Le Dialogue (Hurtaud)/153

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 247-250).


CHAPITRE XIX

(153)

Comment cette âme, après avoir loué et remercié Dieu, le prie de lui parler sur la vertu d’obéissance.

Alors cette âme, éprise jusqu’à l’ivresse de la vraie et sainte pauvreté, se dilatait dans la souveraine et éternelle Grandeur, et se sentait transformée dans l’abîme de la providence infinie et ineffable. Bien que toujours dans le vaisseau de son corps, il lui semblait qu’elle l’avait quitté, tant elle était embrasée et toute ravie en Dieu par le feu de sa charité. Elle tenait le regard de son intelligence fixé sur la divine Majesté, pendant qu’au Père éternel et souverain elle disait : O Père éternel ! ô feu, ô abîme de charité ! ô éternelle clémence ! ô espérance, ô refuge des pécheurs, ô sagesse inestimable ! ô bien éternel et infini ! ô fou d’amour ! Avez-vous donc besoin de votre créature ? Oui, me semble-t-il, car vous en agissez avec elle comme si vous ne pouviez vivre sans elle, Vous qui êtes la vie qui fait vivre toute chose et sans laquelle rien ne vit ! Pourquoi donc êtes-vous si épris de votre créature ? Pourquoi cet amour éperdu pour votre œuvre ? Toutes vos complaisances sont pour elle, vous ne trouvez de délices qu’avec elle, le désir de son salut est en vous comme une ivresse ! Elle vous fuit pourtant, mais vous êtes à sa poursuite. Elle s’éloigne, et vous vous faites plus proche. Pouviez-vous vous placer plus près d’elle, qu’en vous revêtant de son humanité ? Et que dirai-je ? Je ferai comme le bègue, je dirai a, a, puisque je ne sais dire rien d’autre, puisque la langue ne saurait exprimer le sentiment de l’âme, qui infiniment ne désire que vous ! Il me semble que je pourrais répéter la parole de Paul : " Ni la langue ne peut dire, ni l’oreille entendre, ni l’œil voir, ni le cœur penser ce que j’ai vu. — Et qu’as tu vu ? — " Les mystères de Dieu ! (1 Co 11-8, 9 "

Et moi, que dirai-je ? Que peuvent faire ici les sentiments grossiers ? Je dirai seulement, que mon âme a goûté et vu l’abîme de la souveraine et éternelle providence.

Maintenant, je vous rends grâces à vous, Seigneur, Père éternel, pour l’immense bonté que vous m’avez témoignée à moi, pauvre misérable si indigne de toute grâce. Mais, puisque je vois que vous exaucez les saints désirs et que votre Vérité ne peut mentir, je vous exprime le vœu, que vous me parliez un peu désormais de la vertu d’obéissance et de son excellence. Vous-même, Père éternel, vous m’avez promis de me l’expliquer, pour m’en inspirer l’amour, afin que jamais je ne m’écarte de l’obéissance que je vous dois. Qu’il vous plaise, par votre infinie bonté, de me faire connaître la perfection de cette vertu, — où je pourrai la trouver, — ce qui peut me la faire perdre, — qui me la peut procurer, — à quel signe je puis juger que je la possède ou que j’en suis privée !