Lausanne à travers les âges/Aperçu/04

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Collectif
Librairie Rouge (p. 20-24).


IV

Proclamation de la Trève-Dieu. — Consécration de la cathédrale en 1275. — Concile de Lausanne. — Séjour de Charles le Téméraire.

Lausanne a une histoire terne et effacée. Son développement fut lent ; ses bourgeois n’avaient pas le sens diplomatique qui distinguait les Bernois, les Zurichois, les Lucernois et les gens des Waldstetten. Tandis que nos Confédérés de la Suisse allemande jouent un rôle sur la grande scène politique et qu’ils exercent une action, parfois décisive, les événements qui se passent au delà de leurs frontières, les Lausannois, comme les Vaudois, demeurent simples spectateurs des grandes luttes du moyen âge. Il faut dire, pour expliquer leur passivité, que, tandis que les Confédérés avaient à se défendre contre les empiétements de la maison de
Porte Saint Maire, démolie en 1890.
Habsbourg, les communes vaudoises vivaient heureuses, sous la domination paternelle de leurs évêques et sous celle du comte Thomas Ier et de ses successeurs. Dès le douzième et le treizième siècle elles jouissaient d’une large autonomie. On a vu plus haut que les franchises de Lausanne remontent à l’année 1144. La charte de Villeneuve lui fut accordée en 1214 par le comte Thomas Ier ; celles de Vevey et d’Aubonne datent de 1236 ; celle de Payerne (dont l’origine doit probablement remonter aussi au comte Thomas Ier), de 1283 ; celle de Moudon, de 1286 ; celle de Grandson, de 1293, etc. Dans ces chartes des notions élémentaires de droit civil se trouvent mêlées aux questions de droit public. Ces franchises sont ainsi contemporaines du mouvement qui aboutit, dans la Suisse allemande, au pacte de 1291 ; quelques-unes sont même antérieures à la charte de Schwytz, donnée par Frédéric II en 1240.

Quelques événements capitaux, qu’il convient de rappeler, se passèrent sous les yeux des Lausannois.

Ce fut, en 1036 (ou 1037), la proclamation de la Trêve-Dieu. En ces temps difficiles, les exactions, le pillage, la guerre régnaient à l’état permanent. L’auteur de la chronique du couvent de Romainmôtier, parlant des méfaits d’Adalbert de Grandson et de ses vassaux, s’écrie avec un accent de désespoir : « Il est impossible de dire tout le mal qu’ils nous ont fait ! »

L’Église, dont on dit souvent tant de mal, — il sera bien permis de relever le fait à son actif, — l’Église voulut mettre fin à cet état de choses. Suivant l’exemple des prélats du Midi de la France, les archevêques de Besançon, de la Tarentaise, de Vienne en Dauphiné, les évêques de Bâle, Belley, Genève, Saint-Jean-de-Maurienne, Aoste et Sion, répondant à la convocation de Hugues de Lausanne, se réunissent au pied de la colline de Montriond, non loin d’Ouchy ; là, en présence de la noblesse et du peuple assemblés, ils proclament solennellement la Trêve-Dieu. Sous peine d’excommunication, il fut dès lors défendu de faire la guerre du mercredi soir au lundi matin et durant la semaine sainte. Cette mesure, qui assurait une sécurité relative, fut accueillie par le peuple aux cris de : « Dieu le veut ! Dieu le veut ! Paix ! Paix ! »

En 1275, sans être achevée, la cathédrale était reconstruite. Ce splendide édifice atteste à la fois la piété des fidèles et l’art merveilleux auquel étaient parvenus les architectes et les sculpteurs du Moyen âge. Rien dans les conceptions les plus idéalistes des temps modernes n’atteint, même de loin, la merveilleuse beauté des sanctuaires gothiques. Le Moyen âge était une époque de contrastes : si l’on peut lui reprocher les criantes injustices dont il s’est rendu coupable, il faut reconnaître aussi que ce fut le temps des élans généreux, et que cette période, si souvent décriée, avait sa grandeur.

Le 20 octobre 1275, le pape Grégoire X fit la dédicace de la cathédrale de Lausanne, en présence de Rodolphe de Habsbourg, de 7 cardinaux, de 20 archevêques, de 17 évêques et d’une nombreuse suite de princes, de comtes et d’abbés. Lausanne vit, à cette occasion, une foule immense d’étrangers accourus de toutes les parties de la chrétienté. Le jour suivant, Rodolphe de Habsbourg, qui n’était encore que roi des Romains, prêta serment de fidélité à l’Église ; il reçut du saint-père l’imposition des mains et prit la qualité d’empereur. C’est ainsi que se termina, à Lausanne, un conflit séculaire entre l’empire et la papauté, et que fut scellée, entre la maison d’Autriche et la curie romaine, cette alliance qui devait être, pendant des siècles, l’un des pivots de la politique européenne. Ce fut l’occasion de fêtes splendides.

Peu après celles-ci, les Lausannois, de connivence avec le comte Philippe de Savoie, se révoltent contre leur évêque — Guillaume de Champvent — qui fut obligé de quitter la ville avec ses partisans (1282). Ce prélat parvint cependant, avec l’aide des gens de Lavaux, à rentrer en possession de Lausanne. La paix fut rétablie, grâce à la médiation de l’empereur Rodolphe. Quelques années plus tard, la lutte éclata de nouveau entre Louis de Savoie, baron de Vaud, et l’évêque (1295-1300) : nombre de Lausannois embrassèrent la cause de la Savoie.

Sous l’épiscopat de Georges de Saluces, en 1449, les Pères du Concile de Bâle, réunis à Lausanne, prirent acte de l’abdication de l’antipape Félix V, qu’ils avaient élu neuf ans auparavant, en opposition au pape Eugène IV, et reconnurent le pape Nicolas V, que le conclave de Rome avait élu à la mort d’Eugène IV en 1447. On sait qu’avant de porter la tiare, Félix V avait été comte de Savoie, sous le nom d’Amédée VIII, puis élevé à la dignité ducale en 1416 par l’empereur Sigismond. Après la mort de sa femme, qu’il aimait tendrement, il remit les rênes du gouvernement à son fils Louis, et se retira, avec quelques chevaliers, au couvent de Ripaille. C’est dans cette retraite que les Pères du Concile de Bâle étaient venus le chercher. Son désistement du trône pontifical mit fin au grand schisme d’occident ; il obtint en compensation le chapeau de cardinal et l’administration de plusieurs évêchés (Genève, Lausanne, Sion). Ce fut lui qui créa l’ordre de Saint-Maurice. Lausanne lui doit la reconstruction de l’église de Saint-François.


Tour de l’Ale.

Après la bataille de Grandson, le 2 mars 1476, le duc de Bourgogne réunit une nombreuse armée, qui avait établi son camp sur les plaines du Loup. Il habitait un pavillon construit à la hâte, près du couvent des dames de Bellevaux. Il y demeura deux mois. Après avoir pendant la journée vaqué aux soins de son armée, il descendait à Lausanne pour entendre les vêpres à la Cathédrale, puis rendait visite à la duchesse Yolande de Savoie, et remontait le soir dans son camp. Le séjour de cette princesse et de sa cour avait attiré à Lausanne un grand nombre de seigneurs, qui, joints aux ambassadeurs de l’Autriche, du duc de Milan, de l’électeur Palatin et du roi de Naples, accrédités soit auprès du duc de Bourgogne, soit auprès de la régente donnaient à la vieille cité épiscopale une animation extraordinaire ; les diplomates logeaient à l’auberge du Lion[1] ou dans les autres hôtelleries de la rue de Bourg. Le 29 avril, le duc étant malade, alla habiter le château de Menthon près de la Cathédrale. L’évêque de Lausanne était alors le cardinal Julien de la Rovère, qui devait porter la tiare et s’illustrer sous le nom de Jules II ; il n’avait pas encore pris possession de son diocèse. Comme il s’y rendait, raconte Comines, le roi Louis XI le fit arrêter à son passage à Lyon, et le retint dans une captivité plus ou moins déguisée, afin de l’empêcher d’arriver à temps pour prévenir une nouvelle rencontre entre le duc de Bourgogne et les Suisses.

  1. Cette auberge était située à la rue de Bourg à droite en montant. Il ne faut pas la confondre avec celle du Lion d’or, de date plus récente, qui était de l’autre côté de la rue, et dont on parlera plus loin.