Le Batteur d'estrade (Duplessis)/II/VI

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A. Cadot (tome IIIp. 42-45).

VI

LE VAUTOUR.


Un mois s’était écoulé : le comte et Antonia, absorbés par leur amour, ne vivaient plus, pour ainsi dire, sur la terre ; leur félicité avait dépassé l’apogée des joies humaines ; ils se croyaient au ciel.

Quant à Panocha, quoique l’épisode de la montre à répétition eût un peu calmé son grotesque chagrin, il ne s’était pas senti la force d’assister aux épanouissements de cette lune de miel, et il était parti pour Guaymas, en annonçant l’intention d’y séjourner plusieurs semaines.

Les deux jeunes mariés ne s’étaient pas même aperçus de l’absence de l’hidalgo.

De temps en temps une fugitive et vague expression de tristesse, ou plutôt de mélancolie, apparaissait dans les yeux humides et veloutés d’Antonia. Interrogée avec anxiété par son mari :

— Luis, disait-elle, l’immensité et la vivacité de mon bonheur m’épouvantent en me faisant craindre pour sa durée. Il me semble que l’on ne saurait être impunément ici-bas, aussi heureux que nous le sommes !

Une tendre caresse était la réponse du jeune homme, et cette réponse portait sans doute en elle un don de persuasive éloquence, car le sourire revenait aussitôt aux lèvres d’Antonia.

Le comte et sa femme étaient au trentième jour de leur mariage, à déjeuner dans la salle du rancho, lorsque Antonia, poussant un petit cri d’effroi, se leva vivement de dessus sa chaise et courut vers la porte.

— Luis ! prenez votre carabine et venez vite ! dit-elle.

— Que se passe-t-il donc, ma bien-aimée ? demanda le comte.

— N’avez-vous pas entendu les roucoulements plaintifs poussés par mes chères petites tourterelles ? Regardez comme elles volent d’un air inquiet !… un gabilan, qui vient chaque jour planer au-dessus du rancho, doit leur causer ce grand émoi !… il a déjà fait parmi elles de nombreuses victimes !… Et tenez… le voici… je l’aperçois…

— Où cela, Antonia ?

— Là, perché sur cette branche morte qui sort, à quelques pieds seulement au-dessus du sol, de ce vigoureux tronc d’arbre, dont l’ombre tue mes fleurs, et que je compte faire abattre ! Apercevez-vous le méchant oiseau de proie !… Vengez et délivrez mes pauvres tourterelles !

Antonia n’avait pas achevé sa phrase que le jeune homme faisait feu ; le vautour, atteint en plein corps, tomba comme foudroyé.

— Victoire ! s’écria Antonia, en battant joyeusement des mains. Que vous êtes adroit, Luis !… Allons ramasser votre victime… Son corps, attaché à une haute branche, éloignera les bandits de son espèce, et leur servira d’exemple.

Le comte suivit Antonia, tout en la raillant gaiement de la joie enfantine qu’elle montrait d’une chose si insignifiante.

— Moins insignifiante que vous ne le supposez. Luis, répondit-elle d’un petit air mystérieux et mutin… Ah ! ah ! vous voici maintenant tout intrigué et bien désireux de savoir quel brillant exploit vous avez accompli à votre insu et sans vous en douter.

— Le fait est, Antonia, que je ne devine pas comment la fin tragique de ce coupable, mais infortuné gabilan, me couvre de gloire.

— Luis, je vous apprendrai l’importance extraordinaire que j’attachais à la mort de ce gabilan, et surtout par vos mains !

La jeune fille avait fait cette réponse d’un ton beaucoup plus sérieux que ne le comportait la futilité du sujet.

— Luis, reprit-elle après une légère pause, vous n’ignorez pas que la seule chose qui trouble mon bonheur est la grandeur de ce bonheur lui-même ; je n’ose croire à sa prolongation, car ce serait le ciel sur la terre. Cette pensée m’a rendue superstitieuse ! Ainsi que les enfants interrogent des fleurs, je cherche et je vois partout des présages ; de sorte que tel événement futile et insignifiant pour toute personne sensée et raisonnable, me cause des joies excessives ou de poignants chagrins. J’avais depuis longtemps remarqué la persistance de ce vautour à exploiter les environs du rancho. Ce vautour avait fini par devenir à mes yeux comme un ennemi personnel. Il me représentait un envieux de notre heureuse tranquillité, rêvant au moyen de changer nos sourires en larmes. Bien des fois, j’ai essayé en vain d’atteindre ce gabilan ; on eût dit que, connaissant mes intentions, il prenait ses précautions contre moi. Il semblait mesurer au juste la portée de ma carabine. Son aile jetait entre le soleil et moi comme une ombre sinistre et funèbre ; il avait fini par me faire presque peur. J’attendais avec impatience le moment où je pourrais vous le signaler ; car je voulais savoir si vous seriez-victorieux de notre ennemi commun, ou bien s’il braverait impunément votre adresse. L’épreuve a été en votre faveur, Luis ! Mon cœur est plein de joie et de reconnaissance, car je sais maintenant que, si je succombe, vous ne partagerez pas mon sort.

Le regard empreint d’une admiration passionnée et d’une ineffable tendresse que le comte avait laissé tomber sur Antonia tout le temps qu’elle avait parlé, avait couvert de rougeur les joues de la jeune femme.

Elle eut comme une espèce de honte des compliments qu’elle voyait déjà errer sur les lèvres de son mari ; aussi, changeant tout à coup de ton, s’empressa-t-elle d’ajouter d’un air enjoué :

— Luis, j’ai hâte de contempler gisant a nos pieds le terrible gabilan qui m’a si fort effrayée… Venez !…

Antonia, sans attendre la réponse du comte, s’élança, légère et gracieuse comme une biche sauvage, dans la direction où l’oiseau de proie était tombé.

— Oh ! la vilaine bête ! s’écria-t-elle avec un frisson de peur, la mort n’a rien pu contre sa fierté et sa haine… ses yeux restés ouverts paraissent encore me défier et me menacer…

— Chère Antonia, dit M. d’Ambron, en attirant doucement la jeune femme contre son cœur, un seul mot vous montrera combien vos prétendus présages sont faux et menteurs ; ne vous annoncent-ils pas, à vous la défaite, à moi le triomphe ?…

— Eh bien ! Luis…

Le jeune homme contempla Antonia avec un orgueil plein d’attendrissement, et appuyant ses lèvres sur son front blanc et poli comme un marbre de Carrare :

— Est-ce que tu crois que je pourrais vivre sans foi ? lui dit-il.

Antonia tressaillit, ainsi que la sensitive que touche un rayon de soleil ; une joie surhumaine illumina son visage, et d’une voix qui exprimait la foi divine de l’amour pur et sans bornes :

— C’est vrai, murmura-t-elle, si je mourais, tu mourrais !… Luis, tu as raison… mes présages sont menteurs !

M. d’Ambron, après avoir ramassé le gabilan, allait s’éloigner, lorsqu’un phénomène bizarre attira son attention et le retint à sa place. La balle de sa carabine, après avoir atteint le vautour, avait pénétré profondément dans le tronc de l’arbre. Or, de cette blessure coulait en abondance un liquide d’un blanc jaunâtre, et qui ressemblait, à s’y méprendre, au lait gras et riche des vaches nourries dans les plantureux pâturages. Le comte avançait l’extrémité de l’un de ses doigts vers la singulière liqueur végétale, lorsque Antonia lui saisit le bras avec une excessive vivacité.

— Arrête, Luis ! s’écria-t-elle, c’est du poison !

— Du poison ? répéta M. d’Ambron d’un ton d’incrédulité.

— Oui, Luis, et le poison le plus terrible, le plus infaillible de tous ceux que renferment les forêts de la Sonora !

Le comte examina avec attention l’arbre doué d’une si fatale propriété. Il était d’une prodigieuse hauteur, et présentait l’image de la plus luxuriante végétation. Ses feuilles ressemblaient assez à celles du platane ; son tronc, à partir de sa base jusqu’à son sommet, était défendu par une espèce de cotte de mailles formée de grosses épines, plutôt arrondies qu’aiguës à leur extrémité, et longues d’environ cinq ou six lignes.

— Ainsi, dit le comte, si j’humectais mes lèvres à cette source impure, je tomberais foudroyé ?

— Nullement, Luis ; mais tu porterais en toi un germe de mort que nul remède ne pourrait plus arrêter dans son œuvre de destruction. L’action de ce poison, qui ne sert, hélas ! que trop souvent le crime, est infaillible, quoique lente. Elle détruit la vie sans secousse, sans douleurs, et vous conduit par de longs et invincibles sommeils au sommeil éternel. Ce poison, qui ne laisse après lui aucune trace, est souvent employé par les Indiens. On prétend que quelques Peaux-Rouges en connaissent l’antidote, S’ils possèdent ce secret, ils n’ont malheureusement jamais voulu le révéler.

— Et quel est donc le nom de cet arbre, qui, si je ne m’abuse, me semble être fort commun dans la Sonora ?

— Je l’ignore, Luis !… tout ce que je sais, c’est que son suc est appelé leche de palo (lait d’arbre).

— Vraiment, mon adorée Antonia, reprit M. d’Ambron après un moment de silence, si mon esprit était, comme le tien, porté aux rapprochements prophétiques, la découverte de cet arbre funeste éveillerait en moi de tristres pensées !… J’y verrais un avertissement.

— Quel avertissement, Luis ?

— Celui de ne pas m’abandonner aussi entièrement que je le fais au bonheur !… Les belles fleurs si odorantes et les feuilles si vertes de cet arbre ne puisent-elles pas leur parfum et leur fraîcheur dans une sève empoisonnée ?… Cela ne signifie-t-il pas que la mort est près de la vie, et le désespoir près de la joie ?…

— Hélas, oui ! le désespoir est souvent près de la joie, répéta Antonia rêveuse.

— De même que l’orage vient à la suite des beaux jours ! dit M. d’Ambron en souriant. Ce sont là des vérités banales, chère Antonia, et qui, sérieusement parlant, ne sont pas dignes d’amener un nuage sur ton front ! Et puis, si notre ciel, maintenant si pur et si brillant, doit jamais se troubler et s’assombrir, ne serons-nous pas avertis à l’avance ?… N’est-ce donc pas un grand avantage que d’avoir le temps de se préparer à la lutte ?

— Comment cela, Luis ?

— N’es-tu pas douée d’une merveilleuse et infaillible prescience ?

Antonia secoua lentement la tête.

— Oh ! plus maintenant, dit-elle.

— Et depuis quand as-tu perdu cette précieuse faculté ?

La jeune femme ferma à moitié ses yeux, comme si elle ne pouvait soutenir le regard de son mari ; puis d’une voix qui ressemblait à un murmure, quoiqu’elle vibrât de tendresse, elle répondit :

— Depuis que la fille de la Vierge est devenue la comtesse d’Ambron !…

Les deux jeunes et heureux époux se dirigèrent alors vers le rancho pour aller achever leur déjeuner, interrompu par l’apparition du vautour, que maintenant don Luis rapportait mort à la maison.

— Qu’as-tu donc à considérer ainsi ce gabilan ? demanda M. d’Ambron. Sois sans inquiétude, chère Antonia, tes jolies tourterelles n’ont plus rien à redouter de son bec tranchant et de ses serres nerveuses… il est mort… bien mort !… Vois : la balle a mis son corps à jour.

— Je ne pense pas, en ce moment, à mes tourterelles, Luis ; je trouve…

— Achève ! tu trouves, dis-tu ?

— Que cet oiseau de proie… ressemble à miss Mary ! reprit la jeune femme. Oh ! je t’en supplie, Luis, ajouta-t-elle avec vivacité, et sans donner le temps au jeune homme de répondre, ne va pas te figurer que je parle ainsi par méchanceté… Je n’ai aucune rancune contre doña Maria… au contraire… je la plains de tout mon cœur… car je sais qu’elle t’aime… à sa façon, mais enfin elle t’aime… Je n’ai pas voulu non plus me moquer d’elle… la rendre ridicule à tes yeux… Je reconnais qu’elle est très-jolie !… une beauté qui ne me plaît pas… c’est vrai… mais enfin une beauté incontestable !… Ferme les yeux de ce gabilan, Luis… ils me font peur…

M. d’Ambron se disposait à rassurer doucement Antonia sur ses craintes chimériques, lorsqu’elle appuya fortement sa jolie petite main sur son bras, et lui faisant signe de garder le silence, elle parut écouter avec une attention extrême un bruit lointain.

— Entends-tu, Luis, dit-elle à demi-voix.

— Je n’entends absolument rien du tout, répondit-il ; mais, ajouta-t-il en souriant, cela ne prouve sans doute qu’une chose, c’est que mon ouïe n’est ni aussi délicate ni aussi sensible que la tienne, chère et séduisante petite sauvage ; car réellement, mon Antonia adorée, ton éducation a mis en toi du Peau-Rouge et du Trappeur. Et quel est ce bruit qui semble t’émouvoir si fort ? La course effrénée d’un ours gris ?

— Le galop d’un cheval, Luis !

— Mais c’est effrayant !

— Ne plaisante pas, Luis ; ce cheval qui dévore l’espace avec une vitesse fabuleuse, c’est Tordo !

— Ah ! c’est Tordo ! Alors, si tu désires que je partage ton effroi, apprends-moi ce que c’est que Tordo ?

— L’ignores-tu ? c’est le cheval favori d’Andrès !

— Eh bien ! après ?

— Eh bien ! il faut, pour qu’Andrès, qui affectionne tellement Tordo, se soit décidé à lui imprimer une telle allure, il faut qu’il coure lui-même un grand danger. Distingue-tu, maintenant ?

— Oui, en effet !… c’est comme un grondement de tonnerre !… Une précieuse bête que ce Tordo, et un excellent cavalier que ce Panocha !… Ah ! je l’aperçois !… Quels bonds !… le voici à présent qui franchit une haie haute de huit pieds au moins… puis le lit du ruisseau… Il va se casser le cou, ton jockey !… Quelle précieuse acquisition ce serait pour ce que l’on appelle en Europe un steeple-chase !…

Le comte parlait encore, lorsque Panocha arriva devant la porte du rancho, et arrêta court son cheval, qui plia sur ses jarrets. Cette manœuvre si condamnable au point de vue de l’équitation, est une habitude essentiellement mexicaine. Nous ajouterons, à regret, car on ne saurait trop s’incliner devant la science, que ce pernicieux usage, n’abîme en réalité ni la bouche ni les jarrets des chevaux.

Andrès sauta plutôt qu’il ne mit pied à terre. Son visage qui n’avait jamais été aussi jaune, exprimait une profonde émotion.

Il s’avança vivement vers les jeunes époux, tira violemment une mèche de ses cheveux, se donna deux coups de poing dans le creux de l’estomac, puis se mit à lever alternativement ses deux bras vers le ciel. On eût dit un télégraphe attendri et prêt à pleurer.

— Qu’y a-t-il, Andrès ? lui demanda Antonia.

— Ah ! señora comtesse ! nous sommes tous perdus, moi d’abord, vous ensuite, et le seigneur comte… Non, lui ne court personnellement aucun danger, si ce n’est… enfin n’importe !… Fuyons, ma chère maîtresse…fuyons tous !…

— Mais enfin…

— Ah ! oui, c’est vrai ; j’ai oublié de vous dire… C’est que je suis si troublé. Ah ! s’il n’était que lui seul, je m’en soucierais comme d’une tige de maïs, mais ils sont cent, deux cents, mille, dix mille, toute une armée, et c’est lui qui est leur général, leur chef suprême.

— Au nom du ciel, de qui parles-tu, Andrès ?

— Et de qui donc voulez-vous que je parle, si ce n’est de lui… de lui… de don Enrique… du marquis de Hallay.

— Le marquis de Hallay ! répéta Antonia, dont les traits se couvrirent de pâleur, où est-il ?

— À Guaymas, señora comtesse !… à Guaymas, où il est débarqué hier, dans l’après-midi, à la tête d’une troupe de bandits armés ! La ville, lorsque je l’ai quittée, était dans la consternation !… On fermait les boutiques, on barricadait les maisons ; on se préparait à la défense !… Mais bah ! ce seront peines perdues. L’armée du marquis a des canons… une quantité énorme de canons… On dit cinq ; moi, j’en ai vu deux.

— Et le marquis t’a-t-il aperçu ?

— Non, señora… autrement je ne serais pas ici ; il m’aurait sans doute fait fusiller ! Ah ! quel malheur que vous n’ayez pas laissé jadis achever ma victoire !… c’était si facile… Enfin, ce qui est passé est passé.

— Oui… oui… il n’y a pas une minute à perdre, s’écria Antonia avec un effroi visible, il faut fuir !…

Le comte d’Ambron, qui jusqu’alors était resté silencieux, prit à son tour la parole. Son visage était devenu grave et sévère, ; ce fut à Panocha qu’il s’adressa :

— Señor Andrès, lui dit-il avec un ton de froideur hautaine qu’Antonia ne lui connaissait pas et qui la fit tressaillir, señor Andrès, votre ridicule et sotte poltronnerie vous fait déraisonner ! À quel danger la présence du marquis au rancho, en supposant qu’il passe par la Ventana, peut-il exposer une femme ? M. de Hallay est Français et gentilhomme !… je n’entends pas me porter garant de l’honnêteté de l’expédition qu’il dirige et qu’il commande, mais je crois pouvoir répondre de sa conduite vis-à-vis de la comtesse !… Les Français, mes compatriotes, savent mieux que qui que ce soit au monde les égards et les respects que l’on doit à la faiblesse et à la dignité des femmes… Et puis, en supposant même, ce que je ne saurais admettre, que le marquis de Hallay, oublieux de ce qu’il doit à sa nationalité et à son nom, osât élever la voix en présence de madame d’Ambron, ne serais-je pas là pour la défendre et la venger ? Quant à vous, Andrès, si le marquis ne vous avait pas pardonné votre coup de couteau, il aurait, avant de s’éloigner du rancho, pris de vous une terrible revanche. Du reste, soyez sans crainte !… Ce que je dis une fois, je ne l’oublie plus jamais dès qu’il s’agit d’une promesse… Je vous ai assuré l’en retour du service signalé que vous avez rendu à la comtesse, vous trouverez toujours mon bras et ma bourse à votre disposition ! Si le marquis voulait vous malmener, eh bien ! alors, selon la position que vous prendriez vis-à-vis de moi, je vous défendrais comme ami ou je vous protégerais comme serviteur.

— Je suis complètement votre serviteur, seigneurie, car je touche vos gages !… s’écria Panocha, qui préférait être protégé que défendu. Si vous n’étiez qu’un simple caballero, ce serait tout différent… mais vous êtes un comte !… et un hidalgo peut, sans s’avilir, servir un comte… N’importe, je prétends, avec votre permission, que fuir… c’est-à-dire nous éloigner, est le plus sage parti que nous ayons à prendre !…

Antonia entr’ouvrit les lèvres pour appuyer l’avis de Panocha, mais elle s’arrêta ; elle avait très-bien compris que M. d’Ambron, en répondant au Mexicain, avait voulu lui éviter à elle-même l’ennui d’un refus fait devant un subalterne.

— Luis, lui dit-elle d’une voix caressante et après quelques secondes d’un pénible silence, voulez-vous m’accompagner au jardin ?

— Je suis à vos ordres, ma chère amie, répondit M. d’Ambron.

Les couleurs revinrent aux joues d’Antonia. Les femmes qui se savent passionnément aimées ont une extrême confiance, pour la réussite de leurs projets, dans les ressources d’un tête-à-tête.