Le Combat spirituel (Brignon)/24

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 129-133).


CHAPITRE XXIV.
De la maniere de bien gouverner la Langue.

LA langue de l’homme a grand besoin d’être retenuë, parce qu’on se plaît naturellement à parler des choses qui flatent les sens. L’intempérance de la langue vient d’ordinaire d’un certain orgueil, qui fait que nous nous croyons beaucoup plus intelligens que nous ne sommes ; & qu’admirant nos propres pensées, nous les débitons avec complaisance, nous dominons dans la conversation, & prétendons que tout le monde nous écoute.

Il est impossible de comprendre en peu de paroles, tous les maux qui naissent de ce vice détestable. Ce qu’on en peut dire en général, c’est qu’il est la cause de l’oisiveté ; qu’il marque beaucoup d’ignorance & de folie ; qu’il traîne après soi la médisance & le mensonge ; qu’il ralentit la ferveur de la dévotion ; qu’il fortifie les passions déreglées, & qu’il accoutume la langue à ne dire que des paroles vaines & oiseuses.

Pour le corriger, voici ce que je vous conseille de faire. Ne parlez point trop, ni devant ceux qui ne vous écoutent pas volontiers, de crainte de les ennuyer, ni devant ceux qui prennent plaisir à vous écouter, de peur que dans le discours il ne vous échape quelque chose de mal-à-propos. Prenez garde à ne pas parler trop haut, ni d’un ton d’autorité ; car cela déplaît à ceux qui l’entendent, & montre beaucoup de suffisance & de présomption.

Ne parlez jamais de vous, ni de vos parens, ni de ce que vous avez fait, à moins que la nécessité ne vous y oblige ; & lorsqu’il vous semble le devoir faire, que ce soit en peu de mots, avec une extrême retenuë. Que si vous trouvez un homme qui parle beaucoup de soi, ne le méprisez pas pour cela ; mais gardez-vous bien de l’imiter, quand même il ne diroit rien qui ne dût servir à faire connoître ses fautes, & à lui en donner de la confusion. Ne parlez que le moins que vous pourrez du prochain, & des choses qui le regardant, si ce n’est que l’occasion se présente d’en dire du bien. Parlez volontiers de Dieu, surtout de sa charité pour les hommes, mais dans la crainte de n’en parler pas comme il faut, écoutez plûtôt ce que les autres vous en diront, & tachez de ne le point oublier.

Pour ce qui est des discours profanes, s’ils vont jusqu’à vos oreilles, ne permettez pas qu’ils entrent dans votre cœur qui doit être tout entier à Dieu. Mais au cas que vous soyez obligé d’écouter celui qui parle, afin de pouvoir lui répondre, jettez toujours quelque œillade vers le Ciel, où votre Dieu regne, & d’où cette haute Majesté ne dédaigne pas de regarder votre bassesse. Examinez bien tout ce que vous voulez dire, avant que du cœur il passe à la langue. Apportez-y toute la circonspection possible ; parce qu’il s’y trouvera toujours beaucoup de choses à suprimer ; & quand même vous aurez choisi ce que vous croirez devoir dire, retranchez-en une partie : car vous trouverez encore à la fin que vous n’en aurez que trop dit.

Le silence est d’un grand secours dans le Combat spirituel ; & ceux qui le gardent peuvent se promettre qu’ils remporteront la victoire. Aussi ont-ils d’ordinaire la défiance d’eux-mêmes, la confiance en Dieu, beaucoup d’attrait pour l’Oraison, & une grande facilité pour tous les exercices de vertu.

Afin de vous affectionner au silence, considerez les grands biens qui en proviennent, & les maux infinis qui naissent de l’intempérance de la langue. Je dis plus, si vous voulez vous accoutumer à parler peu, taisez-vous, lors même que vous avez sujet de parler ; pourvû que votre silence ne nuise ni à vous, ni au prochain. Fuyez surtout les conversations profanes ; préférez la compagnie des Anges, des Saints, de Dieu même, à celle des hommes. Enfin, songez à la guerre que vous avez entreprise, & à peine aurez-vous le tems de respirer, bien loin de pouvoir vous amuser à des entretiens inutiles.