Le Commerce galant/Lettre 5

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chez Antoine Perisse (p. 34-39).

RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

À la Lettre quatriéme.

Je fus hier bien attrapée quand je leus les Vers que vous aviez faits ſur ma rougeur, aprés m’avoir promis de n’en point faire. Je ne ſçaurois vous le pardonner ; & ſi vous avez pretendu bien adoucir la choſe, en diſant que l’Amour ſe plaçoit ſur mes jouës, ne pouvant entrer dans mon cœur, vous eſtes bien attrapé vous-meſme. La belle conſolation pour moy ! Il pouvoit eſtre au cœur, ſans que je m’en ſcandaliſaſſe ; du moins il n’y auroit point paru, mais de monter publiquement ſur mon viſage, la maniere eſt un peu trop triomphante, & ne m’accommode nullement ; après tout, tout adroit qu’il eſt, il a fort mal pris ſes meſures ; car pour entrer dans un lieu où l’on ne le recevroit pas volontiers, il n’y devoit pas venir à viſage découvert ; il devoit prendre des routes plus detournées, & il peut s’aſſeurer que quand il paroîtrà ainſi, je luy défendray le paſſage. Je penſe que vous eſtes au deſeſpoir à l’heure qu’il eſt ; Remettez-vous cependant, car je ne ſuis pas ſi méchante que je le parois ; & à dire vray, un peu de tendreſſe ne m’incommoderoit guére. Je voudrois de tout mon cœur en connoître la nature ; mais je ne vois point encore de jour à la choſe. En verité, mon Maître, vous ne m’aprenez rien. Je vous aborday hier d’un air ſi tranquille, que je ne ſceus m’empêcher d’en avoir un peu de dépit ; c’eſt voſtre faute, & non pas la mienne ; & vous me permertrez, s’il vous plaiſt, pour me vanger des Vers que vous avez faits ſur ma rougeur de rimer tant ſoit peu contre vous.


VERS IRREGULIERS
contre Timandre.

Si je veux bien faire l’experience
De ce trouble du cœur qu’en dit eſtre ſi doux ;
Pourquoy reſſens-je encore toute mon indolence
Cela n’est pas ſort glorieux pour vous ?
J’ay fait de grands efforts afin de faire naiſtre


Ce deſordre charmant que je ne puis avoir ;
Si je n'ay pas encor l'honneur de le connoistie.
L'Eſcoliere pourtant a bien ſait ſon devoir;
Si ſon cœur n'apprend rien, il faut s'en prendre au Maître,
ſe ſuis dans la belle ſaiſon,
Mon cœur eſt bonneſte & docile;
Si dans peu' je ne ſuis habile
De bonne ſoy vous m'en ſerez raiſon.
Pourquoy parliez-vous mal de mon indiference?
Vous avez Jaen m'en rebuter
Si vous ne pouviez me l'oſter
Il ſalloit la laiſſer du moins en patience.
De plus, vous m'avez peint avantageuſement
Je ne ſçay quoy que vous nommez tendreſſe,
Cette idée à mon cœur ſe preſente ſans ceſſe
Avecque tout Jon agrément;

Et pour tout elle ne me laiſſe
Qu’un aſſez grand reſſentiment
De n’avoir pas cette charmante hoteſſe.
Vous devez bien tout cecy démeſler,
Tont ſranc, je ne ſçaurois me ſouffrir ignorante ;
C’est donc à vous à me rendre Scauante,
On vous deviez ne vous en pas mejler
Perdre un peu de repas n’a rien qui m’embaraſſe,
Il ſaut enſin ſubir la naturelle loy,
Acquitez vons de voſtre employ ;
Puis que mon cœur s’oſſre de bonne grace,
Vous l’inſtruirez, on vous direz pourquey.

Le déſy eſt particulier, c’eſt preſque vous jetter mon cœur à la teſte ; mais enfin, je ſuis Glorieuſe, & quand j’entreprends quelque choſe, j’en veux venir promptement à bout ; ſi un tel empreſſement n’eſt pas permis en cette occaſion, ce n’est pas à vous d y regarder de ſi prés ; Car enfin, je vous vois tout diſpoſé à faire en ma faveur encore une fois le chemin de la Tendreſſe. & l’on riroit bien ſi l’on vous voyoit ſeul ſur une route où chacun eſt avec ſa chacune ; ainſi vous devez m’inſtruire à preſent pour voſtre gloire, & peut eſtre pour votre intereſt.

Vous avez trouvé, Madame les ſentimens de cette Lettre ſi neufs & ſi particuliers ; que je ne vous en diray rien ; Jay laiſſé les ers comme ils ſont écrits de ſa main, aimant mieux les mettre dans leur ſimplicité naturelle qui eſt originale, que de les polir davantage, & leur donner un tour qui les gâteroit peut-eſtre, ou du moins qui en auroit pû alterer le naturel qui en ſait toute la beauté. Voicy la réponſe.