Le Dialogue (Hurtaud)/138

La bibliothèque libre.
Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 160-164).


CHAPITRE IV

(138)

Comment tout ce que Dieu permet n’arrive que pour notre bien et pour notre salut, et combien aveugles et abusés ceux qui pensent le contraire.

Je veux, ma fille bien-aimée, te faire voir quelle patience il me faut, pour supporter mes créatures, elles que j ai créées, je te l’ai dit, à mon image et ressemblance, avec une si grande douceur d’amour. Ouvre l’œil de ton intelligence et regarde en mol. Je t’exposerai un cas particulier qui s’est rencontré auquel, s’il t’en souvient bien, tu m’avais prié de pourvoir, et auquel j’ai pourvu, comme tu sais, en rétablissant cet homme, dans son état, sans péril de mort Ce qui s’est passé dans ce fait particulier, arrive généralement dans tous les autres.


Alors, cette âme ouvrant l’œil de son intelligence éclairé par la lumière de la très sainte foi, le fixait sur la divine Majesté, avec un ardent désir. Car les paroles qu’elle avait entendues, lùi avaient fait mieux connaître la vérité divine sur la douce providence de Dieu. Pour obéir à son commandement, elle plongeait son regard dans l’abîme de sa charité. Elle voyait alors, comment il était la souveraine et éternelle Bonté, comment, par pur amour, il nous avait créés, puis rachetés pur le sang de son Fils, et comment ce même amour était la source de tous les dons qu’il se plaît à répandre, des souffrances ainsi que des consolations.

Tout procède de l’amour, tout est ordonné au salut de l’homme, Dieu ne fait rien que dans ce but. Voilà la vérité qu’elle découvrait dans ce sang répandu avec un tel embrasement d’amour.

Le Père éternel et souverain lui disait alors Comme ils sont aveuglés par l’amour d’eux-mêmes, ceux qui se scandalisent et se révoltent de ce qui leur arrive. Je te parle ici, tout à la fois et en général et en particulier, en reprenant ce que je te disais. lis prennent en mai, et croient voulu pour leur perte, pour leur ruine, et en haine d’eux, ce que je fais par amour, et pour leur bien, en vue de les sauver des peines éternelles et de leur donner la vie qui ne passe pas. pourquoi donc murmurent-ils contre moi ? Parce qu’ils n’ont pas mis leur espérance. en moi, mais en eux-mêmes ; dès lors pour eux, tout devient ténèbres. Ils ne connaissent plus les choses telles qu’elles sont ; ils haïssent donc ce qu’ils devraient vénérer, et dans leur orgueil, ils veulent juger mes jugements secrets qui sont la droiture même. Ils ressemblent à ces aveugles qui, soit parle toucher, soit par le goût, soit par le son de la voix, voudraient juger de la valeur des choses, en s’en référant uniquement aux impressions de ces sens inférieurs et bornés. Ils ne veulent pas s’en rapporter à moi, qui suis la vraie lumière, à moi qui les nourris spirituellement et corporellement, à moi sans lequel ils n’ont plus rien. Quand ils reçoivent quelque service d’une créature, c’est moi qui ai disposé cette créature, qui lui ai donné aptitude et savoir, volonté et puissance de leur être utile. Ces insensés ne se veulent conduire qu’en touchant de la main. Mais le toucher est trompeur ; il n’a pas la lumière, qui fait discerner la couleur ; pareillement, le goût peut être induit en erreur, car il ne voit pas l’insecte impur qui vient parfois se poser sur les aliments. L’oreille peut être abusée par la douceur du son, parce qu’elle ne voit pas celui qui chante, et si l’on se fie à lui, en ne s’en rapportant qu’à sa voix, il peut vous donner la mort.

Ainsi font ces aveugles, qui ont perdu la lumière de la raison ; ils n’en veulent croire qu’aux impressions de leurs sens, ils sont comme ceux qui se contentent de tâter avec la main. Les plaisirs du monde leur semblent délicieux ; mais comme ils ne voient pas, ils ne se rendent pas compte que ces plaisirs ressemblent à une étoffe garnie d’une infinité d’épines, qu’ils sont accompagnés de grandes tristesses et de beaucoup de soucis, et que le cœur qui les possède en dehors de moi est insupportable à soi-même.

Ces plaisirs semblent doux et agréables à la bouche, je veux dire au désir désordonné qui les convoite. Mais sur ces plaisirs grouillent des bêtes immondes, tout un essaim de péchés mortels, qui vont infecter l’âme, la défigurer au point de lui faire perdre ma ressemblance et de lui ôter la vie de la grâce. Si cette âme n’ouvre enfin les yeux à la lumière de la foi, pour aller se purifier dans le Sang, c’est pour elle la mort éternelle.

Elle écoute l’amour-propre. Ah ! la douce chanson, croit-elle. — Et pourquoi ? — Parce que d’elle-même, l’âme court droit à l’amour de la sensualité elle est donc tout oreille pour la chanson qui l’abuse ; elle ne regarde plus rien, elle va devant elle, suivant la voix qui la charme, tout entière à cette séduction ; elle trouve le fossé et la culbute ; la voilà prise dans les liens du péché, la voilà aux mains de ses ennemis. Aveuglée par son amour-propre, par la confiance qu’elle avait mise en elle-même et dans son propre savoir, je n’étais plus rien à ses yeux, moi qui suis son guide et sa voie. Elle a été tracée cette voie, par le Verbe mon Fils qui a dit : Je suis la voie et la vérité, la vie et la lumière. Qui passe par lui, ne peut être trompé ni marcher dans les ténèbres, et nul ne peut venir à moi, sinon par lui, parce qu’il est une même chose avec moi. Je te l’ai déjà dit, j’ai fait de mon Fils un pont qui vous permette à tous de pouvoir parvenir à votre fin, et néanmoins, malgré tout cela, les hommes n’ont pas confiance en moi, qui ne veux que leur sanctification. C’est dans ce but, qu’avec un immense amour, je leur donne ou je permets tout ce qui leur arrive, et sans cesse ils se scandalisent de moi. Je les supporte avec patience, et je les conserve, parce que je les aime malgré qu’ils ne m’aiment pas ; eux, cependant, me poursuivent sans relâche de leurs révoltes, de leur haine, de leurs murmures, de leurs nombreuses infidélités. Dans leur aveugle pensée, ils veulent entreprendre de scruter mes desseins les plus secrets, tous ordonnés suivant la justice et inspirés par l’amour, et ils ne se connaissent même pas eux-mêmes. Cependant qui ne se connaît pas soi-même ne peut me connaître, moi, en vérité, ni comprendre mes jugements. Aussi toutes leurs vues sont-elles fausses.