LEÇON SIXIÈME.
Fonctions dérivées des quantités de différentes fonctions d’une même variable, ou dépendantes de ces fonctions par des équations données.
Les fonctions que nous venons de considérer dans les trois dernières Leçons sont comme les éléments dont se composent toutes les fonctions qu’on peut former par des opérations algébriques ; c’est pourquoi nous avons cru devoir commencer par chercher les fonctions dérivées de ces fonctions simples ; et nous allons voir maintenant comment on peut trouver les fonctions dérivées des fonctions composées de celles-ci d’une manière quelconque.
Nous supposerons en général que soient des fonctions quelconques d’une même variable, dont les fonctions dérivées soient connues, et que soit une fonction composée de dont on demande la fonction dérivée
On considérera que, devenant deviendra en général
or deviennent en même temps
il n’y aura donc qu’à substituer ces valeurs dans l’expression de développer les termes suivant les puissances de et le coefficient de sera la valeur cherchée de
Ainsi, si
étant des coefficients quelconques, on aura sur-le-champ
Si la quantité deviendra
donc
Si on trouvera de la même manière
Si la quantité deviendra
Développant le dénominateur en série, suivant les règles connues, on aura
donc
Soit la quantité deviendra
donc
On trouvera de la même manière que, si on aura
et ainsi de suite.
Soit en général en regardant comme une fonction de ses fonctions dérivées seront en sorte que, devenant deviendra
Or, étant une fonction de lorsque devient devient
Donc, faisant la fonction deviendra, par la substitution de à la place de
Ainsi l’on aura d’abord d’où résulte ce principe : que la fonction dérivée d’une fonction, qui est elle-même une fonction de est égale au produit des fonctions dérivées de ces deux fonctions.
Ce principe sert à généraliser les résultats précédents, relativement aux fonctions dérivées des puissances des exponentielles des logarithmes et des sinus et cosinus.
Ainsi :
Supposons ensuite que soit une fonction de et que nous désignerons par il s’agira de substituer à la place de dans les deux fonctions et et de trouver ensuite le coefficient de dans le développement de la fonction composée Or il est visible qu’on aura le même résultat, soit qu’on fasse ces deux substitutions à la fois, soit qu’on les fasse l’une après l’autre, puisque les quantités et sont regardées dans ces substitutions comme indépendantes.
En substituant d’abord à la place de dans la fonction la fonction regardée seulement comme fonction de deviendra, par ce que nous venons de trouver,
J’écris simplement pour désigner la fonction dérivée de relativement à seul, étant regardée comme constante.
Substituons ensuite au lieu de dans la fonction la fonction deviendra pareillement
où représente la fonction prime de prise relativement à seul, étant regardée comme constante.
Quant au terme il est visible qu’étant déjà multiplié par il se trouverait par cette nouvelle substitution augmenté de termes multipliés par
Ainsi les deux premiers termes de la série provenant du développement de après la substitution de pour dans et seront simplement
de sorte qu’on aura
Si était une fonction de représentée par on trouverait de la même manière
et ainsi de suite.
D’où l’on peut tirer cette conclusion générale, que la fonction dérivée d’une fonction composée de différentes fonctions particulières sera la somme des fonctions dérivées relatives chacune de ces mêmes fonctions considérées séparément et indépendamment de l’autre.
Ce principe, combiné avec le précédent, suffit pour trouver les premières fonctions dérivées de toutes sortes de fonctions, ainsi que les fonctions dérivées des ordres supérieurs.
Ainsi la fonction dérivée de étant relativement à et relativement à la fonction dérivée totale sera comme nous l’avons trouvé ci-dessus.
De même, en regardant maintenant et comme de nouvelles fonctions, dont et sont les fonctions dérivées, la fonction dérivée de sera et la fonction dérivée de sera de sorte que la seconde fonction dérivée de sera et ainsi de suite.
Par les mêmes principes, on a
pour la fonction dérivée de le premier terme étant la fonction dérivée relative à et le second étant la fonction dérivée relative à et ainsi du reste.
Si et on a et donc, lorsque
on aura
Ainsi, comme la tangente d’un angle est égale au sinus divisé par le cosinus, en la dénotant par le mot placé avant l’angle comme caractéristique, et faisant
on aura
Et en général, si on trouvera
Mais la fonction pourrait n’être donnée que par une équation entre et Représentons en général cette équation par
il est clair que, si l’on regarde comme une fonction de déterminée par cette équation, et qu’on imagine cette fonction substituée au lieu de dans il en résultera une fonction de qui sera identiquement nulle, quelle que soit la valeur de et par conséquent aussi en mettant à la place de quelle que soit la valeur de
Dénotons cette fonction par et comme devenant devient on aura, quelle que soit la valeur de l’équation
d’où l’on tire les équations
Maintenant, étant on aura, par les formules ci-dessus,
en dénotant par la fonction prime de prise relativement à seul, et par la fonction prime de prise relativement à et faisant puisque devient simplement
Ainsi l’équation dérivée sera
d’où l’on tire
On aura de cette manière la valeur de en fonction de et de là, en regardant toujours comme fonction de on pourra déduire la valeur de en fonction de et Car, en supposant pour abréger la fonction dérivée de sera de la forme donc, substituant pour sa valeur, on aura
et ainsi de suite.
On trouverait les mêmes valeurs de par les équations
Si l’on avait plus généralement l’équation
on trouverait de la même manière l’équation dérivée
d’où l’on tire
Et, regardant de nouveau la valeur de comme une fonction de sa fonction dérivée sera la valeur de et ainsi de suite.
Enfin, si l’on avait deux fonctions et données par les équations
on pourrait par les mêmes opérations trouver immédiatement les valeurs de et en fonctions de
Car on aurait d’abord les équations dérivées
d’où l’on tirerait et et ainsi du reste.
Les règles que nous venons d’établir suffisent pour trouver les fonctions dérivées d’un ordre quelconque de toute fonction d’une variable, de quelque manière qu’elle soit donnée, soit explicitement par des expressions déterminées, soit implicitement par des équations quelconques.
À l’égard de la notation que nous avons employée pour représenter séparément chaque partie d’une fonction dérivée, relative à chacune des fonctions particulières qui entrent dans la fonction primitive, on voit qu’elle est très simple et très commode, et nous nous en servirons ainsi dans la suite.
On peut même, par cette notation, ne séparer du reste de la fonction dérivée que la partie relative à une variable donnée. Ainsi les fonctions primes de et ou de et ou …, peuvent se développer de cette manière,
et ainsi des autres.
Il faut toujours observer de ne renfermer, entre les parenthèses qui suivent la caractéristique des fonctions dérivées, que les variables par rapport auxquelles on veut prendre la fonction dérivée.
Lorsqu’il n’y a qu’une seule variable entre les parenthèses, comme cette expression indique que la fonction dérivée doit être prise relativement à cette variable, comme si elle était seule et unique ; c’est-à-dire que sera le coefficient de dans le développement de la fonction donnée, en y substituant simplement au lieu de quelque fonction d’ailleurs que puisse être de
Quoiqu’il soit plus simple de déduire les fonctions dérivées des différents ordres les unes des autres, parce que de cette manière les mêmes règles et les mêmes opérations font trouver toutes les dérivées, et que ce soit même dans cette dérivation successive des fonctions que consistent l’essence et l’algorithme fondamental du Calcul des fonctions dérivées, il y a néanmoins des cas où la considération immédiate des termes successifs de la série peut donner les fonctions dérivées successives d’une même fonction d’une manière plus directe et plus générale ; c’est ce qui a lieu lorsque le développementde la fonction en série peut s’exécuter facilement par les formules connues.
En effet, si l’on a en général
étant des fonctions de et qu’on substitue à la place de cette équation deviendra
Et elle devra avoir lieu indépendamment de la quantité indéterminée de sorte que, si l’on peut développer directement la fonction qui forme le second membre en une série de la forme
on aura sur-le-champ
Soit, par exemple, on aura à réduire en série l’expression
et il est facile de voir qu’on aura
et, en général,
l’exposant placé entre deux parenthèses désignant l’ordre de la fonction dérivée ; de sorte qu’en multipliant par on aura la formule générale
En général, si l’on fait on trouvera de la même manière que la valeur de sera composée d’autant de termes de la forme
qu’on pourra donner de valeurs différentes aux nombres de manière que l’on ait
Supposons
la quantité étant toujours telle que on aura
et la fonction dérivée de l’ordre sera
on aura de même
Donc, puisque il s’ensuit que la quantité
pourra se développer en autant de termes de la forme
qu’il y aura de manières différentes de satisfaire à l’équation
ce qui s’accorde avec ce qu’on a trouvé d’une autre manière à la fin de la Leçon IV.
Faisons maintenant
on aura
en faisant
Donc, prenant les fonctions dérivées des ordres on aura
Donc, puisque
la quantité
se trouvera composée d’autant de quantités de la forme
qu’il y a de manières différentes de satisfaire à l’équation
ce qui indique une analogie singulière entre le développement de la puissance d’un multinôme et celui du produit continue] du même degré.
En effet, ayant développé une puissance comme
en ses différents termes, on aura tout de suite le développement du produit continuel
où
en substituant dans chaque terme, à la place des puissances les produits continuels
On trouve une démonstration directe de ce théorème, pour le binôme, dans l’ouvrage de Kramp, qui vient de paraître sous le titre d’Analyse des Réfractions.
Nous terminerons cette Leçon par une observation importante sur la nature des fonctions dérivées.
Il est facile de se convaincre, par la manière dont les fonctions dérivées dépendent de la fonction primitive, que ces fonctions sont absolument déterminées, de sorte qu’une fonction donnée ne peut avoir que des fonctions dérivées données aussi et uniques pour chaque ordre.
Il n’en est pas de même des fonctions primitives à l’égard de leurs dérivées ; car, puisque la fonction dérivée de toute quantité constante est nulle, il s’ensuit que, si une fonction donnée est primitive à l’égard d’une autre fonction donnée, elle le sera encore, étant augmentée ou diminuée d’une constante quelconque. Ainsi une fonction donnée peut avoir une infinité de fonctions primitives à raison de la constante qu’on y peut ajouter. Mais il ne s’ensuit pas que toutes les fonctions primitives dont elle est susceptible ne puissent différer que par une constante c’est ce que nous allons démontrer.
Soit une fonction donnée dont et soient également fonctions primitives ; on aura donc, par l’hypothèse,
donc, prenant les fonctions dérivées successives, on aura aussi
et de même
Considérons maintenant les fonctions
on a, par le développement,
donc, substituant les valeurs de on aura
et de même
donc, retranchant l’une de l’autre ces deux équations, on aura
Comme cette équation doit avoir lieu quels que soient et et que le premier membre est une fonction de et le second une pareille fonction de il est visible que cette fonction ne peut être qu’une constante indépendante de et On aura donc nécessairement
étant une constante, et par conséquent
d’où l’on-voit que, si est une fonction primitive de toute
autre fonction primitive
de la même fonction
ne pourra différer de
que par une constante.
Il suit de là que, lorsqu’on aura trouvé d’une manière quelconque une fonction primitive d’une fonction donnée, en y ajoutant une constante arbitraire, on aura l’expression générale de la fonction primitive de la fonction donnée.