Le Bourgeon/Variante

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Librairie théâtrale (p. 313-318).

Variante


Nota Quelques impresarios étrangers m’ont fait remarquer à propos de l’homme que l’on voue au bleu au dernier acte du Bourgeon, que ce genre de vœu étant inconnu dans certains pays, il convenait, pour faire comprendre la chose, d’initier le public des dits pays, par une scène préparatoire qui en assurerait l’effet. J’ai donc écrit dans ce but la variante ci-dessous qui, je l’espère, satisfera à toutes les exigences.

G F.

ACTE I


Scène IX

Les mêmes, Vétillé, puis le Marquis et l’Abbé

La Comtesse, voyant le docteur qui sort de chez son fils.

Ah ! Docteur !… (Redescendant en scène avec lui.) Eh ! bien vous avez examiné mon fils ?

Vétillé.

Eh ! oui, madame ; il se dispose à aller prendre son bain.

La Comtesse.

Ah ! vous autorisez ?

Vétillé.

Certes ! très bon, la mer ; ça fouette le sang ! Tout ce qui est exercice violent, j’approuve.

La Comtesse.

Ah ! Docteur, si vous saviez - ma cousine peut vous le dire - tous les tourments que cet enfant m’a donnés depuis sa naissance, avec sa santé !… Tout petit, j’ai failli le perdre de la scarlatine ! Les médecins l’avaient abandonné, Docteur !

Vétillé.

Ils n’en font jamais d’autres !

La Comtesse.

Heureusement, j’étais là ! je l’ai sauvé, moi !… malgré eux !

Vétillé.

Eh ! mon Dieu !… et comment ? Ca m’intéresse, vous comprenez !

La Comtesse, comme de la chose la plus simple du monde.

En le vouant au bleu.

Vétillé.

Quoi ?

La Comtesse.

Je l’ai voué au bleu.

Vétillé.

C’est la première fois que j’entends parler de cette médication-là.

Eugénie, à part, avec pitié.

Médication !

La Comtesse, avec un sourire indulgent.

Vous ne me paraissez pas, Docteur, très versé sur les choses de la religion.

Vétillé.

Dame ! madame, évidemment !… ce n’est pas beaucoup ma partie.

Eugénie, à part et comme précédemment.

Sa partie !

La Comtesse.

Eh ! bien, docteur, pour vous initier : quand on a des raisons d’appeler la Miséricorde Divine sur un être aimé, on le voue à la Vierge, oui !… pour un temps déterminé.

Vétillé, avec un profond sérieux.

Ah !

La Comtesse.

Et alors, il est entendu que pendant cette période on ne l’habille, des pieds à la tête, qu’en bleu.

Vétillé.

Oui-da !

Eugénie. -… qui est la couleur de notre sainte Mère la Vierge Marie.

Vétillé.

Oui, oui, oui, oui !… Eh ! bien, mais, dites donc, si vous avez confiance dans ce remède, moi vous savez !… Avant tout, la foi.

Eugénie, avec amour.

Oh ! oui.

La Comtesse.

Hélas ! docteur, mon fils part en octobre pour son service militaire.

Vétillé.

Ah ? ah ?… oh ! mais très bon ça ! Je ne voudrais pas vous faire de la peine, mais j’aurais bien plus confiance dans ce remède-là qu’en votre machin bleu, vous savez !

Eugénie, scandalisée.

Oh !

Vétillé.

Le régiment, aha ! parlez-moi de ça ! voilà qui vous requinque un homme ! Sans compter que votre fils trouvera parmi ses camarades des exemples salutaires à son état et s’il a la bonne idée de les suivre !…

La Comtesse.

Vraiment, Docteur ? Oh ! vous me tranquillisez : moi qui me faisais un monde !… Mais enfin, qu’est-ce qu’il a ?

Vétillé.

Votre fils ?

La Comtesse.

Oui !

Vétillé.

Eh ! bien, mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? C’est un garçon qui fait de la neurasthénie.

La Comtesse, s’effarant.

Ah ! mon Dieu, c’est grave ?

Vétillé.

En soi, non ; mais enfin c’est toujours un mauvais terrain.

La Comtesse.

Dieu ! mon Dieu !… et comment pensez-vous qu’on puisse enrayer ?…

Vétillé.

Comment ?

La Comtesse.

Oui.

Vétillé, hésite un moment, puis brusquement.

Ecoutez-moi, madame ! Je suis un vieux militaire et pour moi un chat est un chat.

La Comtesse.

Oui, Docteur, oui.

Vétillé.

Eh ! bien, ce qu’il faudrait à votre fils, dame !… il faudrait !… il faudrait !…

La Comtesse, sur les charboms.

Mais quoi ? Quoi ?

Vétillé, éclatant.

Mais qu’il marche, madame ! qu’il marche !

Etc., etc.

FIN