Leçons sur le calcul des fonctions/Leçon 08

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LEÇON HUITIÈME.

Du développement des fonctions lorsqu’on donne à la variable une valeur déterminée. Cas dans lesquels la règle générale est en défaut. Analyse de ces cas. Des valeurs des fractions dont le numérateur et le dénominateur s’évanouissent à la fois.

La théorie des fonctions dérivées est fondée sur le développement des fonctions lorsqu’on attribue à une variable un accroissement indéterminé. Nous avons montré dans la Leçon II que ce développement ne peut contenir que des puissances entières et positives de la quantité dont la variable est augmentée, tant que cette variable demeure indéterminée, et nous avons ensuite déduit de cette forme les lois de la dérivation des fonctions. Il est donc nécessaire, avant d’aller plus loin, d’examiner les cas où elle pourrait se trouver en défaut, et les conséquences qui en résulteraient relativement aux fonctions dérivées.

Nous avons vu, dans la même Leçon, que la série du développement de ne peut contenir de puissances négatives de à moins que l’on ait à l’infini, parce que, en supposant les termes qui contiendraient de pareilles puissances deviendraient infinis. On peut prouver de la même manière que la série ne pourra contenir aucun terme multiplié par ou par une puissance positive quelconque de si la même condition n’a lieu, ces sortes de termes devenant également infinis lorsque Or cette condition exige que la variable ait une valeur déterminée, qu’on trouvera par la résolution de l’équation

Soit donc une racine de l’équation de manière que l’on ait

étant une fonction de qui ne devienne ni nulle ni infinie, lorsque et étant un nombre positif quelconque.

En mettant à la place de et faisant on aura

où l’on voit que la série du développement de aura dans ce cas des termes de la forme

Considérons maintenant les cas où ce développement pourrait contenir des puissances positives, mais fractionnaires de La démonstration, que nous avons donnée pour prouver l’absence de ces sortes de termes, est fondée sur ce que ces termes augmenteraient le nombre des radicaux dans le développement de tandis qu’il est évident que cette fonction ne peut contenir que les mêmes radicaux que la fonction tant que est supposé une quantité quelconque indéterminée. Mais cette démonstration cesse d’avoir lieu lorsqu’on donne à une valeur déterminée telle qu’elle fasse disparaître un radical dans car alors ce radical pourra être remplacé par un radical de dans le développement de En effet, supposons que la fonction contienne un radical qui s’évanouisse lorsque tel que et étant des nombres entiers ; la fonction contiendra le radical correspondant lequel, en faisant devient de sorte que le développement de cette fonction suivant les puissances de pourra contenir le radical et toutes ses puissances entières et positives.

Cette conclusion n’aurait pas lieu si la valeur particulière de n’anéantissait pas le radical, mais le faisait seulement disparaître en rendant nulle une quantité par laquelle il serait multiplié. Car, quoique le radical puisse disparaître de cette manière de la fonction il pourrait ne pas disparaître dans les fonctions dérivées qui entrent dans le développement de et alors la démonstration conserverait toute sa force. Ainsi, si un radical de la fonction se trouvait multiplié par étant un nombre entier positif, ce radical y disparaîtrait lorsque mais, dans la fonction il serait multiplié par et, dans le cas de il le serait par Donc, dans le développement de cette fonction, il ne pourrait paraître alors avant le terme qui contiendrait la puissance par conséquent il disparaîtrait des fonctions dérivées jusqu’à mais reparaîtrait dans les fonctions dérivées des ordres suivants ; de sorte que le développementde contiendrait toujours dans ce cas le même radical. Il n’y a donc que le cas où le radical est détruit dans la fonction par une valeur particulière de dans lequel le développement de doive contenir des radicaux de et il reste maintenant à voir comment on pourra juger que cela doive avoir lieu.

Pour cela, j’observe que les fonctions sont également les fonctions dérivées de soit qu’on les prenne relativement à soit qu’on les prenne relativement à ce qui est évident, puisqu’en augmentant soit soit d’une même quantité quelconque, on a le même accroissement de la quantité D’où il suit que l’on aura également les valeurs de quel que soit en prenant les fonctions dérivées successives de relativement à et faisant ensuite

Or, si l’on suppose que le développementde doive contenir, lorsque un terme affecté de tel que étant une fonction de et n’étant pas un nombre entier positif, en prenant les fonctions dérivées relativement à il faudra que les développements des fonctions

contiennent les termes

Donc, faisant on en conclura que les fonctions lorsque contiendront respectivement les termes

Si est un nombre quelconque négatif, il est clair que ces termes seront infinis.

Si est un nombre positif non entier, soit le nombre entier immédiatement plus grand que m, il est visible que le terme

sera infini ainsi que tous les suivants, et que tous les précédents seront nuls. D’où il suit que les fonctions dérivées de l’ordre ième et des ordres suivants deviendront infinies lorsque

Dans ce cas donc, si est l’indice de l’ordre de la première fonction qui devient infinie, le développement de devra contenir un terme de forme étant un nombre compris entre et

Si c’est-à-dire si la fonction devient elle-même infinie, ce développement contiendra alors des puissances de

On doit appliquer aux logarithmes ce qu’on vient de démontrer sur les puissances fractionnaires de car on a vu, à la fin de la Leçon IV, que les logarithmes répondent aux puissances fractionnaires dont l’exposant est infiniment petit, c’est-à-dire aux racines infinitièmes, et que c’est par cette raison qu’il y a toujours une infinité de logarithmes répondant à un même nombre.

Aussi, par la même raison, lorsqu’on résout une fonction en série suivant les puissances d’une même quantité, il peut se trouver quelquefois le logarithme de cette quantité entre les puissances positives et les puissances négatives de la même quantité, lorsque la fonction elle-même contient des logarithmes.

Ainsi, si la fonctionn contient des logarithmes, le développement de pourra contenir, dans le cas particulier de des termes de la forme et les fonctions dérivées contiendront alors des termes de la forme

de la forme

et ainsi de suite. Or, lorsque est infini, et toute, quantité de la forme est nulle ou infinie suivant que est un nombre positif ou négatif, quel que soit Donc, puisque dans les termes des fonctions dérivées

les exposants des puissances de qui multiplient les puissances de vont nécessairement en diminuant, il s’ensuit que, dès qu’une de ces fonctions deviendra infinie par la position de toutes les autres des ordres suivants deviendront infinies aussi.

On peut donc conclure en général que le développement

de la fonction ne peut devenir fautif pour une valeur déterminée de qu’autant qu’une des fonctions deviendra infinie en donnant à cette valeur, et que ce développement ne sera fautif qu’à commencer du terme qui deviendra infini.

Pour trouver alors la vraie forme du développement suivant les puissances ascendantes de il faudra faire d’abord dans la fonction égal à la valeur donnée, et développer ensuite suivant les puissances croissantes de par les règles connues, en ayant égard aux puissances fractionnaires ou négatives de qui se trouveraient dans la fonction même.

Pour confirmer par quelques exemples ce que nous venons de démontrer, supposons d’abord que l’on ait

et qu’on demande le développement lorsque

En prenant les fonctions dérivées suivant les règles générales, on aura

et ainsi de suite.

En faisant on a

donc toutes les fonctions dérivées des ordres suivants seront aussi infinies, et le développement de contiendra nécessairement un terme de la forme étant entre et

En effet, on aura, par la substitution de dans l’expression de

d’où l’on voit que le développement suivant les puissances de contiendra des termes de la forme

Soit, en second lieu,

on aura ces fonctions dérivées

Si l’on fait la fonction dérivée devient infinie, ainsi que toutes les suivantes.

Ainsi le développement de par la formule générale deviendra fautif dans le cas de et il contiendra nécessairement le terme

Nous avons observé plus haut que, lorsqu’une valeur particulière de fait disparaître dans un radical en ne détruisant pas ce radical lui-même, mais en rendant seulement nul son coefficient, alors ce même radical reparaîtra nécessairement dans les fonctions dérivées et la formule générale du développement de ne cessera pas d’être exacte dans ce cas.

Mais, lorsque la fonction au lieu d’être donnée d’une manière explicite, n’est déterminée que par une équation où le radical ne se trouve pas, la détermination de ses fonctions dérivées dans le cas dont il s’agit pourra être sujette à des difficultés qu’il est bon de prévenir.

Soit et par conséquent, en prenant les fonctions dérivées, Supposons que, pour une valeur donnée de il disparaisse dans un radical, lequel ne disparaisse pas dans il est clair que, pour cette valeur de la fonction aura un plus grand nombre de valeurs différentes que la fonction à raison du radical qui se trouve dans et qui a disparu de d’où il suit que la valeur de ne pourra pas être donnée par une simple fonction de et qui ne contiendrait pas explicitement ce radical. Cependant, si dans l’équation on fait disparaître ce même radical par l’élévation aux puissances, et que l’équation résultante soit représentée par

l’équation dérivée de celle-ci donnera

comme on l’a vu dans la Leçon VI ; donc cette expression sera en défaut, dans le cas où l’on donnerait à la valeur en question, ce qui ne peut avoir lieu qu’autant que les quantités et seront, l’une et l’autre, nulles à la fois. Ainsi, dans le cas dont il s’agit, l’expression de deviendra égale à zéro divisé par zéro ; et réciproquement, lorsque

cela arrivera, ce sera une marque que la valeur correspondante de aura détruit dans un radical, sans le détruire dans

Pour avoir dans ce cas la valeur de il ne suffira donc pas de s’arrêter à la première équation dérivée de laquelle étant

aura lieu d’elle-même, indépendamment de la valeur de mais il faudra passer aux secondes fonctions dérivées, et l’on aura une équation de la forme

étant des fonctions de et de qu’on trouvera par les règles générales de la dérivation des fonctions.

Cette équation donnera, généralement parlant, la valeur de mais, dans le cas proposé, la quantité devenant nulle, le terme qui contient disparaîtra, et l’équation restante sera une équation du second degré en par laquelle on déterminera la valeur de qui sera par conséquent double.

Soit, par exemple,

on aura

Faisant on a

où l’on voit que le radical disparaît dans la valeur de mais non pas dans celle de en sorte que la première est simple et la seconde double.

Maintenant, si l’on fait et qu’on élève l’équation au carré pour faire disparaître le radical, on aura

En prenant les fonctions primes, on aura celle-ci

d’où l’on tire

Faisant on a aussi ce qui donne

On passera donc aux fonctions secondes, et l’on aura cette équation du second ordre

ici la supposition de et donne

d’où l’on tire

comme plus haut.

Il peut arriver que la même valeur de qui détruit les termes de la première équation dérivée, détruise aussi ceux de la seconde ; il faudra alors passer à l’équation tierce, laquelle, par la destruction des termes qui contiendront et deviendra une simple équation en mais du troisième degré, et ainsi de suite ; cela dépend de la nature du radical qui aura été détruit dans et qui doit être remplacé par le degré de l’équation d’où dépend la valeur de

Supposons en second lieu que la même valeur de qui fait disparaître un radical dans le fasse disparaître aussi dans sans le faire disparaître néanmoins dans alors les valeurs correspondantes de et seront en même nombre, mais celles de seront en nombre plus grand. Si donc on fait évanouir ce radical dans l’équation la valeur de qu’on en déduira se trouvera et il faudra passer aux équations dérivées d’un ordre supérieur pour avoir la valeur de

Soit, pour en donner un exemple,

on aura

Faisant on a

Mais, si l’on réduit l’équation proposée à cette forme rationnelle

on en tirera l’équation dérivée

dans laquelle, en faisant et tout se détruit.

On passera donc à l’équation dérivée du second ordre, laquelle sera

Faisant et on aura

mais, pour avoir la valeur de il faudra avoir recours à l’équation tierce, et même à l’équation quarte.

On aura ainsi

où tout se détruit encore en faisant

L’équation dérivée de l’ordre suivant sera donc

Faisant ici on aura

d’où l’on tire

comme plus haut.

Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse, qui d’ailleurs n’a plus de difficultés d’après les principes établis. Mais nous allons donner à cette occasion la théorie de la méthode pour trouver la valeur d’une fraction dans les cas où le numérateur et le dénominateur deviennent nuls à la fois.

Soit une pareille fraction, et étant des fonctions de telles que la supposition de les rendent toutes deux nulles à la fois, et que l’on demande la valeur de cette fraction lorsque

On fera

en supposant cette équation se vérifie d’elle-même et ne peut pas servir à déterminer la valeur de Mais, en prenant l’équation dérivée, on aura

la supposition de détruit le terme et le reste de l’équation donne

S’il arrivait que les fonctions primes et devinssent aussi nulles par la même supposition, on trouverait alors par le même principe, en substituant dans l’équation ci-dessus au lieu de cette nouvelle expression de

On pourrait aussi déduire la même expression de l’équation dérivée trouvée ci-dessus, en considérant que, comme elle se vérifie d’elle-même lorsque elle ne peut servir à la détermination de que par conséquent il sera nécessaire de passer à la seconde équation dérivée, laquelle sera

La supposition de rendant nulles les fonctions et les termes qui contiennent et s’en iront d’eux-mêmes, et les termes restants donneront

comme plus haut.

Si la même supposition de donnait encore

on trouverait de la même manière

et ainsi de suite.

D’où résulte cette règle générale que, lorsque le numérateur et le dénominateur d’une fonction de deviennent nuls à la fois pour une valeur donnée de il faut prendre à leur place les fonctions dérivées du numérateur et du dénominateur, jusqu’à ce qu’on arrive à une fraction qui ait une valeur déterminée pour la même supposition de

On sait que la formule donne la somme de la progression géométrique

Lorsque cette formule devient on prendra donc les fonctions dérivées du numérateur et du dénominateur, et on aura la nouvelle fraction dont la valeur, lorsque est

Si l’on prend la fonction dérivée de la formule on a et celle-ci exprime par conséquent la somme de la série

qui est la fonction dérivée de la série

Lorsque la formule précédente devient on prendra donc les fonctions dérivées du numérateur et du dénominateur, et l’on aura la nouvelle fraction

qui, en faisant devient de nouveau On prendra derechef les fonctions dérivées du numérateur et du dénominateur de cette dernière fraction, et l’on aura celle-ci

laquelle, lorsque devient

somme de la série

On pourrait craindre qu’en prenant ainsi les fonctions dérivées du numérateur et du dénominateur, on n’eût toujours des fonctions qui devinssent égales à zéro divisé par zéro pour la même valeur de mais il est aisé de se convaincre que cela ne saurait avoir lieu. Car, si faisait évanouir les fonctions à l’infini, puisqu’on a en général

on aurait, lorsque

quel que soit ce qui est impossible. Il en serait de même de

Il peut néanmoins arriver que ces fonctions deviennent à la fois infinies par la même supposition de ce qui rendrait également indéterminées les valeurs des fractions mais ce cas rentre alors dans le cas général que nous avons examiné plus haut, et il en faudra conclure que le développement des fonctions et contiendra alors des puissances de fractionnaires ou négatives.

On substituera donc à la place de tant dans la fonction du numérateur que dans celle du dénominateur, et l’on résoudra l’une et l’autre en série suivant les puissances ascendantes de on fera ensuite après avoir divisé le haut et le bas de la fraction par la plus basse puissance de ou, ce qui revient au même, on n’aura d’abord égard qu’au premier terme de chacune des deux séries.

Soit, par exemple, la fraction

dont on demande la valeur, lorsque On voit d’abord que cette supposition rend le numérateur et le dénominateur nuls. Leurs fonctions dérivées sont

qui deviennent l’une et l’autre infinies par la même supposition. On fera donc et la fonction du numérateur deviendra

la fonction du dénominateur deviendra

en ordonnant les termes suivant les puissances croissantes de En ne prenant que les deux premiers, on aura la fraction

pour la valeur cherchée.

En général, une fonction de ne peut devenir nulle lorsque à moins qu’elle ne contienne un facteur étant un nombre positif quelconque. Donc, si deux fonctions de deviennent nulles par la même supposition, il faudra qu’elles contiennent chacune un pareil facteur ; et, pour trouver alors la valeur de la fraction formée de ces deux fonctions, il ne s’agira que de la réduire à sa plus simple expression, en la dégageant du facteur commun au numérateur et au dénominateur.

Si donc on fait ce qui donne le facteur commun sera une puissance de qui s’évanouira par la division, et alors il n’y aura plus qu’à faire pour avoir

Ainsi, ayant la fraction la substitution de au lieu de donnera d’abord en général

Si et le haut et le bas de la fraction seront divisibles par et elle deviendra

Faisant ensuite pour avoir on aura pour la valeur de la fraction proposée, lorsque

Si et la fraction se réduira encore, et deviendra, par une nouvelle division par

laquelle, en faisant se réduit à et ainsi de suite.

On voit par là la raison de la règle donnée plus haut, et l’on voit en même temps que cette règle n’est bonne que pour les fractions dont le numérateur et le dénominateur contiennent à la fois un facteur de la forme étant un nombre entier positif. Aussi peut-on toujours résoudre ces cas en faisant disparaître ce facteur par les règles connues, pour réduire la fraction à sa plus simple expression.

Dans les autres cas où serait un nombre fractionnaire ou négatif, la règle sera en défaut, et il faudra alors réduire les deux fonctions et dans les séries ascendantes

de sorte que l’on aura

et, faisant on a

Si les premiers termes des deux séries contenaient des puissances différentes de par exemple, si, la série du numérateur étant la même que ci-dessus, celle du dénominateur était

et étant des nombres quelconques, mais étant positifs pour que les deux séries soient toujours ascendantes, alors, faisant après avoir divisé le haut et le bas de la fraction par la plus petite des deux puissances et on aura ou suivant que ou en regardant les nombres négatifs comme moindres que les positifs. Mais, par ce que nous avons démontré plus haut, on est assuré que ces cas n’auront lieu que lorsque les valeurs des fonctions dérivées de et de deviendront infinies en même temps, par la supposition de

L’analyse que nous venons de donner est nécessaire pour ne rien laisser à désirer sur la nature des fonctions dérivées ; mais, comme elle ne regarde que la valeur de ces fonctions dans des cas particuliers, elle n’influe point sur la théorie générale des fonctions, en tant qu’on n’y considère que la forme et la dérivation des fonctions, laquelle est par conséquent indépendante des exceptions que nous avons trouvées.


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