Le Combat spirituel (Brignon)/20

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 101-109).


CHAPITRE XX.
De la maniere de combattre le vice de la paresse.

IL importe extrêmement de faire la guerre à la paresse, parce que ce vice, non-seulement nous détourne du chemin de la perfection, mais nous livre, pour ainsi parler, entre les mains des ennemis de notre salut. Si vous voulez donc le combattre tout de bon, commencez par fuir toutes sortes de curiosités & de vains amusemens, détachez votre affection des choses du monde, quittez toutes les occupations qui ne conviennent pas à votre état. Tachez ensuite d’être diligent à répondre aux inspirations du Ciel, à exécuter les ordres de vos Supérieurs, & à faire toutes choses dans le tems & de la maniere qu’ils le souhaitent : ne differez pas un seul moment à accomplir ce qu’on vous ordonne : songez que le premier retardement en attire un autre, & celui-ci un troisiéme ; & qu’on recule toujours, parce que la crainte de la peine s’augmente de plus en plus, & que l’amour du repos croit à mesure qu’on en goûte la douceur. De-là vient que lorsqu’il faut travailler, on s’y met le plus tard qu’on peut, ou qu’on s’en dispense tout à fait, tant on a d’aversion pour le travail.

Ainsi l’habitude de la paresse vient à se former, & on a peine à s’en défaire, à moins que la honte d’avoir vêcu dans une extrême non-chalance, ne fasse enfin prendre la résolution d’être à l’avenir plus laborieux & plus diligent.

Mais remarquez que la paresse est un poison qui se répand dans toutes les puissances de l’ame ; qui n’infecte pas seulement la volonté, en lui faisant haïr le travail, mais l’entendement, en l’aveuglant de telle sorte, qu’il ne voit que les résolutions des paresseux sont pour la plûpart sans effet ; & que ce qu’ils devroient faire sur l’heure, ils ne le font point du tout, ou le remettent à un autre tems.

Remarquez de plus, qu’il ne suffit pas de faire vîte & sans délai, ce qu’on a à faire, mais qu’il faut choisir le tems que la nature de l’action demande ; & quand on l’a fait, y aporter un extreme soin pour lui donner toute la perfection dont elle est capable. Car enfin, ce n’est pas la marque d’une véritable diligence, mais d’une paresse fine & artificieuse, que de faire avec précipitation les choses dont on est chargé, sans se mettre en peine qu’elles soient bien faites, pourvû que l’on en soit quitte au plûtôt, & que l’on ait plus de tems à se reposer. Ce désordre vient de ce qu’on ne considere pas assez de quel prix est une bonne œuvre, lorsqu’on la fait en son tems, & qu’on passe pardessus toutes les difficultés, que la paresse opose à ceux qui commencent de faire la guerre à leurs vices.

Considérez donc souvent, qu’une seule aspiration, qu’une Oraison jaculatoire, qu’une génuflexion, que la moindre marque de respect pour la Majesté divine, est quelque chose de plus estimable que tous les trésors de la Terre ; & qu’à chaque fois qu’un homme se mortifie en quelque chose, les Anges du Ciel lui apportent une couronne pour récompense de la victoire qu’il a gagné sur lui-même. Songez au contraire, que Dieu ôte peu à peu ses graces aux tiédes, qui les négligent, & qu’il en comble les fervens qui en profitent, afin qu’un jour ces fideles serviteurs puissent entrer dans la joye de leur Seigneur[1].

Mais si au commencement vous ne vous sentez pas assez de forces pour suporter tous les travaux & toutes les peines qui se présentent dans la voye de la perfection, il faut que vous ayez l’adresse de vous les cacher à vous-mêmes, desorte que vous les trouviez beaucoup moindres que les paresseux ne se les figurent. Si donc il est nécessaire pour acquérir une vertu, que vous en fassiez beaucoup d’Actes ; que vous vous y exerciez durant plusieurs jours ; que vous combattiez contre un grand nombre d’ennemis puissans, qui traversent vos bons desseins, commencez à former ces Actes, comme si vous en aviez peu à faire ; travaillez comme si votre travail ne devoit pas durer longtems ; attaquez vos ennemis l’un après l’autre, comme si vous n’en aviez qu’un seul à combattre, & soyez sûr qu’avec la grace de Dieu, vous serez plus fort qu’eux tous : vous viendrez par ce moyen, à vous délivrer du vice de la paresse, & à acquérir la vertu contraire.

Pratiquez la même chose dans l’Oraison. Si votre Oraison doit durer une heure, & que ce tems vous paroisse long, proposez-vous seulement de prier un demi-quart d’heure, & de ce demi-quart d’heure passant à un autre, il ne vous sera pas mal-aisé de remplir enfin l’heure toute entiere. Que si au second, ou au troisiéme demi-quart d’heure, vous sentez une trop grande répugnance à la priere, n’allez pas jusqu’à vous en dégoûter tout-à-fait, mais discontinuez un peu ce saint exercice, l’interruption ne vous nuira point, pourvû que vous le repreniez peu de tems après.

Usez-en de même à l’égard des œuvres extérieures & du travail temporel. S’il vous semble que vous ayez trop de choses, ou des choses trop difficiles à faire, & que par un excès de lâcheté, vous en ressentiez du chagrin, commencez toujours par la premiere, sans songer aux autres ; appliquez-vous-y avec tout le soin possible : car faisant bien celle-là, il n’y en aura aucune dont vous ne veniez à bout avec moins de peine que vous ne croyez. Allez aussi au-devant des difficultés qui se rencontrent, & ne fuyez jamais le travail. Craignez seulement que la paresse ne s’augmente en vous, jusqu’à vous rendre insuportables les peines qui accompagnent les premieres exercices de la vertu, & qu’avant mêmes qu’elles viennent, vous n’en conceviez de l’horreur.

C’est ce qui arrive aux ames lâches & timides. Car elles apréhendent toujours l’ennemi, quelque foible, & quelque éloigné qu’il soit, elles s’imaginent qu’on va à toute heure leur commander des choses facheuses, & ces vaines craintes leur causent du trouble au milieu même de leur repos. Sçachez donc qu’il y a dans ce vice un poison caché, qui non-seulement étouffe les premieres sémences de vertu, mais qui détruit même les vertus déja formées. Sçachez que ce que le ver fait dans le bois, il le fait dans la vie spirituelle, & que c’est par lui que le démon a coutume de faire tomber dans ses pieges la plûpart des hommes, principalement de ceux qui aspirent à la perfection.

Veillez sur vous-même, adonnez-vous à l’Oraison & aux bonnes œuvres ; n’attendez pas à vous faire une robe nuptiale, lorsqu’il faudra que vous en soyez revêtu, pour aller au devant du divin Epoux. Souvenez-vous chaque jour, que celui qui a daigné vous conserver jusqu’au matin, ne vous promet pas de vous faire vivre jusqu’au soir ; & que s’il a eu la bonté de vous conserver jusqu’au soir, il ne vous assure pas que vous vivrez jusqu’au lendemain. Employez donc saintement chaque heure du jour, comme si c’étoit la derniere ; ne pensez qu’à plaire à Dieu, & craignez toujours ce compte si rigoureux, qu’il faut lui rendre de tous les momens de votre vie.

Je n’ai plus qu’un mot à vous dire. Quoique vous ayez beaucoup travaillé, que vous ayez expédié bien des affaires, croyez néanmoins que la journée est perduë pour vous, que toutes vos peines sont inutiles, si vous n’avez pû remporter plusieurs victoires sur vos passions, & sur votre propre volonté ; si vous avez négligé de remercier Dieu de ses dons, & particulierement de la grace qu’il vous a faite de mourir pour vous ; si vous n’avez pas reçû comme des faveurs les châtimens que ce Pere infiniment bon vous a envoyez pour l’expiation de vos crimes.

  1. Math. 25. 21.