Le Commerce galant/Lettre 9

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chez Antoine Perisse (p. 56-65).

RÉPONSE
DE
TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS

Lettre neuviéme.

Ie ne ſuis point du tout content de voſtre dernier Billet, il eſt trop plein d’eſprit & de brillant, & je n’y ay pas trouvé un grain de tendreſſe. A quoy bon la plus fine raillerie ſur l’Amour Predicateur ; il eſtoit pourtant aſſez galant, s’il vous en ſouvient, & n’avoit nullement l’air d’un Pedagogue auſtere. Si je vous aimois un peu moins, j’aurois trouvé la Lettre d’Iris à l’Amour plus que charmante, mais enfin, je commence à m’appercevoir que tant d’eſprit ne ſait que chagriner quand le cœur n’a point de part à l’affaire. Noſtre commerce a commencé par un jeu d’eſprit à la verité, mais je ſens bien que mon cœur s’eſt mis malgré moy de la partie ; & que ſi le voſtre ne le ſeconde, il pourra mal paſſer ſon temps. Encore ſi j’avois la meſme force ſur le mien, que vous avez ſur le voſtre ; ſi j’eſtois auſſi tranquille que vous, la partie ſeroit plus égale ; ou ſi vous ſentiez autant d’émotion que moy, elle ſeroit plus raiſonnable & plus complette. Le trouble & le deſordre où je me trouvay hier en vous voyant, eſtoient bien plus éloquens que mille Lettres comme la voſtre (toute

ſpirituelle qu’elle eſt.)

Dans ce ſaiſiſſement que l’on ne peut celer,
Où la Langue ſe taiſt lors que le cœur ſoûupire,
Helas ! quand on ne peut parler
Que l’on a de choſes à dire ?

J’enrage de ces quatre Vers qui me ſont échapez malgré moy : Car, enſin, je ſuis bien ſimple de vous écrire tendrement, & je devrois badiner comme vous, & m’engager auſſi peu. Je vois bien ce que vous pretendez, & vous meriteriez ſans doute avec tout voſtre eſprit, que la tendreſſe que je commence à reſſentir pour vous, degğeneraſt en une ſimple eſtime ; ouy, vous meriteriez pour vous punir de voſtre indifference & de voſtre malice, que j’euſſe autant d’eſprit que vous en avez ; nous verrions à beau jeu beau retour. Cependant tréve d’eſprit, je vous en conjure, & un peu plus de rendreſſe. Je ſçais trop de quelle maniere le voſtre s’explique, écoutons un peu le langage de voſtre Cour.

Helas ! n’a t-il rien à me dire,
Ce Cœur qui me ſait murmurer ?
Et tandis que le mien ſoupire
Le vostre ne peut-il apprendre Soupirer ?

Je ſçay bien qu’il eſt trop libertin, & qu’il s’en défendra avec opiniâtreté ; j’ay envie de vous faire quelque jour une Satyre ſi violente contre l’Eſprit que vous aurez regret d’en avoir tant : mais comme je n’ay pas le loiſir à preſent, je vous envoye en attendant ce Rondeau, pour répondre à celuy que vous me dites dernierement, dont le mot eſt Non ; par lequel vous marquez que vous ne voulez pas vous rendre, ny meſme écouter les leçons de voſtre Maiſtre.


RONDEAU.

Ouy, je vous hais, c’eſt tout de bon.
Voſtre cœur n’eſt qu’un fripon
Qui ſçait trop l’art de ſe defendre,
Et cela n’est pas de raiſon,
Quand l’Amour luy donne leçon
Au lieu d’un impertinent non,
Ne doit-il pas luy faire entendre Ouy
Mais il faut mettre à la raison
La dureté de ſon jargon,
Et quand le fidele Timandre
Vous dira, jeune Iris, avez-vous l’ame tendre,
Répondez ſur un meſme ton Oüy.

Je vous prie de profiter de cette leçon, & de ne répondre plus par un nom ſi froid à voſtre Maître.

RÉPONSE AU RONDEAU.

RONDEAU.

Ouy, je vous hais, ce terme dois ſurprendre
Pour un objet à qui l’on veut ſe rendre ;
Pour un Amant, c’eſt mal faire ſa Cour
Pour un Rondeau c’eſt un fort méchant tour,
Et tel adieu ne rend pas un cœur tendre.
Dans l’art d’aimer vous deviez mieux aprendre
Qu’on n’a jamais pour ſe bien faire entendre
Ecrit, on dit, quand on brûle d’amour,

Ouy, je vous hais.
De ma fierté vous devez tout attendre.
Ab ! cependant, je commence à comprendre
Et j’entrevois le vray de ce faux jour ?
Ce je vous hais eſt un tendre détour
Et ne doit point attirer à Timandre,
     Oüy, je vous hais.

Voila, Madame, où nous en eſtions noſtre commerce eſtoit aſſez bien étably ; mais je n’avois pas la liberté de la voir que tres-rarement, cela m’embaraſſoit fort, & quand je pouvois attraper ces momens ſi deſirez & ſi attendus, j’avois une joye qu’il eſt bien difficile d’exprimer, je trouvois tous les jours de nouveaux charmes dans ſon eſprit & dans ſa perſonne ; & dans le temps que je commençois à en reſſentir le pouvoir avec aſſez de plaiſir, il fallut quitter la Province, une affaire indifpenfable me rapella à P…… dans un temps où j’efperois apprivoifer ce jeune Cœur avec l’Amour. Un chagrin fi noir me prit de la neceffité de ce départ, que je reconnus bien que mon cour fe faifoit de terribles violences en s’éloignant de ce qu’il aimoit. Cependant, il n’y avoit point de remife. Je cherchay par tout la jeune Iris pour luy dire adieu, & pour la prier de m’écrire pendant ce voyage, mais inutilement ; car je ne la voyois point chez elle. Je fus chez plufieurs de fes amies je ne l’y trouvay point ; & quelque adreffe dont je peuffe me fervir pour la rencontrer, il me fut impoffible de luy dire adied. Je partis donc fort trifte, & de bonne foy, dans un chagrin que fon cœur indifferent ne meritoit pas encore : Cependant, je me fis un plaifrde ce chagrin, il eft toûjours bien doux d’aimer, il y avoit plus de trois ans que mon cœur étoit dans une étrange oiſiveté. Je fus bien aife de me retrouver dans. une route où l’on a du plaifir à s’égarer : Ainfi je l’abandonai à fa bonne ou mauvaife fortune ; on eft toûjours affez payé de fa paffion par fa paffion même, qui malgré les petits déplaifirs qu’elle donne par l’indifference ou par la rigueur d’une Belle, ne laiffe pas d’avoir des momens tres-agreables & tres — fenfibles ; & je crois que tout bien compté, les chagrins que l’on à en aimant, valent prefque les plaifirs que l’on peut goûter ailleurs. Je partis donc tour remply de ces veritez ; & fans faire icy le Heros de Roman, encore plus remply de la charmante idée que j’emportois avec moy, j’arrivay à Paris plus amoureux que je ne l’eftois à… … je ne fçavois quel biais prendre pour écrire à cette aimable perſonne qui m’occupoit tout entier. Enfin, j’écrivis à une de ſes amies, & je mis un Billet dans fa Lettre, que je priay de luy donner en main propre.