien n’eſt pas De bello Mithr. ſeul, qui a fait l’obſervation, que ceux d’entre eux, comme Pittaque, & Periandre, qui ſe ſont mêlés de la Politique, & qui ont eu part au gouvernement public, peuvent être mis au rang des plus insupportables Tyrans qu’ait eu la Grèce. Si eſt-ce qu’on ne devroit pas parler d’eux il me ſemble, aveç tant de mépris que quelques-uns ont fait. Nous ſommes obligés de croire, qu’ils n’obtinrent cette haute reputation de ſageſſe, que par de grandes & rares qualités d’eſprit, encore que quelques-uns en aient peut-être abuſé. Et ceux-là procedent contre eux de mauvaiſe foi, qui veulent méſurer leur mérite au pied de ces petits proverbes, qu’on leur attribue, comme s’ils n’avoient acquis toute leur reputation que par ces deux ou trois mots, qui ont été ſans doute les deviſes de chacun d’eux, & non pas le ſommaire de leur ſcience, ſelon le dire de ceux, qui ſe rendent, à mon avis, ridicules eux mêmes, en les déprimant ſi fort. Quoiqu’il en ſoit, Socrate fut le premier qui s’aviſa, que la curioſité des choſes d’enhaut, & les diſputes de la Phyſique, avoient rendu trop negligens dans la Morale tous ſes prédeceſſeurs. En effet, il fit profeſſion de mépriſer également l’Aſtrologie, la Géometrie, & la Muſique, qui occupoient les meilleurs eſprits de ſon tems, comme nous l’apprenons d’une Epitre de Xenophon à Eſchines. Et faiſant voir que tout le reſte de nos études étoit de peu de conſidération, au prix de ce qui concernoit les bonnes mœurs, il établit le premier cette troiſiéme & principale partie de la Philoſophie appellée Ethique, qui imprime dans nos cœurs l’amour de la Vertu, & qu’on a fort bien nommée la Géorgique de nôtre ame. C’eſt ce qui fit dire auſſitôt, qu’il avoit attiré la ſcience du Ciel ici bas, & ce fut pourquoi l’Oracle d’Apollon Pythien, à qui Dieu a ſouvent permis de reveler beaucoup de vérités, prononça que Socrate étoit le plus ſage de tous les hommes. Je fai bien, qu’Origene veut dans le ſeptiéme de ſes livres contre Celſus, que cet Oracle ait plus conſidéré les ſacrifices de Socrate, que ſa Philoſophie, lorſqu’il parla de lui ſi avantageuſement, Mais quelle couleur peut-on donner à un ſentiment ſi particulier, puiſque le Paganiſme a eu tant de perſonnes, qui ont fait de bien plus grands ſacrifices que Socrate, ſans avoir jamais reçû un ſemblable éloge ?

Or outre cette approbation générale de toute la Gentilité ; la plûpart des Peres de l’Egliſe l’ont eu en ſi grande véneration, qu’après Juſtin Martyr, qui a bien oſé le nommer Chrétien, comme nous avons vû dans la premiere ſection de ce Diſcours, il n’y en a guères eu, qui n’aient crû que Dieu par une grace ſpéciale lui avoit fait miſericorde. Saint Jean Chryſoſtome, Saint Ambroiſe, & Saint Auguſtin ont témoigné qu’ils étoient de ce ſentiment ; & tous les Scholaſtiques modernes, qui n’ont pas deſeſperé du ſalut des Payens vertueux, ont été perſuadés de celui de Socrate, ce que Toſtat & quelques autres ont dit en terme exprès[5]. Mais entre tous · les Auteurs Catholiques qu’on peut alleguer en ſa faveur, il n’y en a point qui aient mis ſa vertu ſi haut que Marcile Ficin a fait. Il propoſe la vie de Socrate pour une image de la vie Chrétienne[6], & pour un original par fait, dont on doit s’efforcer d’être la copie. A la vérité, Saint Chryſoſtome écrivant contre ceux, qui ſe moquoient de la façon de vivre des Moines, avoit bien repréſenté Socrate comme un exemplaire de pauvreté Chrétienne ; mais il ne l’avoit pas donné pour un Tableau ſi achevé, ni ſi accompli, que Ficin le veut faire paſſer. Xenophon & Platon ont pris la peine de tracer de leur main ce beau portrait ; & longtems depuis Diogene Laerce en a tiré un craion après eux, qui ont été les premiers Peintres du monde pour bien faire la figure des Eſprits Le plus beau lineament, à mon gré, de toutileun ouvrage, eſt celui par lequel ils nous expriment la fin de Socrate, qui meurt conſtamment accuſé de s’être moqué de la pluralité des Dieux que la Grece adoroit, & d’avoir enſeigné à la jeuneſſe d’Athenes qu’il ne pouvoit y avoir plus d’une Divinité. Car quoique l’un & l’autre de ſes Diſciples aient fait mine de l’excuſer de cela, par leurs Apologies dreſſées exprès, pour rendre ſa mémoire moins odieuſe à ceux de leur tems : Si eſt il certain, qu’Anitus & Melitus ne prirent point d’autre prétexte pour l’accuſer ; & qu’il ne bût la cigue que pour avoir fait leçon de cette nouvelle doétrine. Et c’eſt vraiſemblablement le plus grand ſujet qu’aient eu les Peres de l’Egliſe de bien penſer de ſon ſalut, parce qu’on peut dire que d’être mort pour ſoutenir dans la Loi de Nature l’unité. de Bieu, ce n’eſt pas être fort loin du mérite de ceux, qui ont ſouffert le martyre dans la Loi de Grace pour la Foi de Nôtre Sauveur. Sur quoi on pourroit ajoûter, qu’aiant été le premier des Philoſophes Payens qu’on ait puni de la ſorte, ſelon que Diogene l’a remarqué, puiſqu’Anaxagore, qui avoit été ſoupçonné d’avoir de mauvaiſes opinions des Dieux, en fut quitte pour un fimple banniſſement ; il ſemble qu’on puiſſe en quelque façon nommer Socrate le premier Martyr du Meſſie à venir, comme nous ſavons que Saint Etienne la glorieuſement été du même Meſſie déja venu (x)[7]. Et néanmoins toutes les vertus, dont la vie de Socrate fut un perpetuel exercice, n’empêchèrent pas que la médiſance de quelques Gentils ne fût aſſez inſolente pour s’attacher à lui ; & le beau ſujet de ſa mort, tel que nous venons de le rapporter, n’a pû tant obtenir ſur deux ou trois des premiers Peres de l’Egliſe, qu’ils n’aient quelquefois parlé de lui en d’aſſez mauvais termes, par un zèle qui a beſoin d’être expliqué.

Quant aux Gentils, ce n’eſt pas merveille, que ceux d’entre eux, qui vouloient paroitre affectionnés à leur fauſſe Réligion, declamaſſent fent contre Socrate, comme contre un impie & un Athée, qui renverſoit autant qu’il lui étoit poſſible, tous les Autels. C’eſt par là qu’ils émûrent tout le peuple contre lui, après voir fait repréſenter des Comedies de la compoſition d’Ariſtophane[8], où Socrate ſoutenoit, qu’il n’y avoit point d’autres Dieux que le Chaos, les Nuës, & la Langue ; enſeignoit enſuite aux enfans à battre leurs peres ; & puis étoit étranglé, & ſa maiſon brûlée avec ſon ſous-maitre Chærephon ; le tout pour le jetter dans une haine publique, & afin de porter la populace d’Athenes à le mal traiter. Mais on ne ſauroit attribuer qu’à la ſeule envie, qui en veut toûjours aux plus grands hommes, la calomnie de Porphyre. Lui ſeul écrivit plus de mal contre Socrate[9], & vomit plus d’injures contre ſa réputation, que tous ſes délateurs n’avoient fait, lorſqu’ils l’opprimèrent de leurs fauſſes accuſations. Ce qui montre bien la vérité du Proverbe Grec, qui porte, qu’on verroit plûtôt une aloüette ſans houpe ſur la tête, qu’une vertu éminente ſans envie.

Les Peres, qui ont pris la liberté de faire des invectives contre Socrate, & contre quelques-uns des plus renommés Philoſophes après lui, avoient bien d’autres mouvemens. ' Auſſi ne pouvoient ils pas être touchés d’une ſi honteuſe paſſion, dans une vie ſi Chrétienne & ſi parfaite que la leur. Rien ne les a portés à cela que l’extrème impieté des Payens, contre qui ils étoient tous les jours aux priſes, & qui oſoient bien non ſeulement préferer Phocylide, Theognis, Iſocrate, & ces Philoſophes[10], comme ſaiſoit Julien l’Apoſtat, à Salomon, à Moïſe, & à nos plus grands Saints : mais paſſer même juſqu’à cette abomination, de comparer la créature à ſon Créateur, l’homme à Dieu, & Socrate, Epictete, Apollonius, ou quelque autre à Jeſus Chriſt. Pour reſiſter à une ſi folle opinion qu’ils avoient de leurs Philoſophes, Cyrille d’Alexandrie, Gregoire de Nazianze, & Théodoret, n’ont fait nulle difficulté de les déprimer de tout leur poſſible, & ont crû même qu’ils étoient obligés de les diffamer, pour le bien de tant d’ames, qui ſe perdoient en les eſtimant trop, & vû qu’on rendoit leur vertu criminelle, la comparant à celle de nôtre Seigneur. Voilà le fondement de tout ce que nous avons contre Socrate, Platon, & quelques autres de même profeſſion, parmi les écrits des Peres, Et certes je crois que dans un tems pareil au leur, nous ſerions encore obligés d’en uſer de la ſorte. Mais ſi S. Auguſtin a fort bien dit au ſujet des Dosnatiſtes[11], écrivant au Comte Boniface, que ceux-là avoient tort, qui alléguoient le procedé des Apôtres, pour dire, qu’on ne devoit pas emploier l’autorité des Empereurs au fait de la Réligion, parce qu’ils ne conſidéroient pas, que leur ſiécle étoit différent de celui, dont ils parloient, & qu’il faloit fe gouverner toûjours ſelon la diverſité des ſaiſons. Si de plus nos Docteurs ſe ſervent encore tous les jours fort à propos de cette diſtinction, aiant égard au tems de l’Egliſe naiſſante, qui ne permettoit pas beaucoup de choſes qu’on trouve à préſent de fort bon uſage : Pourquoi n’alléguerons-nous pas la même raiſon ſur le propos où nous ſommes ? Et pourquoi ne ſoûtiendrons nous pas que le zèle de Saint Gregoire & de Saint Cyrille étoit excuſable, dans un âge où toute la terre étoit encore pleine d’idolatrie, & où ils voioient, que la reputation de ces grands Philoſophes préjudicioit à l’Evangile, & empêchoit l’avancement de la Foi, ce qu’on ne ſauroit dire aujourd’hui ? Nous ne ſommes pas d’ailleurs obligés d’adhérer inſéparablement à toutes les opinions de ces Peres. L’Egliſe laiſſe la liberté des ſentimens en ce qui ne touche point la Foi, & l’on quitte ſouvent S. Thomas pour ſuivre Scot dans l’Ecole. Nous pourrons donc bien faire ici le même jugement de Socrate, que Saint Juſtin, Saint Auguſtin, Saint Chryſoſtome, & preſque tous les Docteurs de l’Egliſe en ont fait, encore que ces deux ou trois autres, que nous avons nommés, ſoient d’un avis contraire, vû même, qu’ils ont en cela tous les bons Auteurs Grecs & Romains, qui les contrediſent.

Voions néanmoins de quels crimes on charge la reputation de Socrate, & pour quoi l’on veut deſeſperer de ſon ſalut. On lui impute le vilain vice de l’ivrognerie, ce lui, que les Grecs ont nommé Pederaſtie ; une extréme colere ; & finalement l’Idolâtrie, dont ceux mêmes, qui ont fait ſon Apologie, ſont demeurés d’accord, & qui ſemble être toute évidente par ces dernieres paroles, quand il reconnut, qu’il étoit redevable d’un coq à Eſculape. A quoi l’on peut ajoûter ce qu’on a tant dit du Demon duquel il ſe ſervoit.

Pour ce qui touche les excès de bouche, je ſai bien que ſes Diſciples le font boire à la Grecque dans leurs ſympoſes, avec un peu plus de chaleur que la bienſéance ne le permetroit parmi nous. Ce n’a pourtant jamais été juſqu’à s’enivrer, tant s’en ſaut, ils remarquent expreſſement, qu’on ne l’avoit jamais vû dans ce miſèrable état. Et je ne puis rien rapporter de plus exprès pour juſtifier la calomnie de cette accuſation ; que ce qu’obſerve dans ſa vie, Diogene, touchant la peſte, qui travailloit ſouvent la ville d’Athenes. ll dit, que Soerate ſut quaſi le ſeul, qui s’en exemta de ſon tems par ſa grande ſobrieté, & pour être le plus temperant des hommes en ſon boire, & en fon manger.

L’amour maſculin eſt un crime beaucoup plus atroce, puiſqu’il eſt abominable, & s’il faloit avoir égard au ſens qu’on a donné au Proverbe de la Foi Socratique, & aux apparences de la paſſion dont il étoit touché pour Alcibiade, j’avoue qu’il ſeroit fort difficile de l’excuſer. Mais s’il faut juger plus ſainement des choſes, c’eſt de l’Amour même que nous tirerons ſon plus grand mérite. Car jamais homme ne fit profeſſion d’affetionner le genre humain avec tant d’ardeur que lui. Mais c’étoit pour lui imprimer l’amour de la vertu, le retirer du vice, & le porter à la recherche de cette belle Philoſophie, qui lui devoit donner la connoiſſance d’un ſeul Dieu. De là vient, que Socrate ſait gloire dans Xenophon d’être un excellent Maquereau, ce qui ne peut être pris que ſpirituellement & dans le ſens que nous lui donnons, autrement il faudroit que lui, Xenophon, & tous ceux, qui ont eſtimé ſes écrits, comme a fait toute l’Antiquité, euſſent perdu, je ne dirai pas la pudeur, mais le ſens. il ſe vante dans Platon avec la même hardieſſe, & par la même figure, qu’il ne ſait rien que des amourettes. Et quand il eſt repréfenté frequentant les reduits oû les jeunes hommes de ſa ville s’exerçoient, & où il ſe rendoit tous les jours maitre de l’eſprit de quelqu’un, on ne ſauroit ſans médiſance, ni même ſans abſurdité, l’interpréter autrement que nous ſaiſons. Que s’il faut le juſtifier par d’autres apparences, chacun ſait, qu’outre ſa Xantippe, il eût encore une ſeconde femme ; ce qui peut montrer, que ſes affections n’offenſoient point la Nature. Et ſi il n’y a pas lieu pour cela de lui reprocher ſon incontinence, parce que, comme dit Suidas Auteur à ſon égard ſans reproche, il ne prit deux femmes, que pour obeïr à la Loi d’Athenes, qui ordonnoit, qu’outre la legitime, on eût encore une Concubine, afin de multiplier les habitans de cette ville qui étoient en trop petit nombre. Je ne ſai pas quelles preuves on peut donner de ſa colere, mais je ſuis ſûr d’en produire de fort expreſſes pour l’en décharger. Premierement on ſait, que les mauvaiſes humeurs de cette inſupportable Xantippe ne ſervirent jamais qu’à exercer ſa patience ; ce qui lui faiſoit dire qu’il trouvoit toutes choſes douces & faciles au dehors, après avoir ſouffert cette femme au dedans. Or bien qu’elle fût très inique envers lui, ſi eſt ce qu’elle rendit un merveilleux témoignage de ſon humeur exemte de toute émotion, quand elle dit qu’elle ne l’avoit jamais vû retourner en ſa maiſon, qu’avec le même viſage, qu’il avoit lorſqu’il en étoit ſorti. Car comme l’ame eſt celle qui donne à un chacun cet air de joie, ou de triſteſſe, qui ſe remarque d’abord, & que c’eſt elle encore qui nous ride ou applanit le front en un inſtant, ſelon ſes mouvemens interieurs ; il ne faut pas s’étonner s’il ne paroiſſoit aucun changement dans la face de celui, qui poſſedoit un eſprit invariable, & preſque au deſſus de toute ſorte d’agitation. Nous liſons la confirmation de cela dans Arrien[12], où Epictete aſſure, que de toutes les qualités de Socrate, il n’y en avoit point qui lui fut plus propre, que celle de ne ſe fâcher jamais, non pas même dans ſes disputes, où il ſouffroit ſans alteration d’eſprit, autant d’injures qu’on lui en vouloit dire. Auſſi nous a-t-on repréſenté toutes ſes conférences pleines d’une douceur inimitable. Il n’y enſeigne rien qu’en s’enquerant, & bien loin d’établir ſes maximes avec obſtination, il ſemble douter des choſes les plus décidées. Un homme qui a le premier proteſté, que ſa plus certaine ſcience conſiſtoit en la connoiſſance qu’il avoit, de ne ſavoir rien de certain, n’étoit pas pour s’opiniâtrer dans une diſpute, ni pour ſe mettre en colere, contre ceux, qui avoient des ſentimens contraires aux ſiens. C’eſt ce qui fait dire à Ciceron en traitant des paſſions, qu’il nomme ſort proprement des perturbations, que la raiſon leur doit être comme une médecine Socratique, pour les reduire à la modération. S’il eût cru, que Socrate ſe fût laiſſé emporter à la colere, comme le veulent ſes accuſateurs, il ſe fût bien gardé de parler ſi improprement.

On prouve très mal ſon Idolatrie par les termes, dont ſes Diſciples ſe ſont ſervis dans leurs Apologies, quand ils ont écrit, qu’il n’avoit rien innové au fait de la Réligion, aiant toûjours vécu à cet égard comme les autres, & uſé des ſacrifices, ſelon qu’ils étoient alors en uſage. Car déja leur propre interêt, & la crainte de la cigué les peut avoir fait parler de la ſorte. D’ailleurs, il y a lieu de dire, que Socrate, qui n’avoit que la Foi implicite, ſe contentoit de reconnoitre un ſeul Dieu dans la Loi de Nature, ſans vouloir pour cela troubler le gouvernement public par l’introduction d’un nouveau culte, dont il ne pouvoit uſer, ſans violer les Loix de l’Etat : Et que s’il a ſacrifié à quelques Divinités Atheniennes, ç’a été vraiſemblablement par une nuë reconnoiſſance des puiſſances d’un ſeul Dieu, qu’il adoroit ſous des noms différens. C’eſt ainſi qu’au dire de Zenon, comme nous verrons tantôt, le nom de Jupiter comprenoit celui de toutes les autres Divinités. Et que Macrobe maintient dans les derniers chapitres de ſon premier livre des Saturnales, que tous les Dieux des anciens ſe rapportoient au Soleil. L’Empereur Julien enſeigne la même doctrine dans ! l’Oraiſon qu’il a compoſée à la loüange de ce bel Aſtre. Et nous ſommes obligés de croire, que c’eſt ainſi que l’entendoient ces Philoſophes Payens[13], qui ſe moquoient preſque tous, au rapport de Tertulien, de la pluralité des Dieux ; parce qu’il y a grande apparence d’une part, qu’ils faiſoient ce qu’ils pouvoient pour n’intereſſer point leur conſcience ; & d’autre côté on ne les eût pas ſoufferts, s’ils euſſent témoigné qu’ils avoient une Réligion à part.

Quant à ce que prononça Socrate un peu avant que d’expirer[14], qu’il devoit un coq à Eſculape, dont il prioit ſon ami de le vouloir décharger ; il eſt vrai, que Tertulien ſemble avoir pris cela au pied de la lettre, quand il écrit que c’étoit pour n’être pas ingrat vers Apollon, & pour lui rendre graces de ce qu’il l’avoit nommé le plus ſage de tous les hommes. Mais Lactance l’explique encore plus au deſavantage de Socrate[15], lorſqu’il attribue ce ſoin à une pure vanité, & à une crainte d’être mal traité aux Enfers par Rhadamante, en quoi Lactance n’a pas mieux rencontré, qu’un peu après en ſa négation ſi abſolué des#, # * Antipodes[16].

Certes il y a de quoi s’étonner, qu’aiant reconnu ailleurs comme le dernier ſupplice de Socrate ne vint que d’avoir voulu abolir la multitude des Dieux, il lui faſſe ici apprehender de la ſorte ceux des Enfers. Coelius Rhodiginus n’a pû s’empêcher de maltraiter Lactance ſur cette invective contre Socrate[17], dont il interprete les paroles dans un ſens beaucoup plus myſtique, qu’il n’eſt beſoin, à ce qu’il me ſemble, de leur donner. En effet, je ne crois pas, qu’on les doive rapporter à autre choſe, qu’à cette figure qui étoit l’ornement continuel de tous ſes propos. C’eſt l’Ironie ou l’innocente raillerie qui lui plaiſoit ſi fort, comme tous ſes entretiens en font foi, qu’il s’en voulut ſervir même en mourant. Il dit donc en ce dernier acceſſoire, qu’il devoit un coq à Eſculape le Dieu des Remedes, pour ſignifier qu’il ſe voioit aux termes d’être bientôt gueri de tous ſes maux. L’action de Seneque, étant près de ſa fin, reçoit à mon jugement la même explication. Tacite remarque[18], qu’entrant dans le bain, qui aida à faire ce que le poiſon n’avoit pû executer, ce grand homme jetta de l’eau ſur ſes ſerviteurs qui étoient les plus proches de lui, ajoûtant ces belles paroles, qu’il offroit en forme de ſacrifice cette liqueur à Jupiter, ſurnommé le Liberateur. Je tiens pour aſſuré, que Socrate & Seneque n’ont voulu témoigner autre choſe par leurs derniers propos, qu’un remerciment qu’ils faiſoient à Dieu de ce qu’il les tiroit des peines de ce monde. Sur tout il n’y a point d’apparence, de prendre ceux du premier ſi ſort au pis, non plus que ſes ſermens ordinaires par le chien, par la pierre, ou par le platane, dont il ſe ſervoit exprès pour ſe moquer de ceux, qui juroient par les fauſſes Divinités de Caſtor & d’Hercule, dont il vouloit par là prendre le mauvais uſage. Et néanmoins Lactance n’a pas fait de moindres invectives contre ſes ſermens, que contre l’offrande du coq, en quoi ſon autorité ne peut être de grande conſidération, vû celle de St. Auguſtin, qui a fort bien penſé de la façon de jures de Socrate[19], lui donnant la favorable interprétation, que nous venons de rapporter.

Le dernier reproche, qu’on lui fait, regarde le Démon, qu’on dit avoir été le conducteur de ſa vie. Si nous voulions rapporter ici tout ce qu’Apulée, Plutarque, & aſſez d’autres en ont écrit, nous ferions de ce ſeul article un bien gros volume. Les uns ont crû, qu’il avoit une véritable viſion de quelque mauvais Eſprit. Les autres, qu’il étoit averti par une voix prohibitive ſeulement. Et il y en a qui ont penſé, que c’étoit par l’éternuëment, qu’il recevoit les avis de ce qu’il ne devoit pas faire. Mais pluſieurs, qui ſe ſont ris de tout cela, ont ſoutenu[20], que ſa ſeule prudence, dont Dieu l’avoit ſi avantageuſement partagé, étoit ſon Démon. Que ſi l’on veut, qu’il y ait eu quelque choſe de plus, on peut prendre en ſa faveur l’opinion d’Euſebe, d’Eugubinus, & de Marcile Ficin, qui ont été perſuadés que ſon bon Ange étoit le véritable Démon, qui le gouvernoît.

Encore que nous aions répondu le plus à la décharge de Socrate, que nous avons pû ſur tout ce qui lui étoit imputé, je ſerois fâché pourtant d’avoir prononcé affirmativement pour ſon ſalut, ni de l’avoir mis auec certitude au rang des Bienheureux, comme il ſemble que quelques uns aient voulu faire. Quand il auroit été Chrétien de la façon que Juſtin Martyr l’a entendu, il ne laiſſoit pas d’être comme homme, pêcheur d’ailleurs, & nous ne tenons pas que tous les Chrétiens ſoient participans de la béatitude éternelle. C’eſt pourquoi je trouve, qu’on a raiſon de reprendre Eraſme, d’avoir oſé écrire dans un de ſes Dialogues[21], qu’autant de fois qu’il liſoit la belle fin de Socrate, il avoit bien de la peine à s’empêcher de dire, O St Socrate priés Dieu pour nous. Ces paroles ſont trop hardies, auſſi bien que celles qui ſuivent en même lieu, où il parle des ſaintes ames de Virgile & d’Horace. Mais comme je penſe qu’on ne ſauroit ſans témerité, aſſurer que Dieu ait fait la grace à Soçrate de le recevoir dans ſon Paradis, je crois que la temerité eſt encore plus grande de le condanner aux peines éternelles de l’Enfer, vû la bonne opinion qu’ont eûë de lui tant de Saints Peres, & tant de profonds Théologiens. Car puiſque nous avons montré, que ſelon leur doctrine, les Païens vertueux ont pû ſe ſauver par une grace extraordinaire du Ciel, à qui pouvons nous préſumer qu’elle ait été plûtôt accordée, qu’à celui que toute l’Antiquité a nommé le ſage Socrate ? Ce qui me fait juger que tous les pèchés, dont on l’a voulu taxer, ne nous doivent pas détourner de l’opinion la plus humaine, & que j’eſtime la plus agréable à Dieu, parçe qu’elle eſt la plus charitable, c’eſt qu’outre ce que nous avons rapporté pour l’en décharger, tout le monde ſait que les Atheniens portèrent un deüil public de la mort, qu’ils avoient fait ſouffrir à un ſi grand perſonnage ; qu’après avoir ôté la vie à l’un de fes Accuſateurs, ils punirent l’autre d’un exil perpetuel ; & qu’honorans enſuite ſa mémoire d’une Statuë d’or, ils reparèrent par un jugement public l’injure qu’ils avoient faite à ſon innocence. Ajoutés à cela ce que lui peut avoir ſervi devant la Bonté Divine l’établiſſement parmi les hommes d’une ſi utile partie de la Philofophie, qu’eſt la Morale. Quel amour de la vertu, & quel horreur du vice n’a-t-il point donné par là à toute ſorte d’eſprits ? Et combien de crimes pouvons-nous dire qu’il a empêchés pêchés, par les principes, & par les regles d’une ſi belle ſcience que nous tenons de lui ? Car comme nous croions avec raiſon que le démérite & la peine des Héreſiarches croisſent, à proportion du mal que cauſe ici bas la mauvaiſe doctrine, qu’ils y ont ſemée ; Il eſt conforme à la même raiſon de préſumer, que la recompenſe de celui qu’on peut nommer l’un des premiers précepteurs du genre humain, aura été très ample, eu égard à l’utilité grande, que le monde reçoit encore tous les jours de ſes enſeignemens. Et par conſequent, quoique nous ne determinions rien du ſalut de Socrate, dont il ſemble que Dieu ſe ſoit voulu reſerver la connoiſſance, ſi eſt-ce que nous croions qu’on en peut avoir fort bonne opinion ; & qu’au moins il n’y a perſonne, qui ne doive parler de lui avec le reſpect que mérite un homme de ſi rare vertu. Paſſons à la conſidération de ceux, qui l’ont ſuivi, & dont les noms ne ſe liſent point ſans quelque titre d’honneur, dans ce qui nous reſte des anciens Grecs & Romains.




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DE PLATON


ET DE LA


SECTE ACADEMIQUE.



L’ordre Chronologique nous preſente Platon devant Ariſtote qui fût quelque tems ſon Auditeur. Et quand nous aurions égard au mérite, celui du premier eſt tel, que Ciceron le préfère en plus d’un lieu au ſecond, le nommant après Panætius, l’Homère des Lib. Tuſc. qu. 25. defin. 25 l. : de nat. Deor. Lib. 4. de regim. Princ. lib. 2. Cap. 5. Philoſophes, & avertiſſant ailleurs, qu’il doit être écouté comme le Dieu de ceux de cette profeſſion. St. Thomas, tout Péripatéticien qu’il a été, a fait le même jugement. Saint Auguſtin eſtime la façon de philoſopher de Platon plus que celle de tous les autres dans la Cite de Dieu. Et nous ſavons, que preſque tous les Pères de l’Egliſe ont été dans les commencemens Platoniciens, Alexandre d’Aphrodiſée leur aiant le premier fait goûter la doctrine du Lycée, que l’Ecole néanmoins n’a reçue avec le crédit qu’elle y poſſecde aujourd’hui, que depuis Albert le Grand, & ſon Diſciple le Docteur Angelique. Or on pourroit penſer que l’éloquence ſingulière de Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/142 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/143 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/144 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/145 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/146 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/147 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/148 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/149 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/150 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/151 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/152 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/153 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/154 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/155 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/156 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/157 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/158 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/159 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/160 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/161 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/162 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/163 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/164 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/165

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D’ARISTOTE


ET DE LA


SECTE PERIPATETIQUE.



Comme Platon a eu ſes admitateurs qui lui ont donné le ſurnom de Divin, Ariſtote a reçû des ſiens les glorieux titres de Génie de la Nature, & de fidele interprète de tous ſes ouvrages. L’un ne ſauroit en cela prétendre aucun avantage ſur l’autre, & ſi l’on peut dire, que les Académiciens, non plus— que les Péripatéticiens, n’ont rien fait en parlant ainſi de leurs Chefs, que toutes les autres familles Philoſophiques n’aient pratiqué, lorſqu’elles ont employé le nom de leurs Fondateurs. Mais il ſemble qu’Ariſtote ſe pourroit glorifier d’avoir encore aujourd’hui ſes Sectateurs, & de regner preſque auſſi puiſſamment dans toutes les Ecoles, qu’il fit jamais dans le Lycée ; ce que pas un des autres ne ſauroit prétendre. Car encore que la plupart des Peres, qui avoient plus d’inclination pour Platon que pour lui, aient fait de grandes invectives contre ſa doctrine, Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/167 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/168 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/169 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/170 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/171 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/172 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/173 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/174 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/175 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/176 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/177 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/178 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/179 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/180 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/181 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/182 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/183 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/184 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/185

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DE DIOGENE,
ET
DE LA SECTE SCEPTIQUE



Encore qu’Antiſthene ſoit le fondateur de la famille Cynique, nous faiſons choix néanmoins de Diogene ſon diſciple, parce que ſa vie a été beaucoup plus célébre, & que pluſieurs a cauſe de cela l’ont nommé le Prince des Cyniques, comme l’on peut voir dans une Orajſon de l’Empereur Julien. Et certes, Origene, Saint Jean Chryſoſtome, Saint Jérôme, & aſſez d’autres Peres, en aiant parlé très honorablement[22], il nous donnent ſujet de faire plutôt nos réflexions ſur lui, que ſur aucun autre de la même Secte. Elle eût ſon nom du lieu où Antiſthene faiſoit ſes leçons, fort peu éloigné de l’une des portes d’Athènes, & qui ſe nommoit Cynofarges ; bien qu’on ait dit depuis, que la façon de vivre trop libre, & comme canine, que pratiquoient les Cyniques, les avoit fait nommer de la ſorte. Quoiqu’il en ſoif de cette profeſſion ſe moquoient de ce titre injurieux, le rendant même honorable de reſpect envers d’autres, qui les conſidéroient Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/187 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/188 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/189 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/190 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/191 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/192 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/193 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/194 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/195 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/196 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/197 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/198 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/199 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/200 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/201 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/202 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/203 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/204 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/205 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/206 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/207 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/208 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/209 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/210 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/211 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/212

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DE
ZENON CYPRIOT
DE LA
VILLE DE CITIE
ET DE
LA SECTE STOIQUE.



Il y a pluſieurs Zenons, comme l’on peut voir dans Diogene Laërce, qui en nomme julqu’à huit, dont les uns ont été Hiſtoriens, les autres Médecins, ou Grammairiens, & la plupart grands Philoſophes. Mais il ne nous a donné la vie que de deux, dont le plus ancien eſt l’Eleate, Inventeur de la Dialectique, & celui qui cracha ſa langue contre le Tyran Nearche. L’autre eſt le Cypriot de Citie, que nous avons choiſi entre tous tes Stoïciens, à cauſe qu’il en le fondateur de leur famille, qui reçût ſon nom des portiques où ce Philoſophe ſe plût à diſcourir publiquement dans Athènes. Il y vint par un naufrage[23], qu’il reputa depuis ſi avantageux, qu’on l’oüit ſouvent ſe louer de la faveur des vents, qui l’avoient ſi heureuſement fait échoüer dans le port de Pirée. Et il ſe Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/214 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/215 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/216 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/217 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/218 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/219 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/220 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/221 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/222 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/223 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/224 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/225 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/226 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/227 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/228 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/229 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/230 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/231 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/232 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/233 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/234 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/235 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/236 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/237

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DE PYTHAGORE
ET DE LA
SECTE PYTHAGORIQUE



La Philoſophie Payenne a eu deux branches premieres & principales ; l’une qu’on nomme Jonienne à cauſe de Thales ſon Auteur, de qui toutes les ſectes, dont nous avons traité jusqu’ici ont tiré leur origine ; l’autre Italienne ; qui reconnoît Pythagore pour ſon Fondateur, ſoit qu’il ait été Italien, ou, que venu de Samos, il ait paſſé la meilleure partie de ſon âge dans un bout de l’Italie, qu’on nommoit alors la Grande Grèce. De cette dernière branche ſont ſorties pluſieurs autres familles philoſophiques, comme l’Epicurienne, & la Pyrrhonienne, que nous conſidérerons tantôt après avoir donné tout ce chapitre à Pythagore, & à la Secte Pythagorique, puiſqu'elle eſt la plus ancienne, & que ſon ſeul nom demande cette préference.

Il n’y a guères d’Auteurs anciens, qui n’aient fait mention de Pythagore, & quatre d’entre eux nous ont particulierement donné Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/239 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/240 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/241 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/242 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/243 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/244 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/245 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/246 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/247 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/248 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/249 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/250 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/251 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/252 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/253 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/254 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/255 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/256 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/257 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/258 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/259 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/260 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/261 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/262 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/263 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/264 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/265 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/266 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/267 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/268 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/269 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/270 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/271

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D'EPICURE
ET DE LA
SECTE EPICURIENNE



Ce que les ſaintes Lettres ont dit d’Iſmael, ſe peut fort bien appliquer dans les profanes à ce Philoſophe voluptueux. Il a eu la main levée contre tous les autres : & celle de tout ce qu’ils étoient n’a jamais ceſſé de travailler à ſa ruine. En effet, on peut voir dans Diogene Laërce & dans Heſychius, qu'Epicure prenoit plaiſir à médire de tous ceux qui avoient acquis avoient acquis le plus de réputation dans la Philoſophie. Il n'épargna pas même Democrite, l'appellant ordinairement Lerocrite, ou Cenſeur de bagatelles[24], encore qu'il tint de lui & de Leucippus ſes Atomes imperceptibles, & que ſes Jardins ne fuſſent arroſés que des fontaines du premier, pour parler avec Ciceron, plûtôt qu’avec Lactance, qui dit, qu’Epicure avoit hérité de la folie de tous les deux. Mais ſi ſon humeur ſatyrique ne ſouffroit pas, qu'il épargnât perſonne, auſſi n'a-t-il été exemt des atteintes d'aucun de ceux de ſa profeſſion, & on peut bien le nommer le hibou des Philoſophes, que tous les Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/273 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/274 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/275 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/276 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/277 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/278 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/279 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/280 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/281 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/282 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/283 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/284 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/285 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/286 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/287 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/288 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/289 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/290 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/291 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/292 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/293 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/294

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DE PYRRHON
ET DE LA
SECTE SCEPTIQUE



Si Pyrrhon eût été tel, que pluſieurs l’ont représenté, je ne penſe pas que perſonne eût voulu ſuivre ſes ſentimens, & nous ſerions même ridicules de nous amuſer à les examiner. Rien ne m’oblige à le faire, que l’opinion où je ſuis, qu’il eſt peut être de ce Philoſophe comme de la plupart de ceux dont nous avons déjà parlé, à qui mille choſes ont été fauſſement attribuées ; outre ce qu’ils ont fait, comme Diogene le Cynique, d’extraordinaire & de diſcordant, exprés pour ramener les autres dans une juſte conſonance morale. Je ſai bien qu’Antigonus Carryſtius difoit, que Pyrrhon ne voulût pas ſe détourner ni pour un chariot, ni pour un précipice, ni pour la rencontre d’un chien enragé, & que ſes amis ſeuls le préſervoient de tous ces inconveniens. Mais pourquoi croirons-nous plutôt cet Antigonus, qu'Æneſidemus[25], qui a écrit huit Livres de la Secte des Pyrrhoniens, & qui aſſure, que leur Chef Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/296 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/297 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/298 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/299 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/300 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/301 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/302 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/303 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/304 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/305 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/306 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/307 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/308 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/309 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/310 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/311 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/312 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/313 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/314 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/315 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/316 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/317 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/318 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/319 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/320

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DE CONFUCIUS,


LE


SOCRATE DE LA CHINE.


Lib. 8. cap. 5
Saint Aupuſtin examinant dans ſa Cité de Dieu les différentes Sectes des Philoſophes, pour reconnaître celle qu'on peut dire avoir le plus de conformité avec nôtre Réligion, decide la queſtion par un jugement général très digne de lui. Il ſoutient, que ſans donner la préference à la Grèce, & ſans avoir égard aux païs où ces grands hommes ont fait admirer leur ſageſſe, tous ceux, qui ont enſeigné la puiſſance & la bonté d'un ſeul Dieu Créateur de toutes choſes, ſoit qu'ils aient été Scythes, Indiens, Perſes, Egyptiens, ou de quelqu'autre Nation, doivent être préferés aux autres, aiant approché le plus près des lumieres de la Foi Chrétienne. C'est ce qui m'oblige, après avoir parlé de tant de Grecs, à produire un Chinois enſuite, comme le plus éloigné que je puiſſe choiſir, non ſeulement de nôtre demeure, mais encore de nôtre connoiſſance ordinaire, n'y aiant gueres plus d'un ſiécle, que l'Europe eſt rentrée en commerce avec ce grand Roiaume ; ſi tant eſt que les Chinois puiſſent paſſer pour les Sines des Anciens, ſelon que les uns & les autres nous ſont repréſentés comme les plus Orientaux de toute l’Aſie. Le Pere Trigaut eſt ſans doute celui, qui nous a fourni la plus belle Rélation, que nous aions de ce païs là, s’étant ſervi des écrits du Père Matthieu Ricius, dont le zéle, & le ſavoir ne peuvent être trop eſtimés. Et j’ai déjà remarqué dans la première partie de ce livre, comme ces Peres ont tenu pour aſſuré, que pluſieurs Chinois, aiant moralement bien vécu dans la ſimple obſervation du droit de Nature, ont pu faire leur ſalut éternel par une bonté & une aſſiſtance particuliere. de leur Créateur. La raifon, que rend le Pere Trigaut de ſon opinion, eſt, qu’entre toutes les Nations la leur eſt apparemment celle, qui s’eſt le mieux laiſſée conduire à la lumière naturelle, & qui a le moins erré au fait de la Religion. Car chacun ſait dé quels prodiges les Grecs, les Romains, & les Egyptiens remplirent autrefois leur culte divin. Les Chinois au contraire n’ont reconnu de tems immémorial qu’un ſeul Dieu, qu’ils nommaient le Roi du Ciel ; & l’on peut voir par leurs Annales de plus de quatre mille ans, qu’il n’y a point eu de Payens, qui l’aient moins offenſé qu’eux de ce côté-là & dont le reſte des actions ſe ſoient plus conformées à ce que préferait la droite raiſon.

Or toutes les Hiſtoires, que nous avons d’eux, conviennent en ce point, que le plus homme de bien, & le plus grand Philoſophe qu’ait vu l’Orient, a été un nommé Confucius Chinois, dont ils ont la mémoire. telle vénération, qu’ils élèvent ſa Statue dans des Temples, avec celles de quelques-uns de ſes diſciples. Ce n’eſt pas pourtant, qu’ils le tiennent pour un Dieu, ni qu’ils l’invoquent en leurs prières ; mais ils penſent qu’après le ſouverain Etre, l’on peut ainſi réverer les grands perſonnages, qu’ils croient Saints, & dont ils font une eſpece de Demi-Dieux. Entre pluſieurs circonſtances de la vie de ce Philoſophe, il y en a deux qui me font dire, qu’on le peut fort bien nommer le Socrate de la Chine. La premiere regarde le tems, auquel il a paru dans le monde, qui ne ſe trouvera gueres différent de celui du vrai Socrate des Grecs. Car ſi la naiſſance de Confucius n’a précédé celle de nôtre Seigneur que de cinq cent cinquante et un an, ſelon la ſupputation du Père Trigaut, Confucius aiant comme il a fait, plus de ſoixante & dix ans, il y aura peu à dire, que le tems de ſa mort n’arrive à celui de la génération de Socrate. D’où il s’enſuit qu’un même ſiécle fit voir à la Chine & à la Grèce les deux plus vertueux hommes de toute la Gentilité. Ils ont encore cela de commun entre eux, que l’un & l’autre mépriſèrent les ſciences moins utiles, pour cultiver ſoigneuſement celle des mœurs, qui nous touche de plus près. De ſorte, qu’on peut dire, que Confucius fit deſcendre auſſi bien que Socrate la Philofophie du Ciel en terre, par l’autorité qu’ils donnèrent tous deux à la Morale, que les curioſités de la Phyſique, de l’Aſtronomie, & de ſemblables ſpeculations avoient preſque fait mépriſer auparavant.

En effet, tous les Arts libéraux toutes les ſciences ont eu cours à la Chine auſſi bien que parmi nous. Gonc. de Mendoce 1. Part. l. 3. cap. 17. La ſeule liſte des livres, qu’en apporta aux Philippines le Pere Herrade Auguſtin & ſes compagnons, le fait bien voir, n’y aiant preſque ſcience, dont il ne ſe trouvât quelque traités ſeparé ; dans ce peu de volumes, qu’ils avoient pû trouver. L’on voit d’excellens Géometres, Arithméticiens, & Aſtrologues Chinois. La Médecine eſt exercée parmi eux avec grande méthode & beaucoup d’experience. Et les opinions qu’ont quelques-uns dans la Phyſique, conformes à celles de Democrite & de Pythagore touchant la pluralité des Mondes, montrent aſſez, combien ceux de cette Nation ſe plaiſent à l’étude des choſes naturelles. Mais depuis que Confucius leur eût fait voir l’importance de l’Ethique, & que reduiſant en quatre volumes toutes les belles ſentences des Philoſophes, qui l’avoient précedé, il en eût compoſé une cinquième de ſes propres Trigaut l. 1. cap. 3. penſées, il releva tellement la ſcience des mœurs par deſſus toutes les autres, qu’on écrit, que depuis lui il ne s’eſt plus fait de Hrrera. Bacheliers ni de Docteurs de la Chine, qu’en les examinant ſur la Morale. C’eſt une choſe certaine, que des trois Sectes de Philosophie qu’on y permet, celle de Confucius, qu’on nomme des Lettrés, a tellement l’avantage ſur les deux autres, que tous les Grands du Roiaume en font profeſſion. Je trouve auſſi fort remarquable, que cette extraordinaire reputation de ſavoir, & de prudence, qu’ont acquiſes les diſciples de ce Philoſophe, ait eu le pouvoir de faire, que par les Loix de l’Etat eux ſeuls ſoient appellés à ſon gouvernement, & qu’il n’y ait que les Mandarins, Loytias, ou Lettrés, formés dans ſon Ecole, qui commandent abſolument ſous l’autorité Roiale. Car toutes les autres profeſſions ſont tellement inferieures à celle-là, qu’en ce qui eſt même de la conduite des armées, il n’y a que les Philoſophes de cette Secte, qui donnent les ordres, & toute la Milice tient à honneur d’exécuter leurs dispoſitions. Certes ce n’eſt pas une petite gloire à Confucius d’avoir mis le Sceptre entre les mains de la Philoſophie, & d’avoir fait, que la force obeiſſe paiſiblement à la raiſon. Quel plus grand bonheur a-t-on jamais ſouhaité, que de voir les Rois philosopher, ou bien les Philoſophes régner ? Ce rare eſprit a ſçû conjoindre ces deux félicités dans la Chine, où ſa vertu mérite, que le Souverain même ne commande rien, qui ne s’accorde avec ſes préceptes ; & où tous les Magiſtrats auſſi bien, que tous les Officiers de la Coursonne, étant néceſſairement du nombre de ſes diſciples, on peut dire qu’il n’y a que les Philoſophes, qui gouvernent un ſi grand Empire.

Il ne faut pas omettre ce que leurs Hiſtoire rapportent là deſſus à l’honneur de la Philoſophie, car je trouve, qu’elles recommandent par là merveilleuſement la doctrine Morale de Confucius, qui regloit les devoirs politiques, de même que ceux des familles, & des particuliers. Les Hiſtoires de la Chine portent donc[26], qu’autant de fois, qu’il a été queſtion de témoigner dans toute ſorte de perils ſon affection pour la Patrie, & ſa fidélité envers le Prince, les Philoſophes, dont nous parlons, ont toujours fait paroître plus de généroſité, en s’expoſant franchement aux hazards & mépriſant la mort même, que ceux de la profeſſion Militaire, à qui le maniement ordinaire des armes ſemble devoir relever de beaucoup de courage. Or on ne peut pas douter, que de ſi nobles reſolutions n’aient pour fondement les maximes politiques & les belles moralités de Confucius, qui leur enſeignent à être magnanimes, & à perdre librement la vie, lorſque le ſervice de leur Roi ou de leur païs l’exige.

Quoiqu’il en ſoit, ce pouvoir ſi abſolu que Confucius a donné aux hommes de lettres dans la Chine, ſemble d’autant plus admirable, que le Japon, qui en en eſt fort proche, ſe gouverne tout autrement[27], les armes y tenans tellement le deſſus, qu’on n’y fait preſque nul état des ſciences. Ce n’eſt pas que la doctrine de ce grand personnage ne ſe ſoit épanduë en beaucoup d’autres lieux, que la Chine, & notamment par tous les païs voiſins. Mais comme la condition des choſes de ce monde ne ſouffre pas qu’elles ſoient uniformes, l’humeur féroce & toute guerriere des Japonois leur a fait préférer les exercices militaires aux métiers de la paix, uſant plus de la force dans toutes leurs affaires, que du diſcours ni de la raiſon. Le Père Chriſtophe Borry, qui veut que l’État de la Cochinchine ſoit tempéré de ces deux ſortes de gouvernement, & qu’il ſe ſerve d’une voie moienne entre ce qui ſe pratique au Japon & à la Chine, aſſure, qu’Ariſtote n’a nulle autorité plus grande dans l’Europe, que l’eſt celle de Confucius parmi les Côchinchinois. Et il reconnoit, que ſes livres ne ſont pas remplis de moindre érudition que ceux de nos meilleurs Auteurs, ni de moralités, qui doivent céder à celles de Seneque, de Caton & de Ciceron.

A la vérité, il nomme, ailleurs un certain Xaca[28], lui donnant la qualité de grand Philoſophe, & de Métaphyſicien ſi excellent, qu’à ſon dire il n’a point eu de ſuperieur en ce qui touche la première & la plus haute Philoſophie. Son païs étoit le Roiaume de Siam ; mais ſa doctrine fut telle qu’elle s’épandit & fut admirée par tout l’Orienf, auſſi-tôt qu’il l’eût publiée, ce qui lui arriva comme à Confucius quelque tems avant celui d’Ariſtote. Cependant tout ce que le Pere Borry nous rapporte de cette ſublime Philoſophie de Xaca, c’eſt qu’il conſidéroit toutes les choſes du monde comme venuës de rien, qui n’étoient rien en effet, & qui retournoient toutes à ce général principe de rien. Dans la Morale même il ne mettoit pas le ſouverain bien de l’homme en quelque choſe de poſitif, ni de réel, mais ſeulement dans une ſimple négation du mal, ou dans une pure privation de toute incommodité. Et cette penſée le porta ſi loin, qu’il ſembloit ne reconnoitre point de cauſe première efficiente, parce qu’au lieu d’elle, il poſoit ſeulement. un néant éternel, immenſe, immuable, & tout-puiſſant, ce qui ſemble merveilleuſement chimérique. Cela fut cauſe que pluſieurs ſe ſcandaliſèrent de ſa doctrine, que les Chinois entre autres l’euſſent abſolument défendue comme très pernicieuſe, s’il n’eût declaré par un livre fait exprès, qu’il croioit un principe réel de toutes choſes, & un Créateur du ciel & de la terre, qui recompenſoit les bons de ſa gloire, & puniſſoit les méchans des peines de l’Enfer. Avec cette eſpece de manifeſte il mit ſa ſcience à couvert, & ſe déchargea de l’impieté, dont on le vouloit acculer. Et certes la plûpart des Relations, tant de la Cochinchine, d’où il envoioit ſes compoſitions au dehors, que de la Chine, portent, que ces peuples Orientaux recognoiſſent tous un Souverain Etre, & qu’ils ſont même fort exemts d’idolatrie. Car encore qu’ils aient beaucoup de Pagodes, & qu’on pourroit prendre le reſpect, dont ils uſent envers une infinité de Statuës, pour une manière d’adoration : ſi eſt-ce que perſonne d’entre eux n’attribue aucune Divinité à ces Idoles, qui ne ſont honorées qu’à cauſe qu’elles repreſente des hommes vertueux, & d’un mérite extraordinaire. C’eſt pourquoi le Pere Borry ajoûte, que ces pauvres Payens lut dirent, qu’ils ne faiſoient en cela, que ce que nous pratiquons à l’égard de nos Saints Apôtres, Martyrs & Confeſſeurs. Et il remarque, qu’ils tiennent exprès une niche profonde & obſcure, mais toute vuide, ſur le principal Autel de leurs Temples, pour témoigner, que le ſeul Dieu du Ciel, qu’ils y adorent, eſt d’une eſſence inviſible, & d’une nature incomprehenſible, ne pouvant être repréſenté par aucune image ni figure ; ce qui ſemble montrer, que s’ils ont des Idoles, ils ne doivent pourtant pas être réputés Idolâtras. Les Lettrés de la Chine, ou ceux, qui ſuivent la Secte de Confucius, ſont encore plus éloignés de ce crime. Car le Pere Trigaut dit précifémenr[29], qu’ils n’ont aucune Idole, & qu’ils ne défèrent les honneurs Divins qu’à un ſeul Dieu, dont ils révèrent la Providence en tout ce qui ſe paſſe ici bas ; bien qu’il uſent de quelque ſorte de culte envers de certains eſprits inferiéurs, que leur imagination leur repréſente tels, que des Anges ou des Intelligences.

Nous pouvons remarquer par tout ce que je viens de rapporter, qu’encore qu’il y ait aſſurément beaucoup de choſes à retranche & à circoncire dans ces Philoſophies Orientales, ſoit de Xaca, de Confucius, ou de quelque autre auſſi ſavant & auſſi vertueux qu’on nous décrit ces deux là ; elles ont néanmoins de très bonnes maximes, & la plûpart de leurs préceptes, comme parle le même Pere, très conformes à la lumière naturelle, & aux vérités du Chriſtianiſme. il paſſe juſqu’à dire, que tant d’en faut que l’Académie de Confucius ait ſes principes contraires à nôtre Réligion, qu’ils ſemblent n’être faits, que pour la favorifer faits, & lui donner de l’aide. Condannons donc cette Indolence ou cette exemtion de toute douleur, dont Xaca faiſoit nôtre parfaite béatitude ; & reconnoiſſons encore, que ſes termes touchant la Divinité ne peuvent être reçûs. Avouons que les diſciples de Confucius ont eu ſans doute des opinions erronées ſur beaucoup de ſujets ; qu’ils ont enſeigné auſſi bien que Pythagore une ridicule Métempſychoſe, & qu’ils ſe ſont lourdement abufés avec les Stoïciens, quand ils ont crû qu’il n’y avoit que l’ame des hommes de vertu qui fût immortelle. Mais reconnoiſſons en ſuite, que les uns & les autres n’ont pas laissé d’avoir de fort bonnes pensées d’ailleurs ; qu’ils ont inſtruit & porté au bien de très grandes Provinces, qui leur en rendent des honneurs immortels, & que leur doctrine auſſi ennemie de l’idolâtrie, qu’elle eſt remplie de belles moralités, ne mérite peut-être pas moins qu’on l’eſtime, que celle des Grecs & des Romains, dont on a tant parlé, encore que la premiere nous ſoit beaucoup moins connue, à cauſe de la grande diſtance, qui nous ſépare des extrémités de l’Aſie. Je dis tout ceci particulierement à l’égard de Confucius, de qui la vie pleine de ſainteté, pour uſer des propres mots du Père Trigaut, Lib. 1. cap. 5. nous eſt ſi fort recommandée par tous ceux, qui en ont écrit. Ils aſſurent qu’elle a rendu ſon nom vénérable aux Rois mêmes juſqu’à un tel point, qu’ils ſeroient conſcience de contredire la moindre de ſes ſentences & que ceux, qui portent encore aujourd’hui ce même nom de Confucius, parce qu’ils ſont de ſa race, jouïſſent d’une infinité de privilèges & de reſpects, que tout le monde leur défère. Nous ſerions donc à mon avis bien injuſtes & bien téméraires tout enſemble ſi nous n’honorions pas ſa mémoire avec celle des plus grands Philoſophes, que nous avons déjà nommés, & ſi nous deſeſperions de ſon ſalut, ne l’aiant pas fait de celui de Socrate, ni de Pythagore, qui vraiſemblablement n’étoient pas plus vertueux que lui. Car puiſqu’il n’a pas moins reconnu qu’eux l’unité d’une premiere cauſe, toute puiſſante, & toute bonne, il ne ſe peut faire qu’il ne lui ait auſſi conſacrê toutes ſes affections. Et pour ce qui touche la charité envers le prochain, qui fait le ſecond membre de la Loi, les Mémoires du Père Ricius nous aſſurent, qu’il n’y a rien de plus exprès dans toute la Morale Chinoiſe, qui vient de ce Philoſophe, que le précepte de ne faire jamais à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. C’eſt ce qui m’oblige à penſer, ſans rien determiner pourtant, que Dieu peut avoir uſé de miſericorde à ſon égard, lui conférant cette grace ſpeciale, qu’il ne refuſe jamais à ceux, qui contribuent par ſon moien, tout ce qui eſt de leur poſſible, pour l’obtenir.

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DE SENEQUE.



Nous n’avons parlé jusqu’ici d’aucun Philoſophe, qui ne ſoit plus ancien que le Chriſtianiſme. Et parce que j’ai fait voir dans la première, partie de ce livre, qu’on n’étoit pas obligé de ſuivre abſolument l’opinion de Saint Thomas, en ce qu’il a crû, que dans la Loi de Grâce & depuis la venuë du Meſſie, la Foi implicite ne pouvoit plus ſauver perſonne ; je juge à propos de donner une Section particuliere à Seneque. Il ne cède peut-être en mérite à pas un de ceux, que nous venons de conſidérer, & on ne ſauroit nier, qu'il n’ait pu prendre connoiſſance de l'Evangile, puiſqu'aiant paſſé la plus grande partie de ſon âge dans Rome, ſa mort ſous Néron ne précéda le Martyre de Saint Pierre & de Saint Paul que de deux ans ſeulement. Voions donc en quels termes nous pouvons parler d’un homme de ſi grand nom, & de ce que nous devons croire d’une vertu, qui a paru avec tant d’éclat dans le monde. Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/336 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/337 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/338 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/339 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/340 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/341 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/342 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/343 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/344 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/345 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/346 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/347 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/348 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/349 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/350 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/351 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/352 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/353 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/354 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/355 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/356 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/357 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/358 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/359 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/360 Page:La Mothe Le Vayer - Œuvres, Tome 5, Partie 1, 1757.pdf/361

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DE


JULIEN L’APOSTAT.



Ie choiſis expreſſément celui des Empereurs, qu’avec raiſon les Chrétiens déteſtent le plus, & que d’ailleurs les Infideles ont davantage eſtimé, afin de mieux reconnoître dans cette oppoſition des vices & des vertus qu’on lui attribue diverſement, en quels termes nous pouvons parler de lui le plus à propos. Ce n’eſt pas ſans ſujet, que Julien a laiſſé une ſi mauvaiſe mémoire de lui dans tout le Christianiſme, puiſqu’apres en avoir fait profeſſion, & donné de grandes eſperances, qu’il le favoriſeroit de tout ſon poſſible, il tomba dans cette infâme Apoſtaſie, qui deshonore ſon nom, & fut en effet le plus redoutable de tous les perſecuteurs de la Foi. Car, quoi qu’il y en ait eu de beaucoup plus violents en apparence, & bien qu’il fit profeſſion longtems de s’abſtenir du ſang des Martyrs, c’étoit avec une ſi mauvaiſe intention, & il ſe ſervoit de tant d’autres moiens, plein d’artifice, pour ruiner l’Egliſe, qu’on peut dire, qu’elle n’a point eu de plus dangereux ennemi que lui. Il avoit remarqué, combien les ſupplices, qu’elle avoit ſoufferts, lui ayoient ſervi, & particulierement[30] que la derniere perſecution de Diocletien l’avoit plutôt affermie qu’ébranlée ; cela fut cauſe, qu’il voulut tenir une voie plus douce, & qu’il tacha de la perdre ſans effuſion de ſang. Il reconnut, qu’elle n’avoit rien, qui lui fut ſi contraire que le Schiſme, & les diviſîons ; ce fut ce qui lui fit[31] favoriſer les Donatiſtes, & rappeller d’exil avec les Catholiques les principaux Héréſiarques, comme étoit Aetius, afin qu’ils ſe détruiſent les uns les autres dans des factions, ou il les entretenoit exprès, outre qu’il prenoit plaiſir à condamner les actions de ſon prédeceſſeur. Il conſidéra que la plupart des Chrétiens qu’il avoit à ſa ſolde étoient des perſonnes ſimples, & pleines de promptitude à lui rendre l’obeïſſance, qu’ils lui devoient ; le voilà auffitôt dans le deſſein de les ſurprendre, préſentant la paie d’une main & de l’autre l’encens, qui les jettoit dans l’idolâtrie. Ne fit-il pas tout ce qu’il pût[32] pour ôter à tous les Fidèles le nom glorieux de Chrétiens, leur impoſant par mépris celui de Galiléens, & ordonnant par Edit précis qu’ils ne fuſſent plus appellés autrement. C’étoit aſſez d’avoir remarqué la haine des Juifs contre ceux-ci, pour lui faire embraſſer la protection de la Synagogue, & la reſtauration du Temple de Jerufalem. Mais ſon plus artifice fut d’interpréter malicieuſement les préceptes Evangeliques, autant de fois qu’il eût moien d’offenſer par là ceux, qui les reſpectoient. S’ils ſe plaignoient de quelque injure, qui leur étoit faite, il ſe mocquoit d’eux[33] & leur reprochoit l’inobſervation de leur Loi, qui les obligeoit à la patience & à ſouffrir tout pour l’amour dé Dieu. Ce fut ſur le même prétexte, qu’il leur défendit d’exercer aucune magiſtrature, à cauſe, diſoit-il, que la Religion dont il faiſoit profeſſion, ne leur permettoit pas de condanner perſonne à la mort, d’où il inféroit une incapacité abſoluë de faire les fonctions de judicature. Il voulut les priver de même de celles de la Milice[34] ; & quand il les dépouüilloit de leurs biens, c’étoit à ſon dire, pour les rendre plus capables d’acququerir le Roiaume des Cieux, où ils aſpiroient, & dont la poſſeſſion étoit promiſe dans leurs livres aux pauvres de ce monde. On peut voir cette derniere raillerie dans l’une de ſes Epitres[35], qu’il écrit au Rhéteur Eccholus, & dans la precedente, l’Edit, que nous avons déjà remarqué, qui fit tant crier les plus ſavans hommes de ſon tems, à cauſe de la défenſe qu’il faiſoit aux Chrétiens d’enſeigner les lettres humaines, leur permettant ſimplement de lire Saint Luc & Saint Mathieu dans les Egliſes. A la vérité, Baronius a eu raiſon de dire, que par cet Edit l’entrée des Ecoles n’étoit pas interdite aux enfans des Fideles. Mais il y a grande apparence, qu’elle le fut par quelqu’autre ſubſequent, vû l’autorité de ceux, qui le témoignent ſi expreſſément. Car Socrate nous aſſure dans ſon Hiſtoire Eccleſiaſtique[36], que l’intention de Julien fut de rendre par là les Chrétiens incapables de ſe démêler des ſubtilités de la Dialectique, dont les Gentils ſe ſervoient. Théodoret veut[37], qu’il enviât aux Galiléens la connoiſſance de la Poéſie, de la Rhétorique, & de la Philoſophie, parce qu’avec ces ſciences ils combattoient le Paganisme de ſes propres armes, comme l’Aigle de l’Apologue, qu’on perçoit des plumes qu’il avoit lui-même fournies. Sozomene croit[38], qu’il leur défendit la lecture de toute ſorte d’Auteurs Ethniques, auſſi bien que d’entendre les Docteurs de vive voix, qui n’étoient pas de leur créance. Rufin uſe de ces termes[39], que par l’Ordonnance de cet Empereur les Colleges n’étoient plus ouverts qu’à ceux, qui avoient les Dieux & les Déeſſes en ſinguliere vénération. Et Nicephore confirme[40] tout ce que diſent les autres, ajoûtant, que Julien ne voioit rien plus mal volontiers, que les beaux ouvrages des Chrétiens, où ils ſe ſervoient de la Doctrine des Gentils ; comme ils ont toûjours fait à l’imitation de Saint Paul, qui rapporte librement dans ſon texte ſacré des paſſages d’Epimenides, d’Aratus, de Menandre, & d’Euripide, ſelon l’obſervation de Saint Jerôme, de Socrate, & du même Nicephore[41].

Quoi qu’il en ſoit, il eſt certain, qu’il ne laiſſa paſſer aucun moien de nuire aux Fideles, qu’il n’emploiât avec une paſſion extrème, & ſon animoſité contre eux fut ſi étrange, qu’elle lui fit violer juſqu’au droit des Gens, en la perſonne des Ambaſſadeurs de Perſe[42]. Il les avoit priés d’aſſiſter à quelque Sacrifice ſolemnel qu’il faiſoit dans Chalcedoine, & ſur le refus qu’ils en firent, comme Chrétiens qu’ils étoient, il les accuſa d’impieté à l’endroit des Dieux de leur pais, où le Soleil, la Lune, & le Feu étoient publiquement adorés ; ce qui lui ſervit de prétexte pour les faire mourir. On tient auſſi pour conſtant, qu’il avoit arrêté, d’achever de perdre tout le Chriſtianiſme, au retour de ſon expedition contre les Perſes. Saint Gregoife, & Saint Chryſoſtome[43] nous en ſurent, & Saint Jerôme dit dans ſa Chronique[44], que ce miſerable avoit fait un vœu particulier, d’immoler à ſes fauſſes Divinités des Chrétiens après ſa victoire. Cependant, il compoſa durant ce voiage les trois plus deteſtables livres, qui aient jamais été écrits au mépris de l’ancien & du nouveau Teſtament. Saint Jerôme veut, qu’il y en eût ſept[45], mais la diverſité du nombre peut venir de leur diviſion différente. Tant y a que Libanius, qui fit ſon Oraiſon funebre après ſa mort, les y préfera de beaucoup à ceux, que Porphyre avoit écrits ſur le même ſujet, ſelon qu’on peut le voir dans l’Hiſtoire de Socrate[46]. Ce ſeroit un témoignage ſuffiſant de l’abominable doctrine, qu’ils contenoient, quand nous n’en aurions point les preuves certaines par ce peu qu’en rapporte S. Cyrille, qui declare néanmoins dans ſon ſecond livre, qu’il ſupprime les plus mauvais propos de Julien contre la perſonne de Jeſus Chriſt. Mais je ne ſaurois croire, que Saint Gregoire les eût vûs, lorſqu’il declama ſes deux Oraiſons contre cet Empereur, parce qu’apparemment le zele de ce grand Evêque ne lui eût pas permis, de ſe taire là deſſus, aiant bien pris la peine de faire de rudes inſtances contre le Miſopogon, qui pourroit paſſer pour un ouvrage pieux, comparé à celui que nous diſons. Et ce fut à mon avis, ce qui obligea depuis Saint Cyrille à les refuter, par ces dix livres excellens, qu’il dedia au Grand Theodoſe, & qu’il écrivit vraiſemblablement, voiant, que Saint Gregoire n’avoit rien répondu à un ſi pernicieux attentat.

Ce furent ces impietés, & ce grand nombre d’actions tendantes à l’extermination du nom Chrétien, qui rendirent Julien à bon droit ſi odieux à tous les Fideles. Ils crûrent que l’interêt de la Réligion les obligeoit de le jetter dans la plus grande diffamation, qui ſe pourroit ; & bien qu’ils n’oppoſaſſent que leur patience, & leurs larmes, comme dit S. Gregoire[47], contre toutes ſes perſecutions, ils ne laiſſèrent pas principalement depuis ſa mort, de le dépeindre le plus horrible en toutes ſes parties, qu’il leur fut poſſible, afin de rendre ſa mémoire fi execrable, qu’elle fit peur & ſervit de leçon à ſes Succeſſeurs Ils lui reprochèrent[48], qu’après être entré par le Batême dans l’Egliſe, y être demeuré vint ans, & y avoir reçû dans la ville de Nicomedie la qualité d’Anagnoſte, ou de Lecteur l’une de celles du Clergé, il avoit honteuſement manqué de foi à Dieu & aux hommes, pour ſuivre les profanations du Paganiſme. Saint Gregoire le repréſente ſe lavant dans un bain de ſang[49], pour mieux effacer l’impreſſion & les marques des eaux Baptiſmales. On l’accuſa de magie, & de ne tenir auprès de lui ceux, qu’il faiſoit ſemblant d’honorer en qualité de Philoſophes, que pour apprendre d’eux l’invocation des Demons. Saint Jean Chryſoſtome dit l’avoir vû dans la ville d’Antioche environné de femmes impudiques, & de toute ſorte de perſonnes débauchées. Il lui impute même de s’être comporté en fort mauvais Capitaine, & d’avoir perdu par ſon imprudence la plus belle armée, que les Romains euſſent emploiée contre la Perſe. Car ne fut-ce pas un merveilleux aveuglement que le ſien, de brûler ſes vaiſſeaux à la perſuaſion d’un traitre, qui joüoit le perſonnage de Sinon, ou de Zopyre, & qui ſe moquoit de ſa facilité ? Enfin, après avoir condanné toutes les actions de fa vie, l’Hiſtorien Socrate le fait mourir de la main d’un Demon, & Saint Jean Damaſcene, avec Nicephore[50], de celle des Martyrs Mercure & Artemius. Il ſe prend au Soleil de ſon trépas dans Sozomene, & dans Theodoret il prononce des blaſphemes en expirant contre celui qu’il nommoit Galiléen. Pour ce qui regardes Gregoire, après avoir parlé de cette mort fort diverſement & ſans rien determiner[51], il ſe plait à le rendre ridicule par une envie ambitieuſe, qu’il attribue à cet Empereur, le figurant prêt de ſe jetter dans le fleuve au rivage duquel il étoit, afin que ſon corps ne ſe trouvant plus, il fit ſans difficulté pris pour un Dieu, comme aſſez d’autres, que le Gentiliſme a ſouvent conſacrés, après être ainſi diſparus. Il aſſure même que ſans l’oppoſition d’un Eunuque, qui ne voulut jamais conſentir à cette fourberie, les plus intimes amis de Julien lui euſſent aidé à le faire. Voilà de quelle façon les Chrétiens parlèrent de celui, qui les avoit ſi mal traités.

D’un autre côté les Ethniques, dont il avoit favoriſé l’Idolâtrie, & qui ſe ſentoient ſes redevables en mille façons, firent ſon portrait ſi accompli, & enluminèrent toute ſa vie de ſi belles couleurs, qu’elle pouvoit paſſer pour la piece de cette nature la mieux achevée, qui eût jamais paru dans le monde. Mamertin, Libanius, & Porphyre furent les plus grands maîtres, qui y mirent la main, dans des Oraiſon funebres & Panegyriques, dont il ne nous reſte que celle du premier, qui eſt l’action de graces pour ſon Conſulat. Calliſte[52], qui étoit des Gardes ordinaires de cet Empereur, compoſa un Poëme héroïque de ſes geſtes[53]. Eunapius en fit une Hiſtoire Chronologique, comme il le témoigne lui, même. Et une infinité d’autres ont traité ce ſujet à l’envi, ſans jamais ſe laſſer de donner à Julien les loüanges, que peut mériter le plus vertueux Prince de la terre… Mais outre ceux, qui n’ont parlé de lui qu’à deſſein de relever toutes ſes actions, en qualité de Paranymphes, ou d’Encomiaſtes, comme les nommoient les Anciens, il n’y a point eu d’Hiſtoriens Payens, qui ne l’aient priſé preſque à l’égal de ceux là. Ammien Marcellin mérite d’être conſideré comme le premier d’entre eux, tant à cauſe de la valeur de ſon Hiſtoire, que pour avoir accompagné celui, de qui nous parlons, preſque par tout, & notamment en ſon voiage du Levant, où il étpit préſent à ſa mort. On peut voir comme cet Auteur lui attribue un Génie pareil à celui des Héros[54], & de quelle façon il décrit l’union des vertus principales & des ſubalternes mêmes, qu’il aſſure, que ce Monarque poſſedoit en perfection. Il montre ſa temperance, non ſeulement dans l’uſage du boire, du manger, du ſommeil, & des autres actions de la vie, où il ne pratiquoit aucune delicateſſe ; mais ſurtout dans une chaſteté ſi exacte & ſi exemplaire, qu’il paſſa les plus grandes ardeurs de ſon âge, ſans qu’aucun de ſes amis ni de ſes domeſtiques prit le moindre ſoupçon, qu’il l’eût endomagée ; comme depuis la perte de ſa femme il n’eût jamais de privauté avec d’autres, qu’on lui pût reprocher, ni qui eût pour but la volupté. Sa prudence nous eſt repréſentée, comme aiant précedé de beaucoup les années, qui ont accoutumé de la donner aux autres. Elle s’étendoit auſſi bien ſur les affaires de la paix, que ſur ce qui concernoit la guerre. Et par ce qu’elle étoit accompagnée d’une grande & profonde connoiſſance, elle paroiſſoit principalement au mépris, qu’il faiſoit des choſes corruptibles, aiant fort ſouvent en bouche cette belle ſentence, Qu’il n’y a rien de plus honteux à un homme d’eſprit, que de faire beaucoup de cas des avantages du corps. Pour ce qui concerne la juſtice, il l’exerçoit de ſorte, ſi nous en croions Ammien, qu’on peut dire, qu’il s’eſt toûjours fait craindre ſans avoir jamais uſé de cruauté. Ses ſupplices ne touchoient que fort peu de perſonnes, encore qu’ils en épouvantaſſent beaucoup. On ſait même, qu’il pardonna avec une extraordinaire clemence à quelques-uns de ſes ennemis, qui avoient conſpiré contre ſa perſonne. Et quant à la derniere des vertus Cardinales, qui eſt la Force ou grandeur de courage, c’eſt en quoi nôtre Hiſtorien veut, que Julien ait tellement excellé, que comme on n’a point vû de Monarques, qui aient fait paroitre plus de généroſité que lui dans toutes leurs entrepriſes, principalement lorſqu’il a été queſtion de s’expoſer ſoi même ms au ſort des armes ; il n’y en a point eu non plus, qui aient mieux entendu le métier de la guerre, ſoit qu’il fût queſtion de forcer une place, ou de camper avantageuſement, ou de ranger ſes troupes en bataille. Il avoit rendu ſon corps ſi patient, qu’il ne ſe ſoucioit ni des froids d’Allemagne, ni des chaleurs exceſfives de la Perſe. Et pour preuve de la reputation, où il étoit parmi la Milice, il n’eſt beſoin que de conſiderer le pouvoir, qu’il eût de mener des bords du Rhin juſqu’en la Medie nos Soldats Gaulois, qui le ſuivirent auſſitôt, qu’il les eût harangués. Voilà une partie des éloges qu’Ammien Marcellin donne à Julien. Je laiſſe à part ce qu’il ajoûte de ſa bonne fortune, de ſa liberalité, & de ſon amour envers les peuples, afin de n’être pas plus long, & parce que je juge, que, nous nous ſommes aſſez étendus pour nôtre deſſein ſur une matiere ſi odieuſe. Il faut dire un mot ſeulement des autres Hiſtoriens profanes, qui ont écrit au même tems qu’Ammien, ou fort peu après. Eutrope portoit les armes auſſi bien que lui ſous Julien, & l’accompagna pendant ſon voiage d’Orient. Je ſai bien, que Raphaël de Volterre, Geſner, Poſſevin, & quelques autres ont crû, qu’il étoit Chrétien, & même diſciple de Saint Auguſtin. Mais il y a ſi peu d’apparence, que je ne me ſervirai de ſon témoignage que comme d’un Auteur infidele[55]. Après avoir parlé des victoires de cet Empereur en Allemagne & aux Gaules il vient à ſa mort qui lui fit avoir place au nombre des Dieux, ſelon l’uſage de ce tems là. C’étoit, dit il, un excellent homme, & qui eût admirablement bien gouverné l’Etat s’il eût vécu davantage. Il le loué enſuite d’avoir ſçû en perfection les lettres humaines, & ſur tout le Grec, où il étoit beaucoup mieux inſtruit qu’au Latin. Il recommande ſon éloquence, ſa mémoire, ſon incitation à la Philoſophie ; ſa liberalité, ſa juſtice, ſa douce domination, & finalement ſa reſſemblance à Marc Antonin, qu’il faiſoit proſesſion d’imiter. Mais comme il eſt beaucoup plus étendu, que je ne veux être, ſes termes ſont auſſi bien plus exprès, & bien plus à l’avantage de celui, dont nous parlons, que les miens… Sextus Aurelius Victor, celui, qui a fait l’Epitome de la vie des Empereurs Romains juſqu’à Theodoſe le Grand, s’explique, ſelon ſa façon d’écrire, en deux mots de ce qu’il penſoit de Julien, aſſurant quil avoit une connoiſſance merveilleuſe, tant des ſciences que des affaires, & qu’il ne cédoit en rien aux plus grands Philoſophes, ni à pas un des Sages de la Grece. Zoſime comprend auſſi beaucoup en peu de paroles, quand il ſoutient, que Julien ſurpaſſoit en vertu tous les hommes de ſon ſiécle. Et quand il compare la victoire[56], qu’obtint cet Empereur auprès de Strasbourg ſur les Allemans, dont il y eût trente mille de tués ſur la place, & autant de noiés dans le Rhin, à celle d’Alexandre contre Darius, il montre bien l’eſtime merveilleuſe, qu’il faiſoit de lui. Ces trois ou quatre autorités ſuffiſent, pour faire voir combien le jugement des Gentils a été différent de celui des Chrétiens ſur le ſujet que nous traitons.

Or s’il n’y avoit rien à conſidérer dans cette diverfité que le mérite des uns & des autres, je penſe qu’il ne ſe trouveroit perſonne d’entre nous, qui voulût héſiter à prendre parti, & que le zèle de la Réligion n’obligeât à mépriſer ce qu’on dit des Infideles, pour donner toute créance aux écrits de Saint Gregoire de Nazianze, de Saint Jean Chryſoſtome, & de Saint Cyrille. Mais pluſieurs ſoutiennent, qu’il faut avoir égard au genre d’oraiſon dont chacun d’eux s’eſt ſervi, & qu’il n’y auroit point d’apparence de donner autant de créance à celui, qui emploie ouvertement toutes les couleurs de la Rhétorique pour perſuader, qu’à un autre, qui fait profeſſion, & qui eſt obligé en effet, de rapporter nuément & avec fidelité ce qui eſt de ſa matiere. Car on ne peut pas nier, que ces bons Peres, qui ont ſi fort condanné toutes les actions de Julien, n’euſſent pris à tâche de le diffamer entierement, comme ſon Apoſtaſie, & ſon injuſte procedé contre le Chriſtianiſme le méritoit bien. Le ſeul titre de leurs livres le montre aſſez, & quand Saint Gregoire, qui traite le plus mal de tous cet Empereur, a donné le nom d’invectives aux deux piéces, qu’il a faites contre lui, il a ſuffiſamment témoigné, quel étoit ſon deſſein. Il s’en faut tant, qu’on les doive prendre au pied de la lettre, comme l’on dit, que tout le monde s’eſt étonné de voir, qu’en haine de cet Apoſtat, un ſi grand Théologien ſe ſoit diſpenſé de louër des Hérétiques, & de repréſenter Conſtantius comme un Saint, qui fut le protecteur des Arriens contre les Catholiques. Ce n’eſt pas la même choſe d’un Hiſtorien, que l’amour ni la haine ne doivent jamais empêcher de dire le bien & le mal des perſonnes, dont il repréſente les vies. Auſſi voions nous, que ceux, qui ont ſi hautement priſé Julien dans leur Hiſtoire, ne ſe ſont pas tûs de ſes vices, & qu’enſuite des éloges qu’ils lui ont donnés, ils ont toûjours remarqué les defauts, qui lui pouvoient être juſtement imputés. Ammien Marcellin le taxe d’avoir eu l’eſprit tardif[57], ou leger, ſelon que cet endroit de ſon vint cinquiéme livre ſe lit diverſement, avoüant néanmoins, que par la correction de ſes amis, qu’il ſouffroit volontiers, ce manquement n’étoit preſque pas reconnoiſſable. Mais il le reprend ſévèrement & ſans l’excuſer d’avoir été trop grand parleur, de s’être laiſſé emporter auſſi bien qu’Adrien aux vaines curioſités de l’avenir, d’avoir trop eſtimé les applaudiſſemens du peuple, & de n’avoir pas été toûjours égal à ſoi en diſtribuant la Juſtice. N’avoue-t-il pas même, qu’il étoit plûtôt ſuperſtitieux, que légitime obſervateur des Loix du Paganiſme, ſe moquant de lui auſſi bien que de Marcus, pour avoir preſque dépeuplé le monde de bœufs, par la fuperfluité des ſacrifices, qu’ils faiſoient ? Et ne remarque-t-il pas encore ſa trop grande ſévérité, lorſqu’il défendit aux Profeſſeurs de Grammaire & de Rhétorique, qui étoient Chrétiens, de ne plus enſeigner la jeuneſſe ? Eutrope n’a pas fait difficulté non plus de lui reprocher l’excès de ſa rigueur contre la Réligion Chrétienne. Il dit, que ſon ambition lui donnoit quelquefois des tranſports d’eſprit fort repréhenſibles. Et il obſerve, que ſa négligence donna ſujet à quelques uns d’offenſer ſa réputation. Aurelius Victor touche encore cette négligence, & reconnoit que les bonnes parties, qui étoient en cet Empereur, recevoient quelque préjudice tant de ce côté là, que de celui de la ſuperſtition, de la témérité, & de la gloire, dont il étoit deſireux au delà de toutes les bornes raiſonnables. C’eſt ainſi que les loix de l’Hiſtoire obligent ceux qui l’écrivent, à donner connoiſſance de ce qu’il y a de bon & de mauvais en chaque choſe, ſans faire difficulté de veſperiſer ou reprimander les mêmes perſonnes qu’ils ont déja paranymphées ou louées. Et cette néceſſité de n’épargner jamais la vérité, eſt ce, qui rend les ouvrages Hiſtoriques beaucoup plus conſidérables, que ne le ſont les Panegyriques, ni les Philippiques, ou Invectives, qui n’obtiennent : preſque nulle créance de nous au prix de ces autres compoſitions.

Pour plus grande preuve de ce que nous diſons, il ne faut que voir de quelle façon nos Hiſtoriens Chrétiens ont parlé de Julien, & nous trouverons, qu’encore qu’ils aient tous deteſté ſon Apoſtaſie, & ſa cruauté envers les Fideles, ils n’ont pas laiſſé de reconnoitre les bonnes parties, qui étoient en lui, ſes avantages de Nature, & les dons de Dieu, dont il abuſoit. Quant aux Auteurs de l’Hiſtoire Eccleſiaſtique, encore que leur ſujet il ne ſouffrit preſque pas, qu’ils parlaſſent en bonne part d’un ſi grand Perſecuteur de l’Egliſe, ſi eſt-ce que Socrate priſe ſon éloquence, s’excuſant de ce qu’il n’emploie pas un ſtyle plus relevé à décrire les geſtes d’un Prince ſi diſert. Il reconnoit, que c’eſt le ſeul de tous les Empereurs depuis Jule Céſar[58], qui prononça dans le Senat ſes propres harangues, après les avoir compoſées pendant le ſilence de la nuit. Il avouë, qu’il honoroit tous les hommes ſavans, & ſur tout les Philoſophes. Et il remarque, qu’il chaſſa de ſon Palais les Eunuques, les Barbiers, & les Cuiſiniers, encore que ce ſoit en diminuant la gloire de cette action ; comme ſi elle étoit plûtôt de Philoſophe que de grand Monarque. Sozomene, & Nicephore n’ont pas fait ſcrupule non plus de dire[59], qu’il avoit obtenu de grandes victoires ſur les Barbares le long du Rhin ; qu’il étoit très illuſtre dès le vivant de Conſtantius ; & que ſa modeſtie, jointe à une douceur de mœurs ſinguliere, l’avoient rendu ſi agréable aux gens de guerre, que ce fut ce qui leur donna l’envie de le proclamer Auguſte.

Mais les autres Hiſtoriens, qui ne traitoient pas ſi préciſément des interêts de l’Egliſe, ont ſouvent écrit des choſes beaucoup plus à la recommandation de ce Prince, que n’ont fait les premiers, quoiqu’ils n’aient pas moins abominé qu’eux ſon Apoſtaſie. Jornandes, qui vivoit du tems de Juſtinien[60], après avoir obſervé comme Julien quitta le Chriſtianiſme pour ſuivre le culte des idoles, où il tachoit d’attirer tout les monde, ajoûte, qu’il ne laiſſoit pas d’être d’ailleurs un excellent perſonnage & très néceſſaire à la Répéblique. Zonare, long-tems depuis, le louë de ſa juſtice, de ſa frugalité, & de ſa modération d’eſprit en beaucoup de choſes[61]. Il rapporte ſon Epitaphe, qui lui donnoit la qualité de bon Roi & de brave guerrier. Enfin, nonobſtant toutes ſes méchancetés, qu’il conte fort au long, il fait ce jugement de lui après ſa mort. C’étoit un homme ſi fort paſſionné pour la gloire, qu’il la recherchoit même en des choſes de néant ; mais il ſouffroit fort patiemment la correction de ſes amis. Il étoit très bien inſtruit en toute ſortes de diſciplines, & principalement en celles qui ſont tenues pour les moins connuës. Au ſurplus il vivoit dans une telle temperance, qu’à peine le voioit-on cracher, & il avoit accoutumé de dire, qu’un Philoſophe s’abſtiendroit même de reſpirer ſi c’étoit une choſe poſſible. Cedrenus uſe de ces termes. Comme ce Prince étoit très ambitieux & très impie, auſſi étoit-il des plus abſtinens en ce qui touche le ſommeil, le luxe, & les paſſe-tems amoureux. Blondus, qui dedia ſa Rome triomphante[62], il y a près de deux cens ans, au Pape Pie Second, n’a point feint de nommer Julien, virum ingentis ſpiritus, doctrinæ, & virtutis : attribuant à ſon mérite, & à ſa vertu toutes ſes victoires, plûtôt qu’au nombre & à la force de ſes Legions. Mais Pomponius Lætus s’eſt donné beaucoup plus de licence que tous ceux-là, dans ſon Abregé de l’Hiſtoire Romaine, qu’il adreſſe à un Evêque Borgia un peu de tems depuis Blondus. Apres avoir conté, comme la mere de Julien ſongea durant ſa groſſeſſe, qu’elle enfanteroit un Achille, il le compare à Titus dans les exercices de la paix, & à Trajan pour les ſuccés de la guerre. Julien n’avoit, dit-il, pas moins de clémence qu’Antonin, de modération que Marc Aurele, ni d’étude, que les plus grands Philoſophes. Il exaggere enſuite ſa mémoire, ſa liberalité ; ſa temperance, & ſes autres vertus, aſſurant, que pendant ſon gouvernement on croioit, que la Juſtice fût deſcenduë du Ciel en terre. Bref, ni Ammien ni Eutrope n’ont rien écrit de beau touchant l’expedition militaire de Julien en Perſe, ni de conſidérable au ſujet de ſa mort, que Pomponius ne rapporte, jugeant avec eux cet Empereur digne d’être mis entre les premiers Héros, comme celui, dont on peut dire que la bouche & la main ont été très utiles au public, & ſingulierement à ſa patrie. Certes, c’eſt en parler bien indifféremment pour un Chrétien, & il me ſemble, qu’il devoit au moins excepter l’interêt de la Réligion. Baptiſta Egnatius n’a pas été ſi diffus que lui ſur le même ſujet[63]. Il attribuè pourtant à Julien un eſprit ſublime, fin & très ardent aux lettres, ajoûtant, que s’il l’eût retenu, & ſon excellent naturel, dans la pieté, oû on l’avoit élevè, il méritoit d’être compté entre les plus mémorables Princes de l’Antiquité. Ceci ſuffira, pour montrer, comme l’Apoſtaſie de cet Empereur n’a pas empêché les Chrétiens mêmes, qui ont écrit l’Hiſtoire, de dire avec franchiſe beaucoup de choſes à ſon avantage.

Faute de faire cette diſtinction ſi néceſſaire entre la façoir d’écrire des Peres, qui ont exercé leur ſtyle contre Julien, & les Hiſtoriens, qui en ont dit le bien & le mal ſelon les loix de leur profeſſion, il eſt arrivé, que quelques-uns n’ont pas porté, il me ſemble, tout le reſpect qui eſt dû au mérite & à la pieté des premiers. Je penſe que Leunclavius en eſt un, lui, qui fait dans ſa Préface ſur Zoſime une telle invective contre ceux, qui n’ont pas reconnu toutes les vertus de ce Monarque, que peut être a-t-il excedé les termes, qu’il devoit garder ſur une matiere ſi chatouïlleuſe. Nous pouvons eneore nommer Cunaeus, à cauſe d’une ſemblable Préface, qu’il a miſe au devant de ſa traduction des Céſars de Julien. Car non content de lui donner rang parmi les Héros, & de vouloir, que lui ſeul ait eu toutes les vertus, que les plus renommés Capitaines Grecs & Romains ont poſſedées ſeparément, & d’aſſurer, que toute ſa vie s’eſt écoulée dans une innocence ſi rare, qu’elle a été ſujette à l’envie : Il oſe blâmer ceux, qui ont préferé le premier Empereur Chrétien Conſtantin le Grand à un Apoſtat : Et il eſt ſi hardi que d’accuſer d’imprudence les Peres, qui gouvernoient l’Egliſe du tems de Julien, pour l’avoir, dit il, irrité mal à propos par leurs écrits, au lieu d’adoucir ſon eſprit par une paiſible obeïſſance. En vérité, je trouve que le Reverend Pere Petau[64], ſelon qu’il ſait conjoindre la pieté à une ſcience très profonde, a eu raiſon d’accuſer Cunaeus de témerité, & de lui reprocher ſon peu de jugement, lorſqu’il a parlé de la ſorte.

Il eſt certain, que la mémoire de Conſtantin n’eſt pas venué ſi pure juſqu’à nous, qu’elle ne ſoit chargée de pluſieurs défauts, & de quelques crimes même, dont il n’eſt pas ſacile de l’excuſer. On lui impute, d’avoir fait beaucoup d’exactions, pour reparer ſes prodigalités ; d’avoir mis le premier l’impôt du Chryſargyre, ou de l’or luſtral, qu’on exigeoit tous les quatre ans ; & d’avoir fait mourir dans une étuve ſa femme Fauſte, après s’être défait de ſon fils Criſpus par une pure jalouſie, qu’il eût d’eux. Nous liſons, qu’il rappella d’exil Arius en faveur de ſa ſœur Conſtance, aiant au contraire relegué à Trèves le grand Saint Athanaſe. Et nous avons une de ſes loix dans le Code de Juſtinien[65], qui a ſoandaliſé une infinité de perſonnes, en ce qu’elle defend de punir ceux, qui ne ſe ſervent de la Magie que pour trouver des préſervatifs contre les maladies, & des ſecrets propres à l’uſage de la vie, tels que ſont ceux, qui éloignent les orages & les tempêtes ; comme ſi un art ſi dannable devoit être toléré, à quelque fin qu’on puiſſe le rapporter. Mais quand l’animoſité de Zoſime contre Conſtantin ne nous ſeroit pas connué, & bien que nous fuſſions d’accord, qu’il auroit pû, étant homme, commettre une partie de ces fautes, dont Euſebe néanmoins ne nous à rien dit : Cet illuſtre Monarque a fait d’ailleurs tant de belles actions ; ſon mérite eſt ſi grand à l’égard de nôtre Réligion, & ſa fin accompagnée des graces du Ciel, & pleine de bénedictions, lui donne un tel avantage ſur Julien, qu’il y a de quoi s’étonner, que des Chrétiens puiſſent préferer un Apoſtat au premier Empereur, qui s’eſt ſoûmis à la Foi.

Pour ce qui touche les Peres, que Cunæus taxe ſans raiſon d’avoir excité le même Julien par leurs invectives à perſecuter nôtre créance, c’eſt une calomnie, qui ne peut faire impreſſion, que ſur ceux, qui ſeroient ignorans tout à fait de l’Hiſtoire. Car on ſait que Saint Cyrille n’a vécu que quelque tems après lui, & que S. Gregoire, ni Saint Chryſoſtome ne l’ont mal traité, comme ils ont fait, que depuis fa mort. De ſorte, que, c’eſt une moquerie de dire, que fon animoſité contre les Chrétiens procedât des mauvais propos, qu’ils tenoient de lui, vû que, comme nous avons déja remarqué, ils n’oppoſèrent jamais que leur patience à toutes ſes violences, & ſe tinrent tellement dans le devoir de leur ſujetion, que ſon armée, qui l’accompagnoit contre les Perſes n’étoit pas moins compoſée de Fideles, que de prefanes & d’idolâtres.

Mais outre qu’il eſt vrai, que jamais ces Peres ne donnèrent aucun ſujet à Julien de perſécuter le Chriſtianiſme, je crois qu’au lieu de les blâmer de la façon, dont ils ont écrit contre lui, nous devons eſtimer leur pieté, & leur ſavoir gré du zèle qu’ils ont fait paroitre pour nôtre Réligion. En effet, il faut conſidérer, qu’ils avoient à faire à un Prince, qui emploioit toutes les forces de ſon eſprit, & de ſon Diadême, à ruïner ce que Conſtantin & ſes Enfans venoient d’édifier dans l’Egliſe. Ils étoient dans un ſiécle, où la plus grande partie de l’Empire Romain retenoit encore le culte des faux Dieux, que cet Apoſtat, vouloit rétablir par tout. Et ce qui eſt principalement à obſerver, ils voioient, que fa grande reputation d’être l’un des plus ſavans & des plus vertueux de ſon tems, préjudicioit merveilleuſement au ſervice & à l’honneur du vrai Dieu, qu’il avoit abandonné. Que pouvoient ils donc faire de mieux, que de le diffamer de tout leur poffible, & de tacher à faire perdre cette bonne opinion, qu’on avoit de lui, puiſque le Diable s’en vouloit ſervir à la deſtruction de nos Autels ? Certes, je ne penſe pas, qu’il y ait encore aujourd’hui un Chrétien, qui puiſſe lire la moindre partie des blaſphemes, que ce miſerable vomiſſoit ſur les textes facrés du vieux & du nouveau Teſtament, ſans recevoir dans ſon ame les mêmes mouvemens, qui animoient Saint Gregoire, Saint Chryſoſtome, & Saint Cyrille contre lui[66] ; encore que le dernier proteſte dans le ſecond livre de ſa réponſe, comme nous venons de l’obſerver, qu’il ſupprime exprès les plus mauvais termes, que Julien emploioit contre la perſonne de Nôtre Seigneur. C’eſt donc à tort, qu’on veut noter d’indiſcretion le zèle de ces grands Perſonnages, qu’ils ont eu très pieux, & très proportionné à la condition du tems, auquel ils vivoient.

Que s’il faut que nous faſſions diſtinction entre nôtre ſiécle & le leur, comme c’eſt une choſe, qui ſe pratiqué aſſez ſouvent dans l’Egliſe, & qui eſt conforme à la doctrine de Saint Auguſtin[67], que nous avons déja rapportée, je crois que ſans rien rabatre de l’averſion, qu’ont euë ces Peres, & que nous devons toûjours avoir contre Julien, eu égard à ſon Apoſtaſie, nous pouvons douze cens ans & plus après eux, reconnoitre de certaines vérités hiſtoriques, qui ne peuvent plus nuire à perſonne, & parler de lui conformément à ce que tant d’Auteurs Chrétiens & profanes en ont écrit. Car puiſque le Paganiſme, qui étoit alors, ſe trouve à préſent entierement aboli, & puiſque nous n’avons plus à craindre, que ni Saturne ni Jupiter ſe remettent ſur nos Autels, je ne vois pas, qu’il y ait d’inconvenient à recevoir ce qui ne peut être rejetté, ſans revoquer en doute par même moien tout ce que nous liſons de plus conſtant dans les livres. Je ſai bien, qu’il y a encore des Idolâtres dans le monde, & qu’il ſe trouve de nos jours des hommes, qui adorent dans l’une & l’autre Inde les animaux, & les choſes mêmes inanimées, qu’ils craignent, ou qui leur profitent. La dannable Secte de Mahomet s’étend par toutes les trois parties de l’ancien hémiſphere… Et le nombre des Athées y eſt peut-être plus grand, qu’il ne fut jamais. Mais je nie, qu’il reſte la moindre véneration de toutes ces fauſſes Divinités des Anciens, ni que Jupiter, Junon, ou Neptune reçoivent plus d’encens en quelque coin de la terre que ce puiſſe être. Cela étant ainſi, qu’y a-t-il plus à redouter de la part de Julien, qui ne viſoit qu’à rétablir leurs Sacrifices ? & quel mal peut venir de ce que nous reconnoitrons en lui quelques bonnes parties parmi les vicieuſes, & de certaines vertus Morales, comme autant de dons de Dieu, dont il abuſoit, & qui ne lui ont ſervi, qu’à rendre ſes fautes plus irrémiſſibles. Ce qui m’aſſure que nous le pouvons bien faire, c’eſt qu’outre le témoignage de tant d’Hiſtoriens, qui ont tous convenu en ce point, que la Nature avoit donné d’excellentes qualités de corps & d’eſprit à Julien, je vois que Saint Auguſtin n’a pas fait difficulté des ſon tems de l’avouer[68], quand# il dit en parlant de lui, Cujus egregiam indolem decepit amore dominandi ſacrilega & deteſtanda curioſitas. Louis Vives ajoute dans ſon Commentaire ſur ce paſſage, Vir cœtera egregii animi, regendique imperii callentiſſimus. Suidas n’a point fait de ſcrupule non plus, de lui donner la vertu, qu’on veut, qui contienne en ſoi toutes les autres. Il aſſure, que comme ſa grande Juſtice le rendoit de facile accès aux gens de bien, elle le faiſoit haïr de tous les méchans, qui le trouvoient inſupportable. Et il le recommande encore pour cette bonté ſinguliere, dont il uſoit envers les perſonnes de lettres, s’étant toûjours, comporté avec égalité, & ſans prendre avantage de ce qu’il étoit, parmi les Philoſophes. Cela me fait ſouvenir du reproche, que lui fait Ammien[69], d’avoir reçû trop familiérement le Sophiſte Maximus, s’étant levé de ſon ſiége pour aller au devant de lui & pour le recevoir à bras ouverts. On ſait auſſi, qu’il honora Thémiſtius de la Préfecture de Rome ; qu’il fit Queſteur Libanius, cet autre Sophiſte, que Saint Baſile a tant eſtimé, & qu’un nombre d’autres hommes ſavans, tels que Priſcus, Jambliche, Oribaſius, & Prohærefius, reçûrent de grandes faveurs de lui. Cependant Saint Auguſtin & les autres, qui, ont reconnu, que Julien poſſedoit ces bonnes conditions, n’ignoroient pas ce que Saint Gregoire, Saint Chryſoſtome, & Saint Cyrille avoient écrit de lui, & ne déteſtoient pas moins qu’eux les vices, qui le diffamoient d’ailleurs, & ſur tout ſon Apoſtaſie. Mais parce que ceux-là ont parlé en un tems où le Chriſtianiſme étoit en aſſurance, & où la mémoire des vertus de Julien ne pouvoit plus faire de préjudice aux Fideles, ils ſe ſont diſpenſés d’en dire ce qu’ils trouvoient conſtant par toutes les Hiſtoires.

En effet, on ne ſauroit nier, que Julien ne ſût doüé d’un excellent naturel, ſoit pour les exercices de la Paix, ſoit pour ceux de la guerre. Il apprit les premiers Rudimens de la Grammaire de l’Eunuque Mardonius dans Conſtantinople, & puis auprès de Céſarée. Eccholius, cet homme ſi inconſtant en la Foi, fut ſon maitre en Rhétorique… Et s’il n’eût point été tranſporté en Nicomedie, où Libanius, & depuis Maximus depravèrent fon ame par des leçons d’impieté, & d’idolâtrie, ſa premiere inſtitution, toute Chrétienne, donnoit de merveilleuſes eſperances de ſa perſonne. Lui & ſon frere Gallus eûrent la charge de Lecteurs publics dans l’Egliſe, & leur devotion les porta à faire bâtir des Temples en l’honneur de quelques Martyrs, qui témoignèrent dès lors n’avoir pas agréable le zèle du premier. Tant y a que par ſa propre confeſſion, dans la lettre qu’il écrit aux Alexandrins[70], il fut juſqu’à l’âge de vingt ans dans une profeſſion publique du Chriſtianiſme. Il eſt vrai, que tous les Hiſtoriens Eccleſiaſtiques tombent d’accord, que la haine de Conſtantius ſon oncle l’obligea longtems de diſſimuler fon infidelité. Sozomene témoigne, qu’il ſe fit même raſer, feignant de vouloir être Moine, afin de le mieux tromper. Et on aſſure, qu’au lieu d’adorer le vrai Dieu, il adreſſoit ſouvent en cachette ſes prieres à Mercure[71]. C’eſt pourquoi Zoſime le repréſente Payen long-tems avant que d’être Empereur[72]. Et Ammien dit, qu’encore qu’il eût quitté la créance des Chrétiens, il ne laiſſa pas d’aller un jour d’Epiphanie à l’Egliſe, où il fit mine d’y prier Dieu. En fin, auſſitôt, qu’il ſe vit hors de crainte, par la mort de celui, qui le laiſſoit dans une paiſible poſſeſſion de l’Empire, il leva le maſque, ſe déclara Souverain Pontife des Gentils, & paſſa le reſte de ſes jours dans une Apoſtaſie, qui a deshonoré toute ſa vie. C’eſt ainſi qu’un ruiſſeau très agréable, après avoir arroſé mille belles fleurs dans un jardin Roial, ſe va quelquefois jetter dans une puante cloaque. Mais la confuſion des mœurs n’eſt jamais telle, qu’on n’en puiſſe conſidérer le bien & le mal ſeparément, encore que l’un ou l’autre prévale, comme fait ſans doute le dernier, au ſujet dont nous parlons. Entre les choſes, qui nous font reconnoitre le plus clairement, qu’il ne ſe peut faire, que Julien n’eût de grandes vertus mélées parmi ſes vices, l’honneur, que lui rendit ſon ſucceſſeur Jovien n’eſt pas des moindres. Ce Prince étoit ſi Chrétien, qu’il s’offrit à Suidas in perdre ſa ceinture militaire long-tems avant que d’être Empereur[73], & ſe préſenta pour être dégradé, plûtôt que de ſacrifier ſelon l’Qrdonnance de Julien. Et lorſqu’il fut élû en ſa place, il étoit reſolu de renoncer à l’Empire à cauſe de la Réligion, dont il ſaiſoit profeſſion, ſi la meilleure partie de l’Armée ne l’eût aſſuré, qu’elle lui donneroit tout contentement à cet égard, comme le raporte Rufin, & beaucoup d’autres après lui[74]. Cependant ſon zèle pour la Foi ne l’empêcha pas d’eſtimer grandement le mérite de celui, qui l’avoit ſi ſort perſecutée, de lui deſtiner un très ſuperbe Sepulcre, & de dire hautement, que le faux-bourg de Tarſe, ni la riviere de Cydne, quelque claire & agréable qu’elle fut, ne méritoient pas de garder ſes cendres, que la ſeule ville éternelle de Rome, & le Tybre devoient poſſeder[75]. Certes, rien ne pouvoit obliger Iovien à parler ſi avantageuſement d’un tel Prédeceſſeur, que la connoiſſance qu’il avoit des qualités rares & vertueuſes, qui étoient en lui nonobſtant ſon Apoſtaſie. On peut ajoûter à cela l’hon neur, qu’il fit rendre à ſon cadavre, que toute l’Armée accompagna juſques dans la ville de Tarſe, où il le fit laiſſer comme en dépôt, avec un Epitaphe, dans lequel il eſt nommé très bon Roi, & très excellent guerrier.

Ne ſait on pas auſſi[76], que ce grand applaudiſſement, avec lequel le même Iovien fut reçû de toute la Milice, lorſqu’il fut proclamé Empereur, ne proceda que de la reſſemblance de ſon nom à celui de Iulien, qui ne différoit que d’une lettre ? Or il eſt certain, qu’une bonne partie de cette Milice étoit Chrétienne ; ce que témoigne aſſez l’élection, qu’elle fit d’un Prince de nôtre Réligion. D’où pouvoit donc partir un ſi grand témoignage d’affection à la mémoire d’un Idolâtre, perſecuteur des Fideles, ſi nous ne l’attribuons aux vertus éclatantes & vraiement Imperiales, qui ne laiſſoient pas de le faire aimer, & de le rendre recommandable ?

Et véritablement ſa fin ſeule, quand le reſte de ſes actions n’y eût rien contribué, lui pouvoit acquerir cette grande reputation. Car la façon douteuſe, dont en parle Saint Grégoire, fondée, ſur quelques bruits, qu’on fit alors courir, & ſur les raiſons, que nous avons dit, qu’il avoit de le décréditer, même après ſa mort, ne nous peut pas empêcher de déferer au témoignage de deux Hiſtoriens, qui parlent de ce qu’ils ont vû. Ammien principalement, qui paſſe pour un Auteur digne d’être crû en tout le reſte de ſes livres, qui n’a rien pardonné à Julien, comme nous l’avons fait voir, & qui l’a même taxé de ſévérité contre les Chrétiens, ne doit pas être rejetté, ce me ſemble, en cette ſeule narration. Il le repréſente courant ſans ſa cuiraſſe à la premiere alarme des ennemis[77], parmi leſquels il reçût le coup, dont on n’a jamais ſçû le véritable auteur. Auſſitôt, qu’il eût repris un peu de force par le premier appareil de ſa plaie, il demande ſon cheval & ſes armes pour retourner dans la mêlée, & fait paroitre un courage de Général, qu’Ammien ne peut s’empêcher de comparer à ce lui d’Epaminondas au combat de Mantinée. Les propos, qu’il tint enſuite, touchant le mépris de la mort, le regret ſeul, qu’il temoigna de celle d’Anatolius, la véhémence avec laquelle il reprit ceux, qui pleuroient autour de lui, & ſon dernier entretien avec Priſcus & Maximus ſur l’Immortalité de nos Ames, ſont des preuves d’une vertu, à laquelle il n’a manqué, que la Foi, pour être tenuë bien-heureuſe. Sans mentir, on peut dire, que c’eſt dommage, qu’elle ait été Paienne, & qu’un Rénegat, le plus dangereux perſecuteur peut-être, que l’Egliſe ſouffrit jamais, s’en ſoit trouvé revétu. Mais c’eſt ici qu’il faut donner des bornes à nôtre raiſonnement, captiver nôtre eſprit, & lui faire admirer avec ſoûmiſſion la profondeur des jugemens de DIEU.

Il y a bien de quoi s’étonner après ce recit Hiſtorique, de voir, qu’on veuille faire pasſer Julien pour un homme lache & ſans cœur, comme Saint Cyrille entre autres le nomme une infinité de fois dans le dixiéme des livres qu’il a compoſés contre lui. Et que celui, qui eſt mort les armes au poing avec un courage d’Epaminondas, après avoir gagné les victoires ſur le Rhin, comparées à celles d’Alexandre ſur le Granique, ſoit repréſenté comme un fainéant & un poltron. Que ſi nous loüons le zèle de ceux, qui ont parlé de lui de la ſorte, à cauſe des legitimes mouvemens, qu’ils ont eus de leur tems, cela n’empêche pas, qu’au nôtre nous ne puisſions, ſans offenſer la pieté, ſuivre en cela ce qui eſt le plus vraiſemblable.

Le reproche qu’on lui fait d’inexperience, & de mauvaiſe conduite, n’eſt peut-être pas plus conſidérable. On le fonde ſur ce qu’il fit brûler imprudemment preſque toutes les barques, qu’il avoit ſur le fleuve du Tigre, pour entrer plus avant dans le païs du Roi de Perſe, ſe fiant au conſeil d’un Traitre, qui fut cauſe de la perte de toute l’armée Romaine. Or bien qu’il ſoit vrai, que le chemin vers les montagnes lui fut indiqué par quelques Perſans, qui confeſſèrent leur trahiſon à la torture, comme le texte d’Ammien le porte[78] ; il eſt faux néanmoins, que l’incendie des vaisſeaux ſe fit à la perſuaſion de ce frauduleux Sinon, dont on parle, qui ne ſe préſenta devant Julien, qu’après qu’ils fûrent brûlés, ſelon qu’on peut le voir dans Nicephore. Et Zoſime dit expreſſément[79], que ce fut un avis, que prit l’Empereur par une mûre déliberation, encore que l’évenement l’ait fait depuis trouver mauvaiſe. En effet, il ſe reſolut à cela, pour ſe prévaloir de bien vint mille hommes, qui étoient occupés à la conduite, & à la garde de ſa flotte. Il craignoit d’ailleurs, qu’elle ne tombât entre les mains de ſes ennemis, qui s’en fuſſent prévalus contre lui. Et peut-être, qu’aiant arrêté de prendre un nouveau chemin, il vouloit ôter toute penſée à ſes ſoldats de revenir vers la riviere, & leur donner plus de réſolution à ſurmonter les difficultés de la route, qu’il avoit deſſein de tenir. Et quoi ? n’eſt ce pas ſur le même projet qu’Alexandre congedia ſes vaiſſeaux auſſitôt qu’il fut en Aſie ? Agathocles ne brûla-t-il pas de même fort heureuſement les ſiens en Afrique ? Caton n’eſt il pas loüé d’avoir renvoié à Marſeille ceux, qui l’avoient paſſé en Eſpagne ? Le Prince d’Orange dernier mort, ne gagna-t-il pas, il y a peu de tems, la bataille de Nieuport par un ſemblable ſtratagème ? Et ne liſons nous pas encore dans la conquête de Mexique, que Fernand Cortez fit enfoncer tout ce qu’il avoit de navires, afin que ceux, qui l’accompagnoient, ne ſongeaſſent plus au retour ? Pourquoi condannerons-nous donc en Julien la même choſe, faite à même deſſein, & à qui il n’a manqué, qu’une auſſi heureuſe fortune ; puiſque c’eſt une maxime, dont tout le monde tombe d’accord, qu’on ne doit jamais juger des actions par le ſuccès.

Ce qui eſt bien étrange, c’eſt qu’on l’accuſe principalement des vices oppoſés aux vertus, que tous les Hiſtoriens lui ont attribuées. Car il n’y a rien dont ils le recommandent davantage, que d’une chaſteté ſi par faite, qu’il ne donna jamais à perſonne le moindre ſoupçon d’impudicité, comme nous l’avons déja rapporté. Marcellin obſerve même à ce propos, qu’il citoit ſouvent un paſſage de Platon, où Sophocle s’eſtime heureux, que l’âge l'ait delivré de la ſervitude inſupportable de l’Amour ; Et qu’il avoit en core ſouvent dans la bouche quelques vers du Poëte Bacchilide ſur ce ſujet. Cependant Saint Jean Chryſoſtome entre autres afſure avoir vû dans Antioche cet Empereur, environné de toute ſorte d’hommes perdus, & de femmes débauchées, de façon, qu’on le prendroit, ſelon qu’il eſt repréſenté dans ce Tableau, pour l’un des plus diſſolus Princes, qui fut jamais[80]. Je ſais aſſez le reſpect, qui eſt dû à un ſi grand perſonnage que Saint Chryſoſtome, & je ſerois bien faché, d’avoir douté de ce qu’il affirme ſi préciſément, comme témoin oculaire. Mais je tiens auſſi pour certain, que l’accés libre, qu’il dit, que Julien donnoit à tant de perſonnes diffamées, doit être plûtôt imputé à ſon idolâtrie, & à ſa ſuperſtition, qu’à ſon impudicité. En effet, la Réligion Paienne avoit entre pluſieurs abſurdités celle-là, d’honorer je ne ſai combien de Divinités ridicules & honteuſes. Pour ne rien dire de leur Dieu Priape, ni de leurs Déeſſes Pertunde, Salacie, & autres, dont Saint Auguſtin s’eſt ſi bien moqué dans ſa Cité de Dieu[81] : ne ſait-on pas ce qui ſe commettoit dans leurs Temples de Venus, parmi leurs Bacchanales, & au milieu de ces

  1. In Enchir.
  2. Excer. Conſt. ex Polyb.
  3. Lib. 4. hist.
  4. In Melpôm.
  5. Cap. 2. Geneſ & Ex. c. 30 qu. 14.
  6. l. 8. Ep.
  7. (x) Comme les dernieres feuilles de ce Livre rouloient ſous la Preſſe, on m’a donné avis que quelques perſonnes qui avoient eu la curioſité de les voir à méſure qu’on les tiroit, s’étoient ſcandaliſées de ce que j’écris ici à l’avantage de Socrate, comme ſi je l’avois voulu égaler à nôtre grand Proto-Martyr Saint Etienne ; ce qui eſt très éloigné de mon intention.

    Je les ſupplie donc de conſidérer premierement, que toute ſorte de comparaiſons me vont pas à l’égalité, & qu’on tire ſouvent des ſimilitudes entre les plus petites choſes, & les plus grandes.

    … Sic parvis componere magna ſolebam. Virg. ecl. I.
    Juſtin Martyr m’a-t-il pas bien comparé le même Socrate à Abraham, & à Elie, dans ſa ſeconde Apologie ? Et ne ſavons-mous pas, que Samſon avec Salomon paſſent dans nôtre Théologie Chrétienne pour les figures de nôtre Redemteur ? quoiqu’on ne laiſſe pas de douter du ſalut de l’un & de l’autre, outre qu’il n’y a nulle proportion du Créateur à ſes créatures. L’on ne ſauroit nier que Saint Thomas 2.2. qu. 124. art.4. m’ait reconnu une eſpece de Martyre, qu’il appelle Martyrium per quandani ſimilitudinem, & que dans l’article cinquiéme ſuivant, il n’enſeigne, qu’on peut ſouffrir le martyre non pas pour la Foi ſeulement ; mais pour toute ſorte de vérités. Parce qu’il n’y a point de menſonge qui n’offenſe la Majeſté Divine. Auſſi Clement Ale
    xandrin nous avoit déja laiſſé par écrit, que quiconque obſerve les Commandemens de Dieu peut être nommé Martyr dans toutes ſes actions, qu’il accommode & ſoûmet à la volonté de ſon Créateur, Quicunque Servatoris mandata exequuntur, inunaquaque actio ne ſunt Martyres, &c. Ce n’a donc pas été une impieté que d’attribuer le Martyre à Socrate ſ’il eſt mort pour ſoutenir l’unité de Dieu. En effet, le mot de Martyr ne veut rien dire que témoin, ſelon l’obſervation du méme Docteur Angelique. Et quand je conſidére qu’il a bien comparé Jeſus Chriſt an même Socrate, & à Pythagore, dans la troiſiéme Partie de ſa Somme, qu. 24. art. 4. en ce qu’étant Docteurs ils n’ont néanmoins jamais rien mis par écrit ; ce qui n’eſt poſſible pas vrai à l’égard de Pythagore, comme mous l’avons remarqué ſur l’autorité de Diogene Laërce : je me puis trop m’étonner de ceux, qui ne peuvent ſouffrir, qu’on trouve quelque conformité entre le premier & Saint Etienne.

    Je leur repons en ſecond lieu, que n’aiant rien aſſuré de la béatitude de Socrate, même je proteſte que ce ſeroit témerité d’en rien déterminer, j’ai bien montré par là que je ne prétendois pas de l’égaler à S. Etienne, qui a ſouffert un véritable Martyre ; au lieu que nous ne parlons de celui de Socratè, qu’en quelque façon, c’eſt à dire figurement & avec improprieté. Mais ce qui m’étonne le plus, c’eſt qu’on n’ait pas pris garde à l’une des obſervations que j’ai faites dans ma premiere Partie pour ſervir à tout cet Ouvrage. En voici les propres mots : Ceux qui mèttroient en parallele les plus Illuſtres d’entre les Ethniques, avec nos grands Saints Confeſſeurs, Martyrs, & autres dont l’Egliſe célebre la mémoire, ne s’éloigneroient guères de l'impieté des Gnoſtiques, &c. Certes, je ne ſaurois comprendre, comme il eſt poſſible qu’on explique ſiſiniſtrement après cela ce que j’ai dit de Socrate.

    Pour derniere réponſe, je déclare franchement, que la penſée qu’on oſe condamner n’eſt pas mienne. Elle ſe trouvera dans la plûpart de ceux, qui ont traité le ſujet où je l’ai emploiée. Et on peut voir dans Collius Lib… de ani. pag. par. 4. 6. 7 : p. 132 en-
    tre autres ces termes précis, après avoir comnparé la mort de Socrate au Batéme de ſang de nos Martyrs, At ejuſdem artis, imo religionis eſt, in ſtatu naturalis & ſcriptae legis, pro confeſſione unius Dei, ac poſt agnitum Trinitatis & Divinitatis Chriſti Sacramentum, pro fide Salvatoris morte muletari. Si je m’ai pas ſuivi par tout ailleurs les ſentimens de ce Docteur Ambroſien, c’eſt un autre fait. Tant y a qu’à l’égard de ce dont il eſt ici queſtion, la Faculté de Théologie, le Vicaire de l’Inquiſition, & le Conſulteur du Saint Office de Milan, qui ont donné leur approbation, n'ont rien trouvé à redire en ce qu’il ſemble qu’on voudroit faire paſſer pour une impieté dans mon Livre.
  8. In Nebulos.
  9. Socrat. Eccl. Hiſt. l. 3. c. 19.
  10. D. Cyr. En. cont. Iul. & paſſim.
  11. Ep. 50.
  12. Lib. 2. cap. 12.
  13. Lib. 1. ad nat. & in Apol.
  14. Cap.44. Apol.
  15. De ſalſa. ſap l. 3. cap. 10.
  16. Cap. 24. Lib. 5. de ſuſticia, cap. 23.
  17. Lib. 16. lect. anc. cap. 12.
  18. Lib. 25. Annal.
  19. Lib. de vera Relig.
  20. Lib. 12. de præp. Evang. c. 7. de perenni Phil. l. 5. cap. 20. ad Apol. Pl pro Socrate.
  21. Vix mihi tempero quin Sancte Socrates ora pro nobis. In conv. Rel.
  22. Orat. 6.
  23. Tunc ſecundis velis navigavi cum naufragium feci.
  24. Lib. 1. de nat. Deor.
    Lib. 3. de falſa Sap. cap. 17.
  25. Diog. Laërt. Photius in bibl.
  26. Trigaut l. 1. cap.
  27. Relat. de la Cochinchine. 1. Part. chap. 6.
  28. 2. Part. chap. 8.
  29. Lib. 1. cap. 10.
  30. Soz. l. 5. c. 4. & 5.
  31. Optatus.
  32. Greg. Nanz. invect. 1. contra Iul. Chryſ. contra Gent. Iul. in Ep. & Amm. Marc. l. 23.
  33. Socrat. l. 3. Hiſt. c. 11.
  34. Theodoretus l. 3. c. 7.
    Ruſinus l. 1. c. 32.
  35. Ep. 45.
    Ep. 42.
  36. L. 3. c. 10.
  37. L. 3. c. 7.
  38. L. 5. c. 17.
  39. L. 10. c. 32.
  40. L. 10. c. 25. & 26.
  41. D. Hier. ad Magnum or. Rom. l. 3. c. 14.
  42. Niceph. l. 10. c. 11. & Metaph. die 17. Junii.
  43. Orat. 2. In
  44. Jul. adv. Gentes.
  45. Ep. 84. ad Magnum.
  46. L. 3 ; c. 19.
  47. Invect. 1.
  48. Cyrill. præf. Greg. Nanz. c. 1. Sozom. l. 5. cap. 2. Socrat. l. 3. cap. 1. & alii.
  49. Orat. adv. Gentes.
  50. Lib. 3. cap. 18. Orat. 1. de Imag. lib. 10. cap. 35 Lib. 6. cap. 2. Lib. 3.
  51. cap. 20. Invect. 2.
  52. Niceph.
  53. h. 10. c. 34.
  54. Lib. 25.
  55. Tab. 10.
  56. Lib. 3. hiſt.
  57. Lentioris vel levioris imagini
  58. Lib. 3. cap. 10.
  59. Lib. 5. cap. 1. Lib. 9. cap. ult.
  60. Lib. 1. de Regn. & temp. ſuc.
  61. Tom. 3.
  62. Lib. 7.
  63. L. 1. Rom. Princ.
  64. Præf. ad Jul. opera.
  65. L. 4. C. de maleſ.
  66. Contra Julian.
  67. Ep. 50. ad Bonifac.
  68. Lib. 7. de Civ. Dei cap. 21.
  69. Lib. 22.
  70. Ep. 22.
  71. Lib. 3.
  72. Lib. 21.
  73. Suidas in voce Jovianus.
  74. Ruf l. 2.
  75. Amm. Marc. l. 23. Peri lat. & alii.
  76. Zoſimus lib. 3.
  77. Lib. 25.
  78. Lib. 24.
  79. Lib. 10. cap. 33. lib. 3.
  80. Orat. adv Gentes.
  81. Lib. 5. de Civ. Dei.