Le Chapelet rouge/Partie 3/Chapitre I

La bibliothèque libre.
Le Grand Écho du Nord (p. 54-60).


Troisième partie

L’après-midi

I


Il était alors onze heures. Le comte d’Orsacq proposa aux deux magistrats de déjeuner au château.

« Avec plaisir, monsieur, accepta le juge d’instruction. Nous déjeunerons ici, dans cette bibliothèque, pour ne pas interrompre notre travail, et la femme de chambre, Amélie, nous servira. Un repas frugal, surtout ! J’aurais même plaisir à m’entendre avec votre chef… à cause de mon régime, n’est-ce pas ? »

Ce régime, le cuisinier-chef put s’en apercevoir, consistait à ne manger que les mets les plus lourds, arrosés des vins les plus généreux. Le château d’Orsacq était réputé pour sa table. M.  Rousselain ne voulait à aucun prix manquer une telle aubaine.

En attendant, il chargea le brigadier de vérifier certains points de l’enquête, par exemple de mesurer dans le parc quelques distances et de « minuter » la durée du trajet effectué par Bernard Debrioux. Ensuite, il conféra avec les agents de la brigade mobile et leur donna maintes indications. Il pensait d’ailleurs à tout autre chose, la partie technique d’une instruction lui semblant dénuée de tout intérêt et de toute efficacité.

Christiane Debrioux s’enferma dans sa chambre, Jean d’Orsacq dans la sienne. Le ménage Bresson, Vanol et Boisgenêt élurent comme domicile la salle à manger où l’on devait leur servir à déjeuner et y transportèrent leurs bagages.

Les deux magistrats déambulèrent à travers le château, examinèrent le boudoir, la chambre, les diverses communications des pièces entre elles.

Enfin à midi, ils s’attablaient. Menu anguille sauce tartare, lièvre, perdrix aux choux, pâté de campagne.

« Ça vous va ? demanda M.  Rousselain. Avec ça du sauternes et une vieille bouteille d’un pommard qui passe pour fameux. »

Le repas, comme il convenait dans un lieu attristé par un tel drame, fut grave, mais allègre comme il sied quand on est servi par une souriante femme de chambre. M.  Rousselain faisait des grâces, racontant ses aventures du Quartier latin et tâchant d’éblouir ses auditeurs par des histoires de pêches miraculeuses.

De temps à autre, il s’excusait de son entrain.

« Que voulez-vous ? la vie continue. Entre les acteurs du drame, évidemment, c’est l’épouvante et l’horreur. Mais pour les autres, on ne peut cependant pas arrêter leur existence. Vanol et les Bresson, si avides qu’ils soient de s’enfuir, dégustent comme nous un bon déjeuner. Chacun parle. Chacun songe à ses petites affaires. Et regardez Amélie, toute de noir vêtue, et l’air un peu contrit, cela l’empêche-t-il de sourire au bon vivant que je suis ? Amélie, vous êtes charmante. Un verre de pommard, Amélie ? Parfait… ça vous étourdit un peu, hein ?… Amélie, vous êtes plus que charmante. »

Ce n’est qu’au café que, la table débarrassée, le substitut réussit à mettre la conversation sur l’enquête. Il le fit en termes délicats, exaltant l’habileté et la prudence avec lesquelles l’affaire avait été menée.

M.  Rousselain trancha aussitôt, en sirotant sa fine champagne :

« Elle est réglée, l’affaire. »

— Comment, réglée ? se récria le substitut, abasourdi. Il y a du nouveau ?

— Rien du tout.

— Vous entrevoyez donc une lueur ?

— Aucune. Cependant, la vérité sur le vol — que ce vol soit justifié ou non — nous est connue. Reste le crime. Eh bien, ne pensez-vous pas que nous avons la preuve que Bernard Debrioux a pénétré dans la chambre de Mme  d’Orsacq ? Mettons que l’on se heurte encore à des contradictions et à des difficultés… tout de même, quel point de départ pour atteindre le but !

— En suivant quels chemins ?

— Eh ! mon Dieu ceux qui nous ont déjà réussi, mon cher ami répliqua M.  Rousselain que le bourgogne avait le don de rendre affectueux et familier. Les chemins par où nous ont menés les acteurs mêmes du drame ! N’est-ce pas eux qui nous dirigent ? Et n’est-ce pas naturel ? Comment ! voilà des gens, ainsi que je vous l’ai dit, sur lesquels nous ne possédons aucune donnée psychologique, dont nous Ignorons tout, caractère, goût, habitudes, ambitions, et nous voudrions que, dans un crime aussi passionnel que celui-là, nous pussions nous diriger nous-mêmes ? Mais il faut des semaines à la justice pour déchiffrer l’énigme des sentiments cachés et des instincts dissimulés ! Tandis qu’eux, ceux-là, ils savent, ils ont des points de repère, des souvenirs communs, un passé où furent mêlées leurs existences. Ils débrouilleront l’écheveau.

— De quelle façon ? L’un est enfermé. Les deux autres sont chacun dans une chambre.

— Mais ils travaillent pour nous ! À quoi bon nous creuser la tête, échafauder des hypothèses, alors qu’ils sont, eux, en pleine réalité ? La pensée de chacun d’eux est obsédée par le problème. Bernard Debrioux ne songe qu’à détourner les soupçons. D’Orsacq veut le déshonorer sans pourtant le croire capable du crime. Et la belle Christiane se débat au milieu du naufrage.

Le substitut insinua :

« Je me demande malgré moi, monsieur le Juge d’instruction, s’il n’y a pas partie liée entre ces deux-là, entre Mme  Debrioux et d’Orsacq. D’Orsacq aime Mme  Debrioux. Supposons que celle-ci aime d’Orsacq…

— C’est fort plausible.

— En ce cas, qu’est-ce qui les sépare, ou plutôt les séparait ? Mme  d’Orsacq. Alors, ne devons-nous pas envisager leur complicité, leur action commune en vue de supprimer cet obstacle, et ensuite de se débarrasser du mari par cette affaire de vol ? « Fecit cui prodest… »

— Cette idée m’est venue, répondit le juge d’instruction. Si le crime a été commis par eux, il est hors de doute qu’il l’a été par les deux, puisqu’ils ne se sont pas quittés un instant, de la minute où Mme  d’Orsacq apparut en haut de cet escalier, à la minute où l’assassinat fut découvert par d’Orsacq et Boisgenêt. Mais, d’autre part, de cette minute à cette minute, ils ne sont pas restés seuls ensemble un seul instant.

— Pardon. Après la pluie, ils sont rentrés au château à dix heures et quart, et ils sont restés seuls environ quinze ou vingt minutes. Ravenot et Amélie ont bien fait une brève apparition. Mais ne suffit-il pas d’un moment pour grimper cet escalier, s’introduire là-haut, tuer et redescendre ? »

M.  Rousselain réfléchit.

« Matériellement, ce n’est pas inadmissible, et le fait qu’ils ne se sont pas quittés de la soirée montre bien que si l’un a agi, l’autre ne peut pas ne pas le savoir. Et pourtant, je n’ai pas eu l’impression de leur accord pendant que le comte d’Orsacq accusait Debrioux. La femme m’a semblé réellement indignée.

— Comédie, peut-être…

— Peut-être. Elles sont si comédiennes, les dangereuses créatures ! soupira M.  Rousselain, dont l’œil agrandi évoquait de jolies silhouettes d’autrefois… si dangereuses et si déroutantes, mon cher ami ! Il est difficile de ne pas relever l’aisance avec laquelle celle-ci, qui semblait soutenir son mari, se détourna brusquement de lui à la fin de l’interrogatoire.

— Vous voyez bien…

— Pas de conclusions hâtives, mon cher ami ! s’écria M.  Rousselain. Laissons-les manœuvrer. S’ils sont complices, et s’ils veulent manigancer quelque chose entre eux, ils se verront. J’ai voulu leur en laisser toute latitude… Sous réserve de les surveiller », ajouta t-il en riant.

Les deux magistrats se dégourdirent les jambes avant de reprendre l’instruction. Ils allèrent dehors en utilisant et en examinant l’escalier de service et la porte basse par où Bernard Debrioux avait pénétré dans le château le soir précédent. Ils rejoignirent ainsi le côté droit du parc, qu’ils traversèrent du pied de la tour à la rivière.

Cette avenue, que Bernard avait suivie la veille, était bordée d’une double haie de lauriers, et comme ils en avaient parcouru la moitié, M.  Rousselain fit une halte brusque et chuchota :

« Qu’est-ce que c’est donc que cela ? »

À droite, par-dessus les lauriers plus bas, ils apercevaient dans l’épaisseur des taillis un homme qui semblait à l’affût.

« C’est Ravenot, murmura le substitut.

— Le maître d’hôtel !… Oui, en effet… On dirait qu’il cherche, qu’il épie… »

Ravenot, toujours penché en deux, fit quelques pas vers la rivière, en prenant de telles précautions, que les brindilles sèches et les feuilles mortes ne craquaient point sous ses pieds. Il s’arrêta et repartit, la tête en avant, comme s’il flairait une piste. Nouvelle halte. Il prêta l’oreille.

« Vous entendez quelque chose ? souffla M.  Rousselain.

— Rien du tout. Et je ne vois rien non plus.

— Pourtant, il a bien l’air de guetter… Ne pensez-vous pas que c’est un drôle de type que ce Ravenot et qu’il n’a pas une mine très catholique ? Et puis, pourquoi abandonne-t-il son service ? »

Le substitut observa :

« Il est une heure et demie. Le personnel a fini de déjeuner et Ravenot se promène.

— Drôle de façon de se promener !… À quatre pattes. Que peut-il faire là ? Surveille-t-il quelqu’un ? »

Ravenot rampait presque, se soulevant parfois sur ses bras tendus et regardant.

Soudain, il s’aplatit parmi les hautes herbes et on ne le vit presque plus. En même temps, un bruit léger venait de la rivière, ou plutôt des monticules qui la dominaient, un bruit qui s’accentua, pareil au galop d’une bête lâchée à travers les feuilles et les branches.

— Crebleu ! dit le substitut en reconnaissant un gros chien de garde qu’il avait remarqué à l’attache, près de la maison du jardinier, Ravenot est en mauvaise posture.

Le chien piquait droit vers le maître d’hôtel, comme s’il eût voulu se précipiter sur lui. Mais, en approchant, il jetait des jappements qui ressemblaient plutôt à des cris de joie. Et il sauta, piétina et lécha l’homme étendu qui ne bougeait pas, et auquel il se mit à prodiguer des démonstrations de l’amitié la plus folle. Un coup de sifflet jaillit là-bas. Et une voix de femme appela :

— Fédor !… Fédor !… où donc es-tu, animal ?

Entre les monticules sous lesquels les grottes étaient creusées, il y avait des dépressions de terrain qui descendaient jusqu’à la rivière. C’est par une de ces dépressions couvertes de ronces que la femme de chambre apparaissait, tenant une laisse à la main. De l’endroit où elle se trouvait, elle ne voyait ni les magistrats, cachés derrière les lauriers, ni son mari enfoui sous les herbes. Mais on l’apercevait, elle, sur la hauteur, à une distance qui ne devait pas dépasser quatre-vingts mètres.

Elle souriait comme toujours, nu-tête et gracieuse de lignes, avec son tablier noir serré à la taille. Et elle dit assez haut pour que l’on perçût ses paroles :

— Pas tant de bruit, Fédor. Aujourd’hui, il ne faut pas aboyer comme ça, ni faire le fou… Allons, finie la promenade, on va rentrer comme un Fédor bien sage.

Elle agrafa la laisse au collier du chien et disparut avec lui au revers du coteau.

Or, cinq minutes plus tard, elle n’avait pas encore débouché à l’extrémité de l’avenue où s’amorçait le chemin des grottes qui suivait la rivière.

Elle s’était donc arrêtée ? Cependant Ravenot avait repris sa marche, toujours silencieuse, mais plus rapide.

— C’est assez bizarre, tout cela, dit M.  Rousselain. Je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque galant sous roche. La demoiselle a des yeux de perdition.

— Bigre ! mais alors ce serait inquiétant.

— Pourquoi ?

— Dame ! Si le mari est jaloux ! Rappelez-vous son altercation avec Boisgenêt.

Justement, Ravenot, tout en avançant, avait ramassé une racine d’arbre, taillée en massue. Et tout à coup, il se mit à courir vers l’emplacement où l’on avait aperçu sa femme. Celle-ci demeurait toujours invisible. Ravenot se glissa au creux de la dépression, courant, mais avec des précautions encore.

— Hâtons-nous, dit M.  Rousselain. Le galant va « écoper ».

Ils n’eurent pas le temps d’aller bien loin. Des cris étouffés leur arrivèrent qui partaient, cette fois, d’un lieu situé plus à gauche, aux environs sans doute de la première grotte. Et presque aussitôt Amélie bondit dans l’avenue. Elle les aperçut et les appela, en gesticulant. Elle tenait en laisse Fédor, qui aboyait furieusement. Et tout de suite, elle disparut de nouveau, retournant vers la grotte.

Les deux magistrats s’essoufflèrent. M.  Rousselain courait avec un mouvement précipité de ses petites jambes. Entre deux aboiements, ils entendirent des exclamations, le bruit d’une querelle acharnée.

— Si c’est le Boisgenêt, l’autre n’en fera qu’une bouchée.

— Non, non, répliqua le substitut, Boisgenêt fumait tout à l’heure avec Vanol, dans la salle à manger.

— Alors, qui ?

Ils atteignirent la rive et tournèrent à droite.

Devant l’entrée de la grotte, le chien, maintenu par Amélie, tirait comme un forcené sur sa laisse pour se précipiter sur les combattants. Tout de suite, ils avisèrent deux hommes qui luttaient à bras-le-corps, au-dessous d’un banc renversé. Une paire de jambes serrées dans une culotte d’uniforme et chaussées de bottes s’agitait. C’étaient les jambes du brigadier de gendarmerie, lequel avait plié sous le choc du maître d’hôtel.

Le substitut les apostropha vivement. Ils se relevèrent, sans toutefois que Ravenot cessât d’invectiver contre son adversaire, en termes que la rage rendait peu appropriés : « Misérable, tu n’es qu’un suborneur, un suppôt… Oui, un suppôt… Bien la peine d’avoir des galons ! »

Il décocha un coup de poing au brigadier, et prenant à témoin le juge d’instruction, hors de lui, il proféra : « Savez-vous où j’ai trouvé ma femme ? Sur les genoux de cet oiseau-là, et ils s’embrassaient. C’est-il pas dégoûtant ! Un gendarme ! »

Le brigadier se défendit :

« Des mensonges ! monsieur le Juge d’instruction. On se parlait, la dame et moi.

— Oui, à même la bouche ! Mais je m’en doutais qu’elle avait un rendez-vous avec le gradé ! Hier, au bain dans la rivière, il la boulottait de l’œil. Ah ! si je me retenais pas…

— Maître d’hôtel ! » s’écria M.  Rousselain, qui avait fort envie de rire.

Ce rappel à sa dignité professionnelle calma Ravenot, dont le masque sévère se détendit un peu.

« Quant à vous, brigadier, reprit le substitut, je m’étonne que vous ne gardiez pas le respect de votre uniforme. Car, enfin, Amélie était-elle, oui ou non, sur vos genoux ?

— Je n’ai pas fait attention, monsieur le Substitut.

— L’avez-vous embrassée ?

— Pour être certain, je ne le suis pas. Quand on se parle, on ne rend pas compte, et on fait des choses…

— Des choses qu’on ne devrait pas faire. Rentrez au château. L’instruction va recommencer, et vous avez déserté votre poste.

Le brigadier épousseta son uniforme, ramassa et brossa son képi, s’en fut, très penaud. Les deux magistrats se fuyaient des yeux pour ne pas s’abandonner à une hilarité de mauvais goût. Amélie détacha Fédor, le renvoya à sa niche, et se mit à brosser son mari avec le revers de sa manche.

Elle souriait, très à l’aise, et le grondait doucement

« Tu n’es pas honteux de te mettre dans des états pareils ? On n’a pas idée de ça ! Voyons, quoi ? Un domestique qui va se colleter avec un représentant de l’autorité

— Une fripouille ! un malandrin !

— Un brigadier de gendarmerie !

— Tu en as du culot, Amélie ! C’est donc parce qu’il est brigadier que tu te faisais caresser le museau ?

— Allons ! allons ! pas tant d’histoires ! Qu’est-ce que ça peut te faire que je me laisse embrasser quelquefois dans le cou ?

— Ou sur la bouche.

— Oh ! rarement. Ou alors il faut que ça me plaise. Voyez-vous, messieurs les Juges, il fait le méchant comme ça. Mais c’est un brave homme. Le sang lui tourne d’abord pour des balivernes, et puis après, il s’aperçoit que ça ne tire pas à conséquence avec moi… Mais non, messieurs les Juges, on est jeune, les hommes rôdent autour de vous. Alors, on ne peut pas toujours les envoyer promener. De quoi aurait-on l’air ?

Elle riait gentiment avec une coquetterie ingénue dans son naturel.

Ravenot semblait presque lui donner raison.

M.  Rousselain, qui s’amusait beaucoup, dut la réprimander : « Tout de même, Amélie, vous ne devriez pas vous laisser embrasser par un gendarme.

— Mais ce n’est pas de ma faute, gémit-elle. Il m’a dit qu’il voulait m’interroger sur l’affaire, qu’une femme de chambre en savait toujours long, et que ça pourrait lui servir pour son avancement.

— Et il vous a « assignée » dans la grotte ?

— Oui, comme ça on serait tranquilles.

— Pour s’embrasser, grogna Ravenot.

— Mais non ! pour que je lui dise ce que je sais à propos de l’affaire. »

M.  Rousselain demanda vivement :

— Vous savez donc quelque chose ?

Elle se reprit aussitôt :

— Mais rien du tout… ou du moins rien de sérieux.

— Enfin, quoi ?

— Ça n’a aucun rapport.

— Qu’est-ce qui n’a aucun rapport ?

— Et puis j’ai promis le secret.

— À qui ?

— À quelqu’un qui s’est confié à moi.

— Quand ? Aujourd’hui ? Hier ?

— Il y a trois jours.

— Comment ! Avant le drame ? Mais c’est extrêmement important, et je vous prie d’achever, Amélie.

Elle observa M.  Rousselain et se mit à rire sans beaucoup de respect.

— Monsieur le Juge d’instruction, vous avez de l’astuce. Sans en avoir l’air, vous me tirez les vers du nez. C’est la troisième personne ce matin qui veut me faire parler.

— Ah ! Et quelles sont les deux autres ?

Mme  Debrioux, d’abord, ensuite M.  le Comte. Mme  Debrioux pleurait. M.  le Comte ordonnait. Mais si je veux bien dire tout ce qu’on veut sur moi, que je suis une coquette, que je fais enrager mon mari, pour le reste, bouche cousue. Une promesse, c’est sacré.

— La justice a des droits… » dit-il.

Elle le regarda d’un si drôle d’air qu’il ne continua pas. Il dit à son voisin : « Ah ! si j’avais vingt ans ! Elle parlerait, la coquine. »

Ils s’en retournèrent au château. Dans la salle à manger et le salon, invités et personnel attendaient la reprise de l’instruction. Les Bresson et Vanol, qui ne quittaient pas leurs valises, s’accrochèrent à M.  Rousselain. Tous, ils étaient excédés et voulaient partir. Vanol avait un poids sur l’estomac. Léonie, pleine de pressentiments, s’offrait des crises de nerfs.

M.  Rousselain les fit patienter. Tout serait fini dans une heure et ils pourraient coucher à Paris. Le substitut le regarda : M.  Rousselain parlait aussi sérieusement que s’il avait eu en mains tous les éléments de la vérité.

Un des inspecteurs le rejoignit.

— Monsieur le Juge d’instruction, dit-il, Mme  Debrioux a fait demander un entretien à M.  le comte d’Orsacq. Il n’y a pas d’inconvénient ?

— Au contraire, fit vivement le juge. C’est bien ce que j’espérais. Où se retrouvent-ils ?

— Ils sont dans le bureau de réception du comte, près du vestibule.

— Mon cher ami, dit M.  Rousselain au substitut, voilà une conversation que j’aimerais bien entendre. Qu’est-ce qui unit ces deux êtres l’un à l’autre ? Quelles répercussions produisent sur leurs sentiments secrets la mort de la comtesse et l’accusation de d’Orsacq contre le mari ? Redoublement d’amour ? Explosion de haine ? Et de tout cela, que sortira-t-il pour l’instruction ? Problèmes bien émouvants ! »

Et M.  Rousselain, très agité, arpenta la pièce de ses petites jambes courtes qui semblaient plier sous le fardeau de son ventre.