Le Combat spirituel (Brignon)/107

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 326-331).


CHAPITRE VII.
Que l’Ame doit être dépouillée de toute propre volonté, pour se présenter devant Dieu.

VEnez à moi vous tous qui travaillez, & qui êtes chargés, si vous voulez être délassés de vos travaux ; & vous tous qui avez soif, venez à la fontaine des eaux si vous voulez être děsalterés. C’est la semonce que nous fait Jesus-Christ, en deux endroits des saintes Ecritures, suivons cette vocation divine : mais sans effort ni précipitation ; en paix & avec douceur, nous remettant avec respect & confiance en l’amoureuse Toute-puissance qui nous appelle.

Attendons en esprit de paix la venuë de l’esprit qui donne la paix ; ne pensons qu’aux choses par lesquelles il doit être desiré, aimé & glorifié, & soyons soumis & fidele à ce qu’il voudra faire de nous.

Ne forçons jamais notre cœur, de peur que s’il venoit à s’endurcir, il ne pût être capable du saint repos, qu’il nous est commandé d’acquérir.

Mais accoûtumons-le doucement à ne s’entretenir que de bontés, de l’amour & des bienfaits de Dieu envers ses créatures, & se nourrir de cette Manne délicieuse, que l’assiduité de cette méditation fera pleuvoir dans nos ames avec des douteurs inconcevables.

Ne faisons nul effort pour répandre des larmes, ni pour faire naître en nous des sentimens de dévotion que nous n’avons pas : laissons notre cœur se reposer intérieurement en Dieu, comme en son centre, & ne nous lassons point d’espérer que la volonté de Dieu se fera en nous.

Il nous donnera des larmes en son tems, mais ces larmes seront douces, humbles, amoureuses & tranquilles : vous connoîtrez à ces marques, la source dont elles coulent, & vous les recevrez comme la rosée du Ciel en toute humilité, révérence & actions de graces.

Ne présumons ni de sçavair, ni d’avoir, ni de vouloir aucune chose ; le commencement & la fin, le nœud & la clef de l’Ouvrage spirituel, est de ne rien fonder sur soi-même, sur ce qu’on sçait, sur ce qu’on veut, ni sur ce qu’on a ; mais se tenant en état d’une abnégation parfaite, demeurer comme la Magdeleine aux pieds de Jesus-Christ, sans se troubler comme Marthe.

Quand vous chercherez Dieu par la lumiere de l’entendement pour vous reposer en lui, que ce soit sans comparaison, termes ni limites ; car il est hors de comparaison, il est par-tout sans division de parties, & toutes choses se trouvent en lui, Concevez une immensité qui n’a point de bornes, un tout qui ne sçauroit être compris, une puissance qui a tout fait, qui maintient toutes choses ; & dites votre Ame que c’est son Dieu.

Contemplez & admirez-le incessamment ; il est par-tout, il est dans votre ame, il en veut faire ses delices, selon sa parole, & quoiqu’il n’ait en rien besoin d’elle, il veut la faire digne de lui.

Mais en cherchant ces vérités divịnes par les discours de l’entendement, faites qu’elles fassent le repos des affections de votre volonté douces & tranquilles.

Vous ne devez ni négliger, ni limiter vos dévotions, en sorte que vous soyez comme obligé à faire tant de choses, méditer tant de tems, ou lire tant de Chapitres ; mais que votre cœur demeure toujours libre, pour s’arrêter où il trouvera à se reposer, & être prêt à jouir du Seigneur, lorsqu’il voudra se communiquer à vous, sans vous mettre en peine de n’avoir pas fait ou dit tout ce que vous vous étiez proposé de faire ou dire. Laissez là le reste sans scrupule, n’écoutez aucune autre pensée sur ce sujet ; parce que l’unique fin de vos exercices étant de Dieu, quand cette fin est trouvée, les moyens doivent cesser.

Dieu nous veut mener par le chemin qu’il lui plaît, & quand nous nous imposons des obligations de faire ou dire telle ou telle chose, que nous avons en tête de nous acquitter, & quand nous nous sommes fait des devoirs de ces choses purement imaginaires, nous cherchons Dieu en le fuyant, nous lui voulons plaire sans faire sa volonté ; & nous ne nous mettons pas en état qu’il puisse rien faire de nous.

Si vous voulez marcher heureusement dans le chemin, & parvenir sûrement à la fin ou il conduit, ne cherchez & ne desirez que Dieu ; en quelque part que vous le trouviez, & qu’il se présente à vous ; demeurez-là, ne passez pas outre, qu’il ne vous en donne congé, prenez avec lui le repos des Sts, & quand sa Majesté se sera retirée, vous pourrez en continuant vos exercices, vous remettre à le chercher, à vouloir & desirer le trouver : & l’ayant retrouvé, tout quitter pour en jouir.

Cette leçon est d’un extrême profit, & mérite d’être retenuë & pratiquée : car l’on voit plusieurs personnes Ecclésiastiques, qui se perdent dans la lassitude du travail de leurs exercices, sans en avoir pû jamais tirer du profit ni de repos, parce qu’il leur semble toujours qu’ils n’ont rien fait, s’ils n’ont achevé toute leur tâche ; & qu’en cela consiste la perfection, qui est une vie d’hommes de journées, esclaves de leur volonté, qui ne parviennent jamais à la véritable paix intérieure, qui est le lieu du Seigneur, & le sanctuaire où Jesus-Christ habite.