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Le Chat maigre/06

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy (p. 230-234).

VI


Remi fut, le plus naturellement du monde, refusé une seconde fois par MM. les examinateurs. Il se faisait du baccalauréat une idée de plus en plus vague et effacée. Ses échecs, nullement surprenants, prenaient, quand M. Godet-Laterrasse les commentait, un aspect louche et ténébreux.

— Ce n’est pas vous qu’ils ont refusé, disait le préparateur, c’est moi. Ils me visaient quand ils vous ont touché, soyez-en certain. Ah ! ces messieurs de la Sorbonne ne me pardonnent pas mon dernier article.

Après de tels propos, Remi était si parfaitement bouleversé qu’il ne savait plus si le baccalauréat était un examen littéraire ou une société secrète. Il acheva l’hiver dans un engourdissement voluptueux. Le timide soleil d’avril qui blanchissait les murs le réveilla à demi.

Les moineaux piaillaient sur les toits. Le capitaine en retraite semait des graines dans ses caisses vertes. Les fenêtres, si longtemps closes et dont les vitres étaient naguère obscurcies d’une buée épaisse, s’ouvraient aux rayons d’un jour encore pâle et à la prime tiédeur du printemps. Remi, qui avait perdu de vue et de pensée, depuis l’été, ses amies du quatrième étage, revit avec plaisir la cage des serins et la poignée de cuivre du piano.

Quand, pour la première fois, il aperçut la mère et la fille dans le salon doré, il se retint pour ne pas les saluer d’un geste amical. Un petit vieillard, assis sur le canapé, tenant son chapeau et son parapluie entre les jambes, semblait parler affectueusement. Il levait le bras et on croyait l’entendre dire :

— Comme vous êtes grandie, Marie (ou Jeanne ou Louise) ! Vous voilà devenue une demoiselle.

Remi était un peu maussade de voir un étranger ainsi installé sur le canapé de ses amies. Non que le petit vieillard lui déplût. Bien au contraire ! Le petit vieillard avait l’air d’un brave homme. Mais Remi ne le connaissait pas, et Remi songeait que ces deux dames avaient des secrets pour lui, ce dont il ne s’était pas encore avisé. On ne peut songer à tout. Il ferma sa fenêtre et bouda jusqu’au lendemain. Il la rouvrit le lendemain matin, seulement pour voir si la cage des serins était à sa place. Il vit la fillette en chapeau rond, mâchonnant son ombrelle et piaffant avec une impatience de jeune cheval, comme elle avait l’habitude quand, toute prête à sortir, elle attendait sa mère attardée à nouer devant la glace les brides de son chapeau. Pourtant, il faut être juste, une femme de quarante-cinq ans ne s’habille pas comme une fillette en deux ou trois mouvements d’oiseau.

La mère inspecta, ce jour-là, comme à l’ordinaire, minutieusement, la toilette de sa fille. Mais il dut y avoir cette fois quelque grave désordre à la robe grise, car la maman dit quelque chose qui fut reçu avec toutes sortes de petits mouvements impatients et boudeurs, avec des piétinements et des marques de désespoir. Enfin, mademoiselle défit les boutons du corsage et on poussa la fenêtre qui, quelques secondes après, se rouvrit toute seule. À cet instant, Remi vit la mère qui, debout, tenait dans ses mains la robe grise et y faisait un point, tandis que mademoiselle, en corset et en jupon, de blanc et court vêtue, attendait. Elle tourna la tête et vit l’étudiant qui la regardait. Alors, avec un joli geste de petit enfant frileux qu’on baigne, elle se couvrit la poitrine de ses deux bras. Ses lèvres prononcèrent très vite quelque chose qui devait être : « Maman ! maman ! »

La mère, très calme, haussa un peu les épaules avec un air de dire :

— Mon Dieu, mademoiselle, la belle affaire !

Et elle repoussa négligemment la fenêtre.

Depuis ce jour Remi s’abstint, sans trop savoir pourquoi, d’observer obstinément ses voisines. Mais il songea qu’elles pouvaient s’en aller et qu’il ne les reverrait plus. Cette idée l’attrista. Ses pensées prirent un cours grave et réfléchi. Il se dit que le baccalauréat compris par M. Godet-Laterrasse était une chose peu sérieuse et il résolut d’être un peintre. Peindre ! voilà qui lui semblait clair et beau. Puis l’idée de Télémaque lui traversa le cerveau.

— Il faut que j’aille le voir, pensa-t-il.