Le Comte de Sallenauve/Chapitre 26

La bibliothèque libre.
L. de Potter (Tome IVp. 81-116).


XXVI

Le pavillon de Louise.


Dans le courant de septembre suivant, tous les journaux annoncèrent le retour à Paris de la Luigia. Grâce à elle la saison du Théâtre-Italien de Londres avait été magnifique, et, remboursé de sa commandite, le comte Halphertius se trouvait avoir réalisé de très beaux bénéfices.

À Londres, la diva avait fait bien du ravage parmi l’aristocratie anglaise ; son talent, sa beauté, sa sagesse, le relief que lui avait donné le legs de lord Lewin, tout expliquait la presse des cœurs ameutés autour d’elle, et l’on ne s’était pas grandement étonné de la voir refuser l’offre que le vieux lord V***, l’un des plus grands noms de la pairie, avait fini par lui faire de sa main.

Malgré les découragements recueillis par ses amoureux, l’un d’eux, lord Barimore, gendre du vieux lord Dudley, était resté d’une inébranlable persévérance dans les soins qu’il lui prodiguait, et presque en même temps qu’elle, il était parti avec lady Barimore et toute sa maison, dans le dessein de passer l’hiver à Paris, car tout donnait à penser que la signora Luigia serait engagée au Théâtre-Italien.

Ce lord Barimore, qui lui-même ne se recommandait plus par son extrême jeunesse, était bien le modèle des soupirants. Il avait dit à la cantatrice :

— Je sais que je ne puis rien prétendre, ayant fait déjà depuis longtemps la sottise de me marier ; mais, souffrez-moi auprès de vous comme ami. Lady Barimore a dans votre vertu une entière confiance ; elle ne prendra de vous aucun ombrage ; elle sait que vous êtes ma vie, mon soleil, et ne trouvera pas mauvais que je vienne réchauffer mon pauvre cœur à vos rayons.

Le moyen de refuser l’accès de sa maison à des prétentions si modestes ? Les choses s’étaient arrangées sur ce pied ; lord Barimore ne passait pas un jour sans venir visiter sa diva, et était devenu comme un des meubles de son salon. Il demeurait auprès d’elle des heures entières sans lui parler, heureux de la voir, de l’écouter et de la suivre de l’œil dans tous ses mouvements. Toujours prêt à accomplir ses moindres fantaisies, quand elle avait l’imprudence de ne les pas tenir secrètes ; ne se montrant jaloux d’aucuns des soins qui étaient rendus à son idole, parce qu’il était d’avance persuadé de leur vanité, si la Luigia se fût décidée à accepter quelque mariage honorable, il était homme à l’aider dans ce dénouement, à condition toutefois que son droit de visite et d’adoration platonique eût été, en ce cas, expressément réservé.

Pendant le temps qu’elle avait passé à Londres, la protégée du comte Halphertius n’avait reçu de lui que deux lettres assez courtes par lesquelles il s’excusait, sur la multiplicité de ses affaires, de n’avoir point été la retrouver ; mais, après son retour à Paris, près de deux semaines s’étant écoulées sans qu’elle eût de lui la moindre nouvelle, elle commença à s’étonner de cette espèce d’abandon ; et cela d’autant mieux, qu’à tout moment, lord Barimore lui disait :

— Eh bien ! ce gentleman suédois, on ne le verra donc pas ? Vous n’êtes certes pas femme à le recevoir en secret. Voilà un drôle d’attentif que vous avez là !

Et en parlant ainsi, il ne s’apercevait pas que lui-même formait une autre variété non moins extraordinaire.

Peu de jours après l’arrivée de la cantatrice, un autre soupirant s’était manifesté. La fantaisie qu’avait eue pour elle le marquis de Ronquerolles était loin de s’être refroidie. Il avait fini par être avisé de la duplicité de la Saint-Estève, et par là son désir s’était animé d’autant. Mais il n’avait pu de même pénétrer la réalité souterraine du prétendu comte Halphertius, son rival, qu’il avait vainement cherché dans tout Paris, avec l’intention de lui faire une querelle ; car sans parler du duel célèbre qu’il avait eu, sous la Restauration avec M. de Maulincour (voir les Treize), le marquis de Ronquerolles était connu par plusieurs autres histoires du même genre, et l’approche de la soixantaine n’avait que bien peu rafraîchi la tumultueuse ardeur de son sang.

Quand il sut la présence de la diva à Paris, comme il était d’une nature essentiellement audacieuse et insolente, il n’hésita pas à se présenter à la porte d’un petit hôtel qu’elle avait loué rue de la Pépinière et, se faisant annoncer sous son nom et ses titres, il fut immédiatement reçu.

— Madame, dit-il à la divinité du lieu, nous sommes, plus que vous ne le croyez, de connaissance, et j’avais eu le bonheur de deviner votre grand avenir avant que personne s’en avisât ici.

— J’avais donc eu l’honneur d’être entendue par votre Seigneurie ? demanda la Luigia, qui croyait naïvement qu’un pair de France et un pair d’Angleterre avaient droit à la même qualification.

— Mais oui, sans doute, dit Ronquerolles, à Saint-Sulpice, pendant le mois de Marie, et passionné que je suis pour les arts, tout d’abord j’avais conçu le dessein de vous aplanir les obstacles que les talents les plus élevés rencontrent souvent au début de la carrière.

— Je ne puis être que profondément reconnaissante de ces généreuses intentions.

— Malheureusement, reprit le marquis, en arrangeant un peu la vérité, une misérable, sur le compte de laquelle j’ai été édifié depuis, se mit en travers du bonheur que j’aurais eu à devenir en quelque sorte l’initiateur de votre beau talent. Dans la situation dépendante où vous vous trouviez alors, je n’avais pas osé me présenter chez vous, et la Saint-Estève, une femme, je le répète, dont j’ignorais en ce moment la profonde immoralité, avait été chargée de vous pressentir sur les chances que pouvait avoir mon zèle de se voir accueilli par vous.

— En effet, dit malicieusement la Luigia, madame de Saint-Estève, m’avait parlé d’un homme âgé et extrêmement respectable qui daignait s’intéresser à moi.

— Peut-être, dit le ci-devant jeune homme en se rengorgeant, ne me trouvez-vous pas tout à fait aussi vénérable qu’on vous l’avait dit ? mais, ce qui était on ne peut plus réel, c’était mon ardent désir de vous être bon à quelque chose. Déjà j’avais fait auprès du directeur du Théâtre-Italien de Paris quelques démarches utiles ; jugez donc de mon désappointement et de ma surprise en apprenant que, par l’intrigue de cette mégère, un étranger dont personne ne peut retrouver la trace m’avait supplanté dans le rôle que j’avais ambitionné.

En vivant au théâtre, la Luigia avait beaucoup appris et elle fut médiocrement dupe de la tournure honnête que Ronquerolles essayait de donner aux démarches qu’il avait fait faire auprès d’elle par la Saint-Estève. La diva lui témoigna néanmoins sa gratitude pour sa bienveillance passée ; quant à la bienveillance qu’il offrait encore pour l’avenir, en parlant de renouveler auprès de la direction des Italiens ses précédentes démarches, elle y opposa une fin de non-recevoir sans réplique : déjà elle avait eu la visite du directeur, et elle était avec lui en arrangement direct.

Ainsi chassé de toutes ses positions, M. de Ronquerolles en fut réduit à solliciter la grâce de revenir et d’être reçu pour lui-même. La Luigia lui accorda cette faveur qu’elle s’était fait une loi de ne refuser à aucun homme d’un certain rang ; mais la permission ne fut pas donnée d’un air à beaucoup encourager les prétentions qu’elle avait tout d’abord entrevues.

Quoi qu’il en soit, le marquis avait ses entrées ; il s’empressa d’en profiter, et beaucoup de temps ne se passa pas sans qu’il se rencontrât avec lord Barimore chez la cantatrice.

Comme ils se connaissaient d’assez ancienne date :

— Mon cher marquis, dit lord Barimore, vous voilà aussi papillonnant autour d’un foyer de lumière où bien d’autres se sont brûlés les ailes.

— Mais en effet, répondit gaîment Ronquerolles, je ne vois plus trace des vôtres.

— Oh ! moi ! j’admire et je ne prétends pas.

— Et moi, je regarde et vois venir.

— À l’heureux l’heureux, se dirent alors ces deux placides rivaux, en se promettant de se prendre mutuellement en patience jusqu’au moment où quelque chose d’un peu moins vague se dessinerait à leur horizon.

Un soir que tous deux ensemble brûlaient leur encens devant l’autel, on peut se figurer leur curiosité en entendant annoncer le comte Halphertius.

Aussitôt le marquis reconnut l’original qu’il avait rencontré chez la Saint-Estève, et cette découverte n’était pas faite pour lui rendre sa rivalité moins odieuse.

Comme s’il eût voulu constater ses droits :

— Ma chère belle, dit Vautrin d’un air vainqueur, vous avez dû trouver pour étrange que vous n’avez pas entendu parler de moi depuis votre arrivée.

— En effet, monsieur, dit la Luigia, j’étais vraiment en peine de vous.

— J’étais dans un voyage d’affaires, et puis ces maudits tapissiers sont pour ne finir jamais.

— Comment ! les tapissiers ? Qu’ont-ils de commun avec votre absence prolongée ?

— Vous savez : J’ai acheté le chalet de Ville-d’Avray ?

— Oui, les journaux ont annoncé le nom de l’heureux acquéreur.

— Et vous savez pour qui !

— Pour vous, je pense.

— Non, pour que je vous en fais hommage.

— Pour moi ? Mais je ne souscris pas du tout à cette générosité.

Ne tenant pas compte de ce refus, comme s’il n’eût été fait que pour la forme :

— Je ne voulais pas, continua le gentilhomme suédois, que vous y venez sans qu’il est meublé à neuf, et c’est ce soir seulement que je puis vous apporter les clés.

— J’ai l’honneur de vous répéter que je n’accepte pas ce cadeau ; je me trouve ici très convenablement logée.

— Hum ! dit Vautrin, en jetant autour de lui un regard dédaigneux ; le pavillon est mieux et quand vous le visitez !

— Mais je ne le visite pas, repartit vivement l’Italienne.

— Il le faut bien, ma toute belle, dit le faux Halphertius avec la dernière suffisance, pour que demain je vous y attends à déjeuner.

La Luigia le regarda d’un air à le faire rentrer en terre. Puis elle lui dit en se levant et en ouvrant la porte d’une pièce voisine :

— Vous plaît-il, monsieur le comte, que je vous entretienne un instant en particulier ?

Lord Barimore et Ronquerolles se levèrent, à leur, tour, et parurent vouloir prendre congé.

— Du tout, du tout, dit la Luigia ; je n’ai qu’un mot à dire à monsieur, et je serais fâchée au contraire de ne pas vous retrouver.

Aussitôt qu’elle fut seule avec le prétendu Suédois :

— Monsieur, lui dit-elle, j’avais pris avec vous l’engagement de paraître recevoir vos soins avec une entière résignation, mais c’était à la condition que de votre côté, vous garderiez les formes extérieures et les égards dont vous vous étiez piqué jusqu’ici.

— Oh ! les grands airs ! Je comprends, dit Vautrin, vous avez hérité, vous n’avez plus besoin pour moi.

— Si des considérations d’intérêt, répondit l’Italienne avec dignité, pouvaient avoir sur moi quelque influence ; achetée, même au prix d’un peu de honte, cette propriété que vous avez payée plus de cent mille écus, et dont vous vouliez tout à l’heure me faire présent, ne m’aurait pas paru mise à un trop haut prix.

— Enfin vous refusez pour l’accepter ?

— Tout à fait, et je vous prie qu’il n’en soit plus parlé.

— Mais au moins vous venez y habiter pour la fin de l’été ?

— Jamais je n’y mettrai le pied.

— Eh bien ! alors nous nous brouillons.

— J’en serai aux regrets. Mais quand vous mettez à la continuation de notre bonne intelligence des conditions impossibles…

— Allons, dit Vautrin, vous êtes pour ce soir de mauvaise humeur ; demain vous aurez mieux réfléchi. Et rompant brusquement l’entretien, il repassa dans le salon où attendaient ses prétendus rivaux.

Là, comme pour mettre le comble à toutes ses inconvenances :

— Messieurs, dit-il, d’un ton dégagé, madame ne me promet pas tout à fait pour qu’elle vient déjeuner demain à Ville-d’Avray ; mais, la nuit, je pense, elle se décide, et si vous me faites l’honneur de l’accompagner, je suis extrêmement reconnaissant.

Cela dit, sans attendre la réponse à son invitation saugrenue, le gentilhomme suédois fait un profond salut et disparaît.

Vautrin était trop habile et jusqu’ici il avait joué son rôle de grand seigneur étranger avec trop de vraisemblance pour qu’on ne soupçonne pas un dessous de cartes à la singulière attitude dans laquelle il vient de se montrer.

En effet voici ce qui s’était passé.

Du moment qu’il avait vu la Luigia hériter de lord Lewin, il avait senti que son engagement avec elle n’avait plus la moindre solidité. Elle cessait d’être la femme qu’il avait désirée ; l’esclave qu’il pourrait compromettre à son aise et dont il lui serait loisible de faire la solennelle exhibition qui convenait à ses projets. D’ailleurs, à l’user, il trouvait son rôle de plus en plus difficile et dangereux, et en somme, avec une mise en dehors énorme de capitaux, que lui avait rapporté cette comédie ? Rastignac l’ajournait toujours, et si quelque scandale venait à résulter de son travestissement, celui-là même, qui l’avait inspiré, serait probablement le premier à faire argument de ce qui se serait passé pour manquer à toutes ses promesses conditionnelles.

Vautrin était déjà dans cette disposition d’esprit lorsqu’il avait eu une conversation avec le colonel Franchessini. Celui-ci n’avait pas cru devoir lui cacher là velléité qu’il avait surprise chez Rastignac, de ne pas laisser plus longtemps la grande artiste livrée à la compromettante relation dans laquelle il la savait engagée.

Dès-lors, le parti du comte Halphertius avait été pris, il avait résolu de se faire disparaître de l’horizon parisien, et, comme transition à ce dénouement, une rupture avec la Luigia lui paraissant convenable, on vient de voir la brutale manière dont il s’y était pris pour la rendre inévitable. S’il n’y avait pas mis plus de façons et de finesse, c’est que le résultat seul l’intéressait et la forme très peu.

Comme complément à son suicide, le gentilhomme suédois avait à opérer la vente de sa villa de Ville-d’Avray ; elle devenait désormais inutile, et un capital de plus de trois cent mille francs s’y trouvait immobilisé. Mais il savait bien où s’adresser pour s’en défaire. Jacques Bricheteau avait fini de liquider la succession de lord Lewin, et même il était revenu à Paris, de compagnie avec la Luigia ; les rapports d’affaires que sa qualité d’exécuteur testamentaire lui avait ménagés avec la belle légataire ayant, indépendamment de leur commune qualité d’artiste, établi entr’eux une assez intime liaison.

Vautrin pensait avec raison que, désormais en possession d’une grande fortune, Sallenauve serait empressé de se faire acquéreur des lieux où son ami Marie-Gaston avait laissé tant de sa vie et de ses souvenirs.

En conséquence, aussitôt après avoir quitté le salon de la cantatrice, il passa rue de l’Ouest, chez le député, s’assura qu’il était à Paris et remit à son adresse un billet où il lui annonçait qu’obligé de partir précipitamment, le comte Halphertius lui offrait de reprendre au prix coûtant la maison de campagne dont il s’était rendu récemment acquéreur. Il ajoutait que le lendemain à dix heures il se trouverait dans l’étude du notaire Cardot, prêt à passer ce contrat de vente, expressément au comptant. Si à onze heures M. de Sallenauve ne s’était pas présenté, le comte Halphertius terminerait avec un autre acquéreur qu’il avait de rechange, car à deux heures, au plus tard, il devait avoir quitté Paris.

Vautrin s’était ensuite rendu à l’étude de maître Cardot, et il comptait si bien sur le succès de la mise en demeure adressée à Sallenauve, qu’il donna des ordres pour que le lendemain à dix heures, le contrat à intervenir entre eux se trouvât tout dressé, et qu’il n’y eût plus qu’à le signer.

Le jour suivant les choses se passèrent comme il les avait prévues ; Sallenauve avait trop à cœur de rentrer dans l’ancienne demeure de Marie-Gaston, pour ne pas être exact au rendez-vous donné chez maître Cardot, quelque singulière qu’eût pu lui paraître cette offre de vente à brûle-pourpoint. Il n’avait point encore eu le temps d’opérer le placement des capitaux que Bricheteau lui avait apportés de Londres, et il s’était contenté de les déposer chez le banquier Mongenot : il put donc se prêter à toutes les exigences de son vendeur, et, après avoir été un instant compromis, le pavillon de Louise de Chaulieu retourna aux mains de son propriétaire naturel. On peut dire, en effet, des habitations humaines, ce qu’on a dit des livres : habent sua fata ; elles ont une destinée.

Quelques jours plus tard le vieux Philippe reprenait au chalet sa position de majordome, et, au lieu de louer à Paris un hôtel, donnant congé de sa maison de la rue de l’Ouest, Sallenauve venait s’établir à Ville-d’Avray avec Jacques Bricheteau, qui pouvait désormais se passer de ses leçons et n’avait plus besoin d’être à Paris que le dimanche et les jours de fête pour le service de son orgue, auquel, il est presqu’inutile de dire que sur la somme qu’il avait recueillie dans la succession de lord Lewin, il fit faire à ses frais de grandes réparations.

Cet arrangement d’une vie en commun ne ressemblait guère à la séparation complète et absolue que l’organiste pendant longtemps, avait maintenue entre son existence et celle de Sallenauve. Depuis l’élection d’Arcis, Jacques Bricheteau avait semblé en finir avec tous les mystères ; il n’avait plus caché sa demeure, et plus d’une fois le député était allé l’y visiter. Mais, avant de venir s’installer au chalet, soit un besoin réel et reconnu de revenir à ses anciens errements, soit un instinct ou une manie d’avoir toujours dans son existence des portes dérobées, Bricheteau voulut s’arranger à Paris un pied-à-terre, et, chose assez digne de remarque, la situation de ce nouveau gîte devint un autre secret qu’il ne fut donné à personne de pénétrer.

En tout, au reste, cet homme était surprenant. Quand il fut question que Sallenauve montât sa maison, il s’offrit à se charger de ce détail, et tout à coup en lui se révéla un tel génie de l’intendance, que la table, les livrées, les chevaux, les équipages de l’héritier de lord Lewin ne tardèrent pas à devenir, pour tous les lions de Paris, un objet d’envie, sans que pourtant, pour tout ce luxe, il fût entraîné à une dépense exagérée.

Livré à ses instincts, Sallenauve eût préféré une existence plus modeste ; mais en voyant au Moniteur une ordonnance du roi par laquelle, sous prétexte de donner au ministère le temps de préparer quelques lois importantes, la session ouverte au mois de mai précédent, était suspendue à la mi-août et prorogée au 26 décembre :

— Voilà, lui dit Bricheteau, près de huit mois perdus pour votre avenir politique ; la mort de Marie-Gaston vous a empêché de vous produire ; l’éclat dont je vous entoure contribuera à réparer ce temps si mal employé. On fait son chemin dans l’opinion publique aussi bien par les petits que par les grands côtés ; par les choses qui servent de cadre et de draperies au mérite, que par le mérite lui-même ; il y a des gens qui font entrer jusqu’à leurs ridicules dans leur piédestal, et ce n’est pas sans dessein que je vous dore sur toutes les coutures ; seulement je tâche de combiner la richesse avec l’élégance, de manière à ne pas tomber dans le Turcaret ou dans le Nucingen : je veux faire de vous un démocrate à la manière de lord Byron.

— Malgré toute votre habileté et tout votre zèle, répondit mélancoliquement Sallenauve, vous ferez de moi, mon pauvre ami, ce que voudra la Providence, rien de moins, rien de plus.

Et il se dirigea vers le cimetière de Sèvres, où, quelques jours avant, Marie-Gaston avait été inhumé près de Louise de Chaulieu. L’idée lui était venue, à son tour, de leur élever un monument.