Le Commerce galant/Lettre 8

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chez Antoine Perisse (p. 50-55).


RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre huitième.


En verité, voſtre Amour s’aviſe d’un plaiſant ſtratageſme. Quoy ? pour me venir rendre viſite, prendre la figure d’un Predicateur ; qui l’auroit pû connoiſtre ſous ce déguiſement ? Eſt-ce l’affaire d’un Amour, que de ſe méler de reſormer les mours ; en verité, il diroit des choſes bien irregulieres, car ce n’eſt pas ſon talent que de raiſonner bien. Je crois qu’il n’a pas trop ſait de reflection ſur les qualitez qu’un tel perſonnage demande, & qu’il a pris ce party un peu à l’étourdy ; mais on ne luy doit pas demander plus de prudence, ce n’eſt pas auſſi dequoy je me plains. Devoit-il mettre la ſupercherie en uſage, pour entrer dans un cour qui s’eſtoit expliqué de ſi bonne foy avec vous. Je voudrois bien le luy reprocher à luy-meſme, mais comme je n’ay encore aucun commerce avec luy, & qu’il vous eſt aſſez familier, je vous prie de luy faire tenir. en main propre ce Biller que je luy envoyé.

LA JEUNE IRIS
À L’AMOUR.

Ie prens la liberté de vous écrire, Amour
Bien que mon cœur n’ait pas l’honneur de vous connoiſtre ;
Vou ſçavez qui je ſuis, s’il vous ſouvient qu’un jour
Vous priſtes ſoin de me choiſir un Maistre,
Qui grace à vos bontez m’a depuis fait ſa Cour.
C’eſt pourquoy, cher amour, en amy je vous traite ;
Car en eſſet ſi vous me connoiſſez
C’eſt connoiſſance à motié faite,

Et peut-eſtre qu’un jour vous connoîtrai-je aſſez :
Cependant entre nous je veux bien vous le dire,
De s’avoüer de vous on ſait quel que façon
Et telle dont le cœur reconnoiſt voſtre Empire,
N’oſeroit ſans rougir prononcer voſtre nom ?
Ce Billet éventé paſſeroit pour un crime ;
Tout commerce (dit-on) avec vous est fatal.
Ah ! que ce ſentiment ſelon moyſonne mal,
Je vous ens de tout temps en ſinguliere eſtime,
Et dans un jeune cœur c’eſt aſſez ma maxime
Qu’un peu d’amour ne ſied point mal.
Sans doute que ſçachant comme un cœur ſe gendarme
Alors que de vos traits il ſe croit menacé ;
Vous avés cru come Amour bien ſeſé ;

Qu’il faloit m’épargner cette inutile allarme,
Incognito vous eſtes avancé.
Paſſe ; mais d’un Docteur prendre le caractere,
Le deſſein est burleſque à le dire entre nous,
Eſt-ce en ſaiſant leçon qu’on trouve l’art de plaire ?
Telles gens ſont encore plus à crain que vous.
Dites-nous des douceurs c’est une affaire faite,
Noſtre cour entend trop ce langage fripon,
Et je puis avouer que la moindre fleurette
Me plairait beaucoup mieux que le meilleur Sermon.
A quoy bon tant de ſrais, tentez mieux l’avanture,
En qualité d’amour paroiſſez à mon cœur,
Un enſant tel que vous ne luy fait point de peur,
Il aime mieux voſtre propre figure

Que celle d’un Predicateur.
Luy-meſme eſt un Enfant, ne croyez pas qu’il tremble
Pour un petit Amour faut-il tant s’étonner ?
Il s’ennuye eſtant ſeul & ne ſçait où donner ;
Venez, venez, vous vous joüerez enſemble,
Mais ne faites que badiner
D’un Hoſte comme vous la viſite est charmante,
le vais le preparer à vous bien recevoir,
Amour, Adieu, juſques au revoir,
En attendant je ſuis voſtre ſervante.