Le Commerce galant/Lettre 7

La bibliothèque libre.
chez Antoine Perisse (p. 47-50).

À
LA JEUNE IRIS

Lettre ſeptidime.


Vous n’avez point répondu à ma derniere ; je ne vous vois plus, & vous n’avez aucun empreſſement de m’en ſaire naiſ. tre l’occaſion. Je penſe meſme que pour éviter la rencontre des hom nes, vous negligez le Service Divin ; cela n’oſt pas ſort devot, On ne vous voit non plus à E gliſe, que ſivous eſtiez Calvi niſte ou Lutherienne ; j’en ſuis fort ſcandalizé, encore vous ai-je veuë autrefois ſort attentive au Sermon. Je crains bien que la dureté de voſtre cœur ne palle. juſques à voſtre ame ; c’eſt une ſort méchante diſpoſition pour les bons ſentimens, que d’eſtre ſi indifferente pour toutes choſes ; & c’eſt trop, que de negliger à la ſois Dieu & les Hommes. Il me ſemble que je me ſens aujourd’huy d’humeur à vous preſcher un pen ſur bien des articles, puiſque vous negligés, les Sermons de nos Predicateurs ; & comme l’indifference eſt voſtre péché originel, il ſaut tâcher de la déraciner de vôtre ame : mais je crois que je perdray mon temps, de vouloir vous ſaire croire quelque choſe. Vous eſtes une petite Scelerate, qui n’avez ny ſoy, ny loy, ſur le chapitre de l’Amour, & mal-gré tout les zele dont je me ſens animé,

Voſtre cœur dans ce triſte jour
Qui par ſa dureté ne vent jamais rien croire,
Avec ſon noir & ſroid Grimoire.

Eſt pis qu’un Heretique en matiere d’amour.

Je veux pourtant vous envoyer le petit Amour qui a attendry mon ame, & qui m’a tiré de l’erreur où j’étois, pour vous preſcher & patrociner quelque temps ; il vous dogmatizera ſi tendrement, que vous en ſerez touchée ; car il n’eſt point de cœur ſi dur, qu’il ne ſende, & ſans doute il vous ſeroit venir à reſipiſcence, ſi vous luy donnez la moindre petite ouverture dans voſtre cœur ; vous verrez qu’il eſt éloquent, qu’il perſuade fortement ce qu’il inſinuë ; que ſes penſées ſont nobles & hardies, ſes expreſſions nettes · & juſtes, & qu’il répand dans l’ame de ſes Auditeurs une certaine douceur qui entraîne, qui charme, & qui convainc les cœurs les plus endurcis dans l’erreur de l’Indifference ! Ecoutez-le, charmante Heretique, ſortez du chemin de perdition, & rentrez dans la droite voye où marchent les Amans predeſtinez ; c’eſt la route la plus ſeure & la plus agreable, où l’Amour vous conduiſe. Ainſi ſoit-il.