Le Combat spirituel (Brignon)/21

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 109-115).


CHAPITRE XXI.
Du bon usage des sens extérieurs, & comment on peut les faire servir à la contemplation des choses divines.

ON ne peut sans un grand soin & une aplication continuelle, régler comme il faut les sens extérieurs, parce que l’apétit sensitif d’où naissent tous les mouvemens de la nature corrompuë, aime éperduëment le plaisir. Et comme il ne peut de lui-même se satisfaire, il employe les sens pour attirer à soi leurs objets, dont il fait passer les images jusqu’à l’esprit. C’est de-là que vient le plaisir sensuel, qui, par la communication qu’ont entre eux l’esprit & la chair ; s’étant répandu d’abord dans tous les sens, qui en sont capables, infecte ensuite comme un mal contagieux les puissances spirituelles, & corrompt enfin l’homme tout entier.

Voici les remedes qu’on peut aporter à un si grand mal. Ne donnez point trop de liberté à vos sens : ne vous en servez jamais que pour une bonne fin, pour quelque chose d’utile, ou de né cessaire, & non pour la volupté. Que s’ils s’échapent sans que vous vous en aperceviez ; s’ils passent les bornes que la raison leur prescrit, ayez soin de les ramener au plûtôt : réglez-les de telle sorte, qu’au lieu qu’ils avoient accoutumé de s’attacher à de vains objets, pour y trouver quelques faux plaisirs, il s’accoutume à tirer des mêmes objets de grands secours pour le salut & la perfection de l’ame ; & que l’ame se recueillant en elle-même, s’éleve ensuite par la connoissance des choses créées à la contemplation des grandeurs de Dieu : ce qui se peut pratiquer en cette maniere.

Lorsqu’un objet agréable se présente à un de vos sens, ne regardez pas ce qu’il a de matériel, mais considérez-le avec les yeux de l’esprit ; & si vous y apercevez quelque chose qui flate vos sens, songez qu’il ne le tient pas de lui-même, mais qu’il l’a reçû de Dieu ; que c’est Dieu qui d’une main invisible l’a créé, & qui lui donne tout ce que vous admirez de beau & de bon. Après cela réjouissez-vous de voir que cet Être souverain & indépendant, est le seul Auteur de tant de rares qualités qui vous charment dans les créatures ; qu’il les contient toutes éminemment, & que la plus excellente n’a rien qui aproche de ses perfections infinies.

Lorsque vous vous arrêtez à contempler quelque bel ouvrage du Créateur, souvenez-vous que de soi-même il n’est rien, pensez à l’Ouvrier qui l’a fait, mettez en lui seul toute votre joye, & dites-lui : O mon Dieu, ô l’objet de tous mes desirs, ô mon unique bonheur, que j’ai de joye quand je considere que tout ce qu’il y a de perfections dans les créatures, n’est que l’image des vôtres, & que vous en êtes la source.

Lorsque vous voyez des arbres, des plantes, des fleurs, ou d’autres choses semblables, songez que la vie qu’elles ont ne vient pas d’elles, mais de cet Esprit tout-puissant, qu’on ne voit point, qui seul les fait vivre, auquel vous direz : O Dieu vivant, ô toute la joye de mon ame, ô vie souveraine, c’est de vous, c’est en vous & c’est par vous que tout vit & croit sur la Terre.

En voyant des animaux, élevez aussi votre esprit & votre cœur à celui qui leur donne le sentiment & le mouvement ; dites-lui avec respect & avec amour : Grand Dieu, qui remuez toutes choses dans le monde, & qui demeurez toujours immobile, je me réjouis de ce que vous êtes éternellement dans le même état, sans pouvoir souffrir aucun changement.

Quand vous vous sentez épris de la beauté des créatures, séparez incontinent ce que vous voyez de ce que vous ne voyez pas ; laissez le corps & attachez-vous à l’esprit : considérez que tout ce qui paroît de beau à vos yeux, vient d’un principe invisible, qui est la Beauté incréée. Dites en vous-même : voilà des petits ruisseaux de cette source inépuisable, de cet Océan immense, d’où découlent une infinité de biens. O que mon ame ressent de plaisir, lorsque je pense à cette beauté éternelle, qui est la cause de toute beauté créée !

Quand vous voyez une personne doüée de sagesse, de justice, de bonté, ou de quelqu’autre vertu, distinguez pareillement ce qu’elle a de foi d’avec ce qu’elle a reçû du Ciel, & dites à Dieu : O Dieu des vertus, je ne puis vous exprimer le contentement que j’ai, quand je considere qu’il n’est aucun bien, qui ne procede de vous, & que toutes les perfections des créatures ne font rien en comparaison des vôtres. Je vous rends mille actions de graces, Seigneur, pour ce bien, & généralement pour tous les biens que vous avez faits à mon prochain & à moi. Ayez pitié de ma pauvreté, souvenez-vous que j’ai grand besoin d’une telle, & d’une telle vertu qui me manque.

Lorsque vous faites quelque bonne action, pensez que c’est Dieu qui en est la premiere cause, & que vous n’êtes que l’instrument dont il se sert pour agir ; élevez les yeux vers lui, en disant : O souverain Maître du monde, c’est avec une extrême joye que je reconnois, que sans vous je ne puis rien, & que vous êtes le premier & le principal ouvrier de toutes choses.

Quand vous mangez de quelque viande que vous aimez, faites cette réflexion, qu’il n’y a que le Créateur capable de lui donner ce goût que vous y trouvez, & qui vous paroît si agréable : mettez en lui seul tous vos délices, & dites-vous à vous-même : O mon ame, réjouis-toi de voir, que comme il n’y a point de solide contentement hors de Dieu, aussi trouve-t-on en Dieu un parfait bonheur.

Lorsque vous sentez quelque douce odeur, gardez-vous bien de vous attacher au plaisir que vous y prenez ; montez en esprit au Ciel, & persuadé que c’est Dieu qui est la cause de cette odeur, réjouissez-vous-en avec lui, priez-le qu’étant le principe de toute douceur, il fasse ensorte que votre ame dégagée des plaisirs sensuels, n’ait rien qui l’empêche de s’élever jusqu’à lui, comme la fumée d’un agréable parfum.

Enfin quand vous entendez quelque beau concert, pensez à Dieu, & lui dites : O mon Dieu, j’ai le cœur comblé de joye, lorsque je songe à vos divines perfections, qui jointes ensemble, font une excellente harmonie, non-seulement dans vous-même, mais dans les Anges, dans les Cieux, & dans toutes les Créatures.