Le Bouddhisme Japonais/8

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Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc (p. 81-99).

CHAPITRE HUITIÈME
SHIN-GON-SHÛ. SECTE DE LA VRAIE PAROLE (MANTRA)
I. Histoire de la secte

La doctrine de cette secte est la grande loi ésotérique. Elle nous enseigne que même sous la forme de ce corps matériel qui est né de nos père et mère et qui est formé des six éléments[1], nous pouvons atteindre à l’état de la Grande Connaissance absolue qui est l’état de Bouddha, si nous suivons les trois grandes lois ésotériques qui concernent le Corps, la Parole et la Pensée.

Le Tathâgata Mahâvairocana (Daï-nithi-nyo-raï), qui représente l’état du Dharma-kâya (corps spirituel), prêche la doctrine des Mantras ésotériques (Shin-gon) à ses propres sujets, afin de montrer la vérité telle qu’il la comprend lui-même. Cette doctrine est enseignée dans les Sûtras Mahâvairocanâbhisambodhi (Daï-nithi-kyô), Vajraçekhara (Kon-gô-thio-kyû), etc. Quoiqu’il y ait beaucoup d’articles qui traitent de la doctrine des Vraies Paroles ésotériques dans ces sûtras, le point essentiel n’est autre que le Maṇḍala (le cercle) des Deux Parties (Ryô-bou), savoir : le Vajra-dhâtu (Kon-gô-kaï) et le Garbha-dhâtu (Taï-zô-kaï). Ainsi le Maṇḍala est le corps ou la substance de la doctrine de cette secte. Dans l’assemblée appelée Ji-shô-é l’assemblée de la nature elle-même) dans laquelle Bouddha prêcha la loi, Vajrasattva (Kon-gô-satta) reçut l’Abhisheka ésotérique (Kwan-jô) c’est-à-dire l’onction d’eau sur la tête de l’initié et fut ainsi désigné comme l’héritier de la Loi.

Plus tard, le grand Nâgârjuna (Ryû-myô) vit Vajrasattva dans la Tour de Fer de l’Inde septentrionale et reçut de lui les Deux Parties : Vajra-dhâtu et Garbha-dhâtu ; Nâgârjuna transmit la loi à son disciple Nâgabodhi (Ryû-thi) qui la transmit à Vajrabodhi (Kon-gô-thi). Ce dernier, excellent connaisseur de nombreuses sectes bouddhiques et d’autres religions, et versé surtout dans le sens profond de la doctrine de cette secte, l’enseigna pendant longtemps aux Indes.

Telle est l’esquisse rapide de la transmission de cette secte aux Indes.

En 719, Vajrabodhi conduisit son disciple Amoghavajra (Fou-ku-kon-gô), à Chang-An, la capitale de la Chine. L’empereur Gen-sô, de la dynastie des T’ang, l’accueillit avec grand plaisir et lui ordonna de traduire le livre intitulé Yu-ga-nen-ju-hô « Loi, pensée et récits de la doctrine Yoga ». Il est considéré comme le fondateur de la doctrine ésotérique du Bouddhisme en Chine. Après sa mort, Amoghavajra retourna aux Indes afin de faire de nouvelles recherches dans cette doctrine. En 746, il revint en Chine et y traduisit les livres sacrés au nombre de soixante-dix-sept ouvrages. Kéï-kwa du Seï-ryû-ji fut le digne disciple de ce grand maître.

Il était aussi versé que lui dans le Tripiṭaka et les Deux Parties. Il propagea la doctrine du Mantra dans toutes les provinces de l’Empire chinois.

En 804, Kou-kaï, mieux connu sous le titre posthume de Kau-bau-Daï-shi, alla du Japon en Chine et y devint disciple de Kéï-kwa. Ce dernier le reçut en lui disant : « Je t’attendais ici depuis bien longtemps. » Pendant les deux mois qui suivirent, Kou-ka’i reçut de Kéï-kwa l’instruction ésotérique sur les Deux Parties ; au bout de quatre mois, Kéï-kwa lui donna l’Abhisheka, l’Onction d’eau sur la tête, en lui disant : « Bhagavat donna la clef ésotérique de la vérité à Vajrasattva qui la transmit à Nâgârjuna, et ainsi de suite jusqu’à moi. Je vois que tu es un homme digne de cette instruction ; ainsi je te donne la clef de la grande doctrine ésotérique des Deux Parties. Il faut que tu la propages dans ton pays natal. » En 806, Kou-kaï retourna au Japon. L’empereur Heï-zéï le reçut cordialement et lui ordonna d’enseigner la doctrine dans le pays.

Depuis le Tathâgata Mahâvairocana jusqu’à Kou-kaï, on compte huit patriarches comme gardiens sacrés de la Loi. En outre, il y a une autre série de huit personnes qui sont aussi appelées les patriarches qui transmettent la Loi ; leurs noms sont Nâgârjuna (Ryû-myô}}), Nâgabodhi (Ryû-thi), Vajrabodhi (Kon-gô-thi), Çubhakarasiṃha (Zen-mou-i), Amoghavajra (Fou-ku-kon-gô), Kéï-kwa, Ithi-guyô et Kou-kaï.

Kou-kaï eut dix grands disciples ; mais deux d’entre eux seulement furent ses vrais successeurs, à savoir : Jitsou-é et Shin-ga. Gen-nin leur succéda et transmit la Loi à Yokou-shin et à Shô-bô. Celui-ci fut le fondateur de l’École O-nô, et celui-là de l’École Hiro-sawa.

LISTE CHRONOLOGIQUE DES PATRIARCHES
Inde

1o Mahâvairocana (Daï-nythi)
2o Vajrasattva (Kon-gô-satta)
3o Nâgârjuna
4o Nâgabodhi

Chine

5o Vajrabodhi
6o Amoghavajra
7o Kéï-kwa

Japon

8o Kou-kaï, Kau-beau-Daï-shi.
Jitsou-é et Shin-ga

Yakou-shin de l’École Hiro-sawa
Shô-bô de l’École O-nô.


II. Doctrine de la secte.
A. DIVISIONS DOCTRINALES

Il y a deux manières d’après cette secte de classer toutes les doctrines du Bouddha.

1o Division des Dix Degrés de Pensées (Ju-ju-shin) au point de vue de la table en longueur.

2o Division de la doctrine exotérique et de la doctrine ésotérique (Ken-mitsou-ni-kyô) au point de vue de la table en travers. Dans cette dernière division toutes les lois prêchées par Çâkyamuni forment ce qu’on appelle la doctrine exotérique (Ken-kyô) ; et celles qui sont enseignées par le Dharma-kâya (le corps spirituel) forment la collection nommée doctrine ésotérique (Mitsoukyô). Le Dharma-kâya est le corps de la connaissance intérieure de Bouddha. Il est considéré par les sectateurs de la doctrine exotérique comme informe et muet ; mais les partisans de la doctrine ésotérique croient que le Dharma-kâya a la forme et la parole. La doctrine exotérique est celle qui est enseignée aux hommes comme ces conversations pleines de formalités, qu’on tient à des hôtes honorables qu’on reçoit cérémonieusement. La doctrine ésotérique est la loi que Dharma-kâya fait mystérieusement comprendre à ses propres sujets comme on cause familièrement avec un parent. Cette division est employée pour exposer les plus ou moins grandes différences entre les doctrines de cette secte et les quatre autres : Hossô, San-ron, Ten-daï et Ké-gon.

Les Dix Degrés de Pensées sont originellement énumérés dans le chapitre sur les « Degrés de Pensées » dans le Mahâvairocanâbhisambodhi-sûtra (Daï-nithi-kyô). Ces noms ont été établis pour désigner des êtres vivants. Kou-kaï les adapta habilement pour distinguer les différentes sectes. Pour exposer ces pensées, il y a aussi deux formes : 1o en travers ; 2o en longueur. La forme en travers expose les différentes sortes d’objets dans le Dharma-dhâtu-mandala (le cercle de l’état de choses) et embrasse la théorie de toutes les doctrines de Bouddha. La forme en longueur explique le progrès des pensées de ceux qui pratiquent la doctrine de cette secte, c’est-à-dire du premier moment jusqu’à la connaissance parfaite.

Les Dix Degrés de Pensées sont rangés dans l’ordre suivant :

1o I-shô-téï-yô-shin, (littéralement : la pensée du bouc dans une naissance différente) ; c’est la caractéristique des trois mauvais états : celui de Naraka (enfer), celui de Prêta (esprit d’un mort) et celui de Tiryag-yoni-sattvas (animaux abjects). I-shô désigne les hommes ignorants qui sont d’une autre naissance que les sages. Ils deviennent esclaves des passions et ne peuvent distinguer le bien du mal, ni comprendre les lois de cause et d’effet ; mais ils ne pensent qu’à satisfaire leurs appétits et leurs convoitises comme le bouc. Cet animal est très bas et très stupide de sa nature ; aussi compare-t-on, aux Indes, un homme qui ignore les lois de cause et d’effet à cet animal. Ce Degré est le premier échelon pour s’élever à la bonne pensée ; que l’esprit fasse un progrès vers la pure pensée, et la bonne pensée du second Degré se produira.

2o Gou-dô-ji-saï-shin, (littéralement : pensée du jeune homme inintelligent qui garde l’abstinence) ; c’est la caractéristique de l’espèce humaine. On compare l’obscurité des hommes ignorants à l’état d’esprit d’un jeune homme stupide. L’abstinence est la pratique morale (Çîla) pour sauvegarder contre les souillures le corps et la parole. Si un homme observe rigoureusement la pratique morale, grâce aux conseils de son maître et de ses amis, et s’il cultive sa bonne pensée, son état est pareil à la floraison des arbres et des plantes, au printemps. Si on considère cet état au point de vue des fidèles de la secte Shin-gon, il représente la classe de la Méditation (Samaya), par laquelle ils accomplissent la pratique des Trois Mystères qui consistent dans le Corps, la Parole et la Pensée. Les cinq vertus cardinales, les cinq parentés[2] du Confucianisme et les cinq préceptes[3] du Bouddhisme sont compris dans ce Degré de Pensée.

3o Ei-dô-mou-i-shin, (littéralement : pensée de l’enfant sans peur) ; c’est la caractéristique de l’état céleste. La faiblesse des hommes ignorants est comparée à celle de l’enfant. S’ils pratiquent les dix préceptes en apprenant la Loi excellente, grâce à leurs bons amis, ils seront délivrés de la peine des trois mauvais états. D’où le nom de Mou-i (sans peur). Si on considère cet état au point de vue des fidèles de Shin-gon, il équivaut à l’état de grand progrès dans la pratique des Trois Mystères. Les doctrines du Brahmanisme et les dix Préceptes d’abstinence du Bouddhisme sont compris dans ce Degré de Pensée.

4o Yui-oun-mou-ga-shin, (littéralement : pensée d’un seul agrégat sans le moi) ; c’est la caractéristique des Çrâvakas (auditeurs). Il n’y a pas de moi doué d’une force supérieure à l’intérieur des êtres humains constitués par les cinq agrégats (Skandhas) à savoir : la forme (Rûpa) ; la sensation (Vedanâ) ; l’idée (Saṃjnâ) ; les concepts (Saṃskâra) ; la connaissance (Vijñâna). Le Tripitaka du Hînayâna rentre dans ce Degré de Pensée ; c’est l’idée fondamentale de la doctrine de la secte Koucha.

5o Batsou-gô-in-shû-shin (littéralement : pensée d’arracher la semence, et la cause de l’action) ; c’est la caractéristique des Pratyekabuddhas (Bouddhas individuels). « Go » action, dans le sens bouddhique, c’est la passion. « In » cause veut dire les douze causes, et « Shû » semence est l’ignorance (Avidyâ). De cette semence des ténèbres, la passion se produit et l’action suit : les douze causes forment donc pour ainsi dire une chaîne. Les Pratyekabuddhas méditent ces causes et ils parviennent à la grande connaissance, d’où l’expression : « arracher les semences et causes d’actions ». Si on considère cet état au point de vue des fidèles de Shin-gon, le quatrième et le cinquième Degrés de Pensée représentent l’état de méditation dans lequel on médite sur la non-nature des objets, pareils à une image dans un miroir ou à la réflexion de la lune dans l’eau.

6o Ta-en-daï-jô-shin (littéralement : pensée du grand véhicule pour le bien d’autrui) ; c’est la caractéristique de la secte Hossô. Quand on a compris cette vérité que rien n’est hormis la pensée unique, on ressent une compassion infinie et on fait transporter les êtres vivants au port du Nirvâṇa.

7o Ka-kou-shin-fou-shô-shin, (littéralement : pensée consciente du négatif) ; c’est la caractéristique de la secte San-ron. Kakou-shin (pensée consciente) signifie : reconnaître que la pensée impure consistant dans la passion elle-même est originellement pure. Le Fou-shô est le premier des huit termes négatifs[4] qui exposent le Chemin-Milieu. Nous ne mentionnons ici que le premier, mais il faut savoir que les sept autres négatifs y sont compris. Si les nuages de la fausse idée, qui est produite par les huit confusions étaient chassés par le souffle des vents de la raison excellente, c’est-à-dire des huit négatifs, le ciel du Chemin-Milieu deviendrait clair et calme. Considérés au point de vue des fidèles de Shingon, le sixième et le septième Degrés sont identiques à l’état de la libre pensée dans la méditation du Yoga (union).

8o Ithi-dô-Mou-i-shin, (littéralement : pensée d’un chemin unique sans action) ; c’est la caractéristique de la secte Ten-daï. Ithi-dô (chemin unique) signifie l’égalité ; il est aussi appelé Ithi-nyô (un tel seul) dans la secte Ten-daï. Le Mou-i (sans action ; Asaṃskṛita) est la nature ; on l’appelle aussi Jitsou-sô (réalité) dans cette secte.

9o Gokou-mou-ji-shô-shin, (littéralement : pensée absolue de la nature sans la nature elle-même) ; c’est la caractéristique de la secte Ké-gon, Le mot Gokou signifie l’absolu, l’extrémité, le bout. Dans les doctrines exotériques (Ken-guyô), le sûtra Ken-gon (Buddhâvataṃsaka-mahâvaipulya-sûtra) est le plus absolu et le dernier de tous les sûtras ; car il est expliqué dans ce sûtra que la nature absolue Bhûta-tathâtâ étant identique au mode relatif, ne garde pas la nature elle-même.

10o Hi-mitsou-shô-gon-shin, littéralement : pensée ornée du mystère ; c’est la caractéristique de la doctrine ésotérique. Hi-mitsou (mystère) est la pratique des Trois Mystères du Tathâgata Bouddha ; cette pratique est ornée de bonnes qualités. Kou-kaï dit : « Les doctrines exotériques chassent les autres poussières (passions) et le Shin-gon (Vraie Parole) ouvre la porte ou montre la vérité intérieure. » Les neuf premiers Degrés ne sont que les moyens de supprimer les passions et d’anéantir la fausse croyance. Quand on entre dans le dixième Degré de la Pensée, on comprend pour la première fois, la source de sa propre pensée et on y entend le moyen mystérieux de devenir Bouddha, étant encore vivant. On l’appelle le vrai principe de la vertu positive.

LES DEUX PARTIES : LE VAJRA-DHÂTU ET LE GARBHA-DHÂTU

Le cercle (Maṇḍala), des Deux Parties représente la nature de la raison et de la sagesse des Bouddhas, et la réalité de la forme et de la pensée des êtres vivants. La raison sur laquelle le Maṇḍala est établi dans cette secte, c’est de faire ressortir que la forme et la pensée des Bouddhas et celles des autres êtres vivants sont formées également par les six éléments.

Dans le mot Vajra-dhâtu (Kon-go-kaï) littéralement « élément de diamant » Vajra peut s’entendre de deux façons : au point de vue de la solidité et de l’utilité. Dans le premier sens, il est comparé à la vérité mystique qui existe toujours dans l’intérieur du corps et qui ne peut jamais être brisée. Au second sens, il signifie la force de sagesse qui détruit les obstacles des passions. Le Garbha-dhâtu (Taï-zô-kaï) littéralement « élément matrice » suggère l’idée de contenir. On compare l’état des choses contenues dans le corps ordinaire des êtres vivants à l’enfant contenu dans le sein de sa mère.

Non seulement ces deux divisions sont le principe de la doctrine ésotérique ; mais elles représentent la nature originelle de la forme et de la pensée, l’une par la raison, l’autre par la sagesse. Jamais il ne faut la chercher en dehors de la pensée des êtres vivants dans laquelle elle existe originellement. L’objet important des Deux Parties : le Vajra-dhâtu et le Garbha-dhâtu, c’est que chacun des hommes reconnaît l’origine de sa propre pensée et comprend la mesure ou constitution de son propre corps.

Bien que les Deux Parties soient originairement réduites à une seule, elles sont ainsi divisées ici parce qu’on y traite de la raison et de la sagesse. Si on regarde au point de vue de la surface, le Vajra-dhâtu est la sagesse inséparable de la raison et considérée comme essentielle pour le salut individuel ; le Garbha-dhâtu est la raison inséparable de la sagesse et considérée comme essentielle pour le salut d’autrui. Le Garbha-dhâtu consiste dans ces trois conditions : grande méditation, sagesse et compassion attribuées respectivement à ces trois parties : Bouddha, Vajra et Padma (lotus), on les appelle techniquement « classe de Bouddha » (Tathâgatânubhâva ; Boutsou-bou) ; « classe de diamant » Vajrânubhâva ; Kon-gô-bou) ; « classe de lotus » (Padmânubhâva ; Rén-gué-bou). La classe de Bouddha correspond au Tathâgata-mahâvairocana (Daï-nithi-nyoraï) signifiant la perfection de la connaissance ; la classe de Vajra à la sagesse possédée par le Vajra-sattva ; cette sagesse, étant très ferme de sa nature, peut détruire toutes les passions, même précipitée dans la boue de la transmigration ; la classe de Padma à la compassion d’Avalokiteçvara montrant qu’il y a une pure pensée originelle à l’intérieur des êtres vivants, qui ne peut jamais être ni détruite ni corrompue dans la transmigration des six états[5] d’existence, non plus qu’un lotus dans la boue.

Le Vajra-dhâtu expose les cinq espèces de sagesses (V. plus bas) et consiste en cinq classes : ce sont la « classe de bijou » (Ratnânubhâva ; Hô-bou) et la « classe d’action » (Karmânubhâva ; Katsou-ma-bou) en y ajoutant les trois classes du Garbha-dhâtu. La classe de Karma veut dire : l’accomplissement de toutes les œuvres, et celle de Ratna montre qu’on trouve la vérité et le bonheur sans limite dans la perfection libératrice de Bouddha.

Quoiqu’il y ait encore dans le Vajra-dhâtu le Maṇḍala des neuf assemblées, et dans le Garbha-dhâtu les treize grands palais, il nous est impossible ici de donner le détail du Maṇḍala des Deux Parties ; renvoyons donc aux autres livres ceux qui voudraient plus de détails.

ÉTAT NON CONDITIONNÉ DES SIX ÉLÉMENTS

Les « six grands éléments » (Shaṇ-mahâbhûtas ; Roku-daï) sont la terre, l’eau, le feu, l’air, l’éther et la connaissance. Ces six éléments sont omniprésents ; aussi les appelle-t-on « grands éléments » (Mahâbhûtas). Si on les divise selon les Deux Parties du Maṇḍala, les cinq premiers forment la raison correspondant au Garbha-dhâtu, et le reste qui est la sagesse, c’est le Vajra-dhâtu. Mais la raison et la sagesse ne formaient qu’un originellement ; ainsi donc, il n’y a pas de connaissance en dehors des cinq premiers éléments et ces cinq éléments n’existent point en dehors de la connaissance. Si on partage le sixième élément du Vijñana en cinq éléments, ce sont cinq sciences (Gothi) à savoir :

1o La science du principe d’évolution des éléments du monde matériel (Dharma-dhâtu-prakṛiti-jñâna ; Hô-kaï-taï-shô-thi) qui devient la substance de tous les Dharmas, correspond à l’élément : éther.

2o La science du (grand) miroir (rond) (Âdarçana-jñâna ; Daï-en-kyô-thi), qui reflète les images de toutes choses comme un miroir, et qui correspond à l’élément : terre.

3o La science de l’égalité (Samatâ-jñâna ; Byô-dô-shô-thi) qui ne fait aucune distinction entre ceci et cela ; elle correspond à l’élément ; feu.

4o La science du juste regard (Pratyavekshaṇa-jñâna ; Myô-kwan-zatsou-thi) qui préside à la prédication de la Loi et à la destruction des doutes, et qui distingue clairement le bien du mal ; elle correspond à l’élément : eau.

5o La science de l’accomplissement du devoir (Kṛityânushṭḥâna-jñâna ; Jô-sho-sa-thi) correspond à l’élément : air ; cette science parachève l’œuvre du salut et sauve à la fois l’individu et autrui. Mais ces simples comparaisons ne doivent pas être considérées comme rigoureuses.

L’état non-conditionné de ces éléments, c’est que les uns dans les autres, ils ne se contrarient pas ; on les compare aux nombreux rayons d’une lampe qui ne s’interceptent pas les uns les autres. Les six éléments de Bouddha sont non-conditionnés dans leur union avec ceux des êtres vivants ; par conséquent, il n’y a pas d’êtres en dehors de Bouddhas ni de Bouddhas en dehors des êtres ; tel est l’état non-conditionné des six éléments.

LE YOGA (UNION) DES TROIS MYSTÈRES (SAN-MITSOU-SÔ-Ô)

Quoique les « trois mystères » soient les trois actions : le corps, la parole, et la pensée, ils sont originellement égaux et existent tous dans le Dharma-dhâtu ; aussi les appelle-t-on les mystères égaux de Bouddha et de Dharma. Parlons rapidement ici de la forme du Dharmadhâtu ; la forme de tous les Bouddhas est constituée par les cinq éléments[6], c’est le mystère du corps. Cette forme produit les sons, c’est donc le mystère de la parole. Elle a différentes facultés, c’est donc le mystère de la pensée. Ces trois mystères se retrouvent dans tous les êtres animés et inanimés. Quand le vent souffle dans les arbres, que les vagues déferlent contre les rochers, qu’un homme meut ses mains et ses pieds, soit qu’il parle, soit qu’il garde le silence, tout cela est l’expression de ces trois mystères. Mais cet état est compris par le Bouddha seul et les hommes ordinaires ne peuvent en approcher ; c’est pourquoi on dit que ce sont des mystères. Bouddha nous enseigne la règle des Mudrâs (sceaux), et des Mantras (vraies paroles) afin d’unir les hommes ignorants à l’état de Bouddha : c’est qu’il faut considérer comme égaux, sans aucune distinction, les trois mystères des Bouddhas et des êtres vivants. Si on les regarde au point de vue de la nature du Dharma, les trois mystères des Bouddhas et des êtres vivants sont originellement égaux, sans aucune distinction ; mais les hommes ignorants y font à tort des distinctions. Ainsi Bouddha ajoute ses trois mystères à ceux des êtres vivants ; cependant cette adjonction n’est pas une réunion de deux choses : la nature des mystères des êtres vivants n’est pas originellement différente de celle des mystères de Bouddha ; les hommes ignorants ne connaissaient pas cette idée profonde, Bouddha la leur apprend pour en faire le sujet de leurs méditations. Cette méditation étant celle de Bouddha, on peut dire que les trois mystères de Bouddha égalent ceux des êtres vivants, quand nos pratiques sont fondues avec l’action de Bouddha et devenues égales aux trois mystères de Bouddha ; c’est ce qu’on appelle Union (Yoga).

Pour parvenir à l’état de Bouddha dans la vie présente même (Sokou-shin-jû-boutsou) il y a trois façons d’entendre les moyens, à savoir : Raison complète (Rigou) ; Force persistante (Ka-ji) ; Acquisition évidente (Ken-toku). Le premier moyen, c’est de savoir ceci : l’essence du corps et de la pensée des êtres vivants, c’est le Maṇḍala des Deux Parties : Vajra-dhâtu et Garbha- dhâtu. Le corps de chair est la raison des cinq premiers éléments, c’est le Garbha-dhâtu, et la pensée est la sagesse du sixième élément (connaissance), c’est le Vajra-dhâtu. La raison et la sagesse sont originellement comprises dans tout être vivant ; c’est ce qu’on appelle en termes techniques Ri-gou-soku-shin-jô-boutsou (devenir Bouddha dans la vie présente en possédant cette raison). Le deuxième moyen, c’est de rendre manifeste le Mandala qui est complet originellement dans le corps des êtres vivants par la « force persistante » (Ka-ji) des trois mystères. Le troisième moyen, c’est d’atteindre à l’origine de sa propre pensée, en acquérant le Mandala et en parvenant à l’état de l’illumination parfaite, après avoir parachevé la pratique des trois mystères. Ces trois façons de devenir Bouddha ne sont différentes que dans l’interprétation ; elles sont, en réalité, une seule et unique manière sans aucune distinction. La vertu qui est originellement complète dans le corps lui-même ne peut s’acquérir en dehors, c’est le caractère du premier moyen (Ri-gou). Quoique les hommes ignorants ne sachent pas cette raison, ils la perçoivent par la « persistance de force » des trois mystères, c’est le second moyen (Ka-ji). Le troisième est de compléter la pratique et d’arriver à l’illumination parfaite (Ken-toku).

Cette interprétation que nous venons de donner n’est qu’une esquisse rapide de la doctrine de cette secte. Si on veut plus de détails, il faut lire les trois sûtras principaux : Mahâvairocanâbhisaṃbodhi°, Susiddhi° et Vajraçekhara°, ainsi que les nombreux livres intitulés : Règles cérémoniales (Gui-ki). Après eux, il y en a encore plusieurs écrits par Kou-kaï qui établit cette secte Shing-on au Japon.


  1. Ce sont : la Terre, l’Eau, le Feu, le Vent, l’Éther, et la Connaissance.
  2. Les cinq vertus cardinales sont : la pitié, la justice, la politesse, la sagesse, la sécurité. Les cinq parentés sont : le suzerain et le vassal ; le père et l’enfant ; l’époux et l’épouse ; le frère et la sœur ; les amis.
  3. Cinq préceptes : 1o ne pas tuer ; 2o ne pas voler ; 3o ne pas violer la foi conjugale ; 4o ne pas mentir ; 5o ne pas s’enivrer.
  4. Voir le chapitre V.
  5. Voir l’Introduction P. XXXII.
  6. Ce sont les cinq premiers des six grands éléments.