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Le Boomerang/4

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P. Olendorff (p. 81-86).


CHAPITRE QUATRIÈME.Dans lequel nos amis, le Français Guillaume de la Renforcerie et le Néerlandais Berg-op-Zoom, ne sont pas bien longs à se vouer une confiance mutuelle, sentiment autant à l’honneur de leurs natures loyales qu’à la louange du déjeuner que leur servit, en une petite salle de son entresol, certain marchand de vins du quai, dont je ne saurais trop vous recommander l’établissement, au cas où, fuyant le luxe criard des restaurants à la mode, vous voudriez vous envoyer une matelotte d’anguilles véritablement digne de ce nom et une entrecôte Bercy comme je n’en souhaite pas à mes meilleurs amis, avec, brochant sur le tout, des nectars à s’en pourlécher le tour de la tête.


— Ne tis ton pas de pétisses ! Che suis le Profitensse ! Viens técheûner afeck moi !

Le lecteur veut-il se montrer assez aimable pour se souvenir que, par cette phrase, se clôturait le premier chapitre du présent roman.

Sur celui qui la prononça, cette phrase, nous ne possédons, jusqu’à présent, que peu de renseignements : sa qualité de patient pêcheur à la ligne, entre autres, ses yeux bleu-faïence, son allure gros bon garçon, sa nationalité de Hollandais et, comme tel, une déplorable façon de prononcer les mots de notre belle langue nationale.

Dans l’ignorance de son nom, nous l’avons, suivant les circonstances, sobriqueté tantôt Tête-de-Mort, par rapprochement avec les fromages de son humide patrie, tantôt Crocodile, à cause de sa forte mâchoire, comparable à celle de l’alligator[1].

Nous nous contenterons, désormais, de l’appeler Berg-op-Zoom, imitant en cela ses compagnons de l’Université d’Utrecht, qui ne le désignèrent jamais autrement pendant le laps de trois ans que ses parents, de braves cultivateurs de tulipes, ainsi que sont tous les Hollandais, crurent consacré à l’étude du droit.

Autre avis important :

En relatant les propos que ne manquera de tenir notre nouvel ami Berg-op-Zoom, au cours de cette narration, nous nous abstiendrons de noter graphiquement les imperfections de syntaxe ou d’accent, émaillant ses dires.

Ce que je vous souhaite à tous, au lieu de ricaner bêtement, c’est de parler aussi bien hollandais que lui, Berg-op-Zoom, se sert de notre langue.

Le déjeuner que Berg-op-Zoom offrait si cordialement à notre pauvre Guillaume de la Renforcerie, se passa dans un petit cabinet sis à l’entresol d’un marchand de vins du quai.

— Si vous voulez bien déjeuner, n’hésitez pas ; allez là chez ce marchand de vins du quai, et vous m’en direz des nouvelles.

Un poème, cette matelotte d’anguille !

L’entrecôte Bercy, littéralement à se mettre à genoux devant.

Pour ce qui est des vins, je ne vois guère que Raoul Ponchon, digne d’en toucher deux mots.

Une adorable cordialité ne cessait de régner entre les convives.

Sitôt après la matelotte, arrosée de chacun d’une bouteille de chablis, et dans la forme contestable de ce fameux vers du vieux poète adjurant Napoléon III :


Le vrai feu d’artifice est d’être magnanime,


Berg-op-Zoom provoquait les confidences :

— Crois-moi, Guillaume, le meilleur baume pour les peines d’amour c’est de les raconter à son ami. Ne suis-je pas ton ami, Guillaume ?

— Le plus récent, j’en suis sûr, le plus fidèle, je l’espère.

Et Guillaume de la Renforcerie, s’épanchant dans le sein de son amphitryon, ne lui cachait rien de son aventure sentimentale : la rencontre fortuite de Marie-Blanche Loison, le coup de foudre suivi de l’immédiate et non moins fortuite séparation, puis, comment il la retrouvait au théâtre des Folles-Ivresses, dans ce rôle du Bon Génie, digne partenaire des fameux protagonistes Mounet-Sully, dont le nom seul nous dispense d’en dire plus long, et Frédéric Febvre, l’ami des rois, empereurs et autres tzars.

C’était ensuite le peu de résistance de Marie-Blanche aux entreprises de Guillaume, la mise en ménage, leur existence en simili-bonheur, agrémentée de nombreux cake-walks devant le buffet.

— Pardon, Guillaume, de t’interrompre. Tu m’as bien dit comme elle est jolie et je la vois d’ici, ta Marie-Blanche…, mais est-elle intelligente ?

Guillaume de la Renforcerie réfléchit longuement, puis non moins longuement évoqua ce souvenir :


  1. Surnommer un homme Crocodile parce qu’il ressemble à un alligator ! Étrange raison, et de celles dont on peut dire que leur auteur les allègue à tort. (Note de Willy).