Le Bouddhisme Japonais/9

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Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc (p. 100-108).

CHAPITRE NEUVIÈME
ZEN-SHÛ. SECTE CONTEMPLATIVE
I. Doctrine de la secte

Le mot Zen est une abréviation du terme Zen-na qui est la transcription du mot sanscrit Dhyâna (contemplation).

La doctrine de cette secte est brièvement exposée dans ces mois : « C’est une transmission d’une nature spéciale en dehors de tout enseignement et qui ne s’appuie sur aucun mot ; il faut donc bien reconnaître la nature de la pensée humaine en soi-même et on devient alors Bouddha. »

Quoique les autres sectes dont la transmission repose sur l’enseignement parlent de l’état inconcevable, il ne leur est pas possible de le définir, parce que le véritable état inconcevable ne peut bien s’expliquer par aucun mot ; bien qu’elles méditent sur la réalité des choses, elles ne peuvent encore se délivrer de l’idée du bien et du mal, et de ce qu’on appelle la connaissance relative ; car la connaissance absolue proprement dite n’a aucune idée du bien et du mal.

Bodhidharma, le vingt-huitième patriarche de cette secte, ne l’exposa pas par des discours ; il la transmit de la pensée à la pensée ; c’est par ce système qu’on comprend la source de sa propre pensée. Mais aucun mot ne peut traduire cette idée profonde. Ce qu’on acquiert par la pratique de sa propre pensée, c’est la vérité. Ne rien voir, c’est ce qu’on appelle trouver le chemin de la vérité ; la vraie pratique est de ne rien pratiquer. Si on observe bien la nature originelle elle-même, on y trouve que la nature de sa propre pensée est originellement pure, par conséquent, il n’est pas besoin de chasser les passions et de chercher aucune Bodhi (intelligence). Quand on ne réfléchit pas au monde extérieur, c’est-à-dire au bien et au mal, la pensée originelle se produit, c’est ce qu’on appelle la pensée du néant sans aucun attachement ; mais il ne faut pas dire de la pensée qu’elle est inactive comme la pierre et le bois. Arrivée à cet état qu’on désigne sous le nom de « la définition bien comprise », la pensée se dégage de toute diversité. Puis se produit la raison du néant qu’on appelle illumination absolue ; c’est là qu’on trouve la nature de sa pensée et qu’on devient Bouddha.

II. Histoire de la secte.
A. TRANSMISSION DE LA DOCTRINE

Quand le vénérable saint (Bhagavat ; Sé-son) Çâkyamuni fut dans l’assemblée sur le mont Gṛidhrakûṭa (la cîme des vautours), le roi divin Mahâbrahman offrit une fleur couleur d’or à Bouddha et lui demanda de prêcher la « loi ». Bhagavat prit la fleur de sa main et il la roula une seule fois entre ses doigts, mais il ne prononça pas une parole ; personne dans l’assemblée entière ne pouvait comprendre ce que cela voulait dire. Le vénérable Mahâkâçyapa seul sourit. Alors Bhagavat lui dit : « J’ai la merveilleuse pensée du Nirvâṇa, la clef de la loi juste que je désire te transmettre ». On l’appelle la doctrine de la « pensée transmise par la pensée ». Kâçyapa la transmit à Ananda qui la transmit à son tour à Çaṇavâsa et ainsi de suite jusqu’à Bodhidharma, vingt-huitième patriarche. Voici la liste de ces patriarches :

Mahâkâçyapa (Ma-ka-ka-shô) ;
Ânanda (A-nan-da) ;
Çaṇavâsa (Shô-na-wa-shu) ;
Upagupta ja-Latn|Ou-ba-kikou-ta) ;
Dhṛitaka (Daï-ta-ka) ;
Micchaka (Mi-sha-ka) ;
Vasumitra (Ba-shu-mitsou) ;
Buddhanandi (Butsou-da-man-daï) ;
Buddhamilra (Fou-da-mi-ta) ;
10° Pârçva (Ha-ri-shu-ba) ;
11° Puṇyayaças (Fou-na-ya-sha) ;
12° Açvaghosha (A-na-bo-teï) ;
13° Kapimala (Ka-bi-ma-ra) ;
14° Nâgârjuna (Na-gya-a-ra-ju-na) ;
15° Kâṇadeva (Ka-na-daï-ba) ;
16° Râhulata (Ba-go-ra-ta) ;
17° Saṃghanandi (Sô-guya-nan-daï) ;
18° Saṃghayaças (Ka-ya-sha-ta) ;
19° Kumârata (Ku-mô-ra-tai) ;
20° Jayata (Sha-ya-ta) ;
21° Vasubandhu (Ba-shu-han-dzu) ;
22° Manura (Ma-do-ra) ;
23° Haklenayaças (Kaku-roku-na) ;
24° Siṃha (Shi-shi) ;
25° Vaçasuta (Ba-sha-shi-ta) ;
26° Puṇyamitra (Fou-nyo-mit-ta) ;
27° Prajnâtra (Han-nya-ta-ra) ;
28° Bodhidharma (Bo-daï-darou-ma) ;

Bodhidharma était le troisième fils d’un roi de Kâçi dans l’Inde méridionale[1] (?) Pendant soixante années, il propagea sa doctrine de « Contemplation » dans les cinq contrées des Indes. Il vint ensuite en Chine la première année de la période Fou-tsou, sous la dynastie du Ling (520). Il y enseigna à l’empereur Wu la clef de la pensée de Bouddha ; mais l’empereur n’étant pas capable de la comprendre, Bodhidharma s’en alla et il traversa le fleuve Yang-tse et entra dans le pays du Guï du nord). Dans le Shô-rin-ji, nom d’un monastère, sur la montagne Sou, il resta pendant neuf ans assis par terre, la face tournée vers le mur, les jambes croisées ; personne ne sut pourquoi ; on l’appelait simplement le « Brahmane contemplateur du mur. »

Plus tard, il eut beaucoup de disciples parmi lesquels se trouvaient quatre personnages vénérables dont chacun avait des vues différentes. L’un eut pour mission de faire la transmission de la peau, c’est-à-dire la doctrine superficielle ; un deuxième, celle de la chair, doctrine un peu plus profonde que la première ; le troisième, celle des os, plus profonde encore ; le quatrième enfin, celle du cerveau, la plus profonde de toutes. Celui qui reçut de son maître la transmission du cerveau fut E-ka qui devint le second patriarche. Le quatrième patriarche (à compter de Bodhidharma) fut Ko-nin. Parmi ses disciples, se distinguèrent : E-nô et Jin-shû : l’un propagea la doctrine de sa secte dans la partie septentrionale de la Chine où il établit la secte du nord ; l’autre, dans la partie méridionale où il fonda la secte du sud.

La secte méridionale fut divisée bientôt en cinq écoles connues sous ces noms : Rin-zaï, Gui-gô, Sô-tô, Ounmon}} et Hô-gen. Dans la première école Rin-zaï, il faut compter deux subdivisions : Yô-gui et O-ryo. Toutes ensemble sont appelées correctement les Cinq Maisons et les Sept Écoles de la secte méridionale. Le missionnaire de cette doctrine au Japon fut Dôsen, disciple d’un élève de Jin-shû, qui vint de la Chine dans notre pays en 729, et qui demeura dans le Daï-an-ji ; il transmit la doctrine de la contemplation septentrionale à Guyô-hyô qui la passa à Sai-thiô, le fondateur de la secte Ten-daï au Japon.

La branche méridionale de la secte contemplative fut pour la première fois transmise au Japon par Ei-saï du Ken-nin-ji. Il alla en Chine vers 1168, et y devint disciple de Kyo-an du Man-nen-ji. C’est lui qui établit au Japon la secte Rin-zaï. Depuis ce temps, les partisans de cette secte se sont multipliés à chaque génération. Shô-ithi du To-foukou-ji et Boutseu-kô de l’En-gakou-ji furent les disciples à la neuvième génération de Yô-gui. Shô-ithi eut un disciple nommé Daï-kakou qui bâtit le Nan-zen-ji. Mou-sô du Ten-ryu-ji, fut instruit par un élève de Boutsou-kô. Daï-kakou du Ken-thiô-ji fut un disciple à la dixième génération de Yô-gui et Daï-tô du Daï-tokou-ji, à la onzième. Ce dernier eut un disciple actif nommé Kwan-zan qui fonda le Myô-shin-ji.

Ken-nin-ji, To-foukou-ji, En-gakou-ji, Kan-zen-ji, Ten-ryû-ji, Ken-thio-ji, Daï-tokou-ji, Myo-shin-ji, avec le Sô-kokou-ji forment ensemble les neuf monastères principaux de la secte Rin-zaï.

La secte Sô-tô fut établie au Japon par Dô-gen de l’Eï-héï-ji ; il alla en Chine en 1223, et y devint disciple de Nyo-jô de Ten-dô. Quand il retourna dans notre pays, l’empereur Go-sa-ga lui rendit hommage et lui donna en présent une robe de pourpre et le titre de Bouppozen-ji (Maître de contemplation dans la Loi de Bouddha).

Shô-kin du Sô-ji-ji fut un disciple à la quatrième génération de Dô-gen. L’empereur Go-daï-go lui donna une robe de pourpre et fit reconnaître son monastère comme un des principaux de cette secte. L’empereur Go-moura-kami lui donna le titre posthume de Boutsouji-zen-ji.

Plus tard, sous le règne de l’empereur Go-kô-myô, (1644-1654), un prêtre chinois nommé In-gen, disciple du fondateur de l’École Ô-ryû, une des branches du Rinzaï, vint au Japon, et y établit la secte Ô-bakou ; Rinzaï, Sô-tô et Ô-Bakou sont donc les trois contemplations dites du Japon.

ORIGINE DES SECTES DU SUD ET DU NORD

Comme nous l’avons mentionné plus haut, il y a deux branches de la doctrine qui existent en Chine ; ce sont : la secte méridionale et la secte septentrionale. Ces divisions avaient été faites par les maîtres E-nô et Jin-shû, disciples de Kô-nin, le cinquième patriarche. Un jour, le maître Kô-nin dit en présence de tous ses disciples que la Loi juste de Bouddha était bien difficile à comprendre et que par conséquent ils ne devaient point se contenter de suivre les paroles de leur maître, mais chercher des opinions personnelles. Il leur recommanda de composer des vers contenant leurs propres idées, leur promettant de donner à celui dont les vers contiendraient les meilleures idées, le manteau et la sébile à aumône de Çâkyamuni que les patriarches indiens et chinois se transmettaient successivement comme marques de la succession légitime. Le vénérable Jin-shû, l’un des sept cents disciples composa les vers suivants :

« Le corps est pareil à l’arbre de l’intelligence (Bôdhidruma) ; l’esprit est semblable au miroir qui est sur la table de toilette ; il faut constamment l’essuyer avec soin ; il ne faut pas le laisser se couvrir de poussière. »

Son maître, après les avoir lus, dit : « Si les hommes à l’avenir pratiquaient leur religion d’après cette opinion, il en résulterait pour eux un excellent bénéfice. » Voilà l’origine de la secte septentrionale.

Le vénérable E-nô servait alors dans un atelier où il travaillait à vanner et à décortiquer le riz au moyen d’un pilon qu’il mouvait avec le pied. Ayant appris secrètement les vers de Jin-shû, il remarqua qu’ils étaient assez jolis, mais qu’ils ne renfermaient pas encore une connaissance parfaite. Aussi composa-t-il les vers suivants :

« Il n’y a pas d’arbre de l’intelligence (Bôdhidruma) ; il n’y a pas non plus de miroir de table de toilette ; il n’y a rien qui ait originellement une existence réelle. Comment peut-il donc y avoir un endroit que la poussière couvre ? » Dès que le maître Kô-nin eut vu ces vers, il lui donna les insignes de la robe et de la sébile. C’est l’origine de la secte méridionale. La doctrine de cette secte est la plus profonde ; c’est celle de « la pensée transmise par la pensée » ; car elle est entièrement indépendante des mots et des formes, quels qu’ils soient. Plus tard, on l’appela « contemplation du patriarche » (So-shi-zen), parce qu’elle contient la clef de la pensée du patriarche Bodhidharma. Cette secte méprise la doctrine de la secte septentrionale qu’on appelle la « contemplation du Tathâgata » (Nyo-raï-zen).

Trois des sept écoles chinoises de la secte méridionale existent aujourd’hui au Japon. Mais elles dérivent toutes de Bodhidharma, et le principe de cette doctrine n’est autre que de reconnaître sa propre pensée en soi-même. Si on veut bien comprendre la véritable idée de la doctrine, il faut étudier la méthode sous l’enseignement d’un grand maître. Il y a d’innombrables livres contenant les paroles instructives des différentes écoles. Il faut citer en première ligne les Go-rokou (recueil des paroles) qui peuvent être utiles pour comprendre la doctrine de cette secte.


  1. Sans doute il faut corriger : septentrionale.