Le Commerce galant/Lettre 4

La bibliothèque libre.
chez Antoine Perisse (p. 30-33).

LETTRE
DE
TIMANDRE
À
LA JEUNE IRIS.

Lettre quatriéme.

Qui vôtre veuë me donna hier, une joye ſenſible. Il y avoir quinze jours que je vous cherchois par tout ſans vous trouver ; & dans ce temps, peut-eſtre n’avez-vous pas ſongé un moment à moy. Vous me paruſtes plus aimable que jamais ; vos yeux me dirent en un inſtant cent jolies choſes, auſſi bien que vosſtre bouche. Que j’eus d’émotion on les voyant, & de plaiſir à vous entendre, dans le peu de temps que je ſas avec vous ? Mais helas ! je partagay ſeul ce plaiſir, & ſans cette aimable rougeur qui vint à mon ſecours pour une vanger de voſtre indifference, j’en aurois eu pour mon compte. Voſtre embaras aida un peu à diſſiper le mien, & malgré la deſenſe que vous m’avez faite,

Je vous ſeray reſſouvenir
Que j’ay ſeen vous faire rougir,
Helas ! trop aimable Bergere
D’euſſiez en avoir quelque peu de dépit,
Apprenez que l’on ne rougit
Que d’amour, ou que de colere.

Je gage que vous eſtes dans une furieuſe colere contre moy dans ce moment, & que vous rougiſſez encore en liſant ces Vers ; prenez promptement voſtre Miroir, je vous en conjure, voyez combien vous paroiſſiez plus aimable, & quel ſurcroiſt de beauté un peu de rongeur vous donne. Je ſuis ſeur que vous me remercierez en ſecret de vous avoir ſait rougir.

Quand on voit des yeux ſi perçans
Devenir un peu languiſſans,
Et qu’un peu de rougeur colore vôtre jouë,
Apprenez que l’amour qui peint cette rougeur
    Sur votre viſage ſe joüe,
Quand il voit qu’il ne peut entrer dans vôtre cœur.

Hé bien n’ay-je pas bien expliqué vôtre rougeur ? Ne vous emporté donc plus contre moi, vous n’avez pas ſujet d’en rougir, puis que ce n’eſt qu’en fermant l’entrée de voſtre cœur à l’Amour,

qu’il monte ſur vôtre viſage ;

Ainſi, charmante Iris, ſoyez moinsen colere,
Et n’ayez plus de repentir
D’avoir ce vermeil qui ſçait plaire,
Et ne rougiſſez plus d’avoir osé rougirs,

Je crois que vous me le pardonnez à preſent. Ce que vous me dites hier touchant l’interruption de notre commerce ne me déplût point ; & puis que je n’ay pas la liberté de vous voir, du moins que j’aye celle de vous écrire ; & ſur tout,

N’ayons jamais de Confidens
Qui ſont toûjours ſort imprudens ;
Gardons un peu plus de myſtere,
Qu’un de nous deux le devienne à ſon tour ;
Et ſi nous recevons un tiers en cette affaire,
N’ayons pour Confident & pour tiers que l’Amour.