Le Chevalier à la charrette/8

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VIII


À l’aube, elle revint dans la chambre de Lancelot. Il était déjà tout armé.

— Dieu vous donne bonjour ! fit-elle.

— À vous aussi, demoiselle.

— Sire, la coutume est qu’une pucelle qui va seule ne craigne rien ; en revanche, lorsqu’un chevalier la conduit, si un autre la conquiert sur lui, il en peut user à son désir comme si elle était sienne. Or il y a près d’ici un homme qui longuement m’a aimée et requise d’amour, mais il a perdu ses peines. Pourtant, si vous voulez me protéger, je vous guiderai sans crainte.

— Demoiselle, je vous saurai bien défendre contre un chevalier, voire contre deux, dit Lancelot.

Alors elle fit seller les chevaux et ils allèrent longtemps à grande allure par chemins et sentiers, mais il ne répondait guère à ses propos ; penser lui plaisait, parler lui coûtait : amour le veut ainsi. À tierce, ils arrivèrent au bord d’une fontaine, au milieu d’un pré ; là, sur une grosse pierre, gisait un peigne d’ivoire doré, si beau que depuis le temps d’Isoré, personne, ni sage ni fou, n’en vit le pareil. Qui l’avait oublié là ? Je ne sais ; mais Lancelot s’arrêta, étonné, et sauta de son cheval pour le ramasser. Ah ! quand il le tint dans ses mains, comme il le regarda, comme il admira les cheveux plus clairs et luisants que de l’or fin qui y étaient restés ! La pucelle se mit à rire.

— Demoiselle, par ce que vous aimez le plus, dites-moi pourquoi vous riez !

— Ce peigne est celui de la reine, et les cheveux que vous voyez n’ont certes pas poussé sur un autre pré que sa tête !

— Mais il y a bien des reines et des rois : de laquelle parlez-vous ? reprend Lancelot tout tremblant.

— Par ma foi, de la femme du roi Artus !

À ces mots, Lancelot plie jusqu’à toucher terre, et il serait tombé si la demoiselle ne se fût hâtée de descendre de son palefroi pour le secourir. Quand il revint à lui et qu’il se vit soutenu par elle, il l’interrogea, tout honteux :

— Qu’y a-t-il ?

— Sire, je voulais vous demander ce peigne, dit-elle pour ne pas l’humilier.

Il le lui donne, mais après en avoir retiré les cheveux. Et il les adore ! À la dérobée, il les porte à sa bouche, à ses yeux, à son front ; il en est heureux, il en est riche, il les cache sur son cœur, entre sa chemise et son corps ; et il eût bien voulu que la demoiselle fût plus loin. Mais il lui fallut se remettre en chemin avec elle, et ils chevauchèrent jusqu’au soir, qu’ils s’hébergèrent dans une maison de religion où on leur fit très belle chère.