Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/03/02

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 62-65).


II

SYSTÈME FOURNIER


La réforme préconisée par le Règlement du 28 février 1723 était importante, mais elle présentait un grave défaut : se préoccupant exclusivement de la hauteur des caractères, elle passait sous silence et même négligeait la question, non moins urgente à résoudre, de la proportion, de la force d’un corps par rapport à un autre, à observer dans la fonte des caractères.

Aucune ordonnance ultérieure ne devait, d’ailleurs, réparer cette omission, aux conséquences regrettables de laquelle, en 1737. Simon Fournier, typographe et fondeur en caractères[1], tentait d’apporter un remède :

« Pour connaître au juste les degrés de distance et les rapports des corps », Fournier imaginait en effet alors « la division des corps de caractères par degré égaux et déterminés » : « cette division avait l’avantage de marquer à la fois et les proportions particulières des caractères et leur corrélation, ou leur ordre numérique et leur dénomination, tandis que la division antérieure au prototype n’avait permis de produire pour la désignation des divers caractères que des termes insignifiants et de pure convention »[2].

Le système fut basé sur une unité appelée point typographique.

La valeur du point est établie, dit Fournier, par « une échelle fixe et déterminée que je divise en 2 pouces, le pouce, en 12 lignes, et la ligne en 6 de ces points typographiques ; la totalité est de 144 points… Cette échelle contient, dans sa totalité, 12 corps de cicéro. »

Ce raisonnement se traduit de la manière suivante :

Échelle Fournier 
 2 pouces
1 pouce 
 12 lignes0

La valeur de l’échelle en lignes était dès lors la suivante :

2 pouces × 12 lignes 
 24 lignes
1 ligne 
 6 points

L’échelle valait donc :

24 lignes × 6 points 
 144 points -----
000144 points 
 12 corps de cicéro

Le cicéro Fournier dans l’échelle indiquée par cet auteur avait ainsi une valeur de :

12 cadratins de cicéro (désignation d’un caractère de l’époque de Fournier) placés côte à côte donnaient cette longueur de 144 points :

Fournier avait, en outre, pour la mesure de ces différentes longueurs, construit un instrument de mesure auquel il avait donné le nom de prototype.

Cet instrument était formé d’une équerre fixée sur une surface bien dressée : le plus petit côté de l’équerre représentait la hauteur du caractère, tandis que sa plus grande longueur en dedans correspondait à 240 points typographiques. La hauteur donnée ainsi à la lettre était de 10 lignes 72 ; la ligne équivalant à 2mm,256, le caractère avait une hauteur de 23mm,688.

Il est difficile de dire pourquoi Fournier choisit le mot cicéro comme unité de base ; d’après l’échelle des corps, le cicéro contient 11 points, alors que, d’après le système, ce même terme représente une valeur de 12 points.

Incontestablement, Fournier eut l’intention de faire dériver son échelle du système de mesure duodécimal alors légal en France ; mais, comme il avait omis d’indiquer la concordance entre son échelle et les mesures de longueur alors en usage, certains auteurs ont pu conclure, avec quelque semblant de raison, qu’il avait surtout « voulu donner comme point de départ aux mesures typographiques proposées les dimensions des caractères en usage dans sa maison ».

Quoi qu’il en soit, il attribua à chacun des corps des anciens caractères un certain nombre de points :

Force en pointsxxxxxx
Perle 
04
Parisienne et Sédanoise 
05
Nompareille 
06
Mignone 
07
Petit-Texte 
0½
Gaillarde 
08
Petit-Romain 
09
Philosophie 
10
Cicéro 
11
Saint-Augustin 
12 ou 13
Gros-Texte 
14
Gros-Romain 
15 ou 16
Petit-Parangon 
18 ou 20
Palestine 
24
Petit-Canon 
28 ou 32
Trismégiste 
36
Gros-Canon 
40 ou 44
Double-Canon 
48 ou 50
Triple-Canon 
72
Grosse-Nompareille 
90

De la Perle au Cicéro, les corps se suivent, sauf pour le Petit-Texte, par unité de point en point ; au delà ils se succèdent à intervalles irréguliers.

Cette première tentative d’unification de la force des corps de caractères employés dans les imprimeries constituait un progrès considérable sur l’ancien état de choses ; dès cette époque on prit l’habitude de désigner les caractères par le nombre de points concurremment avec les désignations anciennes.

Toutefois, la modification était incomplète : Fournier n’avait pas indiqué, on l’a vu, le rapport entre l’échelle qu’il s’était fixée et les mesures de longueur en usage ; on ne pouvait dès lors exprimer en mesures linéaires la longueur des 12 corps de cicéro, non plus que connaître la valeur de ce cicéro lui-même.

Ce fut seulement en 1742, soit cinq années après la première application de son système, que Fournier fit connaître dans le Modèle des caractères de son imprimerie, les proportions existant entre les mesures métriques et l’échelle « qu’il s’était fixée » : « Tous les caractères doivent avoir 10 lignes et demie géométriques de hauteur en papier, suivant les règlements du Roi, ou 11 lignes 3 points de l’échelle. » — En mesures actuelles, le point a alors une valeur de 0mm,343.

Mais, en 1764, Fournier crut devoir augmenter la force de ce point : après l’impression de la table publiée en 1737, il s’était « aperçu que le papier, en séchant, avait rétréci un peu la juste dimension de l’échelle », et il remédiait à ce défaut « en suppléant ce qu’il fallait pour le rétrécissement du papier ». — Le point acquiert ainsi une valeur de 0mm,347.

Tous les auteurs n’acceptent pas sans restrictions les dires de Simon Fournier. Très simplement, certains estiment que Fournier a commis, dans ses calculs préliminaires, une légère erreur en employant des mesures inexactes, et en prenant, notamment pour le pouce une longueur différente de la longueur métrique réelle.

D’autres, tout en adoptant cette première opinion, insinuent, en outre, que Fournier, frappé de la supériorité et de la simplicité d’un autre système typographique créé depuis quelques années, avait cherché à remédier en partie aux défauts de son système.

  1. Fournier (Pierre-Simon) naquit à Paris en 1712. Il était fils d’un typographe et devint lui-même typographe, puis fondeur de caractères, profession à laquelle l’avaient préparé de fortes études de dessin et de gravure sur bois. Fournier écrivit sur la typographie plusieurs ouvrages fort estimés, et son Manuel typographique (2 vol.), paru en 1764-1766, est fort curieux à consulter. Fournier mourut à Paris en 1768.
  2. Nouveau Manuel complet de Typographie, par A. Frey, nouvelle édition revue par E. Bouchez, t. II, p. 307.