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Le Dialogue (Hurtaud)/116

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 22-27).


CHAPITRE VII

(116)

Comment Dieu regarde comme dirigées contre lui-même les persécutions que l’on fait subir à l’Église et à ses ministres. Et comment cette faute est plus grave qu’aucune autre.

Si tu me demandes pourquoi le péché de ceux qui persécutent la sainte Église est plus grave que tous les autres, et pour quelle raison, les fautes de mes ministres ne diminuent en rien le respect qu’on leur doit rendre, je te répondrai : Parce que tout le respect qu’on leur témoigne, ce n’est pas à eux qu’il s’adresse, mais à Moi, par la vertu du Sang dont je leur ai confié la dispensation. Sans cela, vous auriez autant de respect pour eux que pour les autres hommes, et rien de plus. C’est à cause de ce ministère qu’ils remplissent, que vous êtes obligés à ce grand respect : c’est à eux qu’il vous faut aller, non pas à eux à cause d’eux, mais à cause de la puissance que je leur ai donnée, si vous voulez recevoir les saints sacrements de l’Église ; et, si pouvant les recevoir vous ne le vouliez pas, vous mourriez en état de damnation.

Et donc, ce n’est pas à eux, c’est à Moi que va cet hommage de respect, et à ce glorieux Sang qui est une même chose avec Moi, par l’union de la nature divine et de la nature humaine. c’est à Moi que va le respect, c’est à Moi aussi que s’adresse l’irrévérence. Je te l’ai déjà dit, vous ne leur devez pas d’égards particuliers, pour eux-mêmes, mais à cause de l’autorité dont je les ai investis ; et, pareillement, en les offensant, ce n’est pas eux qu’on offense, c’est Moi-même. C’est ce que j’ai interdit, par ces mots Ne portez pas la main sur mes christs (Par. 16, 22). Non : Je ne le veux pas.

Qu’on ne s’excuse point en disant : " Je ne fais pas injure à la sainte Église, je ne me révolte pas contre elle, je n’en ai qu’aux vices des mauvais pasteurs. " Qui parle ainsi ment sur sa tête. Son amour-propre l’aveugle, et l’empêche d’y voir clair, ou plutôt, il voit bien, mais fait semblant de ne pas voir, pour étouffer les reproches de sa conscience. S’il était sincère, il verrait bien, et même, il voit bien que ce ne sont pas les hommes qu’il persécute, mais le Sang de mon Fils. A Moi l’injure, comme à Moi le respect ! Et donc à Moi aussi, tous les dommages, tous les mépris, tous les affronts, toutes les opprobres, toutes les réprobations dont mes ministres sont l’objet. Je considère comme fait à Moi-même tout ce qui leur est fait. Je l’ai dit et je le répète : Je ne veux pas que l’on touche à mes christs !-- C’est à Moi seul de les punir.

Les méchants prouvent ainsi leur irrévérence pour le Sang et le peu de prix qu’ils attachent à ce trésor que je leur ai donné, pour le salut et la vie de leurs âmes. Pouvais-je faire davantage que de me donner moi-même, Dieu et homme tout entier, pour être votre nourriture. Mais parce qu’ils n’ont pas su m’honorer moi-même à travers mes ministres, leur respect s’est encore amoindri par les persécutions qu’ils leur ont fait subir, sous prétexte qu’ils découvraient en eux nombreux péchés et maints défauts dont je t’entretiendrai en un autre endroit. Si vraiment ils avaient professé le respect qu’ils me doivent à Moi dans la personne de mes ministres, les défauts de ceux-ci n’eussent point découragé leur hommage, comme ils ne diminuent en rien, je te l’ai dit, la vertu de ce Sacrement. Donc le respect, lui aussi, doit demeurer le même : l’amoindrir, c’est m’offenser moi-même.

Cette offense m’est plus sensible que toutes les autres, et pour plusieurs raisons, dont je te dirai les trois principales.

La première est que, ce qu’on leur fait, c’est à Moi-même qu’on le fait.

La seconde c’est qu’ils transgressent le commandement, que j’ai institué moi-même, de ne pas porter là main sur mes christs, et qu’ils méprisent ainsi la vertu du Sang qu’ils ont reçu dans le saint baptême. Ils ont désobéi, en faisant ce qui était défendu, et ils se sont insurgés contre ce Sang, en lui manquant de respect, par une grave persécution. Ils sont donc comme des membres putrides, retranchés du corps mystique de la sainte Église, et s’ils s’obstinent dans leur révolte, s’ils meurent dans leur mépris, ils encourront la damnation éternelle. Au


dernier moment, il est vrai, s’ils s’humilient en reconnaissant leur faute, s’ils veulent se réconcilier avec leur chef et qu’ils ne le puissent pas, ils recevront miséricorde ! Soit ! Ce n’est pas une raison, cependant, d’attendre ce dernier instant, car ils ne sont pas sûrs d’en pouvoir disposer.

La troisième raison, qui fait que leur faute est plus grave que toutes les autres, c’est que ce péché est voulu par malice, avec préméditation. Ils savent bien, qu’en bonne conscience, ils ne peuvent pas ainsi outrager mes ministres. Et ils le font quand même, ils m’offensent par perversité d’orgueil, sans entraînement de la chair. Ils ruinent ainsi leur âme et leur corps. L’âme est ruinée par la perte de la grâce, et souvent elle est rongée par le ver de la conscience. Leurs biens corporels, ils les gaspillent au service du démon, et leurs corps périssent enfin comme des animaux.

Ainsi donc ce péché est commis directement contre Moi, sans intérêt personnel, sans jouissance sensuelle, uniquement par malice et par orgueil. Cet orgueil a sa source dans l’amour-propre sensitif, et dans cette crainte coupable qu’eut Pilate lorsque, par peur de perdre son pouvoir, il mit à mort le Christ mon Fils unique. Ainsi font toujours ceux qui portent la main sur mes ministres. Tous les autres péchés sont commis ou par simplicité, ou par ignorance, ou même par malice, quand on sait que l’on fait mal, mais c’est à cause de la jouissance désordonnée, ou du plaisir, ou de l’intérêt personnel, que l’on se procure par le péché lui-même. Ces péchés sont nuisibles à l’âme, ils m’offensent ainsi que le prochain : ils m’offensent parce qu’ils me privent de l’honneur et de la gloire auxquels j’ai droit, ils offensent le prochain en le privant de l’amour de la charité. Mais ils ne m’atteignent pas extérieurement, ils ne sont pas dirigés contre Moi, et spécialement contre Moi, bien qu’ils soient préjudiciables à l’âme et me déplaisent à cause de sa perte. Tandis que cette offense dont je me plains, c’est à Moi qu’elle s’adresse, et immédiatement. Les autres péchés se couvrent de quelque prétexte ; on les commet sous couleur de quel que bien ; ils ne sont pas dirigés immédiatement contre Moi ; car je t’ai dit, tout vice et toute vertu s’exercent à l’égard du prochain, le péché se commet, par manque de charité envers Moi, votre Dieu, et envers le prochain, et la vertu opère par l’amour même de la charité. C’est en offensant le prochain, et en quelque sorte par son intermédiaire, que l’on m’offense.

Mais parce que, parmi mes créatures raisonnables, j’ai élu mes ministres, qui sont mes oints, comme je te l’ai dit, les dispensateurs du corps et du sang de mon Fils unique, de votre chair humaine unie avec ma nature divine, quand ils consacrent, ils représentent la personne même du Christ mon Fils.

Tu le vois donc bien, c’est à mon Verbe que cette injure est faite. En l’atteignant, elle m’atteint du même coup, puisque nous sommes Un. Les malheureux ! Ils persécutent le Sang, et ils se privent du trésor qui est le fruit du Sang  !


C’est pourquoi, elle m’est plus sensible que toute autre, cette offense qui s’adresse non pas à mes ministres, mais à Moi. Je n’estime pas comme leur appartenant en propre ni l’honneur, ni la persécution : c’est Moi qu’ils visent, c’est-à-dire ce glorieux Sang de mon Fils qui est Un avec moi. Aussi je t’assure, que si tous les autres péchés commis jusqu’à ce jour étaient dans un plateau, et celui-là dans l’autre, c’est celui-là qui pèserait davantage dans la balance de ma Justice, pour les raisons que je t’ai exposées.

Si je t’ai révélé tout cela, c’est pour que tu aies sujet de t’attrister davantage, de l’injure qui m’est faite et de la perte de ces malheureux ; c’est afin que par la douleur et par l’amertume de ton âme et de mes autres serviteurs, par ma Bonté et ma Miséricorde, soient dissipées les ténèbres qui pèsent sur les membres corrompus, séparés du corps mystique de la sainte Église.

Je ne trouve presque plus personne qui gémisse de la persécution que l’on fait subir à ce glorieux et précieux Sang. Mais combien n’en rencontré-je pas, qui sans cesse me frappent des flèches de leur amour désordonné, de leur crainte servile, de leur propre estime ! Aveugles qu’ils sont, ils se font un honneur de ce qui est leur honte, ils jugent honte ce qui serait leur honneur, je veux dire s’humilier devant leur chef. Voilà les vices qui les ont faits s’insurger pour persécuter le Sang