Le Corset (1908)/10
CHAPITRE X
L’influence du corset sur les organes génitaux de la femme est variable suivant le modèle de ce vêtement, mais elle est certaine. L’étude que je viens de faire de l’action du corset sur les viscères de la cavité abdominale et la description que je vais donner de l’appareil génital, vont me permettre d’établir sans difficulté comment et combien le corset peut agir sur les organes génitaux féminins.
Ainsi que je l’ai écrit ailleurs, la maternité est, pour la femme, la plus grande et la plus noble fonction ; c’est avec raison que les physiologistes, les médecins, ont pu dire, d’une façon à la fois juste et laconique, mais dépouillant toute sentimentalité : « La femme n’est qu’une matrice, la femme n’est qu’un utérus » (Peter), « la femme n’est pas un cerveau, elle n’est qu’un sexe », et c’est pourquoi il est particulièrement intéressant de rechercher si le corset gêne ou non le bon fonctionnement de l’utérus et de ses annexes.
L’appareil génital féminin comprend deux groupes d’organes, les uns externes, les autres internes.
Les organes génitaux externes féminins comprennent les grandes lèvres au nombre de deux recouvrant les petites lèvres ou nymphes également au nombre de deux ; le clitoris organe érectile embrassé par la branche supérieure de bifurcation des petites lèvres qui constituent le capuchon du clitoris ; le méat urinaire situé un peu au-dessous du clitoris ; les glandes vulvo-vaginales ou de Bartholin. L’ensemble de ces organes auquel il faut ajouter le pénis ou mont de Vénus et le vestibule constitue la vulve, fermée chez les vierges par la membrane hymen.
De la vulve à l’utérus s’étend le conduit musculo-membraneux appelé vagin.
De la partie inférieure de la vulve jusqu’à l’anus s’étend la cloison recto-vaginale ou pont ano-vulvaire qui constitue pour les accoucheurs le périnée, c’est-à-dire un ensemble de muscles et d’aponévroses qui ferment par en bas le bassin et soutiennent les organes qu’il renferme.
Les organes génitaux internes de la femme sont l’utérus, les ovaires, les trompes.
L’utérus vulgairement appelé matrice, est décrit comme il suit par Testut : c’est un organe creux, à parois épaisses et contractiles, destiné à servir de réceptacle à l’ovule après la fécondation. Il le reçoit au sortir de la trompe, le retient dans sa cavité pendant toute la durée de son évolution et, quand il est arrivé à sa maturité, contribue, par ses contractions, à l’expulser au dehors. L’utérus devient ainsi l’organe de la gestation et de la parturition.
L’utérus est placé entre le réservoir urinaire et le segment terminal du tube digestif. Il est maintenu dans cette situation par divers ligaments, dont deux latéraux, droit et gauche, sont les ligaments larges qui renferment dans leurs replis les trompes et les ovaires.
Les trompes utérines, trompes de Fallope ou oviductes, sont deux conduits, l’un droit, l’autre gauche, qui s’étendent de l’extrémité externe de l’ovaire à l’angle supérieur de l’utérus. Ils ont pour fonction de conduire jusqu’à la cavité utérine l’ovule recueilli à la surface de la trompe. Les trompes sont très mobiles, elles se déplacent suivant l’état de plénitude ou de vacuité de la vessie ou des anses intestinales, et, dans la grossesse, elles suivent le mouvement d’ascension du fond de l’utérus.
1. Rectum. — 15. Corps de l’utérus. — 17. Vagin avec son orifice. — 24′. Petite lèvre. — 24″. Grande lèvre. — F. La vessie.
Les ovaires, au nombre de deux, sont des corps d’apparence glandulaire, situés dans la cavité du bassin, en avant du rectum, en arrière des ligaments larges, dans le feuillet postérieur desquels ils se retrouvent à droite et à gauche de l’utérus.
Comme les trompes, les ovaires sont très mobiles. En effet, n’adhérant au ligament large que par une faible partie de ses bords, l’ovaire peut osciller autour de ce ligament comme un volet sur sa charnière ; d’autre part, l’ovaire suit l’utérus dans les déplacements nombreux que lui impriment les changements de volume de l’intestin et de la vessie.
Ces déplacements de l’utérus rendent très difficile à résoudre la question de savoir quelle est la position normale de la matrice.
Si les auteurs sont à peu près d’accord pour admettre que la partie inférieure de l’utérus ou col fait un angle ouvert en avant avec l’axe de la partie supérieure ou corps utérin, ils ne sont plus d’accord pour fixer la position de l’utérus dans la cavité du bassin.
Le professeur Testut, ayant examiné de nombreuses coupes de cadavres congelés, formule ainsi le résultat de ses recherches : lorsque le sujet est debout, le rectum à peu près vide, la vessie modérément distendue, que la masse intestinale n’exerce sur lui aucune influence, l’axe total de l’utérus (corps et col) est une ligne continue et légèrement arquée dont la concavité regarde la face antérieure de l’organe : le corps de l’utérus est donc un peu incliné sur le col, c’est une antécourbure.
Cet axe répond à l’axe de l’excavation pelvienne, sa concavité par conséquent, regarde la symphyse pubienne, c’est-à-dire la partie médiane antérieure du bassin où se soudent les os iliaques, tandis que le fond de l’utérus se dirige en haut et en avant du côté de l’ombilic.
La reproduction des coupes de sujets congelés faites par Testut permet de se rendre compte combien les viscères voisins de l’utérus peuvent agir sur sa position.
Si l’état de plénitude ou de vacuité de l’intestin et de la vessie influence si nettement la matrice, on comprendra facilement que cette influence s’augmentera des pressions qui s’exerceront sur le paquet intestinal sus-jacent aux organes génitaux internes. C’est pourquoi la compression exercée par un corset serré peut être dangereuse pour l’utérus, et le danger devient plus grand quand cet utérus est gravide.
Mais avant de pouvoir faire la part qui revient au corset dans la compression de l’appareil génital en général et de l’utérus gravide en particulier, il est nécessaire de savoir quelle est sur la femme l’influence d’une grossesse évoluant normalement.
Cette étude préliminaire aura en outre l’avantage, en fixant la part qui revient à la grossesse dans la production de l’entéroptose, d’établir que j’ai eu raison de soutenir dans les chapitres précédents que même normale la grossesse laisse des traces profondes sur l’organisme féminin, qu’elle est l’agent principal de distension de la sangle abdominale et la cause très fréquente de l’entéroptose.
C’est à Aubeau que je veux laisser le soin de prouver la véracité de ces affirmations, et pour cela je citerai une partie d’une importante étude des Stigmates de la maternité qu’il a publiée en janvier 1902 dans la Clinique générale de chirurgie et avec l’autorisation de l’auteur j’en reproduis quelques figures (fig. 87, 88 et 92 à 107).
Un certain nombre de femmes, dit Aubeau, supportent sans aventures les épreuves de la maternité. Quelques-unes même en sortent paradoxalement plus fortes et mieux portantes. Mais ces maternités heureuses ou bienfaisantes sont tellement rares qu’on ne peut les indiquer qu’à titre d’exception.
Presque toujours la maternité (fécondation, conception, grossesse, accouchement, lactation), apporte dans l’organisme de la femme des modifications, plus ou moins profondes, durables ou même indélébiles, d’ordre à la fois mécanique et trophique, d’autant plus accentuées que les parturitions se répètent, et déterminent à la longue des troubles assez sérieux pour entraîner une véritable déchéance vitale, un état pathologique, des infirmités dont l’ensemble constitue les stigmates de la maternité, stigmates glorieux mais combien pitoyables !
Ils consistent en : distensions forcées, chutes et déplacements permanents d’organes (ectasies, ptôses, ectopies) avec toutes leurs conséquences pour la perturbation fonctionnelle, et la perte de la santé.
Hâtons-nous de dire que tous ces désordres sont réparables ou remédiables, mais la condition première est de ne pas les méconnaître.
Il n’est donc pas inutile de préciser et de vulgariser le tableau d’ensemble des misères de la femme mère ; non point pour la décourager de la maternité, mais pour lui faire savoir au contraire qu’à ses maux si graves en apparence, il est des remèdes très simples et très efficaces.
On peut définir la femme « un utérus servi par des organes ». La vie génitale joue, en effet, le principal rôle dans l’organisme de la femme. Aussi, est-ce bien dans l’utérus et autour de l’utérus qu’il faut chercher les causes habituelles de ses souffrances.
Anatomiquement, l’utérus appartient, par son corps et ses annexes, à la cavité pelvi-abdominale ; par son col et par le canal vagino-vulvaire qui lui fait suite, au plancher du bassin.
Chez la vierge et la nullipare, les viscères abdominaux, contenus par les parois antéro-latérales, s’étagent au-dessus de l’utérus et de ses annexes, du bassin au diaphragme, comme des coussins à air superposés et se soutenant l’un l’autre. La masse de l’intestin grêle, fixée en arrière par le mésentère, et les colons fixés par leurs mésos, soutiennent, en vertu de l’élasticité des gaz qu’ils renferment : l’estomac, le foie, la rate et les reins, ces organes étant d’ailleurs maintenus faiblement par des pédicules, des connexions organiques, vasculaires, nerveuses, cellulaires ou adipeuses et par des replis épiploïques ou par le péritoine pariétal.
C’est principalement de l’antagonisme qui existe entre les viscères et les parois que résulte l’équilibre abdominal.
La paroi abdominale antéro-latérale « sangle contractile, jouissant d’une certaine élasticité et fixée au squelette, en haut, en bas et en arrière par des insertions multiples, exerce sur les viscères renfermés dans la cavité abdominale une pression continue ». (Richet, Anal. méd. chir.)
Sur la ligne médiane de fa paroi abdominale entre les muscles droits, les fibres aponévrotiques émanées des feuillets fibreux qui font suite aux muscles obliques et transverses de l’abdomen s’entrecroisent pour former un raphé fibreux constituant la ligne blanche ; il existe, dans la paroi, des anneaux fibreux naturels (ombilical, inguinal, crural) constituant des points faibles.
Par suite de différentes causes : dénutrition, amaigrissement, tumeurs abdominales, on peut observer chez les vierges et les nullipares un amaigrissement, un relâchement des parois abdominales favorables aux hernies et au déplacement d’organes.
L’usage antiphysiologique du corset et des cordons de teille trop serrés suffit pour déterminer chez la femme, en dehors de toute autre cause, des déformations et des déplacements d’organes : dislocation verticale de l’estomac, biloculation du même organe, abaissement du foie et par son intermédiaire, abaissement du rein droit.
Ces accidents s’observent aussi bien chez les vierges et les nullipares que chez les femmes mères, mais plus rarement.
D’une façon générale chez ces femmes les viscères sont en équilibre et la paroi abdominale est une sangle ferme, tendue, élastique.
Chez les vierges et les nullipares, l’utérus ne subit dans ses dimensions, sa position, ses rapports que de faibles variations provoquées, par les alternatives de réplétion et de déplétion vasculaires de la menstruation, ces changements légers et passagers n’ont aucun retentissement important et durable sur l’abdomen ou sur le plancher périnéal.
D’autre part, certains auteurs admettent avec Becquet que la congestion menstruelle se répercute sur le rein et que cet organe se congestionnant à chaque époque s’hypertrophie, tend à sortir de sa loge et a s’abaisser. Tout rentre dans l’ordre après les premières règles, mais le phénomène se reproduisant, les moyens de contention du rein se relâchent et n’entravent plus la tendance à une mobilité anormale.
De même que la résistance de la sangle abdominale est le plus sûr moyen de contention des viscères abdominaux, le principal moyen de fixité de l’utérus est le plancher périnéal.
Les ligaments larges, les ligaments ronds et même les ligaments utéro-sacrés ne peuvent être considérés comme des moyens de fixité proprement dits parce que étant souples, lâches, plus ou moins flottants, ils laissent à l’utérus une mobilité proportionnelle à leur souplesse, à leur laxité, à leur ondulation, c’est-à-dire très grande.
Ils ne deviennent fixateurs que dans les cas où leur structure a subi du fait de l’inflammation ou de quelque néoplasie, une induration, une rigidité, une inextensibilité pathologique.
Le plancher du bassin, véritable soutien de l’utérus (et par suite des viscères abdominaux) est traversée en avant par le canal vaginal. Sa partie résistante, située entre le vagin et le rectum est constituée par des muscles et des aponévroses qui s’insèrent sur les parois osseuses du bassin et auxquels il convient d’ajouter un pannicuie adipeux abondant.
La région périnéale considérée extérieurement, présente, en avant, l’orifice vulvaire, en arrière, le plancher solide qui s’étend de la fourchette à l’anus.
Chez la vierge et chez la nullipare, le canal vaginal est virtuel en ce sens que ses parois sont accolées. L’orifice vulvaire est fermé par l’hymen ou ses débris. Ventre sanglé, vulve fermée sont des caractéristiques de la vierge et de la nullipare. Chez elles, l’utérus et ses annexes sont solidement soutenus par le plancher périnéal
On a bien observé le prolapsus de l’utérus chez des filles vierges, mais c’est là encore un fait exceptionnel.
En résumé, l’équilibre des organes pelvi-abdominaux est assuré, essentiellement, par la résistance de la sangle abdominale et du plancher périnéal ; accessoirement, par les pannicules adipeux et des moyens de contention individuellement propres aux divers organes : mésentère, mésos, épiploon, péritoine pariétal, ligaments, pédicules, connexions : organiques, vasculaires, nerveuse ? et celluleuses ; ces moyens accessoires étant par eux-mêmes insuffisants.
À partir du moment où l’ovule fécondé se greffe dans l’utérus, commencent à évoluer, dans les organes génitaux, leurs annexes (y compris les mamelles) et les régions qui les entourent, des phénomènes que l’on trouva décrits en détail dans les traités de tocologie (grossesse et accouchement) et que nous ne ferons qu’indiquer, en insistant toutefois sur les troubles mécaniques qui nom, intéressent plus particulièrement.
(a) Utérus et annexes. — La conception et la grossesse provoquent un afflux sanguin considérable du côté de l’utérus, de ses annexes : immédiats (trompes et ovaires), médiats (appareils ligamenteux, vulve et vagin) ou éloignés (mamelles), ainsi que du côté de certains organes particuliers tels que le cœur, le corps thyroïde et les reins.
Il se développe même de nouveaux vaisseaux et cette suractivité circulatoire s’accentue du premier au dernier jour de la grossesse.
Tous les organes que nous venons d’énumérer deviennent turgides, augmentent de poids et de volume, s’étendent, dans tous les sens, abandonnant leur situation première, refoulant et comprimant les organes voisins pour se faire de la place.
À l’hypertrophie vasculaire s’ajoutent, dans l’utérus, l’hypertrophie et la prolifération des éléments musculaires (hypertrophie vraie).
À mesure que le fœtus s’accroît, l’utérus se développe et* s’élève dans la cavité abdominale dont il refoule le contenu et dont il ne tarde pas à distendre les parois.
Les chiffres suivants donneront une idée synthétique des modifications subies par l’utérus.
Le poids de l’utérus s’élève de 33 grammes à un kilogramme.
La cavité utérine, à la fin de la grossesse, s’est accrue de cinq cent dix-neuf fois son volume normal.
Inutile d’insister sur"la distension et le relâchement de l’appareil ligamenteux.
(b) Vagin et vulve. — Les veines des organes génitaux n’ont pas de valvules, ce qui favorise singulièrement les stèses. Les parois du vagin ainsi que la vulve se congestionnent au point de prendre la teinte ardoisée caractéristique. Il n’est pas rare d’y constater des dilatations variqueuses.
La muqueuse vaginale, œdématiée, ramollie, relâchée, tend à prolaber.
Les lèvres subissent des modifications analogues et s’hypertrophient.
(c) Membres inférieurs et anus. — La circulation en retour est entravée ; il en résulte encore des stases, des ectasies veineuses qui peuvent persister (varices et hémorrhoïdes).
(d) Cœur. — La suractivité fonctionnelle du cœur occasionne généralement l’hypertrophie du ventricule gauche.
(e) Corps thyroïde. — Il peut devenir le siège d’une hypertrophie persistante.
(f) Rein. — La congestion et l’hypertrophie des reins est de règle.
(g) Mamelles. — Inutile d’insister sur le développement des mamelles et sur la pigmentation de l’aréole, pas plus que sur les autres pigmentations de la peau (ligne brune abdominale, masque de la grossesse).
(h) Parois abdominales. — Il est autrement important de s’arrêter aux modifications éprouvées par les parois abdominales. Nous avons vu qu’à l’état normal ces parois constituent une véritable sangle. On peut la comparer aux tissus élastiques dont la trame serait constituée par des fibres textiles inextensibles auxquelles s’entremêleraient des fils de caoutchouc extensibles et retractiles. Si on exerce sur un tel tissu, une traction modérée, il s’allonge, tout en continuant à faire pression sur le corps qu’il enveloppe et revient sensiblement à sa longueur première lorsque la traction cesse ; mais si l’on exerce une traction exagérée les fils de caoutchouc se brisent ou perdent leur élasticité. Le tissu surdistendu reste avachi et ne peut plus revenir sur lui-même.
Dans la sangle abdominale, les aponévroses et la ligne blanche représentent la trame inextensible, et les muscles le tissu élastique. Or dans la grossesse, « la distension est portée à un degré tel que les parties fibreuses qui entrent dans leur composition et ne jouissent d’aucune élasticité se laissent distendre et même déchirer, d’où résulte une prédisposition malheureuse aux hernies et même aux éventrations ». (Richet. loc. cit.}. Ces distensions et ces déchirures s’observent particulièrement du côté de la ligne blanche qui offre chez Les femmes ayant eu plusieurs enfants « une largeur quelquefois très considérable, même en l’absence de rupture des fibres aponévrotiques et uniquement par le fait d’une distension des tissus albuginés qui la composent et qui une fois distendus ne sont plus susceptibles de revenir sur eux-mêmes ». (Id.) D’ailleurs, les ruptures ne sont pas rares et entraînent la formation d’anneaux artificiels, propices a id production des hernies à côté des anneaux naturels : ombilical, inguinal, crural, dont la distension est fréquente.
« Quant aux couches musculaires, elles ne subissent qu’un amincissement momentané et reprennent leur élasticité et épaisseur normales dès que la cause qui avait déterminé la distension a cessé d’agir ». (Id.).
Il importe d’ajouter, néanmoins, que le simple fait ide
la surdistension et de la déchirure des lames aponévrotiques qui maintiennent les muscles et du raphé de la ligne blanche, résultant de leur entrecroisement, entraîne nécessairement une diminution considérable de la puissance contractile des muscles. Il se passe, du côté des parois abdominales, quelque chose d’analogue à ce qu’on observe du côté des membres dans le cas des hernies musculaires. D’autre part, quand les grossesses se répètent, les muscles eux-mêmes restent amincis et quand la dénutrition survient il se fait une véritable atrophie musculaire.
Ajoutons que la surdistension, a simultanément retenti d’une part sur la peau et d’autre part sur le péritoine qui a dû suivre les mouvements d’extension de l’utérus et de distension de la paroi abdominale, en glissant, en abandonnant plus ou moins ses rapports normaux et en se relâchant, se distendant lui-même.
En résumé : la grossesse entraîne la dislocation de la sangle abdominale.
Le travail de l’accouchement aboutit à l’expulsion du fœtus à travers le col de l’utérus et le canal vagino-vulvaire, au prix d’une distension forcée qui peut aller jusqu’à la déchirure plus ou moins étendue et plus ou moins complète, des orifices du canal musculo-aponévrotique.
Dislocation et abaissement de la sangle abdominale par la grossesse ; dislocation et effondrement du plancher périnéal par l’accouchement ; il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur la pathogénie des infirmités de la femme-mère.
L’équilibre pelvi-abdominal est rompu, les organes n’étant plus contenus et soutenus, tombent et restent déplacés.
Ainsi se trouve réalisé l’état d’octasies, de ptôses et d’ectopies dont nous parlions plus haut.
Entrons dans les détails symptomatologiques en étudiant, successivement, l’état clés viscères abdominaux et l’état des organes génitaux.
(a) Abdomen. — Chez les femmes primipares et chez celles qui n’ont eu qu’un petit nombre de grossesses, lorsqu’il existe de l’embonpoint et que la dislocation de la sangle abdominale est peu accentuée, la peau de la paroi peut conserver l’apparence physiologique.
Le tissu adipeux comble et masque l’amincissement, l’atrophie, la faiblesse et le relâchement réels des autres tissus.
Chez les multipares, surtout lorsqu’elles sont amaigries, la peau, réduite à une frêle membrane, est sèche, flasque, ridée et craquelée de vergetures, sur les flancs, dans la région hypogastrique et quelquefois sur les cuisses.
À l’état de repos, dans le décubitus horizontal, le ventre peut être rétracté en bateau. La paroi abdominale déprimée Elle déborde dans tous les sens comme l’enveloppe d’une poche vide ou plus grande que son contenu. Si on la saisit à pleines mains, sur la ligne médiane, on la soulève sans résistance en un énorme pli qui donne la mesure du relâchement et de l’atonie dont elle est le siège.
Dans la station verticale et au repos, le ventre déformé fait, dans la région hypogastrique, une saillie plus ou moins considérable et retombe en replis étages plus eu moins bas sur le pubis et sur les cuisses à la manière d’un tablier (fig. 100, 101. 102, 108,104, 105). La déformation est à son comble lorsqu’il existe des hernies : ventrales, ombilicales, inguinales, ou d’autres régions, et surtout lorsque, la ligne blanche étant rompue et l’écartement des muscles droits porté au maximum, le paquet intestinal vient faire, sous la peau, une saillie de telle importance qu’on peut dire qu’il y a éventration.
Au moment de l’effort, surtout lorsque la malade fait un mouvement pour passer de la position couchée à la position assise, le ventre prend l’aspect trilobé, décrit par Malgaigne, sous le nom de ventre à triple Saillie.
(b) Viscères abdominaux. — La dislocation de la sangle abdominale, par la grossesse et surtout par les grossesses répétées, est le facteur le plus important de la rupture de l’équilibre viscéral.
Nous verrons, à propos des désordres produits par l’accouchement, du côté des organes génitaux, que l’effondrement du plancher périnéal entraîne généralement le prolapsus de l’utérus, et que cette défaillance de la sangle périnéale s’ajoute à la défaillance de la sangle abdominale pour favoriser les chutes et les déplacements permanents d’organes. D’autres causes accessoires mais très efficientes encore, peuvent concourir au même but : tel, l’amaigrissement entraînant la fonte de l’atmosphère adipo-celluleux et des pannicules adipeux qui servent normalement à combler les vides, à rembourrer les espaces et par conséquent à fixer et à soutenir les organes (atmosphère adipo-celluleuse des reins par exemple) : telle la dénutrition entraînant l’atrophie et l’atonie des ligaments, des aponévroses et des muscles ; les troubles de la circulation, occasionnant les stases, les ectasies vasculaires, l’œdème, l’infiltration, la tuméfaction et le relâchement de tissus ; tel l'usage antiphysiologique du corset et des cordons de taille, qui, chez les femmes-mères, joue un rôle d’autant plus pernicieux que la sangle abdominale et la sangle périnéale ne peuvent plus lutter contre la pression que ces liens exercent de haut en bas sur les organes.
On comprend facilement que les désordres viscéraux seront d’autant plus accentués et d’autant plus graves que les causes que nous venons d’énumérer seront elles-mêmes plus développées et qu’elles concourront en plus grand nombre au but terminal.
Il n’est pas rare d’observer, chez la même femme, la réunion de toutes les causes et le maximum de tous les désordres. Considérée dans son ensemble, la perte de l’équilibre viscéral aboutit à la chute de la masse intestinale en bas et en avant.
La pile de coussins à air superposés, dont nous avons parlé, s’écroule, laissant en quelque sorte suspendus, dans le vide, les organes qu’elle soutenait, comme l’estomac, le foie, la rate, ou qu’elle contribuait à contenir, comme les reins. Ces organes suivent le mouvement et s’abaissent à leur tour.
Ils s’abaissent, naturellement, avec une facilité d’autant plus grande que leurs moyens de contention propres sont eux-mêmes plus relâchés. C’est ce qui arrive en particulier lorsque le corset a déterminé antérieurement la dislocation verticale de l’estomac, l’abaissement du foie et, par son intermédiaire, du rein, ou lorsque, par d’autres causes, il existait déjà de la dislocation de l’estomac ou de l’abaissement des reins.
Ces chutes d’organes sont connues sous le nom de ptôse ; abaissement de l’intestin ; entéroptose ; abaissement de l’estomac : gastroptose ; abaissement du foie : hépatoptose ; abaissement du rein : néphroptose ; abaissement de la rate ; splénoptose. On peut observer plusieurs ptoses chez la même malade.
(c) Organes génitaux. — Voyons maintenant les résultats de l’accouchement et de l’effondrement du plancher périnéal.
Chez la femme-mère, même en l’absence de toute déchirure, par suite de l’excessive distension du conduit vulve-vaginal, au moment de l’expulsion du fœtus, la vulve reste plus ou moins béante (vulva hians) par opposition à la vulve fermée (vulva connivens) des vierges et nullipares. Le sphincter a été forcé, la muqueuse du vagin s’est relâchée et a perdu sa tonicité. Elle n’a aucune tendance à la réaction. Cette muqueuse fait hernie à l’orifice vulvaire soit en arrière, soit en avant dans toute la périphérie (descensus vaginœ).
Plus ordinairement, il existe une déchirure du repli cutanéo-muqueux qui limite en arrière l’orifice de la vulve. (Déchirure de la fourchette n’atteignant pas les sphincters).
Le prolapsus vaginal s’en trouve facilité.
La déchirure peut s’étendre au périnée. On trouve en moyenne des déchirures du périnée chez 15 pour 1000 des femmes-mères.
Ces déchirures sont plus ou moins étendues et plus ou moins profondes.
La béance vulvaire et les déchirures du [périnée, limitées au sphincter de l’anus, se compliquent généralement de prolapsus : de l’urèthre (urèthrocèle, Duplay), de la vessie (cystocèle), du rectum (rectocèle), isolés ou associés.
En résumé : la muqueuse est relâchée et atone ; les muscles sont forcés, atrophiés ou déchirés ; les aponévroses sont éraillées ou rompues ; le périnée est effondré. Les organes pelviens ne sont plus soutenus ; la vessie et le rectum sont prolabés. L’utérus lui-même est déplacé, parfois abaissé.
L’abaissement est constitué toutes les fois que le col est à moins de six centimètres de la vulve. On considère, pour l’abaissement, trois degrés qui d’ordinaire se succèdent progressivement, à savoir :
1° L’abaissement : le col est encore dans le vagin ; 2° la descente ou procidence, le museau de tanche se présente à la vulve ; 3° la chute ou précipitation : le col et quelquefois le corps ont franchi la vulve, l’organe pend plus ou moins, entre les cuisses à la manière d’un battant de cloche. Le vagin s’est retourné en doigt de gant.
Telles sont les conséquences mécaniques de la grossesse et de l’accouchement ; on peut résumer en quelques mots leur enchaînement :
Grossesse : dislocation de la sangle abdominale, ptôses viscérales et plus ordinairement ertéroptose et néphroptose droite.
Accouchement : effondrement du plancher périnéal prolapsus génital, ordinairement accompagné de prolapsus vésical et rectal.
Nous ne parlons pas des complications provoquées par les infections aiguës ou chroniques, soit par les maladies constitutionnelles soit par des prédispositions nerveuses ou de certaines complications locales.
Il est facile de concevoir le retentissement de ces troubles mécaniques sur les fonctions des organes déplacés et par suite sur l’état général. Ce retentissement est, toutes choses égales d’ailleurs, proportionnel à l’étendue, à la multiplicité et à la gravité des troubles.
Il y a, évidemment, toute une gamme ascendante de souffrances, depuis les malaises tellement légers qu’ils passent, à peu près inaperçus et ne sont, en tout cas, généralement pas rattachés à leur véritable cause, jusqu’à la déchéance vitale la plus profonde et la perte en apparence irréparable de la santé.
Il faut tenir compte de la résistance individuelle et de l’état constitutionnel. Mais le principal rôle doit être attribué, d’une part, au nombre des grossesses, d’autre part, au volume atteint par l’utérus gravide. Nous voyons des femmes conserver leur sangle abdominale intacte après plusieurs grossesses conduites à terme.
Une de nos malades, mère de trois enfants, est bien remarquable à cet égard. Elle a conservé un ventre de vierge, mais il faut dire que ses enfants étaient tout petits à leur naissance. D’ailleurs, le périnée n’a pas été respecté, et elle a un prolapsus génital fort accentué.
En regard de ce cas, nous signalerons une autre de nos malades qui, à la suite d’une seule grossesse, mais d’une grossesse gémellaire, a eu une dislocation complète de la sangle abdominale.
Pour conclure, il n’est pas rare de voir certaines femmes terrassées par leur première couche et d’autres supporter, sans grands dommages, plusieurs parturitions. Mais, d’une façon générale, on peut dire que la très grande généralité des femmes-mères présentent à un degré quelconque des troubles attribuables à la maternité.
Dans les cas légers, si l’on pose à la malade la question : « D’où souffrez-vous ? » Elle répond : « Je ne souffre de nulle part, mais j’ai perdu mes forces. Je m’en vais ».
Ou bien : « Je souffre de partout sans pouvoir préciser en quel point je souffre ».
Si, alors, on procède à un examen méthodique, on trouve isolés ou associés, les désordres mécaniques que nous avons décrits, on observe les symptômes de l’épuisement nerveux, de la neurasthénie : maux de tête, insomnie, dépression cérébrale, vertige, asthénie neuro-musculaire avec atonie gastro-intestinale, etc.
La neurasthénie n’est que la conséquence, la totalisation, si l’on veut, des troubles apportés dans le fonctionnement des principaux viscères par les ectasies, les ptôses et les ectopies produites par la maternité.
L’on constate que la plupart des malades deviennent d’une impressionnabilité morbide excessive, que leur sensibilité est exaltée, que leur motilité est au contraire affaiblie et cet affaiblissement prend une place capitale dans les plaintes des malades. Leur lassitude, l’anéantissement de leurs forces en arrivent à un tel degré qu’elles deviennent incapables du moindre effort. Elles sont de suite courbaturées. On comprendra facilement cet anéantissement des forces si l’on pense que dans tout effort, le point d’appui se fait sur le thorax et sur l’abdomen. L’effort commence, en effet, par une profonde inspiration qui dilate le thorax et refoule le diaphragme, les sphincters eux-mêmes sont plus ou moins relâchés, Les viscères abdominaux, en état de ptôse, n’offrent aucune résistance et se laissent refouler en quelque sorte indéfiniment par le diaphragme qui ne rencontre en définitive que le vide.
Pour le moindre travail musculaire, la malade s’épuise en vain et sent tout défaillir en elle. Quelle que soit l’ampleur de l’inspiration initiale, la fixation du thorax est impossible ; l’inspiration étant toujours insuffisante, la malade est de suite à bout de souffle.
On observe en outre que les fonctions digestives sont profondément troublées, qu’il existe de la dyspepsie flatulente avec constipation opiniâtre et quelquefois avec des alternatives de constipation et de diarrhée (débâcle).
L’appétit peut être conservé, il est souvent perverti.
À tous ces symptômes morbides peuvent s’ajouter les palpitations nerveuses dues au ralentissement des troubles digestifs (dilatation de l’estomac, ballonnement), sur le diaphragme et sur le cœur, ainsi que des troubles du système urinaire et des troubles fonctionnels génitaux.
L’intéressant article d’Aubeau ne prouve pas seulement le rôle très important que joue la grossesse dans l’étiologie de l’entéroptose ainsi que je l’avais avancé en étudiant l’influence du corset sur l’intestin, il permet encore de comprendre de quelle façon le corset peut par sa constriction, agir comme cause adjuvante des ptôses viscérales, comment il peut avoir une influence nuisible sur les organes génitaux et comment sa constriction est d’autant plus dangereuse, qu’elle est produite quand l’utérus est gravide.
« Dans les temps mêmes où l’on faisait le <plus grand abus des corsets à baleines, on pensait pourtant qu’ils pouvaient entraver la marche régulière de la grossesse et provoquer l’avortement du fœtus, aussi dès le XVIIIe siècle avait-on fait des corsets qui ne devaient servir que pour les femmes enceintes et d’autres pour les femmes nouvellement accouchées ».
Ambroise Paré avait déjà parlé de « ces choses qui compriment le ventre de la mère comme font les buses et choses semblables qui empêchent que l’enfant ne peut prendre croissance naturelle de sorte que les mères avortent ». Bouvier qui en maints passages de son œuvre a souvent pris la défense du corset en condamne l’usage pendant la gestation. Il est prudent, dit-il, pendant la grossesse de supprimer le corset ou tout au moins de le réduire à sa plus simple expression. On prend des précautions analogues à la suite des couches et pendant la lactation.
Le docteur Gazeaux range aussi parmi les causes d’avortement la compression que certaines femmes exercent sur le bas-ventre au moyen du corset.
Le Dr Penard dans son Guide pratique de l’accouchement dit qu’un corset trop serré embrassant tout le ventre gêne nécessairement le libre développement de l’utérus et « à un moment donné cet organe se révolte contre cette pression, entre en contraction prématurée, décolle l’œuf et l’expulse ».
Le Dr Charpentier, ainsi que Tarnier rangent le corset parmi les causes qui entravent la marche régulière d’une grossesse. Dareste et Cruveilhier l’accusent de provoquer l’hydramnios,
Dans le Traité d’obstétrique de MM. Ribemont et Lepage, on lit : la conformation du bassin, la compression exercée par le corset sur le paquet intestinal sont autant de causes qui modifient la situation de l’utérus pendant les deux premiers mois de la gestation.
C’est surtout chez les filles mères que l’abus du corset est la cause de fréquents avortements, des accouchements prématurés ou de la venue de produits non viables ou de nouveaux-nés chétifs.
Gerdy n’a-t-il pas cité l’observation d’une actrice de l’Odéon qui afin de pouvoir dissimuler son état se faisait serrer à l’excès. Un soir avant d’entrer en scène elle se fit sangler avec tant de violence qu’elle mourut.
« L’avortement par constriction du corset est une éventualité bien connue et il n’est pas une jeune fille mise à mal qui n’en fasse l’essai dès les premiers indices de la grossesse, dès le premier coup de talon ».
La statistique démontre que les enfants légitimes de 0 à 1 an meurent moins que les illégitimes ; après le premier mois la mortalité des illégitimes décroît à la ville où avec plus de lumière on pardonne à la fille-mère et où on lui vient en aide, tandis qu’elle continue à la campagne où l’on est intolérant, où l’on repousse la prétendue coupable.
Ces pauvres êtres dans l’état social actuel doivent non seulement supporter toutes les charges physiques, tous les malaises auxquels la grossesse les expose mais encore l’opinion les persécute, les condamne sans s’occuper de la culpabilité commune ou souvent de celle beaucoup plus grave du père de l’enfant. Il n’y a rien d’étonnant que ces filles-mères cachent leur grossesse ; les unes sans idées criminelles se serrent le plus possible, les autres cherchent tous les moyens pour faire avorter « le fruit illégitimement conçu » (Dr Tylicka}.
Une observation rapportée par Delisle dans son travail Sur l’emploi des corsets montre que quoique l’abus du corset par la femme enceinte puisse lui permettre d’aller près du terme, néanmoins elle s’expose aux complications post-puerpérales très graves et l’enfant meurt peu de temps après.
Je crois intéressant de rapporter cette observation : une fille de 22 ans parvenue à terme sans que les personnes chez qui elle était en service s’en fussent aperçues tant elle avait eu soin de serrer l’abdomen avec un corset fortement baleiné et muni d’un buse en acier extrêmement résistant et de plus d’une ceinture également très serré et très large, arriva à l’hôpital, elle se plaignait de douleurs tellement fortes qu’on la fit monter de suite dans les salles : parvenue en haut, de l’escalier, quelques liens de son corset se brisèrent et son ventre devint subitement volumineux et à peine avait-elle fait quelques pas que son enfant tomba sur le parquet. Le cordon était rompu grès de l’ombilic. La femme succomba de péritonite le 7e jour.
Cette action funeste du corset sur la femme arrivée au terme de sa gestation se fait sentir aussi, bien qu’à un degré moindre, chez la femme enceinte aux premiers mois de sa grossesse.
Au commencement de celle-ci, l’usage et d’autant plus l’abus du corset augmentent les symptômes d’incertitude (vomissements, troubles digestifs, etc) ; la compression exagérée sur l’abdomen commence déjà dans les premiers mois de la gestation à s’opposer mécaniquement au développement normal de l’utérus (Charpentier, Ribemont-Dessaigne).
Plus la grossesse avance plus augmentent les dangers d’un corset même peu serré.
Au 5e mois de la gestation, dit Mme Tylicka, l’utérus refoule l’intestin par en haut et atteint l’ombilic dans l’état de liberté de l’abdomen, mais la malencontreuse pression du corset sur la partie supérieure de l’abdomen ne sera-t-elle pas là pour l’arrêter ? Surtout lorsque cette compression est consciencieusement exagérée ; on verra alors se produire ce qui se passe lorsque l’utérus a perdu sa faculté de distension, c’est l’avortement. Peut-être, au milieu des troubles graves de la respiration et de la circulation, la grossesse atteindra une époque plus avancée et si la femme n’a pas l’intelligence de supprimer la gêne dans ses vêtements l’utérus se contractera prématurément et par le décollement de d’œuf elle va faire l’accouchement prématuré donnant à l’humanité l’enfant non viable ou toujours chétif. Si les filles-mères font abus du corset étant victimes de l’état social actuel, les femmes mariées n’ont pas toujours assez de sens pour renoncer tout à fait à ce gênant instrument pendant la grossesse, bien que leur taille augmente chaque jour, malgré qu’elles soient contentes d’être bientôt mères. En France cette coutume est très développée ; dans les cliniques, dans la rue, partout nous rencontrons des femmes enceintes armées de leur corset ; même à la campagne, près d’Etampes, nous avons vu une femme qui jusqu’au dernier jour de sa grossesse porta le corset, travaillant avec aux champs et trayant ses vaches ; elle accoucha d’un garçon très petit et peu musclé (Dr Tylicka).
Je ne crois pas qu’il y ait lieu de rien ajouter à toutes ces opinions que je viens de rapporter et qui sont à mon avis aussi concordantes que justes. On peut les résumer en ces mots : l’usage du corset est très dangereux pour la femme enceinte.
Est-ce à dire que la femme ne doit plus porter de corset à partir ’du jour où elle a des raisons de se croire enceinte ? Non certainement d’une façon absolue ; mais, si l’on considère que la femme est, de tous les mammifères, celui chez lequel, par suite de la station bipède — station acquise pour certains — les descentes, les ptôses d’organes sont les plus fréquentes, et si l’on pense aussi que l’on ne peut, surtout à la première grossesse, affirmer que telle femme est plus encline qu’une autre à une fausse couche, il faut user de beaucoup de prudence au début de la grossesse, alors que les connexions de l’œuf avec l’utérus sont peu solides, il faut éviter toutes les causes d’accouchement prématuré, d’avortement, au nombre desquelles on doit compter la constriction de la taille par un corset serré, et porter un corset qui ne puisse blesser en aucun point et en aucune manière la femme qui le porte.
Avec l’évolution de la grossesse, les précautions deviendront de plus en plus attentives, et l’emploi d’un corset spécial sera bientôt nécessaire pour soutenir et renforcer la paroi abdominale, soumise à une très importante pression.
Il existe de nombreux modèles de ces corsets spéciaux, dits de grossesse, et j’en ai reproduit différents types dans le Tome 1 de cet ouvrage. Le corset de grossesse peut être disposé pour soutenir à la fois les seins et l’abdomen ; certains appareils, au contraire, sont divisés en deux parties : l’une, soutien thoracique ; l’autre, soutien abdominal.
Dans les cas graves, où un corset abdominal spécial ne suffit pas à soutenir le ventre, il faut recourir à des appareils plus encombrants, tels que les bandages herniaires, les grandes ceintures à plaque compressive en cuir moulé, la ceinture abdominale pour éventration, etc.
Ce n’est pas seulement pendant le cours de la grossesse, mais encore après la délivrance, et surtout lorsqu’il s’agit d’une multipare, qu’il y a lieu d’éviter l’usage maladroit du corset ; « pendant et après la grossesse et surtout après des grossesses répétées, les organes génitaux sont encore dans un état de turgescence physiologique et l’usage et surtout l’abus du corset peut provoquer le prolapsus ou la bascule de l’utérus, changer ses rapports et déterminer une antéversion ou une rétroversion, cause mécanique de stérilité de la femme. »
Ce que j’ai dit antérieurement de l’influence du corset sur les viscères abdominaux explique comment, après l’accouchement, ces viscères privés brusquement de leur soutien et ne trouvant devant eux qu’une paroi relâchée peuvent se ptoser ; il y a donc lieu, après la grossesse, tant pour l’utérus délivré de son produit que pour les autres viscères, de soutenir l’abdomen à sa région inférieure et de ne pas le comprimer au niveau de la taille.
« Après l’accouchement il faut, surtout pendant les premières semaines, maintenir la paroi abdominale à l’aide de vêtements serrés, jusqu’à ce qu’elle ait pleinement retrouvé son élasticité ».
La gurita des Indiennes, ou ceinture, faite de deux bandes de toile rectangulaires cousues l’une à l’autre par leur milieu, maintient fort bien l’abdomen des accouchées. La bande intérieure est fortement serrée autour du corps, tandis que la bande extérieure découpée en cinq ou six lanières dont le serrage est indépendant et réglable à volonté vient compléter la compression de la première bande.
Quant à l’action du corset sur la matrice en dehors de l’état de grossesse, je ne la crois dangereuse que lorsque le paquet viscéral est fortement comprimé, que lorsqu’il y a vraiment abus dans la constriction ou port d’un corset vraiment défectueux. La constriction sera plus dangereuse à l’époque des règles, et on peut alors admettre que le corset puisse gêner la menstruation et provoquer de la dysménorrhée, l’utérus étant congestionné et plus sensible ; encore ne s’agit-il là que de cas tout particuliers.
- ↑ Sur les figures 90 et 91. les chiffres 3 indiquent le rectum, 4 l’utérus, 6 la vessie. 7, 7, 7, les anses intestinales remplies de matières fécales.