Le Combat spirituel (Brignon)/22

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 116-119).


CHAPITRE XXII.
Comment les choses sensibles nous aident à méditer sur ces Mystéres de la vie, & de la Passion de Notre-Seigneur.

JE vous ai montré comment on peut s’élever de la considération des choses sensibles à la contemplation des grandeurs de Dieu : aprenez maintenant à vous servir de ces mêmes choses, pour vous remettre dans l’esprit les sacrés Mystéres de la Vie & de la Passion de Notre-Seigneur. Il n’y a rien dans l’Univers qui ne soit propre à vous en rafraîchir la mémoire.

Considérez donc seulement que Dieu, ainsi que nous avons dit, est le principe de toutes choses, que c’est lui qui a donné aux Créatures, mêmes les plus nobles, l’être, la beauté, & toutes les perfections qu’elles ont. Admirez ensuite l’infinie bonté de ce souverain Maître du monde, qui a daigné s’abaisser jusqu’à se faire homme, & à souffrir une mort honteuse pour votre salut, en permettant que ses propres Créatures conspirassent contre lui, pour le crucifier. Mais si vous voulez venir au détail de ses travaux & de ses souffrances, de quelque côté que vous vous tourniez, vous en verrez des figures.

Si, par exemple, vous voyez des armes, des foüets, des cordes, des épines, des roseaux, des cloux, des marteaux, vous vous représenterez ceux qui furent les instrumens de la Passion & de la Mort. Une maison pauvre vous fera penser à l’Etable & à la Crêche où il nâquit. La pluye qui tombe du Ciel, & qui se répand sur la Terre, vous remettra en mémoire les ruisseaux de sang dont il arrosa le Jardin des Olives : toutes les pierres vous seront autant d’images, de celles qui se fendirent à sa mort. En regardant ou le Soleil, ou la Terre, vous songerez que quand il mourut, la terre trembla & le Soleil s’obscurcit. En voyant de l’eau, vous vous souviendrez de celle qui coula de son côté, & ainsi de mille autres choses qui se présenteront à vos yeux.

Si vous bûvez du vin, ou de quelque autre liqueur, proposez-vous le vinaigre & le fiel, dont cet aimable Sauveur fut abreuvé par ses Ennemis. Si vous prenez trop de plaisir à l’odeur de quelque parfum, figurez-vous la puanteur des corps morts, qu’il sentit sur le Calvaire. En vous habillant, considérez qu’étant le Fils de Dieu, il s’est revêtu de notre chair, pour nous revêtir de la Divinité. En vous deshabillant, imaginez-vous le voir dépouillé & tout nud entre les mains des Bourreaux, prêt à être fouetté & attaché à une Croix pour l’amour de vous. Quand vous entendez quelque bruit confus, croyez entendre ces cris effroyables d’une populace mutinée contre son Seigneur : Otez-le du monde, ôtez-le du monde : Crucifiez-le, crucifiez-le.

Toutes les fois que l’horloge sonnera, pensez à ce battement de cœur, que Jesus sentit dans le Jardin, lorsqu’il fut saisi d’une mortelle frayeur, à la vûë des cruels tourmens qu’on lui préparoit ; ou bien songez aux coups de marteau que les Soldats lui donnerent, en le clouant à la Croix. Enfin quelques peines & quelques douleurs que vous enduriez, ou que vous voyiez endurer aux autres, tenez pour certain qu’elles ne sont rien en comparaison de celles que votre Sauveur souffrit, & dans le corps & dans l’ame, durant tout le cours de la Passion.