Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 11

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Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 205-209).
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CHAPITRE XI.

DESCRIPTION DU TEMPS.


1. Mâitrêya dit : La dernière des parties d’une chose, celle qui n’est ni un tout, ni un agrégat, et qui existe toujours, doit être reconnue comme un atome ; c’est la réunion des atomes qui fait croire aux hommes que ces atomes sont des agrégations de parties.

2. La totalité d’une chose dont la forme propre est entière, s’appelle ce qu’il y a de plus grand (un tout) ; la totalité est uniforme et continue.

3. C’est ainsi qu’est le temps, que l’on se représente comme infiniment petit et comme infiniment grand ; sous les diverses parties, dans lesquelles il se divise, c’est Bhagavat [lui-même] ; invisible, il remplit tout ce qui est visible, pénétrant partout.

4. Le temps est en effet subtil comme un atome, car il a la propriété d’être l’atome [de ce qui existe], et il est aussi le plus grand des corps, parce qu’il embrasse la totalité de ce qui est.

5. Deux Paramâṇus (atomes) font un Aṇu ; trois Aṇus, un Trasarênu ; le Trasarênu [est un atome visible, qui] traversant un rayon de soleil pénétrant par une fenêtre étroite, reste suspendu dans l’air.

6. L’espace de temps que durent trois Trasarêṇus s’appelle un Truṭi ; cent Truṭis font un Vêdha, et trois Vêdhas font un Lava.

7. La réunion de trois Lavas se nomme un Nimêcha (clignement de l’œil), et trois Nimêchas font un Kchaṇa (instant) ; cinq Kchaṇas égalent un Kâchṭhâ, et quinze Kâchṭhâs font un Laghu.

8. Quinze Laghus font un Nâḍikâ ; deux Nâḍikâs font un Muhûrta ; six ou sept Muhûrtas forment un Prahara, c’est-à-dire une veille ou la quatrième partie d’un jour ou d’une nuit humaine.

9. [Un Nâḍikâ est] le temps que met à s’enfoncer dans un Prastha d’eau une mesure de six Palas, à laquelle on a pratiqué un trou avec une pointe longue de quatre doigts et faite de quatre Mâchas d’or.

10. Quatre veilles, répétées deux fois, font un jour et une nuit des mortels ; quinze nyctémères font un Pakcha ; le Pakcha, illustre guerrier, est lumineux ou obscur.

11. La réunion des deux espèces de Pakchas fait un mois [des mortels], ce qui est un jour et une nuit des Pitrĭs ; deux mois font une saison, et six un Ayana ; l’Ayana (la marche du soleil) dans le ciel est méridional ou septentrional.

12. Les deux Ayanas, qui réunis forment une année composée de douze mois, sont un jour et une nuit [des Dêvas] ; cent années sont regardées comme la plus longue durée de la vie humaine.

13. C’est ainsi que le Dieu dont l’oeil ne se ferme jamais, placé dans le cercle des planètes, des constellations et des étoiles, fait le tour de l’univers avec le temps qui commence par l’atome et se termine à l’année.

14. L’année s’appelle, ô Vidura, des noms divers de Sam̃vatsara, Parivatsara, Idâvatsara, Anuvatsara et Vatsara.

15. Cet Être, l’un des grands éléments, qui animant de mille manières les énergies qui créent les êtres, avec sa propre énergie que l’on nomme le Temps, traverse le ciel pour sauver l’homme de l’erreur, déroulant les récompenses des sacrifices ; cet Être qui parcourt un cycle de cinq années, présentez-lui toujours l’offrande.

16. Vidura dit : Tu m’as indiqué le terme de l’existence des hommes, des Dêvas et des Pitrǐs ; apprends-moi quelle est la durée de la vie de ces sages qui sont en dehors du Kalpa.

17. Tu connais en effet, bienheureux Brâhmane, la marche du temps divin ; les sages, avec leur vue perfectionnée par la pratique du Yoga, peuvent pénétrer l’univers.

18. Mâitrêya dit : La réunion des quatre Yugas, savoir, le Krĭta, le Trêtâ, le Dvâpara et le Kali, y compris les périodes qui terminent [chacun de ces âges], forme douze mille années divines.

19. La durée du Krǐta et des trois âges suivants est successivement de quatre mille, de trois mille, de deux mille et de mille années ; à ces nombres il faut ajouter deux fois autant de centaines.

20. Le temps compris entre un Sam̃dhyâ (crépuscule du commencement) et un Sam̃dhyâm̃ça (crépuscule de la fin), périodes dont la durée se compte par centaines, est appelé Yuga par les sages habiles dans ces matières ; chaque Yuga est le domaine de Dharma.

21. Pendant l’âge Krǐta, Dharma gouverne les hommes avec quatre pieds ; mais à chacun des autres âges, Dharma perd un pied par l’action de l’injustice qui ne fait que s’accroître.

22. En dehors des trois mondes, jusqu’au monde de Brahmâ, mille Yugas [divins] font un jour de ce Dieu ; égale est la durée de la nuit pendant laquelle s’endort le créateur de l’univers.

23. Recommençant à la fin de cette nuit, le Kalpa du monde créé se continue tant que dure le jour du bienheureux Brahmâ ; cette période comprend quatorze Manus ; chaque Manu a en partage une période d’un peu plus de soixante et onze [âges divins].

24. Pendant les Manvantaras [existent] les Manus, avec leurs familles, les Rǐchis et les Suras ; ces divers êtres naissent tous en même temps, ainsi que les chefs des Suras et leurs serviteurs.

25. Telle est la création de Brahmâ, création qui se renouvelle chaque jour de la vie de ce Dieu, qui produit les trois mondes, et où les œuvres [antérieures] donnent naissance aux animaux, aux hommes, aux Pitrĭs et aux Dêvas.

26. Pendant les Manvantaras, c’est Bhagavat qui, avec la qualité de la Bonté, protège, uni aux attributs de l’humanité, tout cet univers, à l’aide des Manus et des autres êtres qui ne sont que ses propres formes.

27. Ayant pris une parcelle de la qualité des Ténèbres, ramenant à lui son énergie, après avoir avec le temps absorbé tout dans son sein, il reste dans le silence à la fin du jour.

28. C’est ainsi que les trois mondes, celui de la terre et les autres, disparaissent successivement dans son sein, lorsque, la nuit étant venue, l’univers est privé de la lumière du soleil et de la lune.

29. Pendant que les trois mondes sont consumés par son énergie qui est le feu de Sam̃karchaṇa, Bhrǐgu et les autres sages, tourmentés par la chaleur, vont du monde Mahas dans le Djanalôka.

30. À l’instant, les mers gonflées par la fin du Kalpa, franchissant leurs limites, couvrent les trois mondes de leurs flots poussés par un vent impétueux.

31. Au sein de cet océan réside Hari, couché sur Ananta, les yeux fermés par le sommeil de la méditation, au milieu des louanges des sages qui se sont retirés dans le Djanalôka.

32. C’est par la succession de jours et de nuits de cette espèce, marqués par la marche du temps, que l’existence de Brahmâ lui-même arrive à sa fin, au bout de cent années, dernier terme de sa vie.

33. La durée de la moitié de son existence se nomme Parârddha ; le premier Parârddha est déjà terminé, le second s’écoule maintenant.

34. Au commencement du premier Parârddha eut lieu le grand Kalpa, nommé Brâhma (le Kalpa de Brahmâ), dans lequel parut Brahmâ, que les sages appellent Çabdabrahma (la Parole divine) ;

35. Et à la fin de ce même Parârddha, parut le Kalpa qu’on nomme Pâdma (le Kalpa du lotus), et dans lequel le lotus des mondes sortit de l’étang du nombril de Hari.

36. Quant au Kalpa qui a commencé le second Parârddha, on le nomme Vârâha (le Kalpa du sanglier), ô descendant de Bharata ; c’est alors que Hari a paru sous la forme d’un sanglier.

37. La période que l’on nomme un double Parârddha, est représentée figurativement comme un mouvement de l’œil de l’Être simple, infini, sans commencement, qui est l’âme de l’univers.

38. Le temps qui commence à l’atome et qui finit au double Parârddha n’est pas, malgré sa puissance, capable de soumettre à son empire cet Être multiple, car le temps n’est le maître que de ceux qui tiennent à leur demeure corporelle.

39. Formé des [seize] produits des transformations primitives, auxquelles sont joints [les huit autres principes], l’œuf [de Brahmâ] ayant [à l’intérieur] l’étendue de cinquante fois dix millions de Yôdjanas, et étant environné à l’extérieur de l’enveloppe terrestre et des [six] autres principes,

40. Qui s’élèvent les uns au-dessus des autres dans une progression décuple, renferme dans son sein l’Être que l’on se représente comme un atome, ainsi que des myriades d’autres œufs accumulés par monceaux.

41. C’est cet Être que l’on nomme l’impérissable Brahma, la cause de toutes les causes, l’essence suprême de Vichṇu qui est Purucha, l’âme de l’univers.


FIN DU ONZIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
DESCRIPTION DE LA FORME DU TEMPS,
DANS LE DIALOGUE DE VIDURA ET DE MÂITRÊYA, AU TROISIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.